La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2022 | FRANCE | N°19/106777

France | France, Cour d'appel de Paris, H4, 28 juin 2022, 19/106777


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FIANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/10677 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAABK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 17/16862

APPELANTE

SARL [J] [N]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MA

RIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Ayant pour avocat plaidant Me Hélène DINICHERT du Cabinet DAYLIGHT AVOCATS, avoc...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FIANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/10677 - No Portalis 35L7-V-B7D-CAABK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 17/16862

APPELANTE

SARL [J] [N]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Ayant pour avocat plaidant Me Hélène DINICHERT du Cabinet DAYLIGHT AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 494

INTIMÉS

M. [C] [Y], avocat au barreau de Paris en liquidation judiciaire
[Adresse 8]
[Localité 6]

et

SELAFA MJA, prise en la personne de Maître [V] [X], es qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [C] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 7]

Représentés et assistés de Me Denis DELCOURT POUDENX, avocat au barreau de PARIS, toque : R167

SOCIÉTÉ D'ETUDES FISCALES ET JURIDIQUES (SEFJ)
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représentée et assistée de Me Vincent CANU, avocat au barreau de PARIS, toque : E0869

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile de la prorogation du délibéré initialement prévu au 8 juin 2022 au 28 juin 2022.

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre pour Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Le 1er mars 2011, M. [E] [J] et ses enfants, [A] [J] et [D] [J] épouse de M. [R] [N] actionnaires de la Sa "Aux vrais produits d'Auvergne - Maison L. [J] et fils" (ci-après, la société Maison [J] et fils) ont cédé leurs 7 925 actions à la Sarl [J] [N] au prix de 206 871 euros.

Par assemblée générale du 6 mars 2012, la société Maison [J] et fils a décidé d'une réduction de capital par voie de rachat de 7 925 actions pour un montant total de 669 779,79 euros, en vue de leur annulation.

Le 13 décembre 2012, soit 21 mois après l'acquisition des titres par la société [J] [N], le conseil d'administration de la société Maison [J] et fils a constaté l'absence d'opposition des tiers et le rachat de ces actions par elle-même, financé comme suit :
- une compensation de créance de la société [J] [N] sur la société Maison [J] et fils à concurrence de 573 618 euros,
- un chèque de 66 162 euros,
- le séquestre d'une somme de 30 000 euros entre les mains de la la société d'études fiscales et juridiques (SEFJ).

Le même jour, a été décidée l'annulation des titres rachetés.

A la suite d'un contrôle de vérification de comptabilité, l'administration fiscale a adressé à la société [J] [N] une proposition de rectification le 27 novembre 2015 d'un montant de 162 571 euros représentant l'impôt sur les sociétés et pénalités de retard portant sur une plus-value réintégrée à hauteur de 462 909 euros. Cette somme a été mise en recouvrement le 15 juin 2017.

Par jugement du 17 mars 2016, M. [C] [Y], avocat ayant assisté la Sarl [J] [N], a été placé en redressement judiciaire, converti le 23 février 2017 en liquidation judiciaire.

Le 6 décembre 2017, la société [J] [N] a déclaré sa créance indemnitaire provisionnelle à la liquidation judiciaire de M. [Y].

Soutenant que la SEFJ et M. [C] [Y], tous deux avocats, avaient conçu, proposé et participé ensemble à la réalisation des opérations relatées qui s'inscrivaient dans un shéma global de transmission d'activités par M. [E] [J] à ses enfants, la société [J] [N] a, par actes délivrés les 22,27 et 28 novembre et4 décembre 2017, fait assigner M. [C] [Y], Me [T] et la Selafa MJA pris en leurs qualités respectives d'administrateur ad hoc et de liquidateur judiciaire de M. [Y] et la SEFJ en responsabilité professionnelle devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 10 avril 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :
- mis hors de cause Me [I] [T] en qualité d'administrateur ad hoc de M. [Y],
- déclaré irrecevables les demandes de condamnations de la Selafa MJA en qualité de liquidateur
judiciaire de M. [Y] et de M. [Y] et de fixation de créance à la liquidation judiciaire,
- débouté la société [J] [N] de ses demandes formées à l'encontre de la SEFJ,
- condamné la société [J] [N] aux dépens,
- condamné la société [J] [N] à payer à la SEFJ une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 mai 2019, la société [J] [N] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 25 février 2022, la société [J] [N]
demande à la cour de :
- la juger recevable en ses demandes fins et conclusions et l'en déclarer bien fondée,
- juger les intimés et notamment les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles irrecevables en leurs demandes fins et conclusions et les en déclarer mal fondées,
à titre principal,
- infirmer le jugement et statuer à nouveau,
- juger que la SEFJ et M. [Y] ont engagé leur responsabilité pour défaut de conseil sur la fragilité financière de la société [J] [N] et la fiscalité afférente à l'opération réalisée par la société [J] [N],
- condamner in solidum la société SEFJ, M. [Y] et les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles au paiement de 203 253 euros à son profit représentant le différentiel de plus-values et le montant du préjudice conséquent à l'exigibilité immédiate de l'impôt indu,
- fixer au passif de M. [Y] la créance de 203 253 euros,
à titre subsidiaire,
- juger que M. [Y] a pleinement engagé sa responsabilité pour défaut de conseil à hauteur du préjudice qu'elle a subi, évalué à la somme de 203 253 euros,
- juger que la responsabilité de la société SEFJ est pleinement engagée pour défaut de conseil et qu'elle devra garantir le paiement des 203 253 euros,
- condamner in solidum la société SEFJ, M. [Y] et les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles, au paiement de 203 253 euros à son profit,
- fixer au passif de M. [Y] la créance de 203 253,00 euros,
en tout état de cause,
- rendre opposable la décision à intervenir à l'encontre de MMA (sic), assureur responsabilité civile de M. [Y] et de la société SEFJ pour qu'ils relèvent les intimés de toutes condamnations de toutes natures,
- condamner la société SEFJ et les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles au paiement à son profit de la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- fixer au passif de M. [Y] la créance de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 9 mars 2022 M. [Y] et la Selafa MJA prise en la personne de Me [V] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [Y] demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- mettre hors de cause M. [Y],
- dire et juger que l'action de la société [J] [N] est irrecevable,
subsidiairement,
- constater que M. [Y] n'a commis aucune faute professionnelle,
- constater que la société [J] [N] ne démontre pas l'existence d'un préjudice réel, certain et
actuel, ni d'un lien de causalité entre la faute alléguée et les préjudices invoqués,
en conséquence,
- débouter la société [J] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société [J] [N] à payer à la Selafa MJA ès qualités la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 10 février 2021, la Selarl Société d'études fiscales et juridiques ( la SEFJ) demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société [J] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre et en ce qu'il a condamné la société [J] [N] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
- débouter la société [J] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à son encontre,
y ajoutant,
- condamner la société [J] [N] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
- condamner la société [J] [N] aux entiers dépens d'instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 15 mars 2022.

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'action de la société [J] [N]

- sur la mise hors de cause de M. [Y]

M. [Y] doit être mis hors de cause puisqu'en application des dispositions de l'article 641-9 du code de commerce, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur, lequel a bien été attrait à la procédure.

- sur les fins de non-recevoir des demandes à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles

M. [Y] et la Selafa MJA ès qualités soutiennent que :
- les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles n'ont pas été visées par l'assignation en première instance ni par la déclaration d'appel et elles ne peuvent intervenir à la procédure que par assignation en intervention forcée, de sorte que les demandes formées à leur encontre sont irrecevables,
- ils ne pouvaient opposer une fin de non-recevoir aux demandes de l'appelante contre les assureurs avant sa formulation par conclusions du 14 septembre 2021 s'agissant de l'opposabilité de l'arrêt et du 25 février 2022 s'agissant de la demande en paiement,
- les demandes formées à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles sont prescrites puisque l'appelante ne les a mises en cause que dans ses conclusions du 14 septembre 2021 alors que la cause du dommage est connue depuis le 27 novembre 2015 de sorte que la société [J] [N] avait jusqu'au 27 novembre 2020 pour agir à l'encontre des assureurs.

La société [J] [N] qui sollicite la condamnation de la Sa MMA Iard et de la société MMA assurances mutuelles, assureurs responsabilité civile de M. [Y] et de la SEFJ estime que :
- dès leur déclaration de sinistre, les sociétés d'assurance ont pris la la direction du procès via leur conseil habituel,
- dès lors, ils étaient et ont toujours été dans la cause et n'ont jamais soulevé la prescription,
- cette fin de non-recevoir est irrecevable pour être nouvelle au visa de l'article l'article 564 du code de procédure civile.

Les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles n'étaient pas parties en première instance, faute d'avoir été assignées, le fait que le sinistre leur ait été déclaré n'ayant aucune incidence sur leur qualité de partie à une instance judiciaire. Aucune demande ne peut donc être formée à leur encontre en cause d'appel sans qu'elles ne soient assignées en intervention forcée conforméméent aux dispositions de l'article 555 du code de procédure civile.
M. [Y] et la Selafa MJA ès qualités sollicitent à bon droit l'irrecevabilité des demandes formées à leur encontre.

- sur la recevabilité des demandes à l'encontre de la Selafa MJA ès qualités

Le tribunal a déclaré irrecevables les demandes de condamnation envers la Selafa MJA en qualité de liquidateur judiciaire de M. [Y] au motif qu'en l'absence de tout élément produit quant au sort de la déclaration de créance dans la procédure collective de M. [Y], la demande de fixation de créance se heurte au principe d'interdiction des poursuites individuelles.

La société [J] [N] estime que :
- le tribunal a statué ultra petita et ajouté au texte une condition qui n'existe pas en la soumettant à une obligation de justification de la recevabilité de sa déclaration de créance, alors même que M. [Y] n'avait pas soulevé ce moyen et que cette preuve ne lui incombait pas,
- une déclaration de créance a été utilement adressée puisqu'elle n'a jamais été contestée de sorte que les présentes demandes sont parfaitement recevables.

La Selafa ès qualités répond que :
- le tribunal a parfaitement appliqué la règle de droit qu'elle avait soulevée dans des termes explicites en première instance,
- la société [J] [N] n'a pas sollicité de relevé de forclusion, alors même qu'elle a déclaré sa créance tardivement et ne produit pas d'état vérifié de sa créance et, ce faisant, la demande de fixation de sa créance se heurte au principe d'interdiction des poursuites individuelles,
- l'action de l'appelante est irrecevable pour défaut de déclaration de la créance litigieuse dans les délais impartis et de relevé de forclusion.

Contrairement aux allégations de la société [J] [N], la Selafa ès qualités avait dans ses conclusions de première instance soulevé l'irrecevabilité de la demande tendant à la réparation d'un dommage imputé à des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective laquelle devait faire l'objet d'une déclaration et d'une vérification par le juge commissaire dans le cadre de la procédure collective.

L'article L.622-21 du code du commerce auxquels renvoient les articles L.631-14 et L.641-3 du même code prévoit que :
Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L.622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

L'article L 622-22 du même code précise que :
Sous réserve des dispositions de l'article L.625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L.626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

L'article L.624-2 du code de commerce dans sa version applicable au litige auquel renvoient les articles L.631-18 et L.641-3 dispose que :
Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.

Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances.

M. [Y] a été placé en redressement judiciaire le 17 mars 2016, lequel a été converti le 23 février 2017 en liquidation judiciaire et la société [J] [N] a intenté une action relative à une créance née antérieurement au jugement d'ouverture à l'encontre de la Selafa ès qualités postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

Les premiers juges relevant qu'en application des articles L.622-21, L.631-14 et L.641-3 précités, le jugement d'ouverture d'une procédure collective interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent a fait à bon droit application de cette règle puisqu'il a relevé qu'il appartenait au juge commissaire de décider de l'admission ou du rejet des créances ou de constater soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence, en application des articles L.624-2, L.631-18 et L.641-3 précités.
De manière tout aussi pertinente, il a considéré qu'alors que la société [J] [N] ne jutifie ni de la recevabilité de sa déclaration de créance du 6 décembre 2017 ni de la décision du juge commissaire, la demande de fixation de créance se heurte au principe d'interdiction des poursuites individuelles et est irrecevable.
La société [J] [N] ne produit en appel aucun élément relatif au sort de sa déclaration de créance reçue par le mandataire liquidateur le 13 décembre 2017 et l'irrecevabilité prononcée doit être confirmée.

Sur la responsabilité de la Société d'études fiscales et juridiques

Le tribunal a jugé qu'il n'était pas établi que la SEFJ était intervenue aux cotés de M. [Y] pour conseiller la société [J] [N] en ce que :
- la facture d'honoraires du 30 décembre 2011 est adressée à la seule société Maison [J] et fils, entité distincte de la société [J] [N],
- les correspondances de la SEFJ datées du 14 octobre 2011 et du 14 juin 2016, faisant état d'honoraires à recouvrer à l'encontre de M. [Y] constituent des honoraires de rétrocession qui correspondent à des actes rédigés conjointement par les deux avocats qui ont trait à des protocoles d'accord portant cession d'immeubles et de fonds de commerce et non à la cession d'actions,
- il n'est pas contesté que M. [Y] est intervenu en qualité de rédacteur de la cession d'actions dans la défense des intérêts de la société [J] [N], pour être son conseil habituel.

La société [J] [N] estime que :
- M. [Y] et la SEFJ étaient les conseils communs habituels de la famille [J], des sociétés familiales et plus généralement du groupe familial,
- les deux cabinets d'avocats, partageant leurs honoraires, sont intervenus ensemble en qualité de co-rédacteurs des actes,
- la SEFJ a été informée du projet de transmission de patrimoine dès le mois d'avril 2010, s'est impliquée dans ce projet et a notamment reçu les signatures en ses locaux,
- elle a été désignée en qualité de séquestre au titre de la garantie d'actif et de passif donnée par la société [J] [N],
- les diligences de la SEFJ ont fait l'objet d'un partage d'honoraires pour son intervention ce qui établit l'intervention de ce cabinet puisqu'il a été rémunéré en contrepartie du travail réalisé, une lettre du 14 octobre 2011 mettant en demeure M. [Y] de lui régler une somme d'argent correspondant à un partage d'honoraires,
- par lettre du 14 juin 2016, la SEFJ demandait à M. [Y] des honoraires au titre d'une facture de rétrocession qui date du protocole de cession,
- en qualité de co-rédacteur de l'acte, la SEFJ avait l'obligation d'informer la société [J] [N] de manière complète sur les incidences fiscales de l'opération projetée et les risques du schéma de transmission proposé quant à la fiscalité des plus-values à court ou long terme.

La SEFJ soutient qu'elle n'était tenue d'aucune obligation de conseil à l'encontre de la société [J] [N] aux motifs que :
- elle assistait la société Maison [J] et fils tandis que M. [Y] assistait la société [J] [N],
- aucun mandat ne la liait à l'appelante et il n'est dès lors pas possible d'engager sa responsabilité contractuelle ce qui rend l'action de la société [J] [N] irrecevable (sic),
- il ne peut lui être reproché d'avoir manqué à son obligation de conseil à l'égard de la société [J] [N], à partir du moment où cette dernière était assistée de son propre conseil,
- elle n'est nullement responsable de la valorisation retenue,
- elle n'est pas intervenue dans le cadre des opérations d'acquisition des titres effectuées par la société [J] [N] et n'a été mandatée, par la société Maison [J] et fils, qu'à l'effet de procéder à la rédaction de la documentation juridique de la réduction de capital,
- le partage des honoraires entre avocats auquel se réfère la société [J] [N] dans ses écritures concernait les opérations de cession de fonds de commerce, pour lesquelles elle et M. [Y] étaient co-rédacteurs, sans pour autant que cela ne confère à la société [J] [N] la qualité de cliente de la SEFJ,
- les rapports entre les parties n'étaient pas des plus simples et leurs intérêts étaient même antagonistes,
- le fait générateur de la plus-value n'est pas une opération à laquelle aurait participé la société Maison [J] et fils mais une opération interne à la branche [J] [N], à savoir la cession des actions entre [A] et [D] [J], cédants, d'une part, et la société [J] [N], cessionnaire, d'autre part, des actions de la société Maison [J] et fils, les deux parties cédant et cessionnaire étant alors représentées par le même conseil, M. [Y],
- l'appelante ne fournit aucun élément pour démontrer la volonté qu'auraient eue les parties d'attendre deux ans entre la cession et le rachat pour bénéficier du régime des plus-values à long terme.

Aux termes d'un projet de protocole d'accord produit aux débats dans sa version du 14 janvier 2011 mais dont il est admis par les parties qu'il a été signé le 1er mars 2011 et exécuté, il apparaît que :
- la société Maison [J] et fils détenue par six membres de la famille [J] était propriétaire de dix fonds de commerce de vente et d'achat de produits d'alimentation générale et produits régionaux dont cinq étaient donnés en location-gérance à la société [J] Frères détenue par MM. [P] et [M] [J] et quatre par la société [J] [N] détenue par M. [A] [J] et M. et Mme [N],
- compte tenu de divergences entre les associés sur la gestion de la société propriétaire des fonds de commerce et d'une volonté commune pour chaque société exploitante et ses associés d'acquérir la propriété des fonds exploités en location-gérance et de cesser toute association commune au capital de la société Maison [J] et fils, il a été décidé :
etgt; la cession par M. [E] [J] et ses enfants [A] et [D] des parts qu'ils détenaient dans la société Maison [J] et fils à la société [J] [N] et concomittamment l'engagement de cette société à acquérir les fonds de commerce qu'elle exploitait outre un bien immobilier de la société Maison [J] et fils, dont le prix de cession devait faire l'objet d'un prêt par la société cédante sans intérêt d'un an à compter de la régularisation des actes de cession,
etgt; le rachat de la participation de la société [J] [N] dans le capital de la société Maison [J] et fils en vue de son annulation payable par compensation avec les créances détenues par la société Maison [J] et fils à l'égard de la société [J] [N], correspondant principalement aux crédits consentis pour l'achat des fonds de commerce.

Ce projet de protocole faisait suite à la réunion tenue dans le bureau de la SEJF le 11 mars 2010, ainsi qu'il ressort de la lettre du 10 avril 2010 adressée par la société [J] [N] et M. [E] [J] dans laquelle ils écrivaient : " je confirme notre accord pour régulariser définitivement l'ensemble du partage entre nos deux familles..., conformément à ce que nous avons arrêté ensemble en présence de notre conseil Maître [C] [Y]".

Par lettres des 12 et 15 février 2016, le nouvel avocat de la société [J] [N], ayant fait l'objet d'une proposition de rectification d'impôt sur les sociétés au titre de la plus value réalisée lors du rachat des actions, a écrit à M. [Y] pour l'informer qu'une action en responsabilité professionnelle était envisagée à son encontre.
A ce titre, il écrivait :
" Il résulte du dossier que m'a transmis le gérant de la Sarl [N] [J] que votre cabinet a réalisé l'ensemble des opérations relatées ci-dessus, lesquelles s'inscrivaient dans une opération plus vaste d'acquisition de fonds de commerce et immobilière, la réduction de capital dont il s'agit ayant notamment permis le paiement par compensation des sommes dues par la Sarl [J] [N] à la société Maison [J] et fils au titre de ses acquisitions;
Vos interventions sont notamment détaillées dans votre note d'honoraire pour 11 960 euros TTC et 4 006,60 euros TTC ; votre relevé de facture du 27 janvier 2013 mentionne spécifiquement "honoraires généraux sur l'ensemble du dossier et pour 3 années d'assistance ", reprenant un montant global pour ces trois années de 67 971,84 euros TTC."

Par lettre du 9 mars 2016, le nouvel avocat de la société [J] écrivait dans les mêmes termes à la société SEFJ mais ne reprenait pas les deux phrases précitées et y substituait la phrase suivante:
" Il résulte du dossier que m'a transmis le gérant de la Sarl [N] [J] que votre cabinet aurait participé à la réalisation de l'ensemble des opérations relatées ci-dessus", sans évoquer aucune facture.

Dès le 16 mars 2016, le représentant de la SEFJ lui a répondu qu'il n'était " jamais intervenu en qualité de conseil de la société [J] [N] qui était accompagnée tout au long du processus de désengagement de la société Maison [J] et fils par [son] excellent confrère [C] [Y], avocat de ladite société et de ses associés depuis de très nombreuses années" et qu'en sa qualité de conseil de la société Maison [J] et fils, il avait été " mandaté à l'effet de procéder à la rédaction de la documentation juridique de la réduction du capital" mais qu'il "n'était pas intervenu dans la cession préalable des actions devant intervenir entre MM. [E] et [A] [J] et Mme [D] [N] d'une part et la société [J] [N], d'autre part dans la mesure où il n'était le conseil d'aucune de ces parties, toutes assistées de Me [L] [Y]" .
Il ajoutait : " Par suite, je n'ai jamais été associé à la rédaction d'aucun acte de cession entre ces parties et encore moins à la détermination du prix de cession de ces actions en amont du rachat ayant donné lieu à la réduction du capital".

Les deux notes d'honoraires citées dans les premières lettres ne sont pas produites par la société [N] [J] laquelle verse seulement aux débats une note de frais et honoraires du 22 décembre 2011 d'un montant de 4 186 euros adressée à la seule Maison [J] et fils par la SEFJ dont l'objet mentionné est " Etablissement des projets en vue de la réduction du capital social ( conseil d'administration, assemblée générale, convention de garantie d'actif et passif) - Echanges avec le confrère" pour la période du 1er mars 2011 au 9 novembre 2011, correspondant à des actes concernant la seule société Maison [J] et fils dont il était l'avocat. Cette facture n'est pas de nature à établir l'existence d'un mandat d'assistance donné par la société [J] [N] à la SEFJ, en supplément de celui donné par elle à M. [Y].

Pour justifier d'un partage d'honoraires entre les deux avocats pris en charge par elle au titre des opérations de réduction du capital de la société Maison [J] et fils, la société [J] [N] produit un relevé de factures du 24 janvier 2013 (sans doute celui invoqué par son conseil dans ses lettres adressées en février et mars 2016 avec une erreur de date) établi par M. [Y] au seul nom de la société [J] [N] récapitulant les factures établies au titre des "cessions d'actions, acquisitions de fonds de commerce et résiliation des contrats de gérance" auxquelles sont ajoutés "des honoraires et participations SEFJ sur vente réglés pour un montant de 9 560 euros et des honoraires généraux sur l'ensemble du dossier et pour 3 années d'assistance pour un montant de11 960 euros".

Il se déduit de ce relevé que les honoraires au titre des cessations d'actions ont fait l'objet de factures à l'encontre de la seule société [J] [N].
Par ailleurs, sa participation à des honoraires est expliquée par la SEFJ dans une lettre du 14 octobre 2011 à son confrère où elle lui rappelle que par actes du 1er mars 2011, la société Maison [J] et fils -sa cliente- a cédé à la société [J] [N] quatre fonds de commerce moyennant un crédit-vendeur total, que ces actes ont été régularisés en collaboration entre leurs deux cabinets et qu'après "maintes discussions", il avait été convenu entre eux de fixer les honoraires de cession à la somme globale de 16 000 euros HT soit 8 000 euros HT par cabinet, ajoutant que M. [Y] devait facturer la totalité des honoraires à sa cliente et s'était engagé à lui reverser la moitié dès réception de sa facture d'honoraires libellée au nom de son cabinet, ce qu'elle avait fait dès le 4 mars 2011 sans être payée à la date de sa lettre de mise en demeure portant sur un montant de 9 568 euros TTC, correspondant à quelques à 8 euros près à la somme mentionnée dans le relevé de facture du 24 janvier 2013.

Enfin, la lettre du 14 juin 2016 fait état d'honoraires à recouvrer à l'encontre de M. [Y] constituant des honoraires de rétrocession qui correspondent à un protocole de cession d' un immeuble.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la société Maison [J] et fils, d'une part, et la société [J] [N] et M. [A] [J] et M. et Mme [N], d'autre part, avaient chacun leur avocat, que ces derniers ont oeuvré pour la mise en place d'un accord destiné à régler un différend entre eux, chacun des avocats étant en charge des intérêts divergents de leurs clients et que si la SEFJ admet avoir participé "à la rédaction de la documentation juridique de la réduction de capital", elle l'a fait dans l'intérêt de sa cliente aux côtés de M. [Y] qui était le conseil de la société [J] [N] de sorte qu'elle n'était tenue d'aucune obligation d'information et de conseil à l'égard de la société [J] [N] sur les conséquences fiscales de l'opération de rachat des parts sociales que cette dernière avait acquises moins de deux ans auparavant.
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il débouté la société [J] [N] de ses demandes à l'encontre de la société SEFJ.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
Les dépens d'appel doivent incomber à la société [J] [N], partie perdante, laquelle est également condamnée à payer à la Selafa MJA ès qualités et à la SEFJ la somme de 4 000 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Met M. [C] [Y] hors de cause,

Déclare irrecevables les demandes formées par la Sarl [J] [N] à l'encontre de la Sa MMA Iard et de la société MMA Iard assurances mutuelles,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, dans la limite de l'appel,

Condamne la Sarl [J] [N] aux dépens,

Condamne la Sarl [J] [N] à payer à la Selafa MJA prise en la personne de Me [V] [X] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [C] [Y] et à la Selarl Société d'études fiscales et juridiques la somme de 4 000 euros, à chacune, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : H4
Numéro d'arrêt : 19/106777
Date de la décision : 28/06/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Paris, 10 avril 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-06-28;19.106777 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award