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29/06/2022 | FRANCE | N°20/08885

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 29 juin 2022, 20/08885


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 29 JUIN 2022



(n°118/2022, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/08885 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB75M



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mars 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre - 2ème section - RG n° 16/05332





APPELANTES



E.A.R.L. [A] [O]

Société au capital de 82 926 euros

Immatr

iculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CHARTRES sous le numéro 322 686 205

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Ensonville...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 29 JUIN 2022

(n°118/2022, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/08885 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB75M

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mars 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre - 2ème section - RG n° 16/05332

APPELANTES

E.A.R.L. [A] [O]

Société au capital de 82 926 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CHARTRES sous le numéro 322 686 205

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Ensonville

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistée de Me Xavier PERINNE et Me Vincent BOURGOIN de la SELARL Xavier PERINNE, avocats au barreau de PARIS, toque : R174

S.A.R.L. [A] [O]

Société au capital de 7 500 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CHARTRES sous le numéro 449 239 318

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Ensonville

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistée de Me Xavier PERINNE et Me Vincent BOURGOIN de la SELARL Xavier PERINNE, avocats au barreau de PARIS, toque : R174

INTIMEES

Société AGRICO HOLLAND BV

Société de droit hollandais

Inscrite à la Chambre de Commerce de LELYSTAD (PAYS BAS), sous le N° 82 024 5069,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 5]

[Adresse 4]

HOLLANDE

Représentée par Me Jean-Michel GONDINET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0544

Assistée de Me Fabien BLONDELOT de la société FIDAL, avocat au barreau de l'AUBE

Société HZPC HOLLAND BV

Société de droit hollandais

Inscrite à la Chambre de commerce de JOURE (PAYS BAS) sous le N° 80 78 07 928, Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 6]

HOLLANDE

Représentée par Me Jean-Michel GONDINET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0544

Assistée de Me Fabien BLONDELOT de la société FIDAL, avocat au barreau de l'AUBE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère et et Mme Françoise BARUTEL, conseillère chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 13 mars 2020 ;

Vu l'appel interjeté à l'encontre dudit jugement le 8 juillet 2020 par l'EARL [A] [O] et la SARL [A] [O] ([A]);

Vu les dernières conclusions numérotées 3 remises au greffe et notifiées, par voie électronique,

le 7 mars 2022 par les sociétés [A], appelantes ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, le 5 janvier 2021 par les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland, intimées ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 10 mai 2022 ;

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Agrico Holland expose être titulaire d'un certificat d'obtention végétale relatif à la variété de pomme de terre Agata délivré le 19 novembre 1991 sous le numéro 625 par le comité de la protection des obtentions végétales, ce pour une durée de 30 ans à compter du 28 novembre 1991.

La société Hzpc Holland expose être titulaire d'une protection communautaire des obtentions végétales relative à la variété de pommes de terre Annabelle accordée par l'Office communautaire des variétés végétales, suivant une décision n°6935 du 15 janvier 2001, pour une durée expirant le 31 décembre 2031.

L'EARL [A] [O] se présente comme cultivant et exploitant des terres y compris en location, et étant propriétaire de hangars de 4 000 m².

La SARL [A] [O] se décrit comme une société achetant des plants, des semences, des phytosanitaires ainsi que des engrais pour l'EARL [A] [O] ainsi que pour des exploitations agricoles de tiers.

Les sociétés [A] exposent que fin 2014 elles ont été confrontées à des difficultés de trésorerie très importantes comme l'ensemble de la filière de la pomme de terre, compte tenu de la chute du cours de la pomme de terre de 200 euros la tonne en 2013 à 5 euros la tonne en 2014, entraînant le dépôt de bilan des négociants et notamment de la société Potato Masters dont 3 500 tonnes de pommes de terre étaient stockées dans les hangars de la ferme [A].

Les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland exposent avoir découvert qu'en 2014 et 2015 l'EARL [A] emblavait ses terres des variétés de pommes de terre Agata et Annabelle sans utiliser de plants certifiés en quantité suffisante et que la SARL [A] commercialisait ces pommes de terre issus de plants, et ce sans y être autorisées et sans s'être acquittées de leurs redevances.

Par ordonnances des 16 et 18 février 2016, le président du tribunal de grande instance de Paris a autorisé les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland à faire procéder à des opérations de saisie contrefaçon à l'encontre de l'EARL [A] [O] et de la SARL [A] [O].

Les opérations de saisie contrefaçon ont été réalisées le 9 mars 2016, quatre procès-verbaux de saisie-contrefaçon ayant été dressés par l'huissier de justice ce même jour.

C'est dans ce contexte que les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland ont, le 16 mars 2016, fait assigner les sociétés [A] devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des obtentions végétales relatives aux variétés de pommes de terre Agata et Annabelle.

Les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland ont présenté de nouvelles requêtes en saisie contrefaçon auxquelles il a été fait droit le 22 juin 2018. De nouvelles opérations de saisie contrefaçon ont donc été réalisées le 10 juillet 2018, étant précisé que seules les récoltes 2014 et 2015 sont incriminées.

Par jugement dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a statué de la façon suivante :

- Dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité des quatre procès-verbaux de saisie contrefaçon du 9 mars 2016 ;

- Dit qu'en procédant en 2014 et 2015 à l'emblavement de terres cultivées et à la commercialisation de pommes de terre de variété Agata à partir de plants contrefaits, les sociétés [A] [O] ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Agrico Holland;

- Dit qu'en procédant en 2014 et 2015 à l'emblavement de terres cultivées et à la commercialisation de pommes de terre de variété Annabelle à partir de plants contrefaits, les sociétés [A] [O] ont commis des actes de contrefaçon au préjudicie de la société Hzpc Holland ;

- Condamne la société EARL [A] [O] à payer à Agrico Holland une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice moral et 150.000 euros en réparation du préjudice financier résultant de la contrefaçon ;

- Condamne la société SARL [A] [O] à payer à la société Hzpc Holland une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice moral et 15.000 euros en réparation du préjudice financier résultant de la contrefaçon ;

- Condamne la SARL [A] [O] à payer à la société Hzpc Holland une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la contrefaçon ;

- Déboute les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland du surplus de leurs demandes indemnitaires ;

- Rejette les demandes de publication et d'interdiction formulées par les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland ;

- Déboute les sociétés [A] [O] de leurs demandes au titre de la procédure abusive ;

- Condamne les sociétés [A] [O] à verser ensemble aux sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland une somme totale de 16.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamne les sociétés [A] [O] aux dépens ;

- Dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire.

Sur la titularité des certificats d'obtention végétale

Aux termes de l'article L.623-1 du code de la propriété intellectuelle, constitue une "variété" un ensemble végétal d'un taxon botanique du rang le plus bas connu qui peut être :

1° Défini par l'expression des caractères résultant d'un certain génotype ou d'une certaine combinaison de génotypes ;

2° Distingué de tout autre ensemble végétal par l'expression d'au moins un desdits caractères ;

3° Considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit conforme.

L'article 623-2 du même code ajoute qu'est appelée 'obtention végétale' la variété nouvelle créée qui :

1° Se distingue nettement de toute autre variété dont l'existence, à la date du dépôt de la demande, est notoirement connue ;

2° Est homogène, c'est-à-dire suffisamment uniforme dans ses caractères pertinents, sous réserve de la variation prévisible compte tenu des particularités de sa reproduction sexuée ou de sa multiplication végétative ;

3° Demeure stable, c'est-à-dire identique à sa définition initiale à la suite de ses reproductions ou multiplications successives ou, en cas de cycle particulier de reproduction ou de multiplication, à la fin de chaque cycle.

L'article 623-4 dispose quant à lui que toute obtention végétale peut faire l'objet d'un titre appelé 'certificat d'obtention végétale' qui confère à son titulaire un droit exclusif de produire, reproduire, conditionner aux fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente, vendre ou commercialiser sous toute autre forme, exporter, importer ou détenir à l'une de ces fins du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée.

La durée de la protection est de vingt-cinq ans à partir de sa délivrance.

En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Agrico Holland est titulaire d'un certificat d'obtention végétale délivré le 19 novembre 1991 sous le numéro 625 par le comité de la protection des obtentions végétales, relatif à la variété de pommes de terre Agata, ce jusqu'au 28 novembre 2021.

De même, il est constant que la société Hzpc Holland est titulaire d'une protection communautaire des obtentions végétales relative à la variété de pommes de terre Annabelle délivrée par l'Office communautaire des variétés végétales, suivant une décision n°6935 du 15 janvier 2001, ce jusqu'au 31 décembre 2031.

Sur la validité des procès-verbaux de saisie contrefaçon du 9 mars 2016

Les sociétés [A] sollicitent l'annulation des quatre procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 9 mars 2016 au motif que l'ordonnance ayant autorisé lesdites opérations limitait strictement les mesures de saisie au lieu de leur exploitation sis [Adresse 3], et que l'huissier de justice, en violation des ordonnances des 16 et 18 février 2016, s'est déplacé au cabinet d'expertise comptable situé à 25 km du lieu autorisé de la saisie, où il s'est fait remettre les éléments comptables comme en attestent quatre employés de ce cabinet.

Les sociétés Hzpc Holland et Agrico Holland font valoir que l'huissier instrumentaire a pris possession des documents comptables imprimés directement au cabinet d'expertise comptable CER France sis [Adresse 2]), ce qui était conforme à l'ordonnance l'autorisant à faire éditer sur papier toutes 'informations relatives à la matérialité, l'origine, l'étendue ou la destination de la contrefaçon alléguée'. A titre subsidiaire, elles demandent de circonscrire l'annulation aux grands livres comptables et bilans des exercices clos les 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016.

La cour rappelle que les termes d'une ordonnance autorisant une saisie-contrefaçon, mesure coercitive exorbitante du droit commun, doivent s'interpréter strictement, et que l'huissier de justice ne doit pas outrepasser les pouvoirs qu'il détient en vertu de l'ordonnance le désignant pour y procéder.

En l'espèce, la cour constate que les ordonnances des 16 et 18 février 2016 autorisaient l'huissier de justice à se rendre au '[Adresse 3] et/ou en tous terrains, locaux en dépendant situés dans le ressort du tribunal', ce qui ne comprend pas en conséquence les bureaux de la société d'expertise comptable CER France, qui est une société distincte ne dépendant pas des sociétés [A].

Il résulte pourtant des procès-verbaux du 9 mars 2016 qu'à la demande de l'huissier de justice de communiquer les documents comptables, il lui est indiqué que 'tous les documents sont en possession de son cabinet comptable CER' et que 'Mme [A] appelle à plusieurs reprises le cabinet afin que ces documents nous soient transmis'.

Ainsi que l'a relevé le tribunal, les mentions de l'huissier de justice quant aux modalités exactes de remise des documents comptables sont ensuite peu explicites, la cour ajoutant qu'elles sont mêmes contradictoires, les deux procès-verbaux relatifs à la SARL [A] mentionnant 'la comptabilité me sera finalement remise en fin de matinée par le cabinet comptable CER France' et 'Une de ces fiches nous est transmise par la comptable' tandis que les deux autres procès-verbaux relatifs à l'EARL [A] mentionnent, concernant le même document comptable, 'M. [A] nous a fourni un document'.

Les sociétés [A] produisent en outre quatre attestations circonstanciées rédigées par les collaborateurs du cabinet comptable CER France. Mme [Z], assistante, atteste : 'le mercredi 9 mars 2016 dans la matinée, Mme [C] Huissier de Justice ( ...) assistée de deux autres personnes se sont présentées au Cerf France centre de [Localité 8] et ont demandé à voir la comptable des structures de Mr et Mme [A]'. Mme [W] [T], comptable au CER France atteste : 'l'huissier de justice (...), accompagnée de deux experts techniques s'est présentée le 9 mars 2016 en fin de matinée avant midi, sans avoir prévenu, à mon bureau. Elle m'a sommée de lui remettre les documents comptables des clôtures fiscales 2014 et 2015 des structures de M. [O] [A] et de Mme [Y] [A] habitant tous les deux à [Adresse 7]. Face aux documents de signification (...) et à sa grande insistance, je me suis exécutée et je les ai conduits dans une salle de réunion et leur ai donné les documents demandés pour 2014 et 2015. (...) Elle m'a demandé tous les documents comptables. Il se trouvait aussi un tableau Excel intitulé 'Compte Appro Earl [A]' fait par M. [A] chaque année. Ce dernier me sert pour la répartition des produits phytosanitaires lors des clôtures fiscales. Ils ont étudié les documents au bureau pendant midi et après m'ont questionnée, encore et encore, sur les exploitations, leurs activités, leurs organisations et les comptes. Ils sont repartis en début d'après-midi vers 15 heures'. M. [M], Manager CER France, atteste : '(') Ma collaboratrice Mme [T] a accueilli des huissiers le 9 mars 2016 en fin de matinée pour consulter et emporter des documents comptables de M. et Mme [A] ; elle m'a informé le jour même ainsi que mon responsable hiérarchique direct M. [P]'. M. [F] [P], directeur Cerfrance en Eure-et-Loir atteste : 'Des collaborateurs présents sur notre site de [Localité 8] ont accueilli des huissiers le 9 mars 2016 en fin de matinée afin de consulter les documents comptables de M. [O] [A]. C'est Mme [T], comptable à [Localité 8], qui m'en a informé le jour même'.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'huissier de justice s'est déplacée dans les locaux de la société d'expertise comptable, d'une part, sans faire mention d'un tel déplacement dans les procès-verbaux, qui indiquent 'je suspends les opérations vers 12 heures afin de prendre connaissance des livres comptables', puis 'je reprends les opérations à 15 h 45 dans les mêmes locaux sur les lieux d'exploitation ...', d'autre part, sans y être autorisée par l'ordonnance. En effet, s'il entrait dans sa mission 'au cas où certaines des pièces visées par l'ordonnance devaient ne pas se trouver sur les lieux de la saisie, de pouvoir ordonner au saisi de les transmettre pendant le cours de opérations de saisie ou de les lui adresser à son étude postérieurement', elle ne disposait pas en revanche du pouvoir d'instrumenter en dehors des lieux strictement autorisés. Ces procès-verbaux, établis en violation des termes des ordonnances sur la base desquelles ils ont été dressés, doivent dès lors être annulés, sans que cette annulation puisse, comme le demandent à titre subsidiaire les intimées, être circonscrite aux seuls livres comptables et bilans des exercices clos en 2015 et 2016, le tableau 'Compte appro Earl [A]' faisant notamment également partie des pièces irrégulièrement saisies. Il convient donc de prononcer la nullité des quatre procès-verbaux de saisie contrefaçon du 9 mars 2016. Le jugement entrepris sera dès lors infirmé de ce chef.

Sur la contrefaçon alléguée relativement aux variétés de pommes de terre Agata et Annabelle

Les sociétés Hzpc Holland et Agrico Holland font valoir, qu'indépendamment des documents saisis, elles démontrent, à partir des éléments comptables communiqués par les sociétés [A] à la suite d'un incident aux fins de communication de pièces, et à partir de leurs déclarations telles qu'elle ressortent de leurs écritures, l'incohérence des plants certifiés dont il a été fait acquisition au regard de données intangibles telles que les surfaces, les quantités de pommes de terre vendues et la densité de plantation (nombre de plants/hectare). Elles soutiennent en conséquence que les sociétés [A] ont procédé à l'emblavement de terres cultivées en variété Agata et Annabelle en ayant eu recours de façon significative à des plants contrefaits par la pratique de l'autoproduction, et que la contrefaçon des variétés Agata et Annabelle pour les récoltes 2014 et 2015 est dès lors caractérisée.

Les sociétés [A] rappellent que les 'plants fermiers' pour les variétés Agata et Annabelle ont été utilisés, déclarés et ont donné lieu à redevance auprès de la Sicasov pour la récolte 2016 qui ne fait pas l'objet de contestation ; que les récoltes d'une année sont vendues au titre de l'exercice comptable suivant ; que la ferme [A] a autoproduit une variété non protégée dénommée [R]. Elles reprochent au jugement de n'avoir tiré aucune conséquence pour l'année 2014 du contrat de stockage de 3 500 tonnes de pommes de terre conclu avec la société Potato Master. Elles soutiennent que si les bordereaux de livraison et de retrait afférents à ce stock n'ont pas été conservés à la suite du dépôt de bilan de la société Potato Master, elles rapportent la preuve de la vente d'une partie de ces stocks qu'elles n'avaient donc pas récoltés. Elles font valoir qu'un des facteurs de la crise du secteur de la pomme de terre en 2014/2015 tient notamment aux rendements particulièrement élevés, et que les rendements de 78,38 tonnes l'hectare pour l'Agata, et de 64,75 tonnes l'hectare pour l'Annabelle sont cohérents en ce qu'ils se situent au-dessus de la moyenne mais en dessous des maximums retenus par Arvalis et Terre de France en 2014. Pour l'année 2015, elles soutiennent que doivent être pris en compte les achats de plants certifiés faits auprès des sociétés Dolléans et Coisnon, et que le rendement constaté de 48 tonnes/ha est cohérent avec ceux d'Arvalis et de Terre de France. Concernant la variété Annabelle, elles font valoir avoir acheté des gros calibres afin de les couper en deux avant plantation pour pouvoir emblaver une surface plus importante, cette méthode du plant coupé qui permet un gain économique et végétatif étant légale et usuelle. Elles en concluent que le rendement de 54,5 tonnes/ha pour l'Annabelle en 2015 est cohérent avec les rendements d'Arvalis et de Terre de France.

Aux termes de l'article L.623-25 du code de la propriété intellectuelle, sous réserve des dispositions de l'article L. 623-24-1, toute atteinte volontaire portée aux droits du titulaire d'un certificat d'obtention végétale tels qu'ils sont définis à l'article L. 623-4 constitue une contrefaçon qui engage la responsabilité civile de son auteur.

L'article L. 623-24-1 du même code, instituée par la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, précise que par dérogation à l'article L. 623-4, pour les espèces énumérées par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ainsi que pour d'autres espèces qui peuvent être énumérées par décret, les agriculteurs ont le droit d'utiliser sur leur propre exploitation, sans l'autorisation de l'obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu'ils ont obtenu par la mise en culture d'une variété protégée.

Cette utilisation ne constitue pas une contrefaçon.

La contrefaçon d'obtention végétale se caractérise ainsi par le fait que le supposé contrefacteur a cultivé ou commercialisé des végétaux issus de plants ou de semences produits sans l'accord du titulaire de l'obtention végétale, et hors autoproduction dans les conditions précitées.

Il est acquis qu'elle doit être démontrée par l'analyse comparative des éléments comptables d'une exploitation agricole concernant le nombre de plants certifiés achetés, la densité moyenne de plantation, c'est-à-dire la quantité de plants utilisés à l'hectare en fonction de la variété et du calibre du végétal, le nombre d'hectares d'une variété donnée plantée et le volume en nombre de tonnes de la variété récoltée et commercialisée.

Sur la variété Agata

Pour l'année 2014

La société Agrico Holland soutient que 13,75 tonnes ont été achetées ; que 2 643,73 tonnes de pommes de terre Agata ont été vendues (103,56 tonnes en 2014 ; 2 540,17 tonnes en 2015) ; que la surface déclarée de 15,74 hectares est cohérente au regard de l'achat de plants certifiés (13,75 T) puisqu'il s'agit de plants en calibres 28/35 à propos desquels une densité de 1 tonne/ ha est requise a minima, mais que les rendements de production de 78,38 t/ha sont impossibles. Elle en déduit en retenant un rendement de 41,24 t/ha, un emblavement de 50,35 ha à partir de plants fermiers. Elle ajoute qu'alors que la lutte contre les virus n'est pas utile en culture de pommes de terre de consommation, la parcelle 'Denonville' a été traitée à 9 reprises ce dont elle déduit que cette parcelle de variété Agata est conduite comme une culture de plants servant à produire d'autres plants et non destinés à être commercialisés.

La cour constate que 18,9 tonnes de plants certifiés d'Agata ont été achetés, la société Agrico Holland ayant exclu à tort les plants acquis aupès de la société Dolléans correspondant aux factures d'octobre 2013 à septembre 2014, la période de production d'une année s'étendant de mars à septembre. La société Agrico Holland retient en outre également à tort un tonnage de 2 643, 73 pommes de terres vendues, alors qu'il est établi que les sociétés [A] avaient conclu un contrat de stockage de 3 500 tonnes de pommes de terre avec la société Potato Masters, et que ce fait ne peut être écarté au motif que ce contrat aurait été conclu avec la société [Y] [A] alors que les hangars dans lesquels étaient stockées les pommes de terre appartiennent à l'EARL [A]. Il ressort du mail de M. [A] du 7 janvier 2015 envoyé à l'administrateur judiciaire de la société Potato Master et de l'attestation du directeur technique de la société Potato Master, qu'au moment du dépôt de bilan de la société Potato Master 2 500 tonnes de pommes de terre composées principalement notamment d'Agata et d'Annabelle restaient en stock dans les hangars de la société [A], les producteurs ne souhaitant majoritairement pas les récupérer pour des questions de frais de stockage/déstockage supérieurs au prix de vente, de sorte qu'il est établi que les sociétés [A] étaient en possession de ces pommes de terre, qui ne sont cependant pas issues de leur récolte.

La société Agrico Holland échoue enfin à convaincre de la pertinence du rendement de 41,24 tonnes par hectare qu'elle a retenu, sans le justifier, pour démontrer la prétendue contrefaçon alors que le rapport amiable de l'expert judiciaire [N] [U] relatif à une étude de variation de rendements des variétés de pommes de terre Agata et Annabelle effectuée à partir des données Arvalis de l'Institut du végétal pour les variétés inscrites au catalogue français, établit un rendement minimum de 48,30 tonnes et un rendement maximum de 81,40 tonnes, le rendement allégué par les intimées se situant en dessous de cette fourchette basse, étant au surplus observé qu'il est constant que la crise de la pomme de terre en 2014 était notamment due à des rendements élevés, et le rendement avancé par les sociétés [A] se trouvant dans la partie haute de cette fourchette, ce qui est cohérent.

Pour l'année 2015

La société Agrico Holland prétend que la variété Agata était prévue pour une surface à emblaver de 103,77 ha ; que les achats de plants certifiés de calibre 35/45, qui impliquent une densité de plantation minimale de 2 tonnes de plants certifiés à l'hectare, sont de 12,5 tonnes ; que les plants contrefaits en 2014 ont permis à l'EARL [A] de semer en 2015 sur une superficie de 119,8 hectares sans besoin de fourniture de plants ; que même en tenant compte du contrat Coisnon la totalité des plants certifiés (12,5 t + 100t) demeure insuffisante pour emblaver une surface de 103,77 ha, la densité de plantation en plant 35/45, à distinguer du calibre 28/35 utilisé lors de la récolte 2014, étant au minimum de 2t/ha, de sorte qu'il y a un manque de 195,04 tonnes de plants certifiés en variété Agata, ou à titre subsidiaire, de 95,04 tonnes.

La cour constate que les 12,5 tonnes de plants certifiés retenus par la société Agrico Holland ne prennent pas en compte à tort, d'une part, l'acquisition justifiée pour 0, 947 tonnes auprès de l'EARL Dolléans, alors que ce tonnage est certifié par une attestation et qu'un barème d'entraide entre agriculteurs prévu par la chambre d'agriculture peut être appliqué, d'autre part, le contrat de 100 tonnes avec la société Coisnon, qui a pourtant été validé par les deux cabinets comptables.

La société Agrico Holland retient en outre sans le justifier une surface de 103,77 hectares. Elle échoue pareillement à contester la baisse des ventes de la variété Agata auprès d'un fournisseur italien qui résulte des pièces comptables telles que communiquées dans le cadre de l'incident, ainsi que le fait que la société [A] ait récolté en 2015 une variété Miss Mignonne produite à partir des plants issus des stocks de Potato Master, l'ancien directeur technique de cette société ayant attesté la livraison de plants de pommes de terre Miss Mignonne de calibre 35/50 d'origine de la société Van Hijfte chez M. [A].

Il résulte des développements qui précèdent que la société Agrico Holland, sur qui pèse la charge de la preuve, échoue à caractériser les actes de contrefaçon relatifs à la varité Agata pour les années 2014 et 2015. Ses demandes de ce chef seront donc rejetées et le jugement entrepris infirmé sur ces points.

Sur la variété Annabelle

Pour l'année 2014

La société Hzpc Holland fait valoir qu'en 2014 747 tonnes ont été vendues, et que seulement 7,41 tonnes de plants certifiés ont été achetés. Elle conteste la prise en compte des pommes de terre Annabelle issues du stock Potato Masters et retient un rendement de 64,75 T/Ha pour estimer que 21,45 tonne de plants ont été contrefaits.

La cour constate que la société Hzpc Holland retient à tort un volume de 747 tonnes sans tenir compte du contrat de stockage avec la société Potato Masters, alors qu'il est établi, ainsi qu'il a été dit, qu'au moment du dépôt de bilan de la société Potato Master, 2 500 tonnes de pommes de terre composées principalement notamment d'Agata et d'Annabelle restaient en stock dans les hangars de la société [A], de sorte que ces pommes de terre Annabelle ne sont pas issues de la récolte des sociétés [A], mais partiellement d'un reliquat du stock Potato Masters, les rendements justifiés par la société [A] de l'ordre de 64,75 tonnes /hectare étant au demeurant cohérents en ce qu'ils se situent à l'intérieur de la fourchette (entre 39,20 T/ha et 66,08 T/ha) établie à partir des données Arvalis.

Pour l'année 2015

La société Hzpc Holland prétend que 25,82 ha étaient dédiés à la culture de la variété Annabelle, que 10 tonnes de plants certifiés ont été achetés, que la densité de plantation est de 2,5 tonnes par hectare, et que le rendement de 0,39 T/ha est impossible, de sorte que 21,82 ha de plants seraient contrefaits.

La cour constate que s'agissant de l'achat des plants certifiés la société Hzpc Holland n'a pas pris en compte l'achat de 10 tonnes de plants certifiés d'Annabelle conclu avec l'entreprise Coisnon le 23 avril 2015. Les hypothèses de densité de plantation qu'elle a retenues sont également contredites par la méthode du plant coupé dont justifient les sociétés [A], technique autorisée permettant d'obtenir une diminution d'environ 30% de la quantité de plants à l'hectare, de sorte qu'une fois ces éléments corrigés, les rendements de 54,5 t/ha justifiés par les sociétés [A] sont cohérents, l'expert judiciaire [U] qui a fait son étude à partir des données Arvalis mentionnant un rendement moyen de 65,14 t/ha.

Il résulte des développements qui précèdent que la société Hzpc Holland échoue à démontrer les actes de contrefaçon de la variété Annabelle dont se seraient rendues coupables les sociétés [A], de sorte que ses demandes à ce titre seront rejetées, et le jugement entrepris infirmé de ce chef.

Sur la procédure abusive

Les sociétés [A] font valoir que la procédure est abusive en ce qu'elles étaient dans une situation économique difficile dans le contexte de crise de la filière de la pomme de terre, que des montants astronomiques ont été demandés, dans le cadre d'une assignation délivrée précipitamment 4 jours après la saisie, et ce alors qu'une nouvelle saisie n'a été menée que pour purger la nullité des premières et qu'un communiqué relatif au jugement de première instance a été publié dans des journaux spécialisés d'agriculteurs.

La cour rappelle que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus.

En l'espèce, l'utilisation de voies de droit, à savoir une assignation dans le délai requis après une première série de saisies-contrefaçon, puis une seconde série de saisies-contrefaçon judiciairement autorisées, ne caractérise pas une faute de la part des sociétés Hzpc Holland et Agrico Holland, qui ont pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits.

Ainsi à défaut de démontrer une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit d'ester en justice et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour leur défense, les sociétés [A] seront déboutées de leur demande sur le fondement de la procédure abusive. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement du 13 mars 2020 sauf en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland du surplus de leurs demandes indemnitaires et de leurs demandes de publication et d'interdiction, ainsi que les demandes des sociétés [A] [O] au titre de la procédure abusive ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Prononce la nullité des quatre procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 9 mars 2016 ;

Déboute les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland de toutes leurs demandes fondées sur la contrefaçon relativement aux variétés de pommes de terre Agata et Annabelle ;

Condamne les sociétés Agrico Holland et Hzpc Holland aux dépens de première instance et d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer l'EARL [A] [O] et à la SARL [A] [O], au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, la somme globale de 40 000 euros.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/08885
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;20.08885 ?
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