RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 24 Juin 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/10015 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6JOE
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Juin 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17/01828
APPELANTE
URSSAF - ILE DE FRANCE
Département du contentieux amiable et judiciaire
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Mme [W] [K] en vertu d'un pouvoir général
INTIMEE
SAS [3]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 1]
représentée par Me Abdelmalik DOUAOUI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE substitué par Me Julia NIEL-DETERNE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Avril 2022, en audience publique et double-rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, et Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Monsieur Lionel LAFON, Conseiller
Greffier : Madame Joanna FABBY, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 17 juin 2022 et prorogé au 24 juin 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par l'union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (l'Urssaf) d'un jugement rendu le 29 juin 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à la société [3] (la société).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que suite à un contrôle comptable d'assiette portant sur la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, le service du contrôle de l'Urssaf a notifié à la société une lettre d'observations du 2 novembre 2016 comportant 34 chefs de redressement envisagé à hauteur d'un montant total fixé, à l'issue de la période contradictoire, à 165 551 euros ; qu'après mise en demeure du 27 juillet 2017, la société a saisi la commission de recours amiable en contestation des chefs n°8, 22, 23, 24 et 34 et en demande de remise des majorations de retard ; que par décision du 20 décembre 2017, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la société sur les chefs n°8, 14 et 22 et a partiellement fait droit aux contestations des chefs n°23, 24, et 34 ; que la société a porté le litige le 27 octobre 2017 sur les chefs n°8, 14 et 22 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny.
Le tribunal, par jugement du 29 juin 2018, a :
- Déclaré le recours de la société recevable ;
- Dit la société bien fondée ;
- Annulé le chef de redressement n°8 notifié par l'Urssaf dans sa lettre d'observations du 2 novembre 2016 au titre des indemnités transactionnelles et indemnités de préavis pour un montant de 9 324 euros ;
- En conséquence, condamné l'Urssaf à rembourser à la société la somme de 9 324 euros, outre les majorations de retard correspondantes au titre du chef de redressement n°8 annulé ;
- Annulé le chef de redressement n°14 notifié par l'Urssaf dans sa lettre d'observations du 2 novembre 2016 au titre des cotisations - rupture conventionnelle du contrat de travail - conditions relatives à l'âge des salariés pour un montant de 14 052 euros ;
- En conséquence, condamné l'Urssaf à rembourser à la société la somme de 14 052 euros, outre les majorations de retard correspondantes au titre du chef de redressement n°14 annulé ;
- Annulé le chef de redressement n°22 notifié par l'Urssaf dans sa lettre d'observations du 2 novembre 2016 au titre des frais d'installation de monsieur [Z] pour un montant de 2 832 euros ;
- En conséquence, condamné l'Urssaf à rembourser la société la somme de 2 832 euros, outre les majorations de retard correspondantes au titre du chef de redressement n°22 annulé ;
- Condamné l'Urssaf à verser la société la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, augmenté le cas échéant d'intérêts calculés au taux légal en cas d'inexécution de l'obligation de paiement ;
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Rappelé que la procédure est gratuite et sans frais.
Pour se décider ainsi, le tribunal a, notamment, retenu, sur le chef n°22, que la possibilité pour l'employeur d'exonérer des cotisations les indemnités versées à son salarié au titre des frais engagés dans une mobilité professionnelle est soumise à l'engagement préalable de dépenses par le salarié. Le tribunal a précisé que ces indemnités devaient s'entendre des frais exposés par une personne à l'occasion d'un emménagement dans un nouveau logement, tels que les frais de déménagement, de branchements aux réseaux divers, de nettoyage, de modification d'adresse postale, sans qu'il pût s'agir de loyers ou de mensualités de crédit immobilier, et que la Cour de cassation avait admis que les frais de notaire exposés par le salarié pour l'acquisition d'un nouveau logement dans le cadre d'une mobilité professionnelle pouvaient faire partie des dépenses déductibles. En conséquence, le tribunal a considéré que la société justifiait de la vente et de l'achat concomitants par son salarié de biens immobiliers à usage d'habitation dans des départements distincts, justifiant d'une mobilité professionnelle et de frais de notaire exposés. Il a ajouté que l'Urssaf ne démontrait pas que les frais avaient été mis à la charge des vendeurs, contrairement aux usages. Il a considéré ainsi que les frais étaient directement et exclusivement induits par l'emploi du salarié.
L'Urssaf a le 27 août 2018 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 31 juillet 2018, en ce qu'il a annulé le chef de redressement n°22 relatif aux frais professionnels, qu'il l'a condamnée au remboursement du montant des majorations de retard au titre des chefs de redressement n°8, 14 et 22 alors qu'elles n'ont pas été réglées et qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 avec intérêt de retard courant à compter du prononcé du jugement.
L'appel a été enregistré sous le numéro 18/10015.
Le 17 décembre 2020, l'Urssaf a renouvelé son appel dans les mêmes termes afin d'éviter la péremption d'instance.
L'appel a été enregistré sous le numéro 21/00336.
Par ordonnance du 19 février 2021, le président de la chambre, agissant en qualité de magistrat chargé d'instruire l'affaire, a ordonné la jonction de l'instance n°21/00336 à celle suivie sous le numéro 18/10015, l'affaire étant poursuivie sous ce dernier numéro.
Par ses conclusions écrites déposées à l'audience et développées oralement par son mandataire, l'Urssaf demande à la cour de :
- La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
- Y faire droit ;
- Infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 29 juin 2018 en ce qu'il a annulé partiellement le chef de redressement n°22 concernant les frais professionnels et condamné l'Urssaf au remboursement de la somme de 2 832 euros ;
Statuant à nouveau,
- Dire et juger que la somme de 7 600 euros versée par la société à Monsieur [Z] n'est pas représentative de frais professionnels, et qu'à ce titre, il y a lieu de la réintégrer dans l'assiette sociale, aboutissant à un redressement de la somme de 2 832 euros ;
- Infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 29 juin 2018 en ce qu'il a condamné l'Urssaf au remboursement des majorations de retard dues au titre des chefs de redressement n°8, 14 et 22, dans la mesure où ces dernières n'ont pas été réglées ;
- Infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 29 juin 2018 en ce qu'il a condamné l'Urssaf au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeter l'intégralité des demandes formulées par la société.
Par ses conclusions écrites déposées à l'audience et développées oralement par son conseil, la société demande à la cour, au visa des dispositions du code de la sécurité sociale, du code civil et du code de procédure civile, de :
Sur le chef de redressement numéro 22 : « frais professionnels et frais d'installation ' 2 832 euros »
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale le 29 juin 2018 ans ce qu'il a annulé le chef de redressement n°22 relatif aux frais d'installation de Monsieur [Z] pour un montant de 2 832 euros ;
Statuant à nouveau,
- Débouter l'Urssaf de sa demande ;
- Condamner l'Urssaf à lui rembourser les cotisations payées à tort à hauteur de 2 832 euros au titre du chef de redressement n°22 ;
En tout état de cause,
- Condamner l'Urssaf à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et arguments des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures déposées à l'audience, et visées par le greffe, qui ont été oralement développées au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE,
Seul le redressement n°22 relatif aux frais professionnels exposés par deux salariés à l'occasion d'une mobilité professionnelle, et précisément les frais notariés exposés à l'occasion d'une vente immobilière par l'un de ces salariés, fait l'objet de l'appel, outre la condamnation au remboursement des majorations de retard pour trois chefs de redressement non réglées par la société.
En application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, tout avantage en argent ou en nature, alloué en contrepartie ou à l'occasion du travail doit être soumis à cotisations, à l'exclusion des sommes représentatives de frais professionnels, dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.
L'article premier de l'arrêté du 20 décembre 2002 définit les frais professionnels comme étant des charges à caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions. L'article 8 du même arrêté précise que les frais engagés, par le travailleur salarié ou assimilé, dans le cadre d'une mobilité professionnelle, sont considérés comme des charges de caractère spécial inhérentes à l'emploi et que l'employeur est autorisé à déduire de l'assiette des cotisations de sécurité sociale les indemnités suivantes :
« 1° Les indemnités destinées à compenser les dépenses d'hébergement provisoire et les frais supplémentaires de nourriture, dans l'attente d'un logement définitif : elles sont réputées utilisées conformément à l'objet pour la partie qui n'excède pas 60 € par jour pour une durée ne pouvant dépasser 9 mois ;
« 2° Les indemnités destinées à compenser les dépenses inhérentes à l'installation dans le nouveau logement : qui sont réputées utilisées conformément à l'objet pour la partie excédant pas 1 200 €, majorés de 100 € par enfant à charge dans la limite de 1500€ ;
« 3° Les indemnités destinées à compenser les frais de déménagement exposés par le travailleur salarié ou assimilé, sous réserve que l'employeur justifie de la réalité des dépenses engagées par le travailleur salarié ou assimilé ;
« 4° Les indemnités destinées à compenser les frais exposés par les travailleurs salariés ou assimilés envoyés en mission temporaire ou mutés en France par les entreprises étrangères et qui ne bénéficient pas du régime de détachement en vertu du règlement CE/1408/71 ou d'une convention bilatérale de sécurité sociale à laquelle la France est partie et par les travailleurs salariés ou assimilés des entreprises françaises détachés à l'étranger qui continuent de relever du régime général, sous réserve que l'employeur justifie la réalité des dépenses engagées par le travailleur salarié ou assimilé ;
« 5° Les indemnités destinées à compenser les frais exposés par les travailleurs salariés ou assimilés envoyés en mission temporaire ou mutés de la métropole vers les territoires français situés outre-mer et inversement l'un de ces territoires vers un autre, sous réserve que l'employeur justifie la réalité des dépenses engagées par le travailleur salarié ou assimilé. »
Dans ce cadre, les indemnités destinées à compenser les dépenses inhérentes à l'installation dans un nouveau logement doivent s'entendre des frais exposés par une personne à l'occasion d'un emménagement dans ledit logement tels que les frais de déménagement, de branchement des réseaux divers, de nettoyage, de modification d'adresse postale, mais également de frais de notaire exposés pour l'acquisition de ce nouveau logement dans le cadre d'une mobilité professionnelle (Voir dans ce sens Cass., 2e civ., 11 février 2016, n°15-13724).
En l'espèce, l'inspecteur du recouvrement a constaté que la société avait versé à deux salariés des sommes qualifiées de « prime d'installation » qu'elle avait exclues de l'assiette des cotisations et contributions sociales, à savoir 7 600 euros à Monsieur [Z] et 2 500 euros à Monsieur [N].
Ayant considéré que la nature et le montant des dépenses engagées par ces salariés n'étaient pas justifiés par la société, l'inspecteur du recouvrement a réintégré ces sommes dans l'assiette sociale et calculé un rehaussement de cotisations de 3 805 euros.
La société a contesté la réintégration des sommes versées à Monsieur [Z] en se fondant sur sa pièce n°9 justifiant de l'acquisition par son salarié d'un bien immobilier et en alléguant qu'il s'agissait de la prise en charge des frais notariés. La société se fonde sur les dispositions de l'article 1593 du code civil qui prévoient que c'est à l'acquéreur de payer les « frais d'actes et autres accessoires à la vente » pour rappeler que ce n'est qu'à titre exceptionnel qu'un vendeur peut accepter de prendre en charge les frais de notaires en le formalisant par une clause dite d'« acte en main » insérée dans l'acte de vente.
Cependant force est de constater que les trois documents composant la pièce n°9 de la société ne comportent aucun élément relatif permettant de déterminer qui a réglé les frais de notaires liés à l'acquisition en cause et notamment s'il existait une clause d'acte en main. Le premier document est une attestation du notaire instrumentaire de la vente du bien immobilier du salarié situé aux [Localité 6] le 13 novembre 2014 qui ne correspond pas à la facture du service de la publicité foncière. Le second document, incomplet, concerne l'acquisition d'un bien immobilier par le salarié le 4 novembre 2014. Ce document ne fait apparaître ni le lieu du bien acquis ni les modalités de l'acquisition ni la nature des frais et accessoires de la vente ni à qui ils incombaient de les régler. Le troisième document est une facture en date du 12 décembre 2014 du service de la publicité foncière de [Localité 4] pour la seconde vente établie pour un montant de 12 512 euros. Toutefois, cette facture ne mentionne que le nom des vendeurs et non celui du salarié acquéreur.
Il s'ensuit que la société ne justifie pas que la somme de 7 600 euros versée à son salarié correspond au remboursement de frais professionnels, de sorte que cette somme ne pouvait pas être déduite de l'assiette des cotisations et contributions sociale.
Le redressement de ce chef est donc justifié dans son principe. Il l'est tout autant dans son montant qui n'est pas discuté.
En conséquence, le jugement sera infirmé sur ce point.
L'Urssaf sollicite en outre l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à rembourser les majorations de retard des chefs n°8, 14 et 22 en faisant valoir, en s'appuyant sur l'état des débits qu'elle produit, que ces sommes n'avaient pas été réglées par la société.
La société ne répond pas sur ce point.
La lecture de l'état des débits à la date du 18 novembre 2021 versé au débat par l'Urssaf établit que la société ne s'est pas acquittée des majorations de retard.
Il s'ensuit que le jugement sera également infirmé sur ce point.
Il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'Urssaf à payer à la société une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société sera condamnée aux dépens d'appel et sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE l'appel recevable ;
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- Annulé le chef de redressement n°22 notifié par l'Urssaf dans sa lettre d'observations du 2 novembre 2016 au titre des frais d'installation de monsieur [Z] pour un montant de 2 832 euros ;
- En conséquence, condamné l'Urssaf d'Île-de-France à rembourser la S.A.S. [3] la somme de 2 832 euros, outre les majorations de retard correspondantes au titre du chef de redressement n°22 annulé ;
- Condamné l'Urssaf à verser la société la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, augmenté le cas échéant d'intérêts calculés au taux légal en cas d'inexécution de l'obligation de paiement ;
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a également condamné l'Urssaf d'Île-de-France à rembourser à la S.A.S. [3] les majorations de retard dues au titre des chefs de redressement n°8 et 14 ;
ET statuant à nouveau du seul chef de redressement n°22 :
DIT que le chef de redressement n°22 : « Frais professionnels et frais d'installation ' 2 832 euros » est justifié ;
DÉBOUTE la S.A.S. [3] de ses demandes ;
CONDAMNE la S.A.S. [3] aux dépens d'appel.
La greffièreLe président