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24/06/2022 | FRANCE | N°18/08919

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 24 juin 2022, 18/08919


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 24 Juin 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/08919 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6D4G



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Juillet 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 17/00367



APPELANT

Monsieur [W] [P]

[Adresse 5]

[Localité 7]

représenté par Me Ca

therine PODOSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1628



INTIMEES

SARL [9]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par Me Isabelle HALIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1880 sub...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 24 Juin 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/08919 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6D4G

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Juillet 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 17/00367

APPELANT

Monsieur [W] [P]

[Adresse 5]

[Localité 7]

représenté par Me Catherine PODOSKI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1628

INTIMEES

SARL [9]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par Me Isabelle HALIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1880 substituée par Me Nicolas PODOLAK, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 20

CPAM 94 - VAL DE MARNE

Division du contentieux

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Avril 2022, en audience publique et en double-rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, et Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, Président

Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller

Monsieur Lionel LAFON, Conseiller

Greffier : Madame Joanna FABBY, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, préalablement prévu le 17 juin 2022 et prorogé au 24 juin 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, Président, et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par [W] [P] (l'assuré) d'un jugement rendu le 4 juillet 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil dans un litige l'opposant à la SARL [9] (la société) en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (la caisse).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard, il suffira de rappeler que l'assuré a été victime d'un accident du travail le 21 novembre 2012 alors qu'il travaillait pour la société en qualité de man'uvre ; que les circonstances de l'accident décrites dans la déclaration du 29 janvier 2013 sont les suivantes : « En descendant de l'échelle, située au quatrième étage, la victime a perdu son équilibre, est tombée sur les arbustes à l'entrée du bâtiment » ; que l'état de santé de l'assuré a été déclaré consolidé le 22 mars 2013 ; qu'il a été victime de rechutes les 7 novembre 2013 et 25 janvier 2015 ; que la caisse lui a attribué le 1er novembre 2014 un taux d'incapacité permanente partielle de 5% ; que le 2 mars 2015, l'assuré a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; que, faute de conciliation, il a porté le litige devant le tribunal le 16 mars 2017 ; que la caisse est intervenue volontairement à l'audience.

Par jugement du 4 juillet 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil a :

- Rejeté la demande de reconnaissance de la faute inexcusable présentée par l'assuré pour l'accident survenu le 21 novembre 2012 ;

- Rejeté toutes les demandes plus amples ou contraires, notamment celle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déclaré le jugement commun à la caisse.

Pour se décider ainsi, retenant que les pièces déposées n'étaient pas susceptibles d'apporter la preuve contraire, notamment en raison de l'absence de témoin direct et de procès-verbal de l'inspection du travail, le tribunal a considéré que la preuve n'était pas rapportée de l'absence de fixation de l'échelle et l'absence de filets de protection.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception que l'assuré n'est pas allé rechercher. Il en a relevé appel le 17 juillet 2018.

L'assuré a fait soutenir oralement et déposer par son conseil des conclusions écrites invitant la cour à :

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il :

* Rejette la demande de reconnaissance de faute inexcusable présentée pour l'accident survenu le 21 novembre 2012 ;

* Rejette toutes ses demandes ;

Statuant à nouveau,

- Le juger bien fondé en ses demandes, fins et conclusions, et y faire droit ;

- Débouter la société et la caisse de leurs demandes, fins et conclusions contraires ;

- Juger que l'accident du travail dont il a été victime le 21 novembre 2012, et de ses rechutes du 7 novembre 2013 et du 25 juin 2015, sont dus à la faute inexcusable de la société et qu'elle devra l'indemniser à ce titre pour les préjudices subis ;

- Fixer à son maximum la majoration de l'indemnité en capital ;

- Condamner la société à lui payer, à titre de provision, une somme de 10 000 euros à valoir sur son préjudice corporel ;

- Juger que la caisse devra lui verser directement la majoration de l'indemnité en capital allouée ainsi que l'indemnité provisionnelle accordée ;

- Condamner in solidum la caisse et la société à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Avant dire droit sur la réparation définitive des préjudices,

- Ordonner une expertise médicale confiée à tel expert qu'il plaira au tribunal, à l'effet de permettre une appréciation des différents chefs de préjudice qu'il a subis, tant énumérés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et en vue de décrire, déterminer et quantifier l'indemnisation complémentaire à laquelle il a droit, conformément aux textes et à la jurisprudence en vigueur ;

- Juger que les frais d'expertise seront avancés et supportés in solidum par la caisse et la société ;

- Renvoyer l'affaire et les parties à une audience ultérieure pour que la procédure suive son cours à l'issue des opérations d'expertise judiciaire et pour qu'il soit statué en ouverture de rapport sur l'indemnisation des préjudices subis.

À l'appui de son appel, l'assuré fait valoir,

En premier lieu, que :

- Il avait été embauché sous contrat à durée déterminée en qualité de man'uvre par un employeur spécialisé dans les travaux d'étanchéité ;

- Son travail l'a conduit à travailler en hauteur et présentait un risque de chute, dont l'employeur qui intervenait habituellement sur des toits et des terrasses avait nécessairement conscience ou aurait dû avoir conscience ;

- L'employeur ne démontre pas qu'il l'aurait fait bénéficier d'une formation renforcée à la sécurité et adaptée à son poste de travail et au site sur lequel il devait travailler ;

- L'attestation que le gérant s'établit à lui-même, pour les besoins de la cause, est manifestement impropre à rapporter cette preuve d'autant qu'elle est particulièrement imprécise et n'est corroborée par aucun autre élément ;

- Les conditions des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail sont donc établies, de sorte que la faute inexcusable de la société sera présumée ;

En second lieu que :

- Les constatations des policiers démontrent que l'échelle était juste posée le long du mur sans filet de protection ;

- La société, par sa spécialisation, ne pouvait pas ne pas avoir conscience du danger auquel elle exposait son salarié embauché sous contrat à durée déterminée et affecté à un emploi de man'uvre, lequel présentait nécessairement des risques s'agissant de travaux en hauteur ;

- Non seulement elle ne lui a dispensé aucune formation renforcée mais encore n'a pris aucune mesure appropriée pour sécuriser son intervention sur la terrasse d'un immeuble ;

- Il n'y avait aucun dispositif de protection ;

- La prétendue « conformité » du garde-corps ne résulte en outre d'aucun élément probant ;

- Ce garde-corps fixe de la terrasse n'était d'ailleurs pas destiné à sécuriser les salariés travaillant en hauteur et qui à ce titre devaient monter et descendre d'une échelle mobile avec en main des charges lourdes.

La société fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions écrites invitant la cour à :

- Rejeter les demandes de l'assuré ;

- Le condamner à 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société fait valoir que :

- Si les éléments avancés par l'assuré avaient été réunis, l'inspection du travail, saisie au fond de l'enquête, n'aurait pas manqué de le relever par procès-verbal ;

- De la même façon, l'enquête pénale n'aurait pas manqué de donner lieu à des poursuites alors que la victime est tombée du quatrième étage de l'immeuble ;

- Cet accident est exclusivement dû à la maladresse de l'assuré alors que toutes les précautions pour l'en prémunir ont été prises ;

- Il était employé en qualité de man'uvre dans une entreprise spécialisée dans les travaux d'étanchéité ne nécessitant pas spécialement de travail en hauteur ;

- Il effectuait de simples manutentions ne justifiant pas d'une formation renforcée ;

- Il a effectué un stage de formation à la sécurité ;

- Tous les salariés bénéficiaient de harnais de sécurité, harnais que l'assuré n'a pourtant pas mis ce jour-là ;

- Des filets étaient installés sur la terrasse et l'échelle était attachée ;

- Il s'agissait de grimper un muret de 2m50 pour accéder au toit par le biais d'une terrasse large de 2m50, laquelle disposait d'une rambarde protection de 1m70 ;

- Il existait bien sur le plan du travail un garde-corps de plus de 1m10 comportant une main courante et une plinthe de butée ;

- L'échelle était attachée et il n'était pas envisageable qu'un salarié puisse traverser la longueur de la terrasse et passer par-dessus la rambarde de protection ;

- Les photos prises de façon contemporaine à l'accident démontre que, contrairement à ce qui a pu être déduit de la main-courante établie par les gardiens de la paix, des filets de protection ont été posés sur l'intégralité des toits de l'immeuble et, s'agissant des terrasses sur la cour intérieure, la communication des photos produites par l'assuré lui-même démontre que l'installation de filets de protection complémentaire était manifestement impossible.

La caisse fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions écrites par lesquelles elle s'en rapporte sur le mérite de la demande en reconnaissance de la faute inexcusable et la demande en réparation des différents préjudices prévus à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. Elle demande en outre le débouté de l'assuré de sa demande de majoration de la rente, le donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de discuter le quantum des préjudices invoqués par l'assuré, et la condamnation éventuelle de la société à l'ensemble des conséquences financières liées à la reconnaissance de sa faute inexcusable, dont le paiement des frais de toute expertise médicale qui serait ordonnée. Elle rappelle qu'elle fera l'avance des sommes éventuellement allouées, à l'exception des frais d'expertise et du montant octroyé au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et qu'elle en récupérera l'entier montant auprès de l'employeur.

Il est renvoyé aux conclusions déposées à l'audience par les parties, et visées par le greffe, pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE,

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il résulte par ailleurs des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur version applicable aux faits que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'article L. 4154-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, ajoutait en outre que :

« Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés.

« La liste de ces postes de travail est établie par l'employeur, après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. Elle est tenue à la disposition de l'inspecteur du travail. »

Enfin, l'article L. 4154-3 du code du travail dispose que :

« La faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2. »

En l'espèce, il est acquis que l'assuré venait d'être embauché sous contrat à durée déterminée en qualité de man'uvre par une société spécialisée dans les travaux d'étanchéité, notamment des toits et terrasses. Cet emploi comportait dès lors nécessairement des travaux en hauteur et en conséquence présentait des risques de chute.

La société conteste en vain la nature des travaux en faisant valoir qu'elle est spécialisée dans l'étanchéité des terrasses et que cela n'implique pas « spécialement » un travail en hauteur, ce qui est d'ailleurs démenti par l'affirmation de la société elle-même selon laquelle elle aurait équipé son salarié de harnais de sécurité, et que des filets de protection avaient été installés, lesquelles précautions, nécessairement, ne pouvaient présenter un intérêt qu'en situation de travail en hauteur. La société conteste également en vain avoir eu conscience du danger que constitue le travail en hauteur.

En droit, la réglementation et la jurisprudence ne donnent pas de définition du travail en hauteur et il n'existe pas de hauteur minimale. Il appartient donc à l'employeur de rechercher l'existence effective d'un risque de chute en hauteur alors qu'il confie de fait à son salarié, peu important la qualification de son emploi par son contrat de travail, des travaux en hauteur. Le code du travail précise les règles à suivre pour la conception, l'aménagement et l'utilisation des lieux de travail en hauteur et pour la conception et l'utilisation d'équipements pour un tel travail. Le travail est considéré en hauteur dès l'instant où l'activité est réalisée non pas au sol, mais depuis une position élevée, soit, une position à proximité d'une dénivellation ou un équipement qui surélève la personne comme une terrasse en hauteur ou un toit. Enfin, il convient de rappeler que les travaux sur un toit ou un toit-terrasse, sont classés parmi les plus dangereux.

L'employeur doit donc rapporter la preuve, dans le cas particulier d'un contrat à durée déterminée, au regard des dispositions des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail, que son salarié a suivi une formation à la sécurité renforcée adaptée à son travail et au site du chantier, notamment en ce qu'elle était adaptée et spécifique à l'utilisation des équipements individuels contre les chutes en hauteur, comprenant un entraînement au port des équipements et éventuellement une formation aux interventions de secours et de mise en sécurité, car les dispositions de l'article L. 4121-1 qui déterminent les principes généraux qui traitent de la prévention des risques de chute de hauteur, le prévoient expressément.

Ensuite, s'il a préalablement respecté son obligation de formation renforcée à la sécurité, l'employeur doit démontrer qu'il avait bien mis en 'uvre les mesures nécessaires d'identification et de prévention des risques liés à l'exécution de travaux temporaires en hauteur auxquels son salarié était affecté et aux équipements de travail utilisés à cette fin, auxquels l'obligent les articles L. 4121-1 et R. 4121-1 du code du travail, et de s'assurer du respect de ces mesures de sécurité par ses salariés pour préserver le salarié de toute chute, en rapportant la preuve d'avoir installé un dispositif de sécurité collectif ou avoir remis des équipements individuels comme un casque, des chaussures anti-dérapantes ou un dispositif d'arrêt en cas de chute.

Or au cas d'espèce, l'accident s'est précisément produit alors que l'assuré qui travaillait sur le toit-terrasse d'un immeuble est descendu, en portant une lourde dalle, par une échelle posée contre le mur situé entre le toit-terrasse et la terrasse du quatrième étage de cet immeuble et qu'à cette occasion, il est tombé et dans sa chute est passé par-dessus le garde-corps de cette terrasse.

Dès lors, l'accident ne s'étant pas produit lors de la réfection d'une terrasse en rez-de-chaussée mais de celle d'un immeuble d'au moins quatre étages, et n'étant ni allégué ni a fortiori établi que l'assuré n'avait rien à faire sur le chantier en cause, le travail en hauteur est avéré par le fait accidentel lui-même, étant observé que la société se borne à prétendre que ses chantiers n'impliquaient pas « spécialement » un travail en hauteur sans chercher à le démontrer, notamment au moyen des chantiers qu'elle aurait pu réaliser au cours de l'année 2013. Il importe peu que le travail de l'assuré soit constitué de simples manutentions, cette circonstance étant sans rapport avec celle de leur réalisation en hauteur.

En sa qualité de travailleur sous contrat à durée déterminée affecté à un travail en hauteur, l'assuré aurait dû nécessairement bénéficier d'une formation à la sécurité renforcée.

Or, la société pour établir que son salarié a bénéficié, « préalablement à son démarrage sur le chantier, [d']un stage de formation à la sécurité » dispensé dans l'entreprise les 15 et 16 octobre 2012, verse au débat une attestation qui n'a aucun caractère probant (sa pièce n°4).

En effet, cette attestation établie le 17 octobre 2012 par la société elle-même est ainsi rédigée : « Nous soussignée, la société [9], représentée par son gérant, M. [M] [N], attestons par la présente, que M. [P] [W] a effectué son stage de formation à la sécurité avec M. [M] [N] le 15 octobre 2012 de 08h00 à 16h00 et le 16 octobre 2012 de 08h00 à 16h00 pour un poste de man'uvre. / En foi de quoi nous délivrons cette attestation. »

Il ne résulte pas de cette attestation, qui ne donne aucune précision sur la formation délivrée au salarié et assurée par le gérant de la société lui-même sans que sa qualification pour délivrer une telle formation ne soit établie, que l'assuré ait reçu une formation à la sécurité renforcée adaptée aux travaux en hauteur auxquels il allait être affecté, notamment pour le port des équipements spécifiques aux travaux en hauteur comme un harnais de sécurité.

De ce seul fait, l'employeur n'ayant pas respecté son obligation de délivrer à son salarié sous contrat à durée déterminée une formation à la sécurité renforcée pour les travaux en hauteur, en application des dispositions de l'article L. 4154-3 du code du travail dispose, il doit être retenu que la faute inexcusable de l'employeur est présumée établie.

Sur les mesures de précautions prises par l'employeur, l'attestation de [F] [K] (pièce n°8 de la société) est insuffisante pour démontrer qu'elle avait mis à la disposition de ses salariés des harnais de sécurité pour s'attacher aux cheminées et que l'assuré ne l'avait pas mis de son seul fait. De même l'attestation de la société [10] (pièce n°9 de la société) établie le 3 mai 2018 est insuffisante pour constituer une preuve, notamment en ce qu'elle ne précise aucune date de constat, pour retenir qu'il y avait des filets sur la terrasse et que l'échelle était attachée lors de l'accident de 2013 et qu'elle est contredite par la main-courante rédigée par les services de police le jour même de l'accident comme suit : « Constatons que l'échelle est posée sur le balcon du 4e étage pour accéder au toit de l'immeuble où l'ouvrier se rendait pour effectuer ses travaux. Disons que l'échelle est juste posée le long du mur, qu'il n'y a pas de filet de protection. » (pièce n°9 de l'assuré). De même, les différentes photos versées par les parties d'une part ne permettent pas de démentir les constatations effectuées par les policiers, d'autre part sont contradictoires puisque la société soutient qu'elles démontrent qu'il y avait des filets tout en démontrant que la pose de filets était impossible sans que l'articulation de deux affirmations ne soit exactement explicitée. En outre, la réalisation même de l'accident dément la présence d'un filet de sécurité dont il n'est pas allégué qu'il se serait révélé inefficace ou aurait cédé lors de la chute. L'absence de témoin de la chute est sans emport, étant observé que M. [K] a quand même indiqué dans son attestation que la victime était tombée alors qu'elle portait une dalle et se trouvait sur la troisième ou quatrième marche de l'échelle à partir de son sommet (pièce n°8 de la société). Enfin le garde-corps de la terrasse ne peut pas entrer dans les mesures prises par l'employeur pour sauvegarder son salarié d'un quelconque risque.

Dès lors, l'employeur n'apporte aucun élément susceptible de renverser la présomption.

En conséquence, la décision des premiers juges sera infirmée.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

La faute inexcusable de la société étant retenue sans qu'aucune faute ne soit imputable à l'assuré, il y a lieu d'ordonner la majoration de l'indemnisation qui lui a été versée en capital sur la base d'un taux d'IPP fixé à 5%.

Il convient de surseoir à statuer sur l'ensemble des autres demandes indemnitaires.

En effet, il y a lieu d'ordonner une mission d'expertise, dans les termes fixés comme suit au dispositif, à l'effet de permettre une appréciation des différents chefs de préjudice subis par l'assuré, tant énumérés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que non couverts par le livre IV du même code.

Au regard de l'accident et des deux rechutes invoquées, il y a lieu d'accorder à la victime une indemnité provisionnelle d'un montant de 2 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels et moraux, somme qui sera avancée par la caisse.

Il convient, en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, de dire que la société devra rembourser à la caisse les sommes dont cette dernière est tenue de faire l'avance.

La société, succombant en appel, sera condamnée aux dépens et en outre à payer à l'assuré une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celui-ci.

Il est rappelé que la caisse, partie intervenante n'engageant pas sa responsabilité au titre de la faute inexcusable, ne peut pas être condamnée, même in solidum, avec l'employeur aux dépens ou à une indemnité pour frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DÉCLARE l'appel recevable et bien fondé ;

INFIRME le jugement déféré ;

Et y ajoutant,

DIT que l'accident du travail de [W] [P] en date du 21 novembre 2012 est dû à la faute inexcusable de la société la SARL [9] ;

DIT que la majoration du capital alloué à [W] [P] sera portée à son taux maximum ;

ORDONNE une expertise médicale judiciaire et désigne le :

Docteur [U] [X]

[Adresse 3]

Tél : [XXXXXXXX01]

Email : [Courriel 11]

DONNE mission à l'expert de :

- Entendre tout sachant et, en tant que de besoin, les médecins ayant suivi la situation médicale de [W] [P] ;

- Convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception ;

- Examiner [W] [P] ;

- Entendre les parties ;

- Etablir un pré-rapport adressé aux parties avec un délai de rigueur de quinze jours pour former des observations qui seront annexées au rapport et auxquelles l'expert pourra répondre ;

DIT qu'il appartient à l'assuré de transmettre sans délai à l'expert ses coordonnées (téléphone, adresse de messagerie, adresse postale) et tous documents utiles à l'expertise, dont le rapport d'évaluation du taux d'IPP ;

DIT qu'il appartient au service médical de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne de transmettre à l'expert sans délai tous les éléments médicaux ayant conduit à la prise en charge de l'accident, et notamment le rapport d'évaluation du taux d'IPP ;

DIT qu'il appartient au service administratif de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne de transmettre à l'expert sans délai le dossier administratif et tous documents utiles à son expertise ;

RAPPELLE que le demandeur devra répondre aux convocations de l'expert et qu'à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l'expert, l'expert est autorisé à dresser un procès-verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;

DIT que l'expert devra, en tenant compte de la date de consolidation retenue au et au regard des lésions imputables à l'accident du travail :

- Décrire les lésions strictement occasionnées par l'accident du 21 novembre 2012 ;

- Fixer les déficits fonctionnels temporaires en résultant, total et partiels ;

- Les souffrances endurées, en ne différenciant pas dans le quantum les souffrances physiques et morales ;

- Le préjudice esthétique temporaire et permanent ;

- Le préjudice d'agrément existant à la date de consolidation, compris comme l'incapacité d'exercer certaines activités régulières pratiquées avant l'accident ;

- Le préjudice sexuel ;

- Dire si l'assistance d'une tierce personne avant consolidation a été nécessaire et la quantifier ;

- Dire si des frais d'aménagement du véhicule ou du logement ont été rendus nécessaires ;

- Donner toutes informations de nature médicale susceptibles d'éclairer la demande faite au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,

- Fournir tout élément utile de nature médicale à la solution du litige ;

DIT que l'expert constatera le cas échéant que sa mission est devenue sans objet en raison de la conciliation des parties et, en ce cas, en fera part au magistrat chargé du contrôle de l'expertise ;

DIT que l'expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du président de la chambre 6.12 ;

ORDONNE la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne auprès du régisseur de la cour dans les 60 jours de la notification du présent arrêt de la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert ;

DIT que l'expert devra de ses constatations et conclusions rédiger un rapport qu'il adressera au greffe social de la cour ainsi qu'aux parties dans les 4 mois après qu'il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;

RAPPELLE qu'aux termes de l'article R. 144-6 du code de la sécurité sociale, les frais liés à une nouvelle expertise sont mis à la charge de la partie ou des parties qui succombent à moins que la cour, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie ;

ALLOUE à [W] [P] une provision de 2 000 euros à valoir sur son indemnisation ;

RAPPELLE que la caisse avancera l'ensemble des sommes allouées à la victime, y compris au titre de la provision et de la consignation des frais d'expertise, et en récupérera le montant auprès de la SARL [9] ;

Sursoit à statuer sur les autres demandes des parties ;

RENVOIE l'affaire à l'audience de la chambre 6.12 en date du :

Vendredi 20 janvier 2023 à 13h30

en salle Huot-Fortin, 1H09, escalier H, secteur pôle social, 1er étage ;

DIT que la notification de la présente décision vaudra convocation des parties à cette audience.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 18/08919
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;18.08919 ?
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