La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/2022 | FRANCE | N°20/16199

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 29 juin 2022, 20/16199


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 29 JUIN 2022



(n° 119/2022, 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/16199 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCT6T



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2020 -Tribunal de Commerce d'EVRY RG n° 2019F00246





APPELANTS



Monsieur [G] [L]

Né le 20 Avril 1985 à [Localité 7]

De nationalité nigérienne

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assisté de Me Mohamed DIARRA, avocat au barreau...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 29 JUIN 2022

(n° 119/2022, 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/16199 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCT6T

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2020 -Tribunal de Commerce d'EVRY RG n° 2019F00246

APPELANTS

Monsieur [G] [L]

Né le 20 Avril 1985 à [Localité 7]

De nationalité nigérienne

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assisté de Me Mohamed DIARRA, avocat au barreau d'ESSONNE

S.A.S. R&C SOLUTIONS GROUPE

Société au capital de 1 000 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'EVRY sous le numéro 825 056 989

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assistée de Me Mohamed DIARRA, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMEE

S.A.R.L. EVENEMENT SPECTACLE

Société au capital de 7 622,45 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 434 213 013

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée et assistée de Me Anita MOUSAEI de l'AARPI AARPI BRIZON MOUSAEI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1517

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère et Mme Déborah BOHÉE, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de  :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère,

Mme Deborah BOHEE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Karine ABELKALON, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

La société L'EVENEMENT SPECTACLE est spécialisée dans l'organisation de tous types de projets événementiels (soirée, arbre de Noël) et a embauché M. [G] [L] dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2014 en qualité de commercial.

Début 2017, la société L'EVENEMENT SPECTACLE, ayant reçu des plaintes de certains clients au sujet de M. [G] [L], a constaté que celui-ci était impliqué dans une société concurrente (la SAS R&C SOLUTIONS enregistrée le 16 janvier 2017, spécialisée dans l'organisation de tous types d'événements et à destination de tous publics ), qui ciblait, selon elle, sa clientèle et utilisait les mêmes supports de présentation.

La société L'EVENEMENT SPECTACLE a procédé au licenciement pour faute lourde de M. [G] [L] le 30 mars 2017.

Saisi à la requête de M. [G] [L], le conseil de prud'hommes de Bobigny a, par jugement du 10 septembre 2021, retenu que le licenciement était justifié pour faute grave, l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à verser une somme de 15.000€ en réparation du préjudice moral subi à la société L'EVENEMENT SPECTACLE. Il a été fait appel de ce jugement par l'intéressé.

Par actes des 20 et 25 mars 2019, la société L'EVENEMENT SPECTACLE a fait assigner la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] pour concurrence déloyale devant le tribunal de commerce d'Evry.

Le 15 janvier 2020, par jugement avant dire droit, le tribunal de commerce d'Evry a rejeté la demande de la société L'EVENEMENT SPECTACLE tendant à la communication de certaines pièces qu'elle estimait nécessaires à la manifestation de la vérité.

Par jugement 14 octobre 2020, dont appel, le tribunal de commerce d'Evry a rendu la décision suivante :

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 154.000 €,

- Interdit à la société R&C SOLUTIONS et à M. [G] [L] toute transaction commerciale pendant une durée d'un an à compter de la signification du présent jugement avec les sociétés listées sur le fichier clients de la société L'EVENEMENT SPECTACLE tel qu'il existait à la date du licenciement de M. [G] [L], sous astreinte de 10.000 € par infraction dûment constatée par huissier de justice,

- Ordonne la suppression sur le site internet de la société R&C SOLUTIONS de tout support présentant une similitude avec celui de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, et ce sous un délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 10.000€ par infraction dûment constatée par huissier de justice,

- Se réserve la liquidation des astreintes,

- Autorise la publication de sa décision dans trois journaux professionnels et trois journaux quotidiens, au choix de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, en extrait ou en totalité, aux frais de la société R&C SOLUTIONS, et au plus tard trois mois après la signification du présent jugement,

- Déboute les parties de leurs autres demandes,

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à payer à la société L'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 10.000 € au titre de l'article

700 du Code de procédure civile,

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 178.82 euros TTC.

La société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] ont interjeté appel de ce jugement le 10 novembre 2020.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 6 décembre 2021 par la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L], appelants et intimés incidents, qui demandent à la cour, de:

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 154.000,00 €.

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a interdit à la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] toute transaction commerciale pendant une durée d'un an à compter de la signification du présent jugement avec les sociétés listées sur le fichier clients de la société L'EVENEMENT SPECTACLE tel qu'il existait à la date du licenciement de M. [G] [L], sous astreinte de 10.000 € par infraction dûment constatée par huissier de justice.

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a ordonné la suppression sur le site internet de la société R&C SOLUTIONS de tout support présentant une similitude avec celui de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, et ce sous un délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 10.000 € par infraction dûment constatée par huissier de justice.

- INFIRMER le jugement en ce que le Tribunal s'est réservé la liquidation des astreintes.

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a autorisé la publication de sa décision dans trois journaux professionnels et trois journaux quotidiens, au choix de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, en extrait ou en totalité, aux frais de la société R&C SOLUTIONS, et au plus tard trois mois après la signification du présent jugement.

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à payer à la société L'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté les parties de leurs autres demandes » mais seulement en ce qu'il a débouté la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] de leurs demandes ; lesdites demandes tendant notamment à voir :

In limine litis :

- DIRE que le tribunal de commerce n'est pas compétent pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de M. [L],

- DÉCLINER en conséquence sa compétence au profit du Conseil de Prud'hommes d'Evry concernant les demandes formées contre M. [L] ;

Sur le fond :

- DEBOUTER la société L'EVENEMENT SPECTACLE de l'ensemble de ses demandes,

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 143.762 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale par désorganisation fautive,

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour action abusive,

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à M. [G] [L] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE aux entiers dépens de la présente instance incluant tous dépens et frais d'huissiers.

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

In limine litis :

- JUGER que le Tribunal de Commerce n'était pas compétent pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de M. [L].

- DÉCLINER en conséquence la compétence du Tribunal de Commerce d'Evry au profit du Conseil de prud'hommes d'Evry concernant les demandes formées contre M.[L].

Sur le fond :

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 143.762,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale par désorganisation fautive.

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 20.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour action abusive.

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à la société R&C SOLUTIONS la somme de 6.000,00 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE à verser à M. [G] [L] la somme de 6.000,00 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- CONDAMNER la société L'EVENEMENT SPECTACLE aux entiers dépens de la présente instance incluant tous dépens et frais d'huissiers, ainsi qu'aux dépens de première instance.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 2 décembre 2021 par la société L'EVENEMENT SPECTACLE, intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de:

- RECEVOIR ET DECLARER bien fondée la société EVENEMENT SPECTACLE dans ses prétentions et demandes à l'encontre de la société R&C SOLUTIONS et M. [L] ;

- DECLARER irrecevable la demande d'exception d'incompétence soulevée par la société RC SOLUTION GROUPE et M. [L] ;

A titre subsidiaire, et si la Cour devait estimer recevable la demande d'incompétence soulevée:

- DIRE ET JUGER acquise la compétence du Tribunal de commerce d'Evry et par conséquent, celle de la Cour.

Ce faisant,

- CONFIRMER le jugement de première instance en date du 14 octobre 2020, en ce qu'il a :

' Retenu à l'encontre de la société RC SOLUTIONS et M. [L] les actes de concurrence déloyale envers la société L'EVENEMENT SPECTACLE ;

' Condamné in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [L] au titre du vol du fonds de commerce de la société L'EVENEMENT SPECTACLE ;

' Interdit à la société R&C SOLUTIONS et à M. [L] toute transaction commerciale pendant une durée d'un an à compter de la signification du présent jugement avec les sociétés listées sur le fichier clients de la société L'EVENEMENT SPECTACLE tel qu'il existait à la date du licenciement de M. [L], sous astreinte de 10 000 euros par infraction dûment constatée par huissier de justice,

' Ordonné la suppression du site internet de la société R&C SOLUTIONS de tout support présentant une similitude avec celui de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, et ce pour un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 10 000 euros par infraction dûment constatée par huissier de justice,

' Autorisé la publication de la décision dans trois journaux professionnels et trois journaux quotidiens, au choix de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, en extrait ou en totalité, aux frais de la société R&C SOLUTIONS et au plus tard trois mois après la signification du jugement;

' Condamné conjointement et solidairement, ou tout du moins in solidum, M. [L] et la société RC SOLUTIONS GROUPE à payer à la société l'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 178,82 euros TTC.

- INFIRMER le jugement de première instance en date du 14 octobre 2020 mais uniquement en qui concerne :

' le montant de la somme octroyée au titre du vol du fonds de commerce de la société L'EVENEMENT SPECTACLE,

' la condamnation à des dommages et intérêts aux titres de la perte d'exploitation et du préjudice moral de la société L'EVENEMENT SPECTACLE.

Dès lors, statuant à nouveau,

- INTERDIRE à M. [L] et à la société RC SOLUTIONS GROUPE de s'intéresser et de participer directement ou indirectement à toute activité faisant concurrence à celle de la société l'EVENEMENT SPECTACLE, et ce sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée ;

- INTERDIRE à tout autre membre de la Société RC SOLUTIONS de continuer à se rendre complice des agissements de M. [L] et de la société RC SOLUTIONS GROUPE et de poursuivre tout acte de démarchage de la clientèle de la société l'EVENEMENT SPECTACLE.

- INTERDIRE à M. [L], la RC SOLUTIONS GROUPE et/ou toute autre société ayant un lien direct ou indirect avec les défenderesses d'utiliser le fichier clients/contacts/cibles de la société l'EVENEMENT SPECTACLE et ce sous astreinte de 1000 € par client utilisé ;

- CONDAMNER la société R&C SOLUTIONS et M. [L] à payer à la société l'EVENEMENT SPECTACLE :

' la somme de 343.007 euros au titre de la perte d'exploitation ;

' la somme de 1.178.500 euros au titre du vol du fonds du commerce de la société l'EVENEMENT SPECTACLE ;

' la somme de 50.000 euros au titre de son préjudice moral ;

En tout état de cause,

- DEBOUTER la société R&C SOLUTIONS et M. [L] de leurs demandes, fins et conclusions,

- CONDAMNER conjointement et solidairement, ou tout du moins in solidum, M. [L] et la société RC SOLUTIONS GROUPE à payer à la société l'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 25.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

- ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2021.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur l'exception d'incompétence:

Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence

La société L'EVENEMENT SPECTACLE soulève l'irrecevabilité de l'exception de procédure formulée par les appelants faute d'avoir été formulée in limine litis dans leur conclusion, avant toute défense au fond, en application de l'article 74 du code de procédure civile.

Cependant, il convient de constater que les appelants opposent in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce pour statuer sur les demandes présentées, mentionnant au préalable uniquement une demande d'infirmation du jugement, de sorte que l'exception déjà soulevée en première instance est recevable.

Sur le bien fondé de l'exception d'incompétence

Les appelants contestent la compétence du tribunal de commerce au profit du conseil des prud'hommes soulignant que les griefs invoqués ont trait à la prétendue violation de l'obligation de loyauté de M. [L] à l'égard de son ancien employeur commise pendant son contrat de travail, outre que ce dernier n'a pas la qualité de commerçant.

La société L'EVENEMENT SPECTACLE soutient la compétence du tribunal de commerce pour statuer sur une action en concurrence déloyale exercée contre un ancien salarié qui utilise des procédés illicites pour améliorer les résultats de ses affaires. La société L'EVENEMENT SPECTACLE rappelle enfin que M. [L] a agi en tant que commerçant puisqu'il est fondateur, associé et gérant de la société R&C SOLUTIONS.

Sur ce, dans la mesure où dans le cadre de la présente instance la société L'EVENEMENT SPECTACLE n'invoque à l'encontre de M. [L] aucun manquement à son contrat de travail mais uniquement des faits de concurrence déloyale qui se sont poursuivis après la rupture de ce contrat, et qu'en tant que fondateur, détenteur de 50% du capital et président de la société R&C SOLUTIONS, la qualité de commerçant de M. [L] ne peut être déniée, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a retenu sa compétence. Il y a seulement lieu d'ajouter que le conseil des prud'hommes saisi par M. [L] a d'ailleurs rejeté la demande de sursis à statuer formulée par ce dernier relevant que la présente action porte sur une action en concurrence déloyale, distincte de la demande de requalification du licenciement, portant sur des faits qui se sont poursuivis après la rupture du contrat de travail.

C'est en conséquence, à juste titre, que le tribunal a retenu sa compétence pour connaître du litige, même s'il a omis de le mentionner dans son dispositif.

Sur les faits de concurrence déloyale:

La société L'EVENEMENT SPECTACLE prétend avoir été victime de la part de son ancien salarié d'actes de concurrence déloyale au travers de la captation d'informations stratégiques relatives à ses clients, prospects et fournisseurs, ou à sa stratégie marketing, de la reprise des mêmes photographies figurant sur son site internet et du détournement de sa clientèle l'ayant considérablement désorganisée, autant de faits générateurs de confusion pour celle-ci.

Les appelants contestent l'ensemble de ces allégations, soulignant que la société L'EVENEMENT SPECTACLE ne démontre pas l'existence d'actes positifs de concurrence déloyale qui leur soient imputables, expliquant avoir acquis une base de données lui permettant de prospecter un fichier clientèle, auprès d'une société spécialisée.

La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par l'application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d`un travail intellectuel et d'investissements.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit ou un service qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

La charge de la preuve incombe au cas présent à la société L'EVENEMENT SPECTACLE.

Sur ce, il ressort des pièces versées aux débats que M. [L] a créé avec M. [Z] [K] la société R&C SOLUTIONS, spécialisée comme la société L'EVENEMENT SPECTACLE dans l'événementiel, le 16 janvier 2017, pour une publication au BODACC du 23-24 janvier 2017. Il est établi également que de par ses fonctions au sein de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, M. [L] avait accès à l'ensemble du fichier clients et qu'il a transféré sur son adresse mail personnelle un certain nombre de messages les concernant, ce dont attestent les opérations de constats opérées le 16 mars 2017.

Par ailleurs, il est également démontré que certains des clients habituels de la société L'EVENEMENT SPECTACLE (notamment la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CERGY, les sociétés WATER TA INSTRUMENTS et ESSILOR INTERNATIONAL, pièces 13-1, 13-2 et 13-7) ont été débauchées par M. [L] pour l'organisation de spectacles au nom de la société L'EVENEMENT SPECTACLE mais en leur proposant un contrat au nom de la société R&C SOLUTIONS ou un RIB de cette société. En outre, l'intimée démontre qu'au sein de son fichier clients , il existait ce qu'elle dénomme un client «fantôme», soit une société n'ayant que deux salariés et n'organisant pas d'événements et qui atteste avoir cependant été débauchée par la société R&C SOLUTIONS le 12 avril 2017. Pour contester ce détournement du fichier clients de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, les intimés soutiennent avoir acquis auprès d'une société spécialisée une base de données leur permettant d'accéder à des fichiers clients ciblés. Cependant, la pièce 21 qu'ils versent aux débats pour en justifier mentionne comme souscripteur une société tiers. Ce détournement est, en outre, corroboré par le fait qu'une trentaine de prospects ou de clients de la société L'EVENEMENT SPECTACLE ont été contactés et ont, parfois, régularisé des contrats de prestations événementiels avec la société R&C SOLUTIONS, via l'intervention de M. [L] ou de son associé.

De plus, comme l'a relevé le tribunal de commerce, le site internet de la société R&C SOLUTIONS reprend des visuels du site internet de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, en ce compris des photographies faisant apparaître du personnel de cette société, sans autorisation, les intéressés ne pouvant en conséquence soutenir de bonne foi que les images concernées étaient en accès libre sur internet.

Si, effectivement, comme le rappellent les intimés, le fait pour un ancien salarié de créer sa propre société et de concurrencer son ancien employeur n'est pas, en soi, constitutif d'actes de concurrence déloyale, le fait de s'approprier son fichier clients, son image ou d'entretenir l'ambiguïté au sujet de la société prestataire des services qu'il offre, est caractéristique d'un comportement fautif et déloyal, M. [L] commettant également des fautes personnelles en sa qualité de gérant et d'associé de la société R&C SOLUTIONS, créant un risque de confusion avéré dans l'esprit de la clientèle.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal de commerce a retenu que les intimés s'étaient rendus coupables d'actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société L'EVENEMENT SPECTACLE.

Sur la réparation des préjudices de la société EVENEMENT SPECTACLE

La Société RD SOLUTIONS soutient que la société L'EVENEMENT SPECTACLE ne rapporte pas la preuve de son préjudice ni dans son principe ni dans son quantum.

La société L'EVENEMENT SPECTACLE réplique que si une faute a été constatée, il en résulte nécessairement un préjudice pour la victime et met avant, notamment, la perte d'exploitation subie, la dépréciation de son fonds de commerce et le préjudice moral causé par ce comportement déloyal.

Sur ce, la cour constate que, pour justifier de son préjudice la société L'EVENEMENT SPECTACLE verse aux débats un rapport d'évaluation du cabinet FIPEXCO et ses bilans comptables des exercices 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018 faisant état d'un chiffre d'affaires respectivement de 3.576.936€, 4.046.374€, 3.703.367€, puis de 5.242.952€ sur l'exercice 2018-2019. Elle impute intégralement aux appelants la baisse de son chiffre d'affaires entre les exercices 2016-2017 et 2017-2018 soit pour une somme de 343.007€ qu'elle analyse en une perte d'exploitation dont elle demande la réparation intégrale. Elle soutient avoir également subi le «vol» de son fonds de commerce dont elle demande la réparation à hauteur de 50% de sa valeur actuelle, outre 50.000€ au titre du préjudice moral.

Cependant, la cour considère que la société L'EVENEMENT SPECTACLE ne peut faire état du «vol» de son fonds de commerce, n'ayant nullement été privée de son usage, en ce compris le fichier clients, ni davantage d'une dégradation de sa valeur comme l'a retenu le tribunal de commerce, qui pour condamner les intimés à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE une somme de 154.000€ de dommages et intérêts, s'est notamment basé sur le rapport établi par le cabinet FIPEXCO qui, partant de la baisse du chiffre d'affaires invoquée par l'intimée entre les exercices 2016-2017 et 2017-2018, soit 343.000€, en a déduit une perte de résultat net à hauteur de cette somme.

En effet, si la société L'EVENEMENT SPECTACLE établit que M. [L] et la société R&C SOLUTIONS ont eu accès et ont exploité son fichier clients, elle n'établit nullement que la baisse de ce chiffre d'affaires serait intégralement imputable aux appelants et, ce, alors qu'elle ne produit au débat aucune synthèse détaillée reprenant, d'une part, le nombre de clients perdus et le volume d'affaires correspondant et, d'autre part, la part qu'il représente au regard de son fichier clients. À cet égard, les pièces qu'elle verse attestent au contraire de la fidélité de certains de ses anciens clients qui ont refusé de contracter avec la société R&C SOLUTIONS. La cour constate, en outre, que son chiffre d'affaires a progressé sur l'exercice 2018-2019, alors qu'elle continue à reprocher à M. [L] et à la société R&C SOLUTIONS de prospecter activement ses clients.

Par ailleurs, si le tribunal de commerce a retenu, à juste titre, que la société L'EVENEMENT SPECTACLE ne pouvait revendiquer à l'encontre de M. [L] un préjudice moral en raison de son comportement déloyal qui s'apprécie au regard du contrat de travail qui les liait, la cour relevant, sur ce point, que le conseil des prud'hommes a d'ailleurs condamné ce dernier à lui verser une somme de 15.000€, c'est à tort qu'il a jugé sans fondement cette demande formulée à l'encontre de la société R&C SOLUTIONS. En effet, les agissements déloyaux de celle-ci ont nécessairement causé à la société L'EVENEMENT SPECTACLE un préjudice moral puisqu'elle a dû se justifier auprès de certains de ses anciens clients et qu'elle a pu voir sa réputation ternie.

Au regard de cet ensemble d'éléments, il convient de dire que le préjudice subi par la société L'EVENEMENT SPECTACLE consécutif aux agissements déloyaux de M. [L] et de la société R&C SOLUTIONS sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 30.000€ en réparation du préjudice matériel et de 10.000€ au titre du préjudice moral, le jugement dont appel étant en conséquence infirmé de ces chefs.

La cour considère en outre qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes formulées par la société L'EVENEMENT SPECTACLE en terme d'interdiction et de publication, le préjudice étant suffisamment réparé par l'octroi de dommages et intérêts.

Par ailleurs, il n'y a lieu d'ordonner la suppression sur le site internet de la société R&C SOLUTIONS que des visuels présentant les salariés de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, dans les conditions présentées au dispositif.

Sur les demandes des appelants au titre de la concurrence déloyale et pour procédure abusive

La société R&D SOLUTIONS soutient que la société L'EVENEMENT SPECTACLE instrumentalise la justice pour désorganiser un concurrent et colporte des rumeurs relatives à de prétendus actes de concurrence déloyale afin de dissuader ses prospects de poursuivre toute relation contractuelle.

Sur ce, le sens de la présente décision commande de débouter la société R&C SOLUTIONS de ses demandes tant au titre de la procédure abusive que pour concurrence déloyale puisque la société L'EVENEMENT SPECTACLE prospère en ses demandes et qu'elle justifie avoir contacté ses clients et prospects uniquement afin d'établir la réalité des faits allégués.

C'est en conséquence à juste titre que le tribunal de commerce a débouté les appelants des demandes formulées dans ce cadre.

- Sur les autres demandes:

La société R&C SOLUTIONS et M. [L], succombant, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société R&C SOLUTIONS et M. [L], in solidum, à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE, une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- Débouté les parties de leurs autres demandes,

- Condamné in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à payer à la société L'EVENEMENT SPECTACLE la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamné in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 178.82 euros TTC.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Rejette l'exception d'incompétence soulevée par M. [G] [L]

- Dit que la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société L'EVENEMENT SPECTACLE,

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à payer à la société L'EVENEMENT SPECTACLE une somme de 30.000€ en réparation de son préjudice matériel,

- Condamne la société R&C SOLUTIONS à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE une somme de 10.000€ en réparation de son préjudice moral,

- Ordonne la suppression sur le site internet de la société R&C SOLUTIONS de tout visuel présentant les salariés de la société L'EVENEMENT SPECTACLE, et ce sous un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte de 150€ par infraction dûment constatée par huissier de justice,

- Déboute la société L'EVENEMENT SPECTACLE de ses autres demandes,

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] aux dépens d'appel,

- Condamne in solidum la société R&C SOLUTIONS et M. [G] [L] à verser à la société L'EVENEMENT SPECTACLE une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/16199
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;20.16199 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award