Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 28 JUIN 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08466 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CANP6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 18/07803
APPELANT
Monsieur [N] [B]
[Adresse 2]
[Localité 1] / France
Représenté par Me Philippe CHEMLA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1979
INTIMEE
ASSOCIATION EMMAÜS SOLIDARITÉ
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Fatiha BOUGHLAM, avocat au barreau de PARIS, toque : J144
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence DELARBRE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Laurence DELARBRE, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [N] [B], né en 1973, a été engagé par l'association Emmaüs Solidarité par un contrat de travail à durée déterminée à compter du 27 décembre 2012 au 7 avril 2013 en qualité d'agent de service logistique.
Puis, M. [B] a été de nouveau engagé par un contrat à durée déterminée à compter 6 avril 2014, contrat renouvelé jusqu'au 31 mars 2015. M. [B] a finalement été engagé par contrat à durée indéterminée le 24 juillet 2014 en qualité d'auxiliaire socio-éducatif.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.
M. [B] a été affecté au Centre d'Hébergement [Localité 6] où il devait, dans le cadre de ses fonctions, garantir l'accueil et l'orientation du public, veiller au respect des règles de vie, assurer la sécurité et l'intégrité des personnes hébergées, appliquer et faire appliquer les règles de fonctionnement du centre.
Par lettre datée du 20 mars 2018, M. [B] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.
M. [B] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 5 avril 2018.
M. [B] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 16 avril 2018 ; la lettre de licenciement indique :
« Monsieur,
Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le 5 avril 2018 en présence de Madame [T] [H], Directrice Générale Adjointe, et de M. [C] [X] Directeur de Territoire. Cet entretien auquel vous vous êtes présenté accompagné était relatif à des faits pour lesquels vous avez été mis à pied par courrier daté du 20 mars 2018.
Vous avez été embauché par l'association Emmaus Solidarité en contrat à durée indéterminée en date du 4 août 2014 à l'issue d'un contrat à durée déterminée ayant débuté le 6 avril 2014, en qualité d'auxiliaire socio-éducatif, statut employé de la Convention Collective Nationale des Etablissements Privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif (FEHAP du 31 octobre 1951). Vous occupez ce poste au sein du centre d'hébergement [Localité 6].
Dans le cadre de vos fonctions, vous avez notamment la charge de garantir l'accueil et l'orientation du public, veiller au respect des règles de vie, assurer la sécurité et l'intégrité des personnes hébergées et appliquer et faire appliquer les règles de fonctionnement du centre.
Pour ce faire, vous vous devez d'être rigoureux, à l'écoute, avoir une attitude professionnelle et exemplaire, en respectant les valeurs de l'association dans le cadre de ses actions au service des personnes démunies.
Or, en date du 16 mars 2018, il a été porté à notre connaissance les faits suivants :
Plusieurs salariées du site de [Localité 6], situé [Adresse 4], se sont plaintes de votre comportement inapproprié, insistant et déplacé, que l'une d'entre elles qualifie même « d'harcèlement sexuel ».
Au moment de les saluer, vous aviez pris pour habitude d'enlacer ces personnes, et avez essayé, à plusieurs reprises, de les embrasser de force.
L'une de ces personnes a subi cette situation dans le couloir du 2 ème étage. Vous l'avez surprise en arrivant par derrière. Elle a réussi à se dégager en criant et en vous repoussant.
Vous n'avez pas reconnu ce fait.
Une autre personne a subi cette situation dans la loge située à l'entrée du site. Au moment de partir, cette personne est venue vous dire au revoir, ainsi qu'aux autres collègues présents. C'est à ce moment, que vous avez essayé de l'embrasser et de la serrer contre vous.
Vous avez reconnu ce fait, précisant qu'il y avait des témoins de cette situation.
Vous avez demandé, avec insistance, le numéro de téléphone personnel d'une d'entre elles, prétextant, qu'entre collègues, vous deviez échanger vos numéros respectifs pour mieux travailler. La personne en question a refusé de vous communiquer son numéro de téléphone.
Vous avez, auprès de plusieurs femmes, fait des réflexions sur leur physique ainsi que sur leurs tenues vestimentaires. Vous avez également tenu, envers certaines femmes, les propos suivants : « Tu sais que tu me plais », « Veux 'tu m'accompagner à la cave pour descendre les dons ' ». Vous nous avez précisé qu'il s'agissait pour vous d'un signe d'affection.
Lors de l'entretien, vous avez reconnu avoir le contact facile avec les personnes accueillies ainsi qu'avec les salariées du site de [Localité 6], mais qu'il s'agit, pour vous, d'un comportement innocent, et que ces personnes ont mal interprété vos gestes et propos.
Vous avez ajouté à plusieurs reprises, être circonspect des faits reprochés, et être prêt à rencontrer ces personnes pour leur présenter vos excuses.
Comme nous vous l'avons indiqué lors de cet entretien, les faits qui vous ont été reprochés ci-dessus ont fait l'objet d'un écrit de la part de plusieurs salariées du site de [Localité 6].
Vous avez reconnu avoir enlacé et embrassé ponctuellement ces personnes, et ne pas avoir pris la mesure de vos actes. Au regard de ce qui précède, les explications que vous nous avez données ne nous permettent pas de maintenir nos relations contractuelles.
Aussi, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.
Cette mesure, privative du préavis, prendra effet à la date du présent courrier, qui marquera la rupture définitive de votre contrat de travail. (...) ».
A la date du licenciement, M. [B] avait une ancienneté de 4 ans et l'association Emmaüs occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [B] a saisi le 17 octobre 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 15 mai 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
- débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté l'association Emmaüs de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de M. [B].
Par déclaration du 25 juillet 2019, M.[B] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 11 juillet 2019.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 mai 2022, M. [B] demande à la cour de :
in limine litis, déclarer irrecevables les conclusions et pièces de la partie intimée,
A titre principal :
- réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 15 mai 2019 en ce qu'il a:
* Débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes,
* Laissé les dépens à la charge de M. [B],
Statuant de nouveau,
A titre principal :
- constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de M. [B] ;
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 1.831 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
- condamner la Société E Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 3.662 euros (2 mois) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 366,2 euros à titre de congés payés sur préavis ;
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 9.155 euros (5 mois de salaire) à titre de dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause :
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 10.000 euros au titre des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité ;
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 5.000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la Société Emmaüs à verser à M. [B] les intérêts au taux légal sur ces sommes, à compter de l'acte introductif d'instance, et ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
- condamner la Société Emmaüs aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mars 2020, l'association Emmaus demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris du 15 mai 2019 en toutes ses dispositions,
- débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- condamner M. [B] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'en tous les dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mars 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 19 mai 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION :
Sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée :
M. [B] soulève l'irrecevabilité des conclusions de l'association Emmaus, en ce qu'elles ont été adressées à la cour par le RPVA le 12 mars 2020, soit près de deux mois après la fin du délai de trois mois impartis à l'intimé pour conclure, à compter des conclusions de l'appelant en date du 18 octobre 2019.
En application des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévu à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou provoqué.
En application des dispositions de l'article 906 alinéa 3 du code de procédure civile issues du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, si les conclusions sont irrecevables, les pièces communiquées au soutien desdites conclusions sont elles-mêmes irrecevables.
La cour relève que les conclusions de M. [B], appelant, ont été communiquées au greffe à la cour le 18 octobre 2019 par RPVA, ainsi qu'à l'association Emmaüs.
Selon les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, l'association Emmaüs disposait d'un délai de trois mois à compter du 18 octobre 2019 pour déposer par RPVA ses conclusions d'intimé, soit jusqu'au 18 janvier 2020.
La cour constate que l'association Emmaüs n'a notifié ses conclusions que le 12 mars 2020, soit hors du délai imparti pour conclure.
Il s'ensuit que la cour prononce l'irrecevabilité des conclusions d'intimée du 12 mars 2020 et des pièces communiquées par l'association Emmaüs.
Sur le fond
M. [B] soutient que les faits sont prescrits, notamment ceux décrits par la salariée venue lui dire au revoir et qu'il aurait tenté de serrer contre lui remontent à plus de deux ans, qu'ils sont prescrits.
M. [B] soutient que l'association Emmaüs n'apporte aucune précision quant aux personnes impliquées ou témoins permettant de s'assurer de la véracité des faits et que la lettre de licenciement ne fait état d'aucun motif précis, objectif et matériellement vérifiable. Il relève notamment qu'elle indique qu'il "au moment de les saluer, avait pour habitude d'enlacer ces personnes" et fait valoir que cette accusation est particulièrement imprécise et ne permet pas de vérifier son exactitude de manière objective.
M. [B] fait valoir que l'ensemble des faits décrits n'ont aucune connotation sexuelle, ce qu'il a signifié à son employeur lors de l'entretien préalable. Il expose qu'il a indiqué à l'association Emmaüs que plusieurs salariés étaient présents au moment des faits et pouvaient attester de l'absence totale de connotation sexuelle dans son comportement.
M. [B] fait valoir qu'il était respectueux dans ses relations de travail et était apprécié de ses collègues, hommes et femmes, qu'il n' jamais fait l'objet de sanctions ou de reproches par son employeur quant à son comportement.
Au soutien de ses prétentions, M. [B] produit notamment :
- une attestation de M. [P], collègue de travail durant 2 ans,
une main courante qu'il a lui même déposée.
Aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.
***
En application des dispositions de l'article L1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n' ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Sur la prescription des faits soulevée par l'appelant, dans la lettre de licenciement du 16 avril 2018, l'association Emmaüs expose que les faits reprochés au salarié ont été portés à sa connaissance en date du 16 mars 2018, qu'il est établi que l'employeur a engagé la procédure de licenciement dés le 5 avril 2018, soit dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332- 4 du code du travail, de sorte que les faits ne sont pas prescrits.
***
L'article L.1232-6 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, dispose que lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
L'article L.1235-2 du même code dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 précise que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat.
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.
A défaut pour le salarié d'avoir formé auprès de l'employeur une demande en application de l'alinéa premier, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.
L'article R.1232-13 du même code dans sa version issue du décret n°2017-1702 du 15 décembre 2017 précise que dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement.
L'employeur dispose d'un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s'il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.
Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l'employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.
La lettre de licenciement du 16 avril 2018 qui fixe les limites du litige, relève à l'encontre de M. [B] plusieurs faits :
-embrassade de force d'une personne, dans le couloir du deuxième étage, en la surprenant par derrière ,
-dans la loge à l'entrée du site, embrassade et enlacement d'une personne alors qu'elle venait lui dire au revoir,
- demande insistante du numéro de téléphone personnel d'une collègue qui a refusé de lui communiquer son numéro.
Concernant les motifs exposés dans la lettre de licenciement, dans un courrier en date du 30 avril 2018, adressé au président d'Emmaüs Solidarité, M. [B] a contesté formellement les griefs énoncés dans la lettre de licenciement « qui ont été tronqués et ne représentent pas la réalité des faits », le salarié demandant des précisions sur certains faits évoqués pour justifier son licenciement pour faute grave, notamment qu'il lui soit indiqué pour chaque grief, la personne concernée et à quelle date les faits reprochés ont eu lieu.
Dans un courrier en date du 15 mai 2018 adressé au salarié, l'association Emmaüs Solidarité a rétorqué que « les griefs relatifs à chaque victime nommément citée vous ont été exposés avec la plus grande précision et clarté lors d'un entretien préalable. Nous vous rappelons que lors de cet entretien si vous avez tenté de minimiser certains faits, vous en avez reconnu d'autres. Nous vous précisons en outre que dans la lettre de licenciement, les griefs concernant chaque victime ont été suffisamment détaillés et précis et dès lors matériellement vérifiables, seuls les noms et prénoms des victimes n'ont pas été mentionnés, ce dans le but de les protéger en l'état. »
Ainsi la cour retient que la lettre de licenciement du 16 avril 2018 contient des faits et lieux précis (embrassade dans le couloir du 2ème étage du site [Localité 6], embrassade et enlacement dans la loge à l'entrée du site) à défaut de dater les faits, l'absence de mention du nom et prénom des victimes dans la lettre étant indifférente à établir la réalité des faits qui restent vérifiables, notamment à partir des pièces qui ont été versées aux débats par l'association Emmaüs devant les premiers juges.
***
Sur la faute grave :
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En application de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante hostile ou offensante ;
2° soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
Les premiers juges ont relaté dans « les dires de défendeur » les faits de harcèlement sexuel rapportés par l'association Emmaüs au soutien de ses prétentions, notamment les attestations de Mme [K] [O], agent de propreté salariée de l'association Emmaüs et le témoignage de M. [AT], auxiliaire socio-éducatif, témoin des faits ; l'attestation de Mme [R], éducatrice spécialisée et celle de Mme [W], éducatrice spécialisée, ainsi que celle de Mme [S] [L] en date du 5 avril 2018.
Si les attestations figurent « in extenso » dans les dires du défendeur, le conseil de Prud'hommes s'y réfère dans les motifs du jugement en ce que « les attestations de Madame [K] [O], de Monsieur [G] [D], et de Madame [RO] [R], [E] [W] et [S] [L] ou celles ci décrivent clairement et sans équivoque le comportement de Monsieur [N] [B] envers ses collègues. »
Les premiers juges ont retenu que l'association Emmaüs Solidarité avait indiqué que le comportement de M.[B] et la posture qui était la sienne à l'égard des salariées femmes sur le site de [Localité 6] étaient fautifs et incompatibles avec sa mission et contraires aux valeurs de l'association.
La cour se référant au jugement du conseil de prud'hommes de Paris, relève qu'il est attesté par Mme [O] qu'en 2017, elle a été « agressée par son collègue qui travaille à la loge alors qu'elle était dans le couloir du deuxième étage en train de faire le ménage. Elle décrit « qu'il est venu par derrière moi par surprise. Il a essayé de force de me retourner pour m'embrasser. Il continue en me disant «Tu sais que tu me plais est-ce que tu veux m'accompagner à la carafe pour descendre les dons ». Je lui ai dit non. J'ai gardé le silence parce que j'avais peur. C'est en discutant avec les collègues que j'ai sus que je n'étais pas la seule. Et c'est pour cela que je suis partie au siège pour témoigner. »
Il est établi que M. [AT], auxiliaire socio-éducatif, témoin des faits a vu Mme [O] de suite après les faits et l'a entendu crier « le salaud il m'a embrassé sur la bouche » M. [AT] témoigne « qu'elle avait les yeux rouges et elle a pris un mouchoir pour s'essuyer la bouche pendant tout le temps que je parlais avec elle ».
Le conseil de prud'hommes a précisé page 5 du jugement que ces faits produits en 2017 n'avaient pas été démentis par M.[N] [B] lors de l'entretien préalable, ce dernier ayant précisé qu'il s'agissait pour lui d'un signe d'affection.
La cour relève que dans ses écritures, M. [B] ne conteste pas la réalité des faits mais leur connotation à caractère sexuel, « l'ensemble des faits décrits n'ont aucune connotation sexuelle, ce que M. [B] a signifié à son employeur et que l'employeur reconnaît au sein même de la lettre de licenciement » (page 5 de ses conclusions).
Par la suite, le conseil de prud'hommes de Paris fait état (page 5 du jugement) de l'attestation de Mme [RO] [R], éducatrice spécialisée qui relate : « l'année 2017 vers le mois de mai juin, j'ai subi un harcèlement sexuel sur mon lieu de travail de la part d'un collègue de travail, il s'appelle [J] [B]. [J] était seul dans sa loge pour lui dire au revoir au moment où je m'approchai pour lui faire la bise, il m'a attrapé par surprise avec force pour essayer de m'embrasser à la bouche et me serrer contre lui. Je me suis dit si je vais témoigner on ne va pas me croire car j'ai pensé que j'étais toute seule. En discutant avec d'autres collègues je me suis aperçus que je n'étais pas la seule. »
Le conseil des prud'hommes reprend également l'attestation de Mme [E] [W], éducatrice spécialisée qui expose aussi : « J'ai été confrontée à des comportements inadaptés et qui m'ont mis très mal à l'aise de la part de deux collègues Monsieur [N] [B] et c.. cela a commencé rapidement après mon arrivée en novembre 2016 au centre [Localité 6] Monsieur [N] [B] travaille à l'accueil. Au départ il me lançait des remarques « tu es bien faite, tu me plais »par la suite il s'est mis à me tenir le bras me regarder avec insistance à 2 reprises il a rapproché son visage du mien quand je lui demandais ce qu'il voulait faire, il m'a dit qu'il voulait m'embrasser dans le coup et goûter mon rouge à lèvres. »
Ainsi la cour relève que l'ensemble de faits relatés laissent présumer l'existence d'un harcèlement sexuel commis par M. [B] à l'encontre des collègues salariées de l'association Emmaüs.
Pour sa défense, M. [B] produit les attestations de M. [P], auxiliaire socio-éducatif, de Mme [U], agent d'entretien et collègue de travail, de M. [Y], agent d'entretien, ancien collègue, M. [M], éducateur spécialisé, M. [I], auxiliaire socio-éducatif (pièce n°10,11, 15, 16, 17) chacun ayant côtoyé ou travaillé avec M. [B], qui attestent tous du professionnalisme de M. [B] et des très bonnes relations professionnelles entretenues par le salarié avec ses collègues hommes ou femmes, « sans ambiguïté entre lui et les collègues femmes ».
M [B] est décrit comme un bon père de famille, respectueux des personnes, des collègues et des hébergés. Mme [U], agent de propreté atteste avoir eu avec M. [B] « des rapports purement professionnels et sans ambiguïté. Un monsieur respectable, respectueux de tous les collègues ainsi que des personnes accueillies. Je l'ai trouvé très professionnel efficace et surtout sociable. »
La cour retient que ces attestations relatant la qualité des relations professionnelles de M. [B] avec ses collègues sont cependant insuffisantes à invalider les attestations de Mme [O] et M. [AT] et celles de Mme [R] et [W] qui établissent de manière formelle et précise des actes de harcèlement sexuel commis par le salarié à leur encontre, en ce que les faits décrits constituent une « forme de pression grave, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle » et ne s'inscrivent pas, au vu du contexte, dans le cadre de relations de familiarité réciproque.
La cour en déduit qu'il est établi que les faits reprochés à M. [B] ne sont pas étrangers au harcèlement sexuel.
Ainsi il est démontré que les faits imputables au salarié constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
Par conséquent, la cour confirme le jugement déféré ayant retenu que le licenciement était fondé sur la faute grave et débouté le salarié de ses demandes indemnitaires.
Sur la violation de l'obligation de sécurité par l'association Emmaüs :
M. [B] soutient qu'il n'a jamais effectué sa visite médicale d'embauche, ni sa visite médicale périodique, qu'il n'a jamais bénéficié de visite d'information et de prévention, ce qui lui a causé un préjudice certain n'ayant eu aucune écoute extérieure à l'entreprise, ni contrôle médicale.
Les premiers juge ont relevé que l'association Emmaüs Solidarité soutenait que M.[B] a bien bénéficié d'une visite médicale d'embauche ainsi que d'une visite périodique par le service de santé au travail, précisant que le demandeur fournit dans son dossier lui-même, une fiche de visite médicale du 27 février 2013 signée du Dr [F] [A] et une fiche de visite médicale d'aptitude en date du 16 juin 2014 signé du docteur [Z] [V].
En application des dispositions de l'article R. 4624 -10 du code du travail, tout travailleur bénéficie d'une visite d'information et de prévention, réalisée par l'un des professionnels de santé mentionnée au premier alinéa de l'article L. 4624-1 dans un délai qui n'excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail.
En application des dispositions de l'article R. 4624-16 du code du travail, dans sa version applicable litige, le travailleur bénéficie d'un renouvellement de la visite d'information et de prévention initiale, réalisé par un professionnel de santé mentionnée au premier alinéa de l'article L. 4624-1, selon une périodicité qui ne peut excéder cinq ans. Ce délai, qui prend en compte les conditions de travail, l'âge et l'état de santé du salarié, ainsi que les risques auxquels il est exposé, est fixé par le médecin du travail dans le cadre du protocole mentionné à l'article L. 4624-1.
La Cour relevant que le conseil de prud'hommes de Paris a jugé qu'au vu des documents fournis, M. [N] [B] a bien bénéficié des visites médicales contrairement à ce qu'il prétend, qu'à compter du 1er juillet 2017, la périodicité des visites médicales est passée de deux ans à cinq ans, que M. [N] [B], n'apporte aucun élément de preuve concernant l'absence de visites médicales ou de manquement à la législation relative à la médecine du travail ou d'un préjudice qu'il aurait subi, et constatant que l'appelant ne verse aux débats aucun élément probant supplémentaire, confirme le jugement déféré, par adoption des motifs des premiers juges et déboute le salarié des demandes de ce chef.
Sur le caractère vexatoire du licenciement :
M. [B] fait valoir que sa mise à pied à titre conservatoire du 20 mars 2018 a été objectivement trop longue et absolument injustifiée au regard des faits reprochés, qu'elle ne doit pas priver le salarié de sa rémunération pendant une durée excessive ; que M. [B] a été particulièrement choqué d'apprendre les accusations graves portées contre lui et portant atteinte à sa dignité seulement le jour de la notification de son licenciement et à contester fermement les griefs par son courrier du 30 avril 2018. M. [B] soutient que la décision de licenciement est manifestement disproportionnée et prise dans des circonstances brusques et humiliantes.
Les premiers juges ayant considéré que « l'association Emmaüs avait toute légitimité à prendre les mesures nécessaires au regard des articles L. 1153-5 et L 1553-6 du code du travail, sur l'obligation de résultat en matière de protection de la santé de la sécurité des salariés », ont débouté M. [B] de la demande de ce chef.
En application des dispositions de l'article L. 1222- 1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La cour constatant que M. [B] ne démontrant pas les circonstances vexatoires de sa mise à pied conservatoire, le 20 mars 2018, alors qu'il a été convoqué un entretien préalable le 5 avril 2018 et a reçu la lettre de licenciement le 16 avril 2018 et à défaut d'établir le préjudice en résultant, confirme le jugement déféré ayant débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes :
Partie perdante, M. [B] sera condamné aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
La situation économique respective des parties impose de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
PRONONCE l'irrecevabilité des conclusions d'intimée du 12 mars 2020 et des pièces communiquées par l'association Emmaüs,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
DIT n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [N] [B] aux entiers dépens.
La greffière, La présidente.