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28/06/2022 | FRANCE | N°19/100727

France | France, Cour d'appel de Paris, H4, 28 juin 2022, 19/100727


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/10072 - No Portalis 35L7-V-B7D-B757B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 17/15041

APPELANTE

Madame [L] [W] divorcée [V], représentée par son fils et tuteur Monsieur [R] [V]
Née le [Date naissance 1] 1925 à [Localité 10]
Domi

ciliée chez Madame [J] [V] épouse [I]
[Adresse 6]
[Adresse 6]

Représentée par Me Céline ZOCCHETTO, avocat au barreau de PAR...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 19/10072 - No Portalis 35L7-V-B7D-B757B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 17/15041

APPELANTE

Madame [L] [W] divorcée [V], représentée par son fils et tuteur Monsieur [R] [V]
Née le [Date naissance 1] 1925 à [Localité 10]
Domiciliée chez Madame [J] [V] épouse [I]
[Adresse 6]
[Adresse 6]

Représentée par Me Céline ZOCCHETTO, avocat au barreau de PARIS, toque : C0214

INTIMÉ

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 3]
[Adresse 3]

Représenté par Me Anne-Laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079

LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS
[Adresse 2]
[Adresse 2]

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis en date du 21 mai 2021 sous la plume de Mme [C].

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 6 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés et ayant procédé par dépôt des dossiers, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte de l'affaire dans le délibéré de la Cour, composée de:

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile de la prorogation du délibéré initialement prévu au 8 juin 2022 au 28 juin 2022.

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre pour Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Le 6 mai 2003, le juge des tutelles d'Uzès a placé Mme [L] [W] divorcée [V] sous tutelle et désigné M. [R] [V], son fils, en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire.
Le 15 octobre 2009, Mme [U] [V], fille de Mme [L] [W], a demandé au juge des tutelles de Toulon de désigner un tuteur extérieur à la famille.

Par ordonnance du 18 juin 2012, le juge des tutelles de Toulon a déchargé M. [R] [V] de ses fonctions et désigné M. [Z], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de tuteur.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé l'ordonnance par arrêt du 6 juin 2013, lequel a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2014, au motif que Mme [W] n'avait pas été mise en mesure de s'exprimer sur le changement de tuteur car elle n'avait pas été régulièrement convoquée à l'audience. L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Grenoble.

Le 21 avril 2015, le juge des tutelles de Toulon a désigné l'Udaf du Var en qualité de tuteur en remplacement de M. [Z].

Parallèlement, la cour d'appel de Grenoble, statuant comme cour de renvoi le 16 octobre 2015, a annulé l'ordonnance du 18 juin 2012, tout en rappelant que l'Udaf du Var était tuteur depuis le 21 avril 2015.
Par ordonnance du 15 décembre 2015, le juge des tutelles de Toulon a rétabli M. [R] [V] dans ses fonctions de tuteur.

Par acte du 30 octobre 2017, Mme [W] représentée par son tuteur, M. [V] a assigné l'agent judiciaire de l'Etat en responsabilité de l'Etat sur le fondement des articles 412, 421 et 422 du code civil du fait de la faute commise par le service des tutelles au cours de la période de 2012 à 2015.

Par jugement du 1er avril 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté l'ensemble des demandes,
- condamné Mme [W], représentée par M. [V], aux épens.

Mme [W] représentée par son tuteur, a interjeté appel de cette décision le 9 mai 2019.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 17 juillet 2019, Mme [W] divorcée [V], représentée par son tuteur M. [R] [V], demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions d'appelante,
- la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes,
- infirmer le jugement entrepris :
? en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
? en ce qu'il n'a pas retenu les fautes lourdes du tuteur externe, du juge des tutelles et du greffe des tutelles,
? en ce qu'il ne l'a pas indemnisée des préjudices qui en découlent,
? en ce qu'il n'a pas répondu à l'ensemble des moyens soulevés par elle,
statuant de nouveau,
- rejeter toutes les conclusions et demandes contraires de l'intimé,
à titre principal,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 104 766,25 euros au titre de ses préjudices financiers,
à titre subsidiaire,
- désigner tel expert judiciaire, expert-comptable/fiscaliste avec pour mission, notamment, de :
- se faire communiquer tous documents et éléments, qu'ils soient dématérialisés ou matériels, sur quelque support que ce soit, utiles à sa mission, notamment les éléments comptables et financiers afférents à la gestion de la tutelle de la majeure protégée sur la période du 18 juin 2012 au 15 décembre 2015,
- vérifier la réalité des frais, leur légitimité et éventuelle exigibilité,
- réaliser l'audit des éléments remis par les parties et réunis dans le cadre de la présente expertise,
en tout état de cause,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er octobre 2019, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- déclarer irrecevable et mal fondée la demande d'expertise formée pour la première fois en cause
d'appel par Mme [W] représentée par son tuteur M. [V],
- débouter Mme [W], représentée par son tuteur M. [V] de l'intégralité de ses fins, demandes et conclusions,
- condamner Mme [W], représentée par son tuteur M. [V] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon avis notifié le 27 mai 2021, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.

La clôture a été prononcée le 15 février 2022.

SUR CE,

Sur la faute de l'Etat

- sur la désignation d'un tuteur externe en lieu et place du tuteur familial

Le tribunal a estimé qu'aucune faute lourde ne peut être retenue contre le juge des tutelles lequel a déchargé M. [V] de ses fonctions de tuteur à la demande de sa soeur en raison de dissensions familiales et par une décision très motivée prise après avoir ordonné une expertise, laquelle a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en Provence dont la cassation n'est intervenue que pour un motif de procédure.

M. [V] en qualité de représentant légal de sa mère estime que :
- la responsabilité de l'Etat peut être engagée pour une faute simple des organes de la tutelle et en particulier du juge des tutelles ou du greffier dans l'organisation ou le fonctionnement de la mesure de protection,
- le tribunal de grande instance de Paris n'a pas analysé le contexte ni le rapport d'expertise comptable ordonné par le juge des tutelles lui-même qui indiquait que la gestion de la tutelle par M. [V] était conforme aux intérêts de Mme [W],
- le juge des tutelles de Toulon, dans son ordonnance du 18 juin 2012, en ne demandant pas expressément à Mme [W] son avis sur le changement de tuteur, a commis une faute lourde et violé les termes de l'article 449 alinéa 3 du code civil, l'arrêt de la cour d'appel confirmatif étant cassé car la décision du juge des tutelles était dépourvue de base légale,
- la Cour de cassation a remis en cause la thèse d'une prétendue existence d'un conflit d'intérêts retenue hâtivement par le juge des tutelles et la cour d'appel d'Aix-en-Provence sans l'anlyser à la lumière du contexte immobilier et sans attendre le résultat de l'expertise comptable ordonnée,
- la cour d'appel de renvoi a jugé au contraire que M. [V] avait géré les biens et revenus de sa mère conformément à ses intérêts,
- la désignation d'un tuteur externe n'a été basée que sur le seul élément subjectif soulevé par la s?ur cadette de M. [V], ce qui était insuffisant pour justifier la nomination d'un autre tuteur, étant donné l'absence de manquement avéré de la part de M. [V].
- la désignation de l'Udaf du Var en remplacement du tuteur externe par ordonnance du 21 avril 2015 est fautive car elle était inefficiente,
- le juge des tutelles a commis une légèreté blâmable étant donné qu'il ne pouvait ignorait son incompétence territoriale.

L'agent judiciaire de l'Etat soutient que :
- la décision du juge des tutelles du 18 juin 2012 est intervenue dans un contexte où Mme [U] [V] remettait en cause la gestion effectuée par son frère,
- la cassation a eu lieu uniquement sur une question de forme, qui ne constitue pas une faute dans la gestion de la tutelle.

Le ministère public fait valoir que :
- si le juge des tutelles a dessaisi M. [V] de ses fonctions, c'est en raison de la mise en cause de sa gestion par sa s?ur et de l'existence de risques sérieux de conflits d'intérêts avec la majeure protégée,
- la cassation est advenue en raison d'une irrégularité procédurale,
- aucune faute n'a été causée par le magistrat chargé de la tutelle et subsidiairement elle a été réparée par l'usage normal des voies de recours.

La responsabilité de l'Etat peut être engagée depuis la loi no 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs sur le fondement des articles suivants du code civil :

Article 421 :Tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction. Toutefois, sauf cas de curatelle renforcée, le curateur et le subrogé curateur n'engagent leur responsabilité, du fait des actes accomplis avec leur assistance, qu'en cas de dol ou de faute lourde.

Article 422 : Lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise dans l'organisation et le fonctionnement de la mesure de protection par le juge des tutelles, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance ou le greffier, l'action en responsabilité diligentée par la personne protégée ou ayant été protégée ou par ses héritiers est dirigée contre l'État qui dispose d'une action récursoire.
Lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise par le mandataire judiciaire à la protection des majeurs, l'action en responsabilité peut être dirigée contre celui-ci ou contre l'Etat qui dispose d'une action récursoire.

Dans la désignation des organes de la mesure de protection, les articles 449 et 450 du code civil affirment une priorité familiale puisque le juge ne peut désigner un mandataire judiciaire à la protection des majeurs que "lorsque qu'aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle ou la tutelle".
Toutefois, la préférence familiale cède devant l'intérêt de la personne protégée et les juges du fond décident souverainement si l'intérêt du majeur protégé commande d'écarter sa famille de la mesure de protection et de choisir un tuteur ou curateur hors du cercle familial.

L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des tutelles du 18 juin 2012 déchargeant M. [V] de la tutelle de sa mère a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2014 pour violation de l'article 449 du code civil au motif que Mme [W] n'avait pas été régulièrment convoquée à l'audience du juge des tutelles du 17 janvier 2012 et n'avait donc pas été mise en mesure d'exprimer ses sentiments sur la demande de changement de tuteur sollicitée par une de ses filles, conformément au texte susvisé.
Cette décision a caractérisé une faute du juge des tutelles dans l'organisation de la mesure de protection dont l'Etat doit être déclaré responsable, les premiers juges ayant, à tort, estimé nécessaire la caractérisation d'une faute lourde.

En revanche et contrairement aux allégations de M. [V] ès qualités qui soutient, de manière erronée, que la Cour de cassation aurait également sanctionné une violation de l'article 455 du code de procédure civile en confondant les moyens du pourvoi et la décision de la Cour de cassation, cette dernière n'a aucunement statué sur l'existence d'un conflit d'intérêts entre la majeure protégée et son fils tuteur, motif justifiant la décharge de ce dernier.

Le juge des tutelles a, en effet motivé, après avoir désigné un expert architecte et au vu de ses conclusions, sa décision ainsi :
" A l'heure actuelle, l'imbrication des propriétés, les affirmations du tuteur en contradiction avec les conclusions expertales, notamment quant à la possibilité de vendre le bien de la majeure protégée en l'état, et la demande tendant à ce que Mme [L] [V] intègre la Sci, attestent de la difficulté pour M. [R] [V] à oeuvrer en toute neutralité dans l'intérêt exclusif de la propriété maternelle".

L'expertise de M. [S] architecte désigné par le juge des tutelles n'est produite par aucune des parties. Toutefois, il ressort des décisions rendues que l'immeuble sis en [Adresse 4] appartenant à Mme [W] est imbriqué non seulement dans celui appartenant à la Sci Rigaudon dans laquelle M. [V] et sa soeur [J] [V] épouse [I] sont associés mais également dans celui appartenant à M. [V], les parcelles appartenant à ces trois propriétaires différents constituant un même ensemble immobilier donné à bail commercial dont les murs composant la structure ne correspondent pas aux limites de propriétés.

A la date où le juge des tutelles a statué, la question se posait de vendre ou pas l'immeuble appartenant à Mme [W], la réalisation de travaux de réhabilitation et de division des fonds ayant été estimée à 2 000 000 euros par l'expert, vente à laquelle s'opposait le tuteur, sollicitant, au contraire l'autorisation de renouvellement du bail commercial consenti par Mme [W] à la société Carrefour et proposant de faire entre sa mère dans la Sci Rigaudon qu'il gérait.

Ce dernier, saisi d'une demande de dessaisissement du tuteur par Mme [U] [V], deuxième fille de Mme [V], remettant en cause la gestion de l'immeuble situé en Arles faite par son frère, lequel s'opposait à la vente de l'immeuble de sa mère dont il précisait qu'il était l'unique accès de certains locaux appartenant à la Sci Rigaudon, ayant ainsi créé une servitude de passage sur le fonds appartenant à sa mère à son profit et au détriment de la valeur du patrimoine de sa mère et qui proposait de faire entrer cette dernière, née en 1925, dans ladite Sci, ce qui aurait eu pour conséquence de la rendre solidairement tenue du passif de la société, ne peut se voir reprocher à faute la décision d'avoir relevé la difficulté du fils de la majeure protégée à gérer l'immeuble de sa mère, totalement imbriqué dans les deux immeubles voisins lui appartenant directement ou par le truchement d'une Sci, de manière conforme aux seuls intérêts de sa mère et d'avoir décidé de confier la tutelle, non plus à un membre de la famille mais à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, tiers extérieur à la famille, ce que la loi permet, dans l'intérêt de la personne protégée.
Sa décision, suivie de la désignation d'un expert-comptable chargé d'examiner la gestion de M. [V], a d'ailleurs été confirmée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dont la décision n'a été cassée qu'en raison de l'irrégularité de la procédure initiale visée plus haut.

Cette faute n'est pas plus établie par le fait que la cour d'appel de Grenoble, statuant en qualité de cour de renvoi en 2015, a infirmé la décision prise en 2012 en considérant que les intérêts de Mme [L] [W], de la Sci Rigaudon et de M. [V] étaient convergents aux motifs que les difficultés liées à l'imbrication des immeubles étaient antérieures à la désignation de M. [V] en qualité de tuteur de sa mère et ne seraient pas aplanies par la désignation d'un tuteur externe, que l'exploitation rationnelle des locaux commandait que les parcelles soient données au même bailleur et que le tuteur n'avait commis aucune faute de gestion en créant une ouverture entre la parcelle appartenant à la Sci et celle appartenant à la majeure protégée afin de permettre aux locataires de Mme [W] de bénéficier d'une salle de réunion dans l'immeuble de la Sci sans qu'aucun loyer ne soit réclamé.

Enfin, si le juge des tutelles de Toulon a décidé, le 21 avril 2015 soit avant que la cour d'appel de renvoi n'annule l'ordonnance de 2012, de décharger M. [Z], à sa demande, de sa mission au vu de ses difficultés à la remplir en raison des tension familiales et des refus de principe opposés par les associés de la Sci Rigaudon à ses décisions, pour désigner l'Udaf du Var, il n'a commis aucune erreur relative à une prétendue incompétence territoriale du mandataire judiciaire désigné, puisque celle-ci n'est pas en corrélation avec le lieu de situation des immeubles, que Mme [W] était domiciliée chez Mme [I], sa fille, demeurant dans le ressort du juge des tutelles de Toulon, que le tuteur précédant demeurait également à Toulon et le changement de tuteur ordonné en décembre 2015 a été effectué sur le constat d'une difficulté pour l'Udaf du Var de gérer des immeubles éloignés du Var.

En conséquence, seule la faute liée au fait que le juge des tutelles a procédé au changement de tuteur sans demander l'avis de la majeure protégée est établie et engage la responsabilité de l'Etat, en infirmation du jugement.

- Sur l'absence de contrôle par les organes de la tutelle de la gestion de la tutelle par les tuteurs externes et les fautes des tuteurs

Le tribunal a jugé qu'il n'était pas démontré que le juge des tutelles et le greffe de tutelles auraient commis des fautes de gestion, en ce que :
- concernant l'indemnisation des frais de déplacement, rien n'indique que la somme octroyée par ordonnance du juge des tutelles du 18 décembre 2012 serait disproportionnée,
- concernant les actions en justice exercées par le tuteur, il appartient au tuteur de défendre la majeure protégée devant les juridictions et la défense de Mme [W] était justifiée puisque M. [V] contestait la décharge de ses fonctions,
- concernant la modification des comptes bancaires, il n'est pas démontré de préjudice particulier subi par Mme [W] à la suite du changement d'établissement bancaire,
- concernant le grief selon lequel les agences immobilières auraient conservé les revenus locatifs de Mme [W], les virements mensuels des agences font apparaître nominativement sur les comptes bancaires de la majeure protégée les revenus locatifs,
- concernant les critiques relatives aux mandats de gérance, le tuteur a le pouvoir de confier des actes d'administration à une agence immobilière, d'autant qu'il ressort des éléments du dossier que Mme [W] dispose d'un patrimoine immobilier dans plusieurs villes de France,
- le grief selon lequel l'agence immobilière aurait engagé des frais de procédure à l'encontre d'un locataire sans autorisation, celui relatif à la vente de la maison familiale et celui relatif à une absence de déduction des frais de tutelle dans les déclarations de revenus ne sont pas établis.

M. [V] ès qualités soutient que :
- le juge des tutelles a commis une faute en autorisant le remboursement des frais de déplacement de M. [Z] puisqu' aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait la requête du tuteur car les déplacements concernaient la gestion courante du patrimoine de la majeure protégée et que la procédure n'a pas été respectée car l'avis du procureur de la République n'a pas été recueilli,
- des frais injustifiés, superficiels et nullement engagés dans l'intérêt de Mme [W] ont irrégulièrement été remboursés, ce qui montre que le service du contrôle du greffe des tutelles et/ou le juge des tutelles a fait défaut à son devoir de contrôle et de vérification des justifications de frais,
- M. [Z] a engagé, sans avis de la majeure protégée, une action en justice en son nom devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence et devant la Cour de cassation et a engagé des frais de conseils et le juge des tutelles n'a pas vérifié les actions en justice menées par le tuteur externe, sans son autorisation spécifique, et ce alors même qu'il ne pouvait ignorer, notamment au regard des justificatifs de frais, que des actions en justice étaient menées,
- la tolérance des modifications des comptes bancaires de la majeure protégée par le tuteur constitue une faute du juge des tutelles, en ce que ces actions ont été entreprises sans son autorisation spécifique et dans un sens contraire aux intérêts de la majeure protégée,
- les agences immobilières qui agissaient en délégation du tuteur n'ont pas versé les encaissements des loyers sur le compte de la majeure protégée mais les ont fait transiter au préalable sur leurs propres comptes bancaires et le juge des tutelles ne pouvait pas ignorer cet état de fait illégal et ce faisant, a commis une faute en tolérant ces opérations bancaires,
- les agences immobilières se sont rémunérées par un pourcentage sur le revenu locatif excessif et le service des tutelles a failli dans son contrôle en tolérant une action non conforme aux intérêts de la majeure protégée,
- les délégations de la gestion du patrimoine par le tuteur sont critiquables en ce que le tuteur externe ne peut s'adjoindre l'aide d'un tiers que pour les actes d'administration sans incidence financière sur le patrimoine de la personne protégée et le service des tutelles a failli dans son contrôle en tolérant une action non conforme aux intérêts de la majeure protégée,
- des délégations pour les actions en justice du tuteur envers l'agence immobilière au sujet de procédure envers des locataires, ont été effectuées sans que l'autorisation ni du juge des tutelles ni de la majeure protégée n'ait été sollicitée.
- le tuteur externe a commis des manquements manifestes dans l'exercice de sa mission de gestion du patrimoine de la majeure protégée et du fait de l'absence de communication des comptes de gestion,
- le juge des tutelles a commis une faute en tolérant les actes de disposition faits au nom de Mme [W] par le tuteur externe en l'absence d'autorisation en ce que le tuteur externe a mandaté une agence immobilière aux fins de mettre en vente la maison familiale, sans son autorisation, pourtant informé oralement par la famille,
- le juge des tutelles n'a pas contrôlé les frais de tutelles qui n'ont fait l'objet d'aucune déclaration des frais et des charges foncières sur les déclarations d'impôts sur les quatre années de tutelle externe.

L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que :
- les frais de déplacement ont été remboursés sur autorisation du juge par ordonnance du 18 décembre 2012 pour des déplacements et des actes justifiés par l'intérêt de la personne protégée, comme attesté par les tickets de caisses, ce qui ne permet pas de caractériser une faute de gestion de la tutelle,
- concernant les actions en justice du tuteur au nom de la personne protégée, l'appelante ne démontre pas en quoi l'autorisation du juge des tutelles était nécessaire en l'espèce dans des procédures ayant trait à la mesure de tutelle de Mme [W],
- les modifications des comptes bancaires de la majeure protégée ont été autorisées par une ordonnance du 24 juillet 2014 du juge des tutelles de Toulon et le tuteur a justifié l'intérêt de ces modifications,
- les actes pour lesquels M. [Z] a fait appel à une agence immobilière sont des actes d'administration, lesquels ne nécessitent pas l'autorisation du juge,
- au regard du patrimoine immobilier conséquent de Mme [W], le fait de recourir à un professionnel traduit la volonté de rechercher une gestion efficiente du patrimoine de la majeure protégée,
- le fait que les baux aient été signés par l'agence immobilière et non par le tuteur directement ne signifie aucunement que celui-ci n'a pas vérifié ni validé leurs contenus,
- l'affirmation selon laquelle une agence immobilière aurait engagé une procédure en référé contre un locataire n'est corroborée par aucun document ou élément de preuve,
- le grief selon lequel la maison familiale aurait été vendue n'est pas établi,
- les rapports de gestion ont bien été établis et transmis au juge des tutelles,
- rien ne justifie que les déclarations d'impôts n'auraient pas été correctement effectuées.

Le ministère public fait valoir que :
- Mme [W] ne rapporte pas la preuve d'un comportement fautif dans la gestion des frais de déplacement puisqu'il apparaît que des justifications ont été fournis à l'appui des demandes de remboursement et que le juge des tutelles a pris en compte les intérêts de la majeure protégée dans sa décision d'autoriser le remboursement,
- les procédures judiciaires ont été intentées pour la défense des intérêts de Mme [W] et aucune faute ne peut être reprochée au tuteur,
- concernant la modification des comptes bancaires de la majeure protégée, c'est après une autorisation du juge des tutelles de Toulon que le tuteur externe a choisi de fermer certains comptes bancaires afin de transférer l'ensemble des fonds sur un compte unique, et cette mesure a permis de simplifier et garantir la confidentialité dans la gestion du patrimoine bancaire de la majeure protégée, ce qui n'apparaît pas contrarier les intérêts de Mme [W],
- les actes pour lesquels le tuteur a eu recours à une agence immobilière sont des actes d'administration, qui ne nécessitent pas l'autorisation du juge et au regard de l'importance du patrimoine immobilier de Mme [W], le recours à une agence immobilière était justifié,
- ces actes sont conformes aux intérêts de la majeure protégée puisqu'ils ont facilité la signature de contrats de baux et permis de faire fructifier le patrimoine de Mme [W],
- concernant la gestion des biens et la remise du rapport de gestion, il n'est pas rapporté de dysfonctionnement dans la gestion des biens de Mme [W], ni aucune faute imputable aux organes de tutelles.

Le juge des tutelles a autorisé par ordonnance du 18 décembre 2012 le prélèvement par M. [Z] de la somme de 882,34 euros sur le compte bancaire de la majeure protégée.
M. [V] ès qualités ne justifie aucunement que les frais de transport, parking et hôtel qu'ils critiquent soient irréguliers ou incohérents alors que le tuteur a pu passer deux jours consécutifs à [Localité 9] et donc dormir à l'hôtel et s'agissant des frais de restaurant acceptés pour 4 repas le même jour, ceux-ci restent d'un montant très modeste et leur acceptation qui relève d'une simple erreur ne saurait à elle seule caractériser une faute de la part du juge des tutelles qui en a autorisé le remboursement.
Par ailleurs, cette demande ne nécessitait pas l'avis du procureur de la République puisqu'elle concernait le remboursement de frais de déplacement dûment justifiés et non une demande d'indemnité exceptionnelle destinée à rémunérer le travail fourni par le mandataire à la protection judiciaire telle que prévue à l'article 419 du code civil et, en toute hypothèse, cet avis n'est pas prescrit à peine de nullité de l'ordonnance du juge des tuteles.
En revanche, les frais d'actes exceptionnels d'un montant de 400 euros du 30 avril 2014 ont fait l'objet d'un avis conforme du procureur de la République du 29 septembre 2014 et ne sont pas utilement critiqués s'agissant de leur coût horaire, étant rappelé que la rémunération mensuelle de M. [Z] s'élevait à la somme de 398,49 euros par mois.

Mme [W] ne justifie pas que le mandataire judiciaire aurait engagé en son nom une action en justice en défense devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence et devant la Cour de cassation dans le cadre de la contestation de l'ordonnance dessaisissant son fils de son mandat de tuteur, en l'absence d'autorisation ou de simple injonction, sans forme particulièe imposée par la loi, du juge des tutelles, conformément aux dispositions de l'article 475 du code de procédure civile qui l'impose en cas d'action extra-patrimoniale, en demande comme en défense.
Surtout, ces actions relevaient de la gestion du patrimoine de la majeure protégée puisqu'elle avaient trait à un risque de conflit d'intérêt patrimonial entre la majeure protégée et son fils tuteur relativement à la gestion de leurs immeubles respectifs totalement imbriqués.

De même, il ne peut être reproché aucune faute du juge des tutelles s'agissant de la fermeture de comptes bancaires à [Localité 8], [Localité 7] et [Localité 5] aux fins de les regrouper sur un compte bancaire ouvert à Toulon, lieu du domicile du tuteur et de la majeure protégée alors que cette fermeture, justifiée par un non respect de confidentialité pour un organisme bancaire situé en [Localité 5] et des liaisons ne permettant pas une résolution rapide et efficace des ordres de gestion pour la Banque postale de [Localité 8], a été autorisée par le juge des tutelles selon ordonnance du 24 juillet 2014, dans l'intérêt de la majeure protégée, M. [V] ès qualités ne justifiant aucunement le caractère "insensé" ou inutile allégué de ces opérations. Cette autorisation dûment motivée par la rationalisation de la situation bancaire de la majeure protégée a été prise dans le respect des dispositions de l'article 427 du code civil, l'avis de Mme [W], placée sous tutelle et donc représentée, n'ayant pas à être sollicité.

M. [V] ès qualités reproche au juge des tutelles d'avoir laissé M. [Z] avoir recours à des agences immobilières qui ont encaissé des loyers devant être versés à Mme [W] directement sur leurs comptes et perçu des honoraires et auxquelles il a délégué la gestion du patrimoine et l'exercice d'une action en justice en violation des dispositions des article 427 et 504 du code civil.

L'article 452 du code civil précise que :
La curatelle et la tutelle sont des charges personnelles.
Le curateur et le tuteur peuvent toutefois s'adjoindre, sous leur propre responsabilité, le concours de tiers majeurs ne faisant pas l'objet d'une mesure de protection juridique pour l'accomplissement de certains actes dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat.

L'article 3 du décret no 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil précise que :
Les actes pour l'accomplissement desquels le curateur et le tuteur peuvent s'adjoindre le concours de tiers sont :
...
2o Les actes d'administration énumérés dans la colonne 1 des tableaux constituant les annexes 1 et 2 du présent décret, sous réserve qu'ils n'emportent ni paiement ni encaissement de sommes d'argent par ou pour la personne protégée.

La colonne 1 des tableaux constituant les annexes 1 et 2 décret no 2008-1484 du 22 décembre 2008 vise la conclusion et renouvellement d'un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur ou preneur.

L'article 504 du code civil prévoit que :
Le tuteur agit seul pour faire valoir les droits patrimoniaux de la personne protégée.

L'article 427 du code civil dans sa version applicable au litige dispose que :
Les opérations bancaires d'encaissement, de paiement et de gestion patrimoniale effectuées au nom et pour le compte de la personne protégée sont réalisées exclusivement au moyen des comptes ouverts au nom de celle-ci, sous réserve des dispositions applicables aux mesures de protection confiées aux personnes ou services préposés des établissements de santé et des établissements sociaux ou médico-sociaux soumis aux règles de la comptabilité publique.

Il résulte de la combinaison de ces textes que le mandataire judiciaire à la protection des majeurs désigné ne pouvait confier la gestion des immeubles détenus par Mme [W] à des agences immobilières, que celles-ci ne pouvaient encaisser sur leurs comptes bancaires des sommes devant lui revenir et que le juge des tutelles a commis une faute en ne contrôlant pas l'action de M. [Z] et en tolérant qu'il s'adjoigne des tiers pour réaliser des actes d'administration relatifs à la location des immeubles de Mme [W] et que ces tiers perçoivent outre des fonds lui revenant, un pourcentage sur le montant des loyers encaissés alors que le tuteur ne pouvait s'adjoindre un tiers que pour les actes d'administration n'ayant pas d'incidence sur le patrimoine de la personne protégée.

De même, il ressort des pièces produites qu'en 2015, l'agence Grand [Localité 9] a mandaté un huissier de justice aux fins de délivrer une assignation en résiliation d'un bail au nom de Mme [W] sous tutelle de l'Udaf du Var et un avocat pour représenter la majeure sous tutelle et que par ordonnance du 2 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nîmes a ordonné l'expulsion du locataire.
Si le juge des tutelles n'avait pas à autoriser le tuteur à intenter une telle action patrimoniale, il a manqué à son devoir de contrôle en laissant le tuteur mandater un tiers pour ce faire et régler les notes d'honoraires des auxiliaires de justice par imputation sur les loyers dus à la majeure protégée.

M. [V] ès qualités reproche au mandataire judiciaire des fautes dans la gestion du patrimoine de la majeure protégée à savoir l'absence de location de l'immeuble de [Localité 9] pendant deux ans puis l'octroi d'un bail commercial pour un loyer moindre que le précédent et l'entreposage de bouteilles de gaz dans la réserve potentiellement dangereux, l'absence de location d'un local commercial à [Localité 5] en raison de l'opposition injustifiée du tuteur par méconaissance du périmètre du bail pendant 4 ans, l'absence de déduction des frais de tutelle dans les déclarations de revenus de la majeure protégée ainsi que l'absence de rapports de gestion avec pièces justificatives, sauf en 2012, et l'absence de commnication de copies des dits rapports à la majeure protégée.
Il considère à ce titre fautive la carence du juge des tutelles qui n'a pas veillé au respect des dispositions tenant à l'information transparente de la personne protégée et celle du greffier en chef qui devait contrôler et vérifier les comptes du tuteur et notamment l'absence de déclaration des frais de tutelle et des charges foncières sur les déclarations d'impôt, malgré les alertes formulées par la famille de Mme [W].

Pour seuls justificatifs de ses critiques, M. [V] ès qualités ne verse, en pièce 34, que des déclarations de revenus totalement insuffisantes à établir les manquements allégués au titre des locations.

Les revenus de Mme [W] sont, outre une rente viagère versée par ses enfants, majoritairement des revenus fonciers.
En cas de pluralité des revenus, l'imputation des frais de tutelle s'effectue proportionnellement au montant brut de chaque revenu.
Si, en matière de revenus fonciers, les frais de tutelle sont imputables sur le revenu brut foncier par une déduction en frais et charges en application du e du 1o de l'article 31 du code général des impôts, il n'est produit qu'une déclaration de revenus fonciers sur la période, celle de 2013 d'où il ressort au titre des frais d'administration et de gestion la déduction de la somme totale de 7 760 euros dont il n'est pas prouvé qu'elle ne comprendrait pas les frais de tutelle. L'absence de déduction n'est aucunement établie pour les autres années.
De même, en matière de traitements, salaires et autres, les frais de tutelle sont imputés sur les revenus bruts et viennent en minoration des revenus nets déclarés de sorte que la seule production des déclarations des revenus 2042 des années 2012 et 2013 ne permet pas de justifier d'une absence de déduction.
En toute hypothèse, le contrôle des comptes de gestion par le directeur de greffe ne porte pas sur les déclarations fiscales de revenus dont l'annexion aux comptes de gestion n'est aucunement obligatoire.
En conséquence, aucune faute ne peut être reprochée à ce titre ni aux mandataires judiciaires ni au directeur de greffe ni au juge des tutelles.

Par ailleurs, le juge des tutelles a reçu les comptes de gestion de M. [Z] relatifs à la période du 18 juin 2012 au 21 avril 2015 et ceux de l'Udaf du Var pour la période du 21 avril au 15 décembre 2015 ainsi que les pièces justificatives et aucune faute ne peut être retenue à ce titre.
En revanche, il n'est pas justifié d'une communication desdits comptes par le tuteur à la majeure protégée en violation des dispositions de l'article 510 du code civil et la faute du juge des tutelles qui n'a pas veillé au respect de cette obligation par le mandataire judiciaire malgré la lettre que M. [V] lui a adressée à ce titre le 13 mars 2015 doit être retenue.

Enfin, M. [V] ès qualités reproche à juste titre au juge des tutelles de n'avoir, malgré l'information qui lui a été donnée par l'avocat du fils de la majeure protégée selon lettre du 14 décembre 2014, exercé aucun contrôle sur l'action du mandataire judiciaire qui a mandaté une agence immobilière pour mettre en vente la maison familiale sans aucune autorisation de sa part ainsi qu'il ressort du constat d'huissier établi le 1er décembre 2014 et de l'annonce parue sur internet.

Sur le préjudice

L'appelante fait valoir que la décharge abusive de la tutelle familiale a entraîné un préjudice financier de 148 032,35 euros et un préjudice moral, lié, d'une part, au fait que, malgré l'expression sans ambiguïté de sa préférence pour un exercice par son fils de la tutelle et de son refus d'agir en justice contre lui, elle a dû subir le mépris total de son opinion, l'absence de visite du tuteur désigné en remplacement et une succession d'audiences ayant impacté son moral et a dû voir impuissante sa maison mise en vente et la dégradation de son patrimoine, pour lequel elle sollicicite une somme de 50 000 euros et lié, d'autre part, à la peine ressentie par elle à constater la suspicion envers l'intégrité de son fils et les multiples et injustes critiques de sa gestion antérieure qu'une expertise comptable, dont les résultats n'ont été obtenus qu'après sa décharge, a établi comme parfaite ainsi qu'à la peine subie par son fils atteint par cette suspicion et ces critiques, pour lequelle elle sollicite la somme de 50 000 euros.
Elle sollicite, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire aux fins d'évaluer son préjudice financier.

L'agent judiciaire de l'Etat soutient que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'un préjudice en ce que :
- elle ne peut se prévaloir d'aucun préjudice moral du seul fait de la nomination d'un tuteur externe,
- elle fait valoir des préjudices en réalité subis par M. [V] lui-même,
- l'indemnisation réclamée est exhorbitante,
- les frais de justice engagés par M. [V] pour se voir rétablir comme tuteur ne peuvent être considérés comme un préjudice causé à Mme [W],
- Mme [W] n'a subi aucun préjudice du fait des frais de justice engagés par M. [Z], qui lui ont permis d'être assistée pendant les procédures,
- Mme [W] ne peut prétendre avoir subi un préjudice du fait d'avoir dû rémunérer ses tuteurs externes car dès lors que son fils avait été écarté par une décision de justice, il était nécessaire de remplacer ce tuteur,
- le préjudice dû à une imposition majorée n'est ni expliqué ni justifié,
- Mme [W] n'apporte pas la démonstration du préjudice causé par le recours aux agences immobilières alors que ses moyens lui permettaient d'en supporter le coût et que ce recours était conforme à ses intérêts,
- elle ne peut soutenir l'existence d'un préjudice tiré des frais engagés dans son intérêt par les tuteurs pour remplir leur mission,
- la demande d'expertise formulée pour la première fois en cause d'appel est irrecevable et au surplus mal fondée en ce qu'elle n'a d'autre but que de pallier la carence de l'appelante qui n'est pas parvenue à démontrer l'existence d'une faute (sic).

Le ministère public estime qu'en l'espèce, aucun élément ne permet de rapporter l'existence d'un préjudice en l'absence de comportement fautif.

Il appartient à Mme [W] de justifier tant du lien de causalité entre les fautes et les préjudices qu'elle invoque que de ses préjudices.

Sur le préjudice matériel

La cour n'a retenu aucune faute de l'Etat quant à la décision prise par le juge des tutelles de décharger M. [V] de sa fonction de tuteur de sa mère et de le remplacer par un tuteur extérieur à la famille, la seule faute caractérisée étant celle d'avoir pris cette décision sans avoir demandé au préalable l'avis de la majeure protégée.
Par ailleurs, elle a considéré comme fautif l'absence de contrôle par le juge des tutelles des agissements irréguliers de M. [Z] qui a confié des mandats de gestion locative à des agences immobilières, toléré que ces tiers réalisent des actes d'administration relatifs à la location des immeubles et perçoivent outre des fonds leur revenant, un pourcentage sur le montant des loyers encaissés et qu'ils engagent une action en résiliation de bail et mettent en vente la maison familiale sans son autorisation et s'est abstenu de communiquer ses comptes annuels à Mme [W].

Les préjudices liés aux frais de rémunération du tuteur, aux frais de justice et de déplacement engagés par le fils et la fille de la majeure protégée dans le cadre des recours contre la décision du juge des tutelles du 18 juin 2012, aux frais induits par la reprise de tutelle et aux conséquences des déclarations lacunaires ou absentes des charges déductibles ne sont pas en lien de causalité avec les seules fautes de l'Etat retenues par la cour.

En revanche, le préjudice lié à la perception d'honoraires par les agences immobilières au titre d'une rémunération proportionnelle aux recettes de gestion des biens de Mme [W] est en relation avec la faute de surveillance du tuteur qui ne pouvait s'adjoindre des agences immobilières dont les frais de gestion ont eu une incidence sur le patrimoine de la majeure protégée. Ce préjudice est justifié pour un montant de 6 978,01 euros, M. [V] ès qualités n'ayant pas argué d'une faute liée à la délégation à un expert-comptable de l'établissement des déclarations d'impôt.

M. [V] ès qualités fait valoir, en page 24 de ses conclusions, un préjudice lié au fait que les notes d'honoraires de l'huissier de justice et de l'avocat saisis par l'agence immobilière dans le cadre de l'action en résiliation du bail intentée par elle seule ont été libellées au nom de l'agence et réglées par imputation sur les loyers dus à la majeure protégée.
Toutefois, les frais d'huissier de justice et d'avocat auraient nécessairement été engagés par le mandataire judiciaire même s'il avait agit seul et ceux-ci, au demeurant non détaillés ne sont pas en lien de causalité directe avec les fautes retenues contre l'Etat à ce titre.

La liste des mouvements du compte de Mme [W] de 2012 à 2015 n'est pas suffisante à rapporter la preuve que les frais "juridiques" et honoraires d'avocats payés par Mme [W] dont il n'est pas plus justifié du lien de causalité avec les fautes reconnues.

De même, les frais réclamés au titre de la carence de gestion du mandataire judiciaire, la carence du greffe n'ayant pas été retenue, n'apparaissent pas en lien de causalité directe avec les fautes établies s'agissant des intérêts de retard au titre des impôts 2015 et 2014 et de la taxe foncière 2013 ainsi que la taxe foncière pour l'immeuble d'[Localité 5] dont la date n'est pas connue, pour lesquels aucune faute n'a été invoquée, des cotisations d'assurances dont il n'est pas justifié qu'elles auraient été payées en doublon, des travaux dont il n'est pas démontré qu'ils auraient dû être payés par un locataire, de frais inconnus et d'une facture dont il n'est pas expliqué à quel titre elle relèverait des fautes retenues.

En l'absence de lien de causalité entre les préjudices et les fautes retenues, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'expertise formée par M. [V] ès qualités, laquelle est recevable même en cause d'appel.

En conséquence, l'agent judiciaire de l'Etat est condamné à payer à Mme [W] représentée par son tuteur la somme de 6 978,01 euros en réparation de son préjudice matériel.

Sur le préjudice moral

Mme [W] a subi un préjudice du fait que la décision du juge des tutelles du 18 décembre 2012 a été prise sans qu'elle puisse exprimer son sentiment concernant une décision la concernant au premier chef. Ce préjudice est indemnisé par l'octroi de la somme de 2 000 euros.

En revanche, elle ne justifie pas de déplacements importants liés à la procédure de contestation du dessaisissement de son fils du mandat de tuteur puisqu'elle n'a pas comparu ni devant les deux cours d'appel ni devant la Cour de cassation ni avoir été informée de la seule mise en vente de sa maison. L'absence de visite du mandataire judiciaire et la dégradation de ses biens non justifiés ne sont, en tout état de cause, pas en lien de causalité avec les fautes retenues contre l'Etat.

Outre que l'expertise comptable dont elle se prévaut n'est pas produite aux débats, Mme [W] ne justifie pas du lien de causalité entre le préjudice qu'elle allègue au titre de la suspicion et des critiques formulées à l'encontre de la gestion de son fils alors qu'aucune faute n'a été retenue quant à la décision prise par le juge des tutelles de décharger M. [V] de sa fonction de tuteur de sa mère et de le remplacer par un tuteur extérieur la famille.

En conséquence, l'agent judiciaire de l'Etat est condamné à payer à Mme [W] représentée par son tuteur la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens de première instance sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à l'agent judiciaire de l'Etat, partie perdante.
Toutefois, Mme [W] représentée par M. [V] succombant dans l'essentiel de ses demandes indemnitaires, il n'y a pas lieu, en équité, de lui accorder une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,
Déclare recevable mais rejette la demande d'expertise,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [L] [W] représentée par son tuteur M. [R] [V] la somme de 6 978,01 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Déboute Mme [L] [W] représentée par M. [R] [V] de toute autre demande au titre de ses préjudices,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au profit de Mme [L] [W] représentée par son tuteur M. [R] [V] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : H4
Numéro d'arrêt : 19/100727
Date de la décision : 28/06/2022
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Paris, 01 avril 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-06-28;19.100727 ?
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