RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 16 JUIN 2022
(n°2022/ , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 13/08483 - N° Portalis 35L7-V-B65-BSJIK
Décisions déférées à la Cour : jugement rendu le 12 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 11/00472 et jugement rendu le 07 avril 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 15/22876
APPELANTE
La société LA POSTE
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Paul-André CHARLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2138 et par Me Eléonore BALLESTER LIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : L258
INTIMES
Mme [U] [T]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
Mme [J] [K] [G] [D] ayant droit de M. [A] [P] [D]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260 et par Me Alain JANCOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1006
M. [X] [R] [O] [D] ayant droit de M. [A] [P] [D]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260 et par Me Alain JANCOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1006
Mme [V] [C] [D] représentée par Mme [T] épouse [D] ayant droit de M [A] [P] [D]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260 et par Me Alain JANCOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1006
Le syndicat SUD DES SERVICES POSTAUX PARISIENS
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de la formation,
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre
Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis.
Greffier : Madame Chaïma AFREJ, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Chaïma AFREJ, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [A] [D] a été engagé par la société La Poste, pour une durée indéterminée à compter du 22 juin 2007, en qualité d'agent de collecte et de remise à domicile.
Le 12 janvier 2011, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et a formé des demandes afférentes à un harcèlement moral allégué ainsi qu'au titre de frais d'entretien.
Par jugement du 12 juin 2013 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté M. [D] de ses demandes.
M. [D] a interjeté appel de ce jugement le 13 septembre 2013, cette déclaration d'appel étant enregistrée sous le numéro de répertoire général (RG) 13/08483.
Le 25 juin 2013, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le syndicat SUD des Services Postaux Parisiens intervenant volontairement à la procédure, notamment de demandes afférentes au 'complément poste' sur le fondement de l'inégalité de traitement.
Par jugement du 7 avril 2015, auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a :
- condamné la société La Poste à payer à M. [D] :
* 4 686,90 euros à titre de complément Poste,
* 468,69 euros au titre des congés payés afférents,
sommes augmentées des intérêts au taux légal calculés à compter du jour de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse,
* 40 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné la remise d'un bulletin de paie conforme ;
- débouté Monsieur [A] [P] [D] du surplus de se demandes ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
- condamné la SA LA POSTE à payer au Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens la somme de :
* 15 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouté le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens du surplus de ses demandes ;
- condamné la SA LA POSTE aux dépens.
La société La Poste a interjeté appel de ce jugement le 25 septembre 2015, cette déclaration d'appel étant enregistrée sous le numéro de répertoire général (RG) 15/09505.
Ces deux instances ont été jointes le 20 octobre 2017, seule subsistant la procédure RG 13/08483, et par ordonnance du 31 octobre 2017, une médiation a été ordonnée.
Par lettre du 21 novembre 2014, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé au 4 décembre. Son licenciement lui a été notifié le 11 février 2015 pour cause réelle et sérieuse, caractérisée selon la société La Poste par des manquements dans ses tournées et des actes d'insubordination.
M. [D] est décédé le 12 juillet 2015.
L'affaire a été examinée à l'audience de la cour du 18 juin 2019 puis mise en délibéré jusqu'au 30 avril 2020. Le prononcé de l'arrêt a été prorogé au 22 octobre 2020 en raison de l'état d'urgence sanitaire.
Les parties ayant fait part à la cour de leur accord pour entrer en voie de médiation, une médiation étant ordonnée dans une série de dossiers ayant pour objet le complément Poste, une médiation a été ordonnée par arrêt en date du 13 juillet 2020, l'affaire devant être rappelée à l'audience du 14 janvier 2021. A cette audience, l'affaire a été renvoyée, la médiation étant en cours. Par arrêt du 16 février 2021, la cour a notamment ordonné le renouvellement de la mission de médiation pour une durée de trois mois à compter du 18 février 2021 et dit que l'affaire serait rappelée à l'audience du 10 juin 2021.
L'affaire a été renvoyée successivement aux audiences des 14 octobre 2021 puis 14 janvier et 24 mars 2022 à laquelle les débats ont été rouverts.
Les parties ont indiqué ne pas être parvenues à un accord.
S'agissant de la partie du litige afférente au complément Poste, aux termes de ses conclusions visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience du 24 mars 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste demande à la cour de lui donner acte du désistement de son appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 7 avril 2015.
A l'audience du 24 mars 2022, Mme [U] [T], Mme [J] [D], M. [X] [D] et Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D] et le syndicat SUD des Services Postaux Parisiens ont accepté ce désistement.
Pour ce qui concerne la partie du litige afférente au harcèlement moral allégué et au licenciement, aux termes de leurs conclusions visées par le greffier et soutenues oralement le 24 mars 2022, Mme [U] [T], Mme [J] [D], M. [X] [D] et Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D], soutiennent que :
- il a été victime de harcèlement moral de la part de son responsable hiérarchique, qui le réquisitionnait systématiquement et de façon discriminatoire pour aller chercher des véhicules'mutualisés', sous la menace de sanctions ;
- au mois de novembre 2010, il a fait une première tentative de suicide ;
- la direction est restée passive face à ses doléances ;
- ses nouveaux responsables hiérarchiques l'ont alors contraint à effectuer des tâches en méconnaissance de son statut de travailleur handicapé et des préconisations du médecin du travail ;
- son licenciement, intervenu dans ce contexte, est nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- la prime d'habillage était due.
Ils exposent que M. [D] a mis fin à ses jours le 12 juillet 2015.
En conséquence, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société La Poste à leur payer les sommes suivantes :
- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- 19 912 euros à titre d' indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 040 euros au titre de la prime d'habillage ;
- 3 000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Reprenant oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste fait valoir que :
- les faits invoqués par les ayants droit de M. [D] ne sont pas constitutifs de harcèlement moral ;
- la direction a toujours pris au sérieux les doléances de M. [D] et a réagi de façon appropriée ;
- les tâches confiées à M. [D] étaient compatibles avec son état de santé et avec les préconisations du médecin du travail ;
- son licenciement était justifié par ses manquements et par son comportement inapproprié ;
- elle n'était pas tenue de prendre en charge les frais d'entretien des tenues vestimentaires de M.[D], celui ci n'étant pas tenu de porter une tenue spécifique.
En conséquence, elle demande à la cour de confirmer le jugement du 12 juin 2013, de débouter les ayants droit de M. [D] de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a été communiquée au ministère public qui, dans ses observations écrites du 9 mai 2019 dont les parties ont reçu communication écrite pour pouvoir y répondre utilement, indique qu'il appartient à la cour de procéder à une comparaison in concreto de la situation du salarié et du fonctionnaire auquel il se compare ; que la cour disposera de tous moyens de droit pour rejeter les demandes du salarié si cet examen révèle une différence de fonction exercée ou de maîtrise du poste ; qu'elle pourra tirer toutes conséquences de droit au profit du salarié si l'examen des pièces révèle une fonction exercée et une maîtrise du poste identiques.
MOTIVATION
Sur le rappel de complément Poste
En application de l'article 401 du code de procédure civile, le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente.
En l'espèce, la société La Poste se désiste de son appel du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 avril 2015. Mme [U] [T], Mme [J] [D], M. [X] [D] et Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D] ainsi que le syndicat SUD des Services Postaux Parisiens acceptent ce désistement ce qui le rend parfait.
Il convient en conséquence de constater le désistement de la société La Poste de son appel du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 avril 2015.
Sur l'allégation de harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Aux termes de l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.
En l'espèce, les ayants droit de M. [D] font valoir qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de son responsable hiérarchique, Monsieur [N], qui le réquisitionnait systématiquement et de façon discriminatoire pour aller chercher des véhicules 'mutualisés', sous la menace de sanctions.
Les appelants produisent la lettre que M. [D] avait adressée par voie recommandée le 12 avril 2008 à la Direction de l'entreprise, se plaignant du comportement de M. [N], responsable du parc automobile à son égard, expliquant que ce dernier s'acharnait sur lui et ne le respectait pas. Plus précisément, il exposait que, le 10 avril, M. [N] lui avait donné un ordre injuste et l'avait menacé de sanction en cas de refus de sa part. Il ajoutait avoir été insulté par M.[N], et que ce dernier l'obligeait à accomplir des tâches ne lui incombant pas et ne lui permettait de prendre sa pause qu'une demi-heure avant son départ.
Le 12 novembre 2010, M. [D] écrivait à nouveau à la Direction et exposait que M. [N] avait émis des menaces à son encontre au motif qu'il s'était plaint de son comportement ; il ajoutait avoir plusieurs fois vainement alerté la direction sur les difficultés qu'il déclarait rencontrer et qu'il qualifiait de harcèlement moral.
Les appelants produisent également une attestation de M. [Z], collègue, qui déclare avoir, au mois de mars 2010, vu et entendu M. [N] dire à M. [D] 'tu te le mets dans le cul' et que le 12 novembre 2010, il est allé demander à M. [N] d'essayer d'accélérer la réparation du camion de M. [D] et que M. [N] lui a répondu '[A] devrait se méfier parce que sept supérieurs dont Mme [Y] sont prêts à porter plainte contre lui parce qu'il envoie toujours des courriers à la DOCT PARIS SUD'.
Les appelants déclarent que M. [D] a fait une tentative de suicide le 14 novembre 2010,et produisent un rapport médical du 14 novembre 2010, faisant état d'une intoxication médicamenteuse, ainsi qu'un courrier de sa fille du 15 novembre, expliquant à la Direction qu'il ne pourra pas se rendre au travail puisqu'il avait tenté de mettre fin à ses jours suite à une relation conflictuelle rencontrée sur son lieu de travail.
Ils produisent une pétition signée par cinq salariés au mois de mai 2011, se plaignant des 'injures et comportements irrespectueux' de M. [N] à l'encontre des agents et notamment de M. [D].
Les appelants versent également aux débats une lettre du 27 juillet 2011, aux termes de laquelle la Direction mettait en garde M. [N] contre ses propos déplacés ou vulgaires et l'engageait à adopter un comportement courtois.
Par lettre du 12 juin 2012, la 'médiatrice de la vie au travail' exposait à M. [D] qu'elle avait été saisie par lui le 27 mars précédent mais qu'elle ne pouvait donner suite à sa requête au motif qu'il avait également saisi le conseil de prud'hommes.
Par lettre du 23 septembre 2012, M. [D] se plaignait d'être toujours victime de l'acharnement de M. [N]. Par lettre du 25 septembre 2012, la Direction lui répondait que la décision reprochée à M.[N] avait été prise en sa qualité de responsable du parc automobile et non pas comme son supérieur.
Par lettre du 21 décembre 2012, M. [D] exposait à la Direction que M. [N] lui avait déclaré : 'tu te prends pour qui, syndicaliste de merde. Tu te crois protégé mais méfie toi'.
Par lettre du 18 avril 2013, M. [D] écrivait à nouveau à la direction pour se plaindre de faits de harcèlement moral de la part de M. [N] (affectation à des tâches non conformes à son contrat de travail, injures grossières réitérées, menaces, abus de pouvoir) mais également d'autres responsables.
Les appelants font également valoir que les nouveaux responsables hiérarchiques de M. [D] l'ont contraint à effectuer des tâches en méconnaissance de son statut de travailleur handicapé et des préconisations du médecin du travail.
Ils produisent à cet égard une lettre que M. [D] avait adressée le 24 mars 2014 au médecin du travail, pour expliquer que ses préconisations n'avaient pas été respectées, ce qui avait entraîné le 21 mars une rechute d'accident du travail et un arrêt de travail.
Le 26 mai 2014, à l'occasion de la visite de reprise, le médecin du travail a déclaré M. [D] apte avec restrictions, mentionnant notamment : 'peut collecter les clients à faible trafic en moyenne un bac/client".
Par lettre du 23 juin 2014, M. [D] se plaignait à nouveau de l'inobservation des préconisations du médecin du travail et demandait en conséquence un reclassement provisoire sur un autre poste.
Par lettre du 4 novembre 2014, il se plaignait du comportement de son supérieur hiérarchique, M. [S], lui reprochant de remettre en cause les préconisations du médecin du travail.
M. [D] a fait l'objet d'un licenciement notifié le 11 février 2015, lui reprochant notamment de refuser de traiter deux bacs par client.
Il s'est suicidé le 12 juillet 2015.
Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Il incombe dès lors à la société La Poste de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société La Poste fait valoir que la phrase 'tu te le mets dans le cul' proférée par M. [N] à son encontre est incontestablement grossière mais ne se voulait absolument pas insultante, qu'il s'agit d'une expression, certes peu distinguée, parfois utilisée par des personnes pour répondre à une question, considérée comme superflue, qui se voulait humoristique, peut être ironique, mais certainement pas humiliante et injurieuse.
Elle ajoute que, consciente que M. [D] avait mal vécu ce propos, le Directeur du centre a réuni les parties en mai 2008, pour que chacun puisse s'expliquer et qu'à la suite du deuxième incident de mars 2010, la nouvelle directrice du centre a pris la précaution de changer le supérieur hiérarchique de M. [D], réduisant ainsi leurs relations et le 27 juillet 2011, a adressé à M. [N] une mise en garde sur son langage. La société La Poste produit le compte rendu d'évaluation de M. [D] par M. [N] le 2 avril 2008, comportant des appréciations élogieuses à son égard.
Cependant, il résulte de l'exposé qui précède que M. [D] s'est plaint à plusieurs reprises, témoignages à l'appui, d'injures réitérées de la part de M. [N] à son encontre.
Concernant les griefs relatifs au convoyage, la société La Poste expose qu'il ne s'agissait que de tâches ponctuelles et qui entraient dans les pouvoirs normaux d'un supérieur hiérarchique.
Concernant le grief relatif à la réparation du camion, la société La Poste expose que M. [N] a immédiatement commandé la pièce nécessaire et a proposé à M. [D] de changer de camion, ce que ce dernier a refusé ; elle ne rapporte toutefois pas la preuve de cette dernière allégation.
Par ailleurs, la société La Poste expose que les directeurs successifs du centre et la Direction de l'entreprise ont toujours pris au sérieux les propos de M. [D] et ont toujours réagi à ses plaintes et ajoute qu'il en a été ainsi dès le premier incident avec M. [N], sans toutefois en rapporter la preuve.
Elle fait ensuite valoir qu'à la suite du deuxième incident, la Directrice du centre, qui s'était entretenue longuement avec le salarié, a changé son supérieur hiérarchique de telle sorte qu'il ne dépendait plus de Monsieur [N].
Il résulte cependant de l'exposé qui précède, que M. [D] a continué à travailler avec M. [N] et à se plaindre de son comportement à son égard.
La société La Poste fait également valoir que M. [D] a bénéficié d'un soutien médical particulier au sein de La Poste et produit à cet égard des convocations d'un service de médecine du travail, qu'il a rencontré à plusieurs reprises, de l'assistante sociale de La Poste et souligne qu'il a été reçu régulièrement en entretien par la Directrice du centre.
Elle ajoute qu'à la réception de la lettre du 12 novembre 2010, aux termes de laquelle M. [D] employait le terme de 'harcèlement moral', elle a immédiatement ouvert un protocole de harcèlement moral et a mené une enquête très sérieuse, le CHSCT ayant été immédiatement saisi ; elle produit à cet égard une lettre du 17 novembre 2010 aux termes de laquelle elle annonçait à M. [D] la 'mise en place d'un dispositif d'intervention', une lettre du 30 décembre 2010 lui indiquant que les entretiens s'étaient déroulés et le conviant à un entretien avec la directrice des ressources humaines, ainsi qu'une lettre du 28 juillet 2011, lui exposant que les intervenants du groupe pluri-disciplinaire dans le cadre du protocole d'intervention relatif au harcèlement moral avaient conclu que les faits portés à leur connaissance ne relevaient pas du harcèlement moral.
Cependant, la société La Poste ne produit aucun compte rendu d'entretien ou de réunion permettant d'établir dans quelles circonstances ce groupe se serait réuni, ni par quels motifs le groupe en question aurait conclu à l'absence de harcèlement moral et même d'établir la réalité d'une telle conclusion.
A cet égard, la lettre du 17 novembre 2010 aux termes de laquelle M. [F], encadrant, déclarait que, le 12 novembre, il avait quitté M. [D] qui était souriant et qu'il n'avait rencontré aucun problème pendant les jours précédents, est insuffisante pour contredire les éléments concordants apportés par les appelants. Il en est de même des courriels internes d'avril et mai 2011, indiquant que la reprise de travail de M. [D] s'était bien passée et qu'il semblait satisfait de son travail.
Enfin, contrairement à ce que prétend la société La Poste, ni le fait que l'inspection du travail, n'a pas estimé opportun de poursuivre, ni le fait que la plainte pénale déposée par la fille de M.[D] n'a pas abouti, ni que la CPAM de [Localité 9] a refusé de considérer la tentative de suicide et les arrêts de maladie qui ont suivi comme une maladie professionnelle ne suffisent à contredire utilement les éléments concordants produits par les appelants.
En conséquence, la cour retient que la société La Poste ne prouve pas que les faits invoqués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la réalité du harcèlement moral est établie.
Par leur durée et leur réitération, ces faits ont causé à M. [D] un préjudice qu'il convient d'évaluer à 20 000 euros.
Le jugement du 12 juin 2013 est infirmé à ce titre.
Sur le licenciement
Il résulte des dispositions des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail qu'est nul le licenciement prononcé au motif que le salarié a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 11 février 2015, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L. 1232-6 du code du travail alors applicables, reproche tout d'abord à M. [D] d'avoir refusé à plusieurs reprises de traiter l'intégralité du courrier d'entreprises relevant de sa tournée et plus précisément, de ne prendre en charge qu'un bac de courrier sur deux.
Cependant, il résulte des considérations qui précèdent que le reproche fait à l'employeur de ne pas respecter les préconisations du médecin du travail du 26 mai 2014, qui préconisait 'en moyenne un bac/client' constitue l'un des éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
En second lieu, la lettre de licenciement reproche à M. [D] des propos injurieux à l'encontre de sa hiérarchie, à savoir avoir dit à son responsable qu'il était 'payé pour réfléchir'. Ces propos s'inscrivent dans le cadre d'un conflit ancien entre M. [D] et sa hiérarchie dans un contexte de harcèlement moral avéré.
Il en résulte que le licenciement est fondé sur le comportement du salarié résultant du harcèlement qu'il a subi.
Dès lors, il est établi que le licenciement de M. [D] est motivé par le fait qu'il a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral de sorte qu'il sera déclaré nul.
Les ayants droit de M. [D] sont donc fondés à obtenir paiement d'une indemnité au moins égale aux six derniers mois de salaire.
Au moment de la rupture, M. [D], âgé de 55 ans, comptait 7 ans d'ancienneté. Son dernier salaire brut mensuel s'élevait à 1 416,53 euros.
Au vu de ces éléments, il convient d'évaluer le préjudice résultant de ce licenciement nul à la somme de 15 000 euros au paiement de laquelle la société La Poste sera condamnée.
Sur la demande de prime d'habillage
Les frais exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent être supportés par ce dernier. Il en résulte que l'employeur doit assumer la charge de l'entretien de vêtements de travail dont le port est obligatoire et inhérent à l'emploi exercé.
Le conseil de prud'hommes a rejeté la demande de remboursement de frais d'entretien formée par M. [D], au motif que la seule disposition normative relative à la tenue des agents de La Poste est l'article 17 du règlement intérieur visant les tenues obligatoires en cas de conditions climatiques exceptionnelles et que M. [D] n'indiquait ni avoir bénéficié d'une tenue particulière, ni justifier les frais de nettoyage qu'il aurait engagés.
En cause d'appel, les appelants ne développent aucune argumentation au soutien de leur demande de 'prime d'habillage' de même montant et doivent donc en être déboutés.
La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.
Sur les frais irrépétibles
La société La Poste qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens. Elle sera en outre condamnée à payer aux ayants droit de M. [D] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande à ce titre.
Le jugement du 13 juin 2013 sera infirmé pour ce qui concerne les frais irrépétibles à l'égard de M. [D] et les dépens.
Sur le cours des intérêts
Il sera rappelé qu'en application de l'article 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Constate le désistement de la société La Poste de son appel du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 avril 2015,
Infirme le jugement du 12 juin 2013 mais seulement en ce qu'il a débouté M. [A] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande au titre des frais irrépétibles,
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société La Poste à payer à Mme [U] [T], à Mme [J] [D], à M. [X] [D] et à Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D] la somme de :
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
Confirme le jugement du 12 juin 2013 pour le surplus,
Y ajoutant,
Déclare nul le licenciement de Monsieur [A] [D],
Condamne la société La Poste à payer à Mme [U] [T], Mme [J] [D], M. [X] [D] et Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D] la somme de :
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Condamne la société La Poste à payer à Mme [U] [T], Mme [J] [D], M. [X] [D] et Mme [V] [D] en qualité d'ayants droit de M. [A] [D] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 de code de procédure civile,
Rappelle que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société La Poste aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE