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23/06/2022 | FRANCE | N°21/00692

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 23 juin 2022, 21/00692


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 23 JUIN 2022



(n° /2022, pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00692

N° Portalis 35L7-V-B7F-CC455



Décisions déférées à la Cour :

- Jugement du 26 Novembre 2020 du tribunal de grande instance de Paris - RG n°14/13972

- Arrêt du du 12 novembre 2018 de la cour d'appel de Paris - RG n°17/02626
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br>- Arrêt du 26 novembre 2020 de la Cour de cassation - RG n° F19-10.523



SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION



DEMANDEUR À LA SAISINE



Monsieur [G] [E]

[Adresse 4]...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 23 JUIN 2022

(n° /2022, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00692

N° Portalis 35L7-V-B7F-CC455

Décisions déférées à la Cour :

- Jugement du 26 Novembre 2020 du tribunal de grande instance de Paris - RG n°14/13972

- Arrêt du du 12 novembre 2018 de la cour d'appel de Paris - RG n°17/02626

- Arrêt du 26 novembre 2020 de la Cour de cassation - RG n° F19-10.523

SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION

DEMANDEUR À LA SAISINE

Monsieur [G] [E]

[Adresse 4]

[Localité 5]

né le [Date naissance 3] 1966

représenté par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

assisté par Me Roland CHADWICK, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDEURS À LA SAISINE

CPAM DE PARIS

[Adresse 1]

[Localité 6]

n'a pas constitué avocat

Société MAIF

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me Marie JANET de la SCP BLUMBERG & JANET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0249

assistée par Me Sandrine ZAYAN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre,et devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre assesseur chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Sophie BARDIAU, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 27 juin 2009, à [Localité 8] (78), M. [G] [E] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (la société MAIF).

Par ordonnance du 7 février 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles a ordonné une expertise médicale de M. [G] [E], confiée au Docteur [Z] [M], lequel, après s'être adjoint un sapiteur psychiatre, le docteur [U], a établi son rapport le 7 juillet 2014.

Par acte d'huissier de justice du 22 septembre 2014, M. [G] [E] et ses parents, M. [I] [E] et Mme [K] [N], épouse [E] (les consorts [E]), ont fait assigner la société MAIF devant le tribunal de grande instance de Paris, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris (la CPAM), afin d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 29 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [G] [E] des suites de l'accident survenu le 27 juin 2009 est entier,

- condamné la société MAIF à payer à M. [G] [E] une somme de 527 860,78 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- rappelé que la société MAIF a déjà payé plusieurs provisions à M. [G] [E] et ne devra lui verser que le solde,

- condamné la société MAIF à payer à M. [I] [E] et Mme [K] [N] épouse [E], une indemnité de 7 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- déclaré le présent jugement commun à la CPAM,

- condamné la société MAIF à payer aux consorts [E] une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,

- condamné la société MAIF aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Par déclaration du 2 février 2017, M. [G] [E] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 12 novembre 2018, la cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 29 novembre 2016 sur l'indemnisation des postes de préjudice de M. [G] [E] relatifs à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle,

statuant à nouveau dans cette limite,

- condamné la société MAIF à payer à M. [G] [E] les sommes suivantes, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2016 :

- perte de gains professionnels futurs : 135 497,40 euros

- incidence professionnelle : 40 000 euros,

- confirmé le jugement du 29 novembre 2016 en ses autres dispositions,

- déclaré le présent arrêt commun à la CPAM,

- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné M. [G] [E] aux dépens d'appel.

Sur le pourvoi formé par M. [G] [E], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 26 novembre 2020, mais seulement en ce qu'il condamne la société MAIF à payer à M. [G] [E] la somme de 135 497,40 euros en réparation de la perte de gains professionnels futurs, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, remis sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

La censure a été prononcée au visa de l'article 4 du code civil, la Cour de cassation reprochant à la cour d'appel d'avoir refusé d'évaluer le préjudice subi par M. [G] [E] postérieurement à la date à laquelle elle fixait l'ouverture des droits à la retraite, dont elle avait pourtant constaté l'existence, résultant de la différence entre le montant de la pension de retraite à laquelle la victime aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et celui qu'elle percevrait effectivement.

Par déclaration de saisine en date du 6 janvier 2021, enregistrée sous le n° RG 21/00902, et par déclaration de saisine en date du 30 décembre 2020, enregistrée sous le numéro n° RG 21/00692, la société MAIF et M. [G] [E] ont saisi la cour d'appel de Paris, désignée comme juridiction de renvoi.

Par ordonnance du 17 juin 2021, le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures.

Par ordonnance du 4 novembre 2021, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de communication de pièces présentée par la société MAIF.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions de M. [G] [E], notifiées le 9 février 2022, aux termes desquelles, il demande à la cour de :

Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985,

Vu l'article L.123-4 du code des assurances,

Vu l'article 566 du code de procédure civile,

- déclarer M. [G] [E] recevable et bien fondé en ses demandes,

- réformer le jugement du 29 novembre 2016 en ce qu'il a :

- limité la condamnation de la société Maif à payer à M. [G] [E] la somme de 527 860,78 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel comprenant l'indemnité au titre de la perte de gains professionnels futurs,

statuant à nouveau,

- condamner la société MAIF à verser à M. [G] [E]

- pour ses pertes de gains futurs : 424 830,58 euros,

- pour sa perte de droits de retraite imputable à l'accident : 170 287,65 euros,

- débouter la société MAIF de ses demandes au titre de la perte de gains professionnels futurs et au titre de la perte des droits à la retraite de M. [G] [E],

- condamner la société MAIF à payer à M. [G] [E] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société MAIF aux entiers dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions de la société MAIF, notifiées le 14 janvier 2022, aux termes desquelles, elle demande à la cour de :

- déclarer la société MAIF, recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- débouter M. [G] [E] de ses demandes,

en conséquence,

à titre principal et avant dire droit,

- faire injonction à M. [G] [E] de produire les pièces justifiant de sa demande d'indemnisation au titre de sa perte de droits à la retraite, et notamment :

- une projection de ses droits à la retraite au titre du régime général

- son relevé de situation individuelle

-les indemnités qui lui sont versées par la «cargo» (caisse de retraite des employés d'huissiers) au titre de l'invalidité (un courrier ayant été produit en ce qui concerne la retraite),

- ordonner un sursis à statuer dans l'attente de la production de ces pièces,

à titre subsidiaire, si la demande avant dire droit n'était pas reçue,

- juger que la cour d'appel de renvoi est saisie seulement de l'évaluation à la somme de 135 497,40 euros en réparation de la perte de gains professionnels futurs (provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2016),

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 29 novembre 2016 en ce qu'il a alloué à M. [G] [E] une somme de 255 517,91 euros en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs, déduction faite de la pension d'invalidité selon le décompte produit à l'époque (313.507,73 euros - 57.989,82 euros),

statuant à nouveau, au titre des pertes de gains professionnels futurs,

- juger que la société MAIF offre une indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs de M. [G] [E] à la somme de 148 692 euros, déduction faite de la pension d'invalidité selon le décompte produit et sauf à parfaire (206.681 € - 57.989,82 €),

- réserver l'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs dans l'attente de la production par M. [G] [E] des indemnités complémentaires qu'il perçoit au titre de l'invalidité par la Carco,

statuant à nouveau, au titre de la perte des droits à la retraite,

à titre principal,

- débouter M. [G] [E] de sa demande de voir fixer sa perte de droits à la retraite à hauteur de 170 287,65 euros, cette demande relevant de l'incidence professionnelle, non soumise à la cour,

à titre subsidiaire,

- débouter M. [G] [E] de sa demande de voir fixer sa perte de droits à la retraite à hauteur de 170 287,65 euros, celui-ci faisait échec à démontrer le préjudice réellement subi à ce titre,

à titre infiniment subsidiaire,

- cantonner l'indemnisation de M. [G] [E] au titre de sa perte de droits à la retraite à la somme de 38 167,76 euros,

- donner acte à la société MAIF de son offre à ce titre qui ne saurait être supérieure à ce montant de 38 167,76 euros,

en tout état de cause,

- ramener à de plus justes proportions la demande présentée par M. [G] [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

La CPAM, à laquelle la déclaration de saisine a été signifiée par acte d'huissier de justice en date du 8 mars 2021, délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avocat mais a adressé à la cour en application de l'article 15 du décret n° 86-15 du 6 janvier 1986 le décompte définitif de sa créance en date du 14 septembre 2021 qui a été communiqué aux parties par le greffe par lettre du 6 décembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisie de la juridiction de renvoi

La société MAIF conclut en substance que la cassation prononcée étant limitée aux pertes de gains professionnels futurs, la juridiction de renvoi n'est pas saisie de la perte de droits à la retraite de M. [G] [E] qui constitue une composante de l'incidence professionnelle.

Sur ce, il résulte des articles 623, 624, 625 et 638 que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation.

L'arrêt du 26 novembre 2020 ayant été cassé et annulé en ce qu'il condamne la société MAIF à payer à M. [G] [E] la somme de 135 497,40 euros en réparation de la perte de gains professionnels futurs, la juridiction de renvoi est saisie de la connaissance en fait et en droit du litige portant sur l'indemnisation de ce poste préjudice qui, contrairement à ce que soutient la société MAIF, peut inclure les pertes de droit à la retraite, lorsque comme en l'espèce leur indemnisation n'a pas été incluse dans l'incidence professionnelle.

Sur la demande de communication de pièces et de sursis à statuer de la société MAIF

La société MAIF demande à titre principal à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la production par M. [G] [E] d'une projection de ses droits à retraite au titre du régime général, de son relevé de situation individuelle et d'un justificatif des indemnités versées par la Caisse de retraite complémentaire des employeurs des huissiers de justice (la CARCO) au titre de l'invalidité.

La cour disposant des éléments d'information nécessaires pour liquider le poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs, incluant la perte de droits à la retraite, il n'y pas lieu de surseoir à statuer sur ce point.

Par ailleurs, il résulte des pièces versées aux débats que M. [G] [E] ne perçoit aucune rente d'invalidité servie par la CARCO au titre du régime de prévoyance géré par cet organisme.

En effet, il ressort de la notification de pension versée aux débats que la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (la CRAMIF) a attribué à M. [G] [E] une pension d'invalidité de deuxième catégorie d'un montant annuel de 6 261,32 euros bruts à compter du 1er août 2011.

Selon les avis d'imposition produits, les revenus annuels de M. [G] [E] se sont élevés en 2011 à la somme de 1999 euros, en 2012 à celles de 2 660 euros au titre des salaires et assimilés et 6 082 euros au titre des pensions, retraites et rentes, en 2013 à la somme de 6 448 euros au titre des retraites et rentes, en 2014 à celle de 6 502 euros au titre des pensions d'invalidité, en 2016 à la somme de 6 644 euros au titre des salaires et assimilés et à celle de 6 515 euros au titre des pensions d'invalidité, en 2017 à la somme de 6 519 euros au titre des pensions d'invalidité, en 2018 à la somme de 6 534 euros au titre des pensions d'invalidité et en 2019 à celle de 6 205 euros au titre de ces mêmes pensions.

Il résulte de la comparaison entre le montant de la pension attribuée par la CRAMIF et celui des revenus déclarés dans les avis d'imposition sus-visés que les seules prestations d'invalidité dont a bénéficié M. [G] [E] et qui doivent être imputées sur le poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs qu'elle ont vocation à indemniser correspondent à la pension d'invalidité de deuxième catégorie, actualisée chaque année, servie par la CRAMIF.

Sur la perte de gains professionnels futurs et le préjudice de retraite

Ce poste de préjudice est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable. Il peut intégrer les pertes de droit à la retraite lorsque comme en l'espèce leur réparation n'a pas été incluse dans l'incidence professionnelle.

Le tribunal a évalué ce poste de préjudice, après imputation de la pension d'invalidité, à la somme de 255 517,91 euros, en fonction de la différence entre le montant du salaire que percevait M. [G] [E] avant l'accident, soit 2 200,10 euros par mois et un revenu équivalent à demi SMIC, avec capitalisation selon un euro de rente temporaire jusqu à l'âge de 65 ans.

M. [G] [E] qui critique cette évaluation fait valoir qu'il travaillait avant l'accident comme clerc expert dans une étude d'huissier de justice, que cette activité a été brutalement interrompue par l'accident du 27 juin 2009 dont il conserve d'importantes séquelles, qu'il a repris le travail fin septembre 2009 mais a fait l'objet d'un licenciement le 12 février 2010 qui sera jugé abusif par le Conseil des prud'hommes, qu'il a été engagé en mars 2010 comme clerc gestionnaire de dossiers par une autre étude d'huissier mais a été contraint de démissionner pour raisons de santé, qu'après ces reprises de travail qualifiées de précoces par le Docteur [Y] [X] de l'hôpital de la [9], il a entamé une longue rééducation pendant six ans et a suivi des études en histoire de l'art à l'issue desquelles il a obtenu sa licence, que toutes ses recherches d'emploi se sont soldées par des échecs et qu'il n'a pu retrouver d'activité professionnelle depuis le 17 août 2012, date de la consolidation fixée par l'expert judiciaire, le Docteur [M].

Il expose qu'il bénéficie depuis le 1er août 2011 d'une pension d'invalidité de deuxième catégorie, ce qui implique que sa capacité de travail ou de gain est réduite des 2/3 en raison des séquelles de l'accident, ce dont il déduit que sa capacité résiduelle de gains doit être évaluée au tiers de la valeur du SMIC en 2021, soit la somme de 518, 19 euros.

Il évalue sa perte de gains professionnels futurs à la somme de 488 589,60 euros, représentant entre janvier 2010 et janvier 2031 date prévisible, sans l'accident, de son départ à la retraite à l'âge de 65 ans, 1a différence entre son salaire antérieur à l'accident d'un montant de 2 200,10 euros par mois, actualisé année par année pour tenir compte des effets de l'inflation, et un revenu équivalent au tiers du SMIC pendant 21 ans ; il sollicite après imputation de la créance de la CRAMIF, qui s'élève selon lui à la somme de 63 759,60 euros mentionnée en page 7 de l'arrêt censuré, une indemnité d'un montant de 424 830,58 euros.

Il réclame, en outre, une indemnité d'un montant de 170 287,65 euros au titre de sa perte de droits à la retraite correspondant à 43 % du salaire annuel perçu en 2009, soit 26 401,20 euros (2 200,10 euros x 12 mois) pendant une durée de 15 ans correspondant selon lui à son espérance de vie entre l'âge de 65 et celui de 80,3 ans.

La société MAIF objecte que l'expert a clairement retenu que M. [G] [E] était en capacité de reprendre une activité rémunérée soit à mi-temps dans son ancienne activité, soit à plein-temps dans une activité moins exigeante et que le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime conduit à retenir une capacité résiduelle de gains au moins égale au SMIC, correspondant à un emploi à plein temps peu qualifié ou aménagé, emploi que M. [G] [E] est apte à occuper selon l'expert.

La société MAIF soutient que seul le classement de M. [G] [E] dans la première catégorie d'invalide serait en rapport avec les séquelles de l'accident et qu'en tout état de cause que la perception d'une pension d'invalidité est sans lien avec son aptitude au travail.

Elle conteste la demande d'actualisation du salaire de référence d'un montant de 2 200,10 euros et propose d'évaluer la perte de gains professionnels futurs de M. [G] [E] à la somme de 206 681 euros correspondant à la différence entre ce salaire de référence et la capacité résiduelle de gains de la victime équivalente à la valeur du SMIC à la date de consolidation, soit 1 118,29 euros, avec capitalisation en fonction d'un euro de rente temporaire jusqu'à l'âge de 65 ans.

Après imputation de la pension d'invalidité servie par la CRAMIF, sous déduction des arrérages d'un montant de 3 756, 80 euros d'ores et déjà imputés par les premiers juges sur le poste lié à la perte de gains professionnels actuels, elle offre d'indemniser la perte de gains professionnels futurs jusqu'à la date de départ à la retraite de M. [G] [E] à hauteur de la somme de 148 692.

S'agissant du préjudice de retraite, la société MAIF conclut au rejet de la demande ; elle avance que pour déterminer les pertes de droit à la retraite, il convient de déterminer la différence entre la retraite qu'aurait perçu la victime si le dommage ne s'était pas réalisé et la retraite qu'elle percevra réellement et que faute pour M. [G] [E] de produire une projection de ses droits à la retraite, ce dernier ne justifie pas de l'existence d'un préjudice indemnisable.

Elle propose à titre subsidiaire, d'évaluer le préjudice de retraite de M. [G] [E] à la somme de 38 167,76 euros correspondant à la différence entre la retraite à laquelle il aurait pu prétendre sans l'accident, évaluée sur les mêmes bases que celles proposées par l'intéressé, à savoir en retenant un départ à la retraite à l'âge de 65 ans, un taux médian de 43 % et un salaire annuel de 26 401,20 euros mais capitalisée selon les modalités décrites dans ses conclusions et le minimum retraite auquel peut prétendre M. [G] [E], capitalisé.

Sur ce, il convient d'observer en premier lieu que l'attribution d'une pension d'invalidité de deuxième catégorie au regard des conditions prévues aux articles L. 341-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque la capacité de travail ou de gain de l'assuré est réduite des 2/3 et qu'il est, selon l'avis du médecin-conseil de la caisse, absolument incapable d'exercer une activité rémunérée, ne préjuge pas de l'aptitude au travail de son bénéficiaire au sens de l'article L. 5421-1 du code du travail et ne lie pas le juge, s'agissant d'évaluer les pertes de gains professionnels futurs imputables au fait dommageable.

Il résulte des pièces versées aux débats (contrat de travail, bulletins de paie) que M. [G] [E] avait été embauché avant l'accident par une société civile professionnelle titulaire d'un office d'huissier de justice en qualité de clerc expert selon un contrat à durée indéterminée prenant effet à compter du 1er avril 2009, les parties s'accordant pour évaluer son salaire net à la somme de 2 200,10 euros par mois, soit 26 401,20 euros par an.

L'expert, le Docteur [M], indique dans son rapport en date du 7 Juillet 2014 que M. [G] [E], né le [Date naissance 3] 1966, a présenté à la suite de l'accident du 27 juin 2009 un traumatisme crânien sévère ayant entraîné l'apparition de deux hématomes extra-duraux ayant nécessité une intervention chirurgicale le même jour et qu'il a été dans le coma pendant 10 à 15 jours avec un score de 10 sur l'échelle de Glasgow.

Il relève que la victime a développé à distance de l'accident une épilepsie post-traumatique pour laquelle elle bénéficie d'un traitement toujours en cours à la date de l'expertise.

Il indique que M. [G] [E], dont l'état est consolidé depuis le 17 août 2012, conserve comme séquelles des troubles cognitifs associant des difficultés d'attention soutenue avec une fatigabilité à l'effort cognitif et une fluctuation des ressources, des difficultés en mémoire de travail lors de tâches complexes, une altération des ressources en attention divisée, des troubles des fonctions exécutives touchant la flexibilité mentale, des troubles de la mémoire épisodique en rapport avec les troubles exécutifs, un ralentissement cognitif, une modification du comportement avec irritabilité et troubles du contrôle, sur le plan ORL une hypoacousie de perception droite et sur le plan psychologique, selon le sapiteur psychiatre, des remaniements de la personnalité et une symptomatologie dominée par la déplétion narcissique, en rapport avec le vécu du syndrome dysexécutif et ses conséquences personnelles, relationnelles et professionnelles, ces séquelles justifiant un taux de déficit fonctionnel permanent de 33 %.

Le Docteur [M] fait observer que M. [G] [E] a repris le travail précocement le 1eroctobre 2009 alors qu'il poursuivait en parallèle des séances de kinésithérapie vestibulaire et de l'équilibre.

Il ressort des pièces produites, notamment du jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 26 juillet 2011, que M. [G] [E] a fait l'objet d'un licenciement par lettre du 12 février 2010, son employeur ayant relevé qu'il avait repris ses activités alors qu'il n'avait plus les capacités de le faire et avait ainsi commis de graves erreurs.

Le conseil de prud'hommes a jugé la rupture du contrat de travail abusive aux motifs que l'employeur n'avait pas fait procéder à la visite de reprise obligatoire par le médecin du travail, privant M. [G] [E] de toutes propositions d'adaptation de ses conditions de travail.

Il en résulte, comme l'ont justement relevé les premiers juges, que la perte de son emploi de clerc expert par M. [G] [E] est en lien de causalité direct et certain avec les séquelles de l'accident sans lesquelles l'intéressé n'aurait pas été licencié par son employeur.

Si le Docteur [M] a émis l'avis selon lequel, s'agissant du préjudice professionnel, M. [G] [E] est «apte à travailler à temps partiel ou à temps plein mais sur un poste moins exigeant que celui qu'il avait auparavant», force est de constater que ces conclusions ne sont ni claires ni précises quant-à la nature des postes de travail que M. [E] est apte à occuper compte tenu de ses séquelles et quant au temps de travail compatible avec son état, étant rappelé qu'en tout état de cause cet avis ne lie pas le juge.

Il convient de relever que le Docteur [M] se réfère dans son rapport à une évaluation neuropsychologique réalisée dans le service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital de la [9] les 15 et 22 juin 2012 et le 2 juillet 2012 mettant l'accent sur la fatigabilité majeure de M. [G] [E] nécessitant une sieste quotidienne de plus d'une heure, sur ses difficultés en mémoire de travail lors des tâches les plus élaborées, sur l'altération de ses ressources en attention divisée, M. [G] [E] ne pouvant traiter deux tâches auditive et visuelle simultanément qu'au prix d'un effort cognitif trop important, sur le manque de flexibilité induisant un ralentissement idéatoire important dans les situations de raisonnement logico-déductif et perturbant ses capacités à mettre en place des stratégies palliatives pertinentes, et sur ses difficultés à accéder au stock lexical et au langage élaboré.

Il convient ainsi de retenir, au vu de ce rapport, que M. [G] [E] n'est pas apte à reprendre son activité antérieure de clerc d'huissier expert qui implique la réalisation de tâches complexes, de raisonnements logico-déductifs et l'emploi d'un langage élaboré et qu'en raison de sa fatigabilité, il ne peut travailler à temps plein, même sur un poste peu qualifié ou aménagé.

Il résulte du bilan réalisé après l'expertise le 24 novembre 2014 par l'antenne d'évaluation et de suivi des traumatisés crâniens et cérébro-lésés (UEROS), des justificatifs de recherche d'emploi et des avis d'imposition produits, que M. [G] [E], qui présente un syndrome dysexécutif majeur, ainsi que des modifications émotionnelles, comportementales et de l'humeur n'a pu retrouver d'activité professionnelle en dépit d'un accompagnement par CAP emploi et que ses ressources sont constituées de sa pension d'invalidité de deuxième catégorie, complétée par l'allocation aux adultes handicapés.

Compte tenu de son âge (46 ans à la date de la consolidation et 56 ans à la date de la liquidation), de la conjoncture socio-économique défavorable et des restrictions à l'emploi induites par les séquelles qu' il présente sur le plan neurologique en raison d'un syndrome dysexécutif sévère, sur le plan comportemental en raison d'une modification du caractère avec irritabilité et troubles du contrôle, sur le plan psychologique en raison d'une déplétion narcissique et sur le plan ORL en lien avec une hypoacousie de perception droite, séquelles justifiant un taux de déficit fonctionnel permanent de 33 %, les possibilités de retour à l'emploi de M. [G] [E] apparaissent totalement illusoires, y compris en milieu protégé.

S'il résulte de ce qui précède l'existence d'une perte de gains professionnels futurs totale, M. [G] [E] admet avoir conservé une capacité résiduelle de gains équivalente à un tiers de la valeur du SMIC en 2021, le principe de l'existence d'une telle capacité résiduelle constituant un élément non contesté par les parties.

La perte de gains professionnels futurs de M. [G] [E] sera ainsi évaluée en tenant compte de la capacité résiduelle de gains d'un montant de 518, 19 euros par mois admise par la victime.

Par ailleurs, dès lors qu'une demande est formée en ce sens, il convient d'actualiser la perte de gains éprouvée par la victime pour tenir compte des effets de l'érosion monétaire ; le salaire antérieur à l'accident de M. [G] [E], d'un montant non contesté de 2 200, 10 euros, sera actualisé à la somme de 2 510,46 euros en faisant application du convertisseur INSEE permettant de mesurer l'érosion monétaire due à l'inflation.

Enfin, le barème de capitalisation utilisé sera celui publié par la Gazette du Palais du 18 septembre 2020, avec un taux d'intérêts de 0 %, qui est le plus approprié pour assurer la réparation intégrale du préjudice pour le futur comme s'appuyant sur des données démographiques, économiques et financières les plus pertinentes.

Il y a lieu de distinguer les pertes de gains professionnels échues depuis la date de la consolidation et celles à échoir qui seront capitalisées jusqu'à l'âge de 65 ans, âge auquel les parties admettent que M. [G] [E] aurait fait valoir ses droits à la retraite.

Au bénéfice de ces observations, la perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge prévisible de départ à la retraite de M. [G] [E] sera fixée comme suit :

- pertes de gains professionnels futurs échues du 17 août 2012, date de la consolidation, jusqu'à la date du présent arrêt :

* (2 510,46 euros - 518, 19 euros) x 118,18 mois = 235 446,47 euros

- pertes de gains professionnels à échoir jusqu'à la date de prévisible de départ à la retraite

* (2 510,46 euros - 518, 19 euros) x 12 mois x 8,608 (euro de rente temporaire jusqu'à l'âge de 65 ans prévu par le barème sus-visé pour un homme âgée de 56 ans à la date de la liquidation) = 205 793,52 euros

Soit une somme totale de 441 239,99 euros.

Au vu du dernier décompte produit par la CPAM en date du 14 septembre 2021, sa créance au titre de la pension d'invalidité servie à M. [G] [E] s'élève à la somme de 56 557,64 euros.

Le tribunal ayant imputé sur le poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels actuels qui a été définitivement liquidé et dont la cour n'est pas saisie la somme de 3 756 euros correspondant aux arrérages échus avant la date de consolidation, il revient à M. [G] [E] après imputation du solde de la créance sur les pertes de gains de professionnels futurs que ces prestations ont vocation à indemniser, la somme de 388 438,35 euros [441 239,99 euros -(56 557,64 euros - 3 756 euros].

Par ailleurs, la perte de gains professionnels futurs liée au handicap de M. [G] [E] induit corrélativement une perte de droits à la retraite.

En effet, si en application de l'article R. 351-12,3° du code de la sécurité sociale, chaque trimestre civil comportant d'une échéance de pension d'invalidité est compté comme période d'assurance pour l'ouverture des droits à pension, de sorte que l'accident du 27 juin 2009 est sans incidence sur le taux de la future pension de M. [G] [E], il ressort du relevé de carrière versé aux débats que son absence, depuis l'année 2011, d'activité professionnelle génératrice de revenus susceptibles d'être pris en compte dans le calcul du salaire moyen des 25 meilleures années aura une incidence péjorative sur le montant de sa pension de retraite de base.

Par ailleurs, selon l'attestation délivrée par la CARCO, M. [G] [E] n'ayant pu acquérir que 1 486,41 points dans la profession de clerc d'huissier de justice, le montant annuel brut de sa pension s'élèvera à la somme de 242,43 euros seulement.

La perte de droits à la retraite de M. [G] [E] sera indemnisée sur la base de 25 % de sa perte de revenus, capitalisée à compter de l'âge de 65 ans de manière viagère.

Pour tenir compte de l'aléa relatif à la survie de M. [G] [E] jusqu'à l'âge de 65 ans, il convient comme le propose la société MAIF de procéder à la capitalisation de la perte de droits à la retraite future en fonction du différentiel entre un euro de rente viagère pour un homme âgé de 65 ans et un euro de rente temporaire jusqu'à l'âge de 65 ans pour un homme âgé de 56 ans à la date de la liquidation.

En revanche le coefficient retenu de 25% tient compte de la pension de retraite à laquelle M. [G] [E] pourra effectivement prétendre.

Le préjudice lié à la perte de droits à la retraite de M. [G] [E] s'établit ainsi comme suit :

* (2 510,46 euros - 518, 19 euros) x 12 mois x (18,759 - 8,608) x 25 % = 60 670,59 euros.

Au bénéfice de ces observations, il revient à M. [G] [E] après imputation de la pension d'invalidité servie par la CPAM, la somme de 449 108,94 euros (388 438,35 euros + 60 670,59) en réparation de sa perte de gains professionnels futurs, incluant sa perte de droits à retraite.

Sur les demandes annexes

La société MAIF qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel exposés devant la juridiction de renvoi avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer en application de l'article 700 du code de procédure civile à M. [G] [E] une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 26 novembre 2020,

- Déboute la société Mutuelle assurance des instituteurs de France de ses demandes de communication de pièces et de sursis à statuer,

- Infirme le jugement en ce qu'il condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France à payer à M. [G] [E] une somme de 527 860,78 euros incluant celle de 255 517,91 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs,

- Condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France à payer à M. [G] [E] la somme de 449 108,94 euros en réparation de sa perte de gains professionnels futurs, incluant sa perte de droits à retraite,

- Condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France en application de l'article 700 du code de procédure civile à payer à M. [G] [E] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- Condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France aux dépens exposés devant la juridiction de renvoi qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/00692
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-23;21.00692 ?
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