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15/06/2022 | FRANCE | N°20/12198

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 15 juin 2022, 20/12198


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 15 JUIN 2022



(n° 106/2022, 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/12198 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCI2C



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2020 - Tribunal Judiciaire de CRETEIL 3ème chambre civile - RG n° 17/08584





APPELANT



Monsieur [Z] [UT]

Né le 02 Septembre 1960 à [Localité 8]

Demeura

nt [Adresse 3]

[Localité 6]



Représenté par Me Marion CHARBONNIER de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947

Assisté de Me Anthony CHURCH, avocat au b...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 15 JUIN 2022

(n° 106/2022, 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/12198 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCI2C

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2020 - Tribunal Judiciaire de CRETEIL 3ème chambre civile - RG n° 17/08584

APPELANT

Monsieur [Z] [UT]

Né le 02 Septembre 1960 à [Localité 8]

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Marion CHARBONNIER de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947

Assisté de Me Anthony CHURCH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0963

INTIMEES

SAS SOCIETE FINANCIERE D'EXPERTISE COMPTABLE - SOFINEX

Société au capital de 8 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CRETEIL sous le numéro 439 319 351

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Assistée de Me Augustin ROBERT de la SELARL GRAMOND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101

S.A.S.U. COCODE

Société au capital de 5 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 825 .406.598

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440

Assistée de Me Jérémie NUTKOWICZ, avocat au barreau de PARIS, toque : C0323

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société FINANCIERE EXPERTISE COMPTABLE (dite SOFINEX) a été créée, sous la forme d'une SARL, le 8 octobre 2001 par MM. [E] [K] et [GP] [U], experts-comptables, et M. [Z] [UT], comptable.

M. [UT] a été salarié au sein de cette société, dont le gérant était M. [K].

La société SOFINEX indique que M. [UT] assurait la gérance de fait de la société.

Le 10 septembre 2016, la société SOFINEX (SARL) a été transformée en société par actions simplifiée (SAS) lors d'une assemblée générale extraordinaire.

Le 9 janvier 2017, dans un contexte de tensions entre associés, M. [K] a cédé l'ensemble de ses actions à M. [U], celui-ci devenant actionnaire majoritaire.

Le 19 janvier 2017, M. [UT] a été mis à pied, puis, le 3 février 2017, licencié pour faute grave par la société SOFINEX. Par jugement du 21 mai 2019, le conseil de prud'hommes, saisi par M. [UT], l'a débouté de ses demandes. Un appel a été formé contre ce jugement, actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.

Invoquant la commission de manoeuvres déloyales par M. [UT] sous couvert d'une société-écran COCODE créée par lui et ayant pour objet la réalisation de prestations informatiques, la société SOFINEX a été autorisée, par ordonnance sur requête rendue le 3 juillet 2017 par le président du tribunal de grande instance de Créteil, à faire effectuer un constat d'huissier de justice dans les locaux de cette société. Le constat a été établi le 7 juillet 2017.

Par actes des 13 juillet et 19 juillet 2017, la société SOFINEX a fait assigner la société COCODE et M. [UT] devant le tribunal de grande instance de Créteil, en concurrence déloyale.

Par ordonnance sur requête du 1er février 2018 du président du tribunal de grande instance de Créteil, la société SOFINEX a ensuite été autorisée à faire effectuer un deuxième constat d'huissier dans les locaux de la société AZ EXPERTISE COMPTABLE, qui aurait été créée à l'initiative de M. [UT] pour faciliter ses agissements, et dont il est l'un des salariés, en qualité de directeur administratif, depuis le 10 janvier 2018.

Par acte du 19 mars 2018, la société SOFINEX a fait assigner la société AZ EXPERTISE COMPTABLE en intervention forcée.

Les deux procédures ont été jointes.

Par ordonnance sur requête rendue le 10 mai 2019 par le président du tribunal de grande instance de Bobigny, la société SOFINEX a été autorisée à faire effectuer un troisième constat d'huissier dans les locaux de la société d'expertise-comptable FID GESTION, à laquelle M. [UT] aurait recouru pour la commission des agissements prétendus, et dont elle indique avoir eu connaissance au cours de la procédure de première instance.

La société SOFINEX indique que des plaintes ont été déposées au plan pénal contre M. [UT] par MM. [U] et [K], notamment pour abus de confiance ou abus de biens sociaux, outre une plainte déposée par l'Ordre des experts-comptables pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable, et que M. [UT] a été condamné de ces deux chefs par jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 14 janvier 2021.

Par jugement rendu le 19 juin 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a :

- condamné in solidum la société COCODE et M. [Z] [UT] à payer à la société SOFINEX la somme de 228 000 euros, se décomposant comme suit :

- 140 000 euros au titre d'une perte de clientèle ;

- 88 000 euros au titre d'un préjudice commercial ;

- débouté la société SOFINEX de ses demandes formées à l'encontre de la société AZ EXPERTISE COMPTABLE ;

- condamné in solidum la société COCODE et M. [UT] au paiement à la société SOFINEX de la somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile ;

- condamné la société SOFINEX à payer à la socité AZ EXPERTISE COMPTABLE la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la société COCODE et M. [UT] aux dépens, dont distraction au profit de l'avocat de la société SOFINEX, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 18 août 2020, M. [UT] a interjeté appel de ce jugement, assignant les sociétés SOFITEX et COCODE.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 10 janvier 2022, M. [UT] demande à la cour :

- de déclarer M. [UT] recevable et bien fondé en son appel,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné solidairement avec la société COCODE à payer à la société SOFINEX la somme de 228 000 €, soit 140 000 € au titre d'une perte de clientèle et 88.000 € au titre d'un préjudice commercial,

- en conséquence,

- de débouter la société SOFINEX de l'intégralité de ses demandes,

- de condamner la société SOFINEX à payer à M. [UT] une somme de 15 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 12 mai 2021, la société SOFINEX demande à la cour :

- de confirmer le jugement de 1ère instance en ce qu'il a reconnu la responsabilité de la société COCODE et de M. [UT] in solidum au titre du dénigrement, et de la désorganisation découlant de démarches déloyales,

- d'infirmer le jugement de 1ère instance en ce qu'il n'a pas reconnu la responsabilité de la société COCODE et de M. [UT] in solidum au titre de la désorganisation découlant des vols notamment avec violence, du piratage du système permettant l'accès aux portails officiels et le démarchage faisant suite au vol du fichier client,

- d'infirmer le jugement de 1ère instance en ce qu'il n'a pas retenu la responsabilité de de la société COCODE et de M. [UT] in solidum au titre préjudice découlant de la confusion,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a arrêté un montant de préjudice limité fondé sur le dénigrement et la désorganisation,

- et statuant à nouveau,

- de constater la responsabilité de la société COCODE et de M. [UT] in solidum au titre de la désorganisation découlant des faits de vols avec violence, du piratage du système informatique permettant l'accès aux portails officiels,

- de constater la responsabilité de la société COCODE et de M. [UT] in solidum découlant de la confusion,

- par voie de conséquence,

- de condamner solidairement, la société COCODE et M. [UT] à payer à SOFINEX la somme totale de 984 000 euros, qui se décompose comme suit :

1. Préjudice pour la perte de l'ensemble des clients détournés : 700 000€

2. Préjudice relatif à la désorganisation : 34 000 €

3. Préjudice relatif à la campagne de dénigrement sur l'ensemble de la clientèle de SOFINEX de : 250 000 €

- 'd'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir',

- de condamner solidairement et in solidum la société COCODE et M. [UT] à payer solidairement au requérant la somme de 10 000 euros en remboursement des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, avec application au

profit du conseil du concluant de l'article 699 du code de procédure civile,

- de dire que si le débiteur ne s'exécute pas spontanément, les honoraires d'huissier calculés conformément aux dispositions de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996, modifié par le décret du 8 mars 2001 seront à la charge du débiteur.

Dans ses dernières conclusions transmises le 29 avril 2021, la société COCODE demande à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondée la société COCODE en son appel incident,

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société COCODE solidairement avec M. [UT] à payer à la société SOFINEX la somme de 228 000 €, soit 140 000 € au titre d'une perte de clientèle et 88 000 € au titre d'un préjudice commercial,

- statuant à nouveau,

- de débouter la société SOFINEX de l'intégralité de ses demandes,

- y ajoutant,

- de déclarer la société SOFINEX mal fondée en son appel incident et de l'en débouter,

- de déclarer irrecevables et mal fondées toutes autres demandes, plus amples ou contraires,

- de condamner la société SOFINEX à payer à la société COCODE une somme de 15 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 8 mars 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs non critiqués du jugement

La société AZ EXPERTISE COMPTABLE n'a pas été intimée par l'appelant et aucun appel incident n'a été formé à son encontre, cette société n'étant donc plus dans la cause devant la cour.

Le jugement est par conséquent désormais définitif en ce qu'il a :

- débouté la société SOFINEX de ses demandes formées à l'encontre de la société AZ EXPERTISE COMPTABLE,

- condamné la société SOFINEX à payer à la société AZ EXPERTISE COMPTABLE la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les faits de concurrence déloyale reprochés à la société COCODE et à M. [UT]

La société SOFINEX soutient qu'à la suite d'un différend entre les associés et le licenciement de M. [UT], ce dernier a entrepris de détourner l'intégralité de sa clientèle grâce (i) au vol de fichiers et dossiers clients de son ancien employeur, (ii) à la création d'une première société écran dénommée COCODE de prestations informatiques fournissant en réalité des prestations comptables, (iii) à la création d'une deuxième société écran d'expertise comptable AZ EXPERTISE COMPTABLE visant à offrir une apparence de légalité au système déloyal de détournement de clientèle initié et (iv) à la création d'une troisième société écran COFODE, officiellement société de formation, mais permettant en fait de re-facturer de façon occulte les clients détournés. Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'actes de dénigrement et la désorganisation ayant découlé de démarches déloyales mises en oeuvre par M. [UT], mais son infirmation en ce qu'il a rejeté les griefs relatifs au risque de confusion. Sur ce dernier point, elle fait valoir que M. [UT] a détourné ses clients en se présentant comme l'émanation ou la continuité de la société SOFINEX, affirmant aux clients qu'il assurait les mêmes prestations que SOFINEX et se présentant comme un expert-comptable, de sorte que les clients ne savaient pas pour qui M. [UT] travaillait, SOFINEX, COCODE ou AZ EXPERTISE, la confusion étant aggravée par le débauchage de ses salariés et l'installation de M. [UT] dans les locaux qu'elle-même occupait précédemment à [Localité 5]. En ce qui concerne le dénigrement, elle argue de l'envoi à ses clients de courriers par M. [UT] évoquant le comportement répréhensible et la mauvaise gestion de la société et des poursuites engagées contre elle pour propos diffamatoires, de nature à jeter le discrédit sur elle et à faire naître l'inquiétude de ces clients. En ce qui concerne la désorganisation, elle invoque le détournement répétitif et systématique de clientèle, des faits de violence commis sur la personne de son président par M. [UT] qui s'est introduit dans ses locaux pour y récupérer un dossier, ainsi que des actes de piratage informatique.

M. [UT] soutient en premier lieu qu'il n'est pas démontré qu'il exercerait une activité d'expertise-comptable comparable à celle de la société SOFINEX, dès lors que lui-même ne peut exercer une telle activité n'étant pas expert-comptable, que la société COCODE, créée seulement pour externaliser le traitement de la paie de la société SOFINEX, a cessé toute activité en janvier 2018 et fait l'objet d'une mise en sommeil et qu'il n'exerce pas une activité d'expertise-comptable au sein de la société AZ, mise hors de cause par le tribunal, dans laquelle il ne détient ni action ni mandat social. Il conteste en deuxième lieu le dénigrement reproché, arguant que son courrier du 3 mars 2017 ne faisait que répondre à un communiqué de M. [U] à l'ensemble de la clientèle le mettant en cause et démentir les accusations portées contre lui, alors que son courrier circulaire du 18 décembre 2017 ne faisait que rapporter des faits objectifs sans dénoncer la mauvaise gestion de la société SOFINEX ni inciter les clients à la quitter. Il prétend en troisième lieu qu'aucun détournement de clientèle ayant pour conséquence de désorganiser la société SOFINEX ne peut être retenu à son encontre, faisant valoir que le fichier clients dont le vol lui est imputé était accessible à tous les salariés de la société SOFINEX, qu'il avait lui-même une parfaite connaissance de la clientèle, apportée à plus de 80 % grâce à lui, et que le jour des faits de violence allégués, il était venu simplement récupérer le dossier d'une société dont il était le gérant ; qu'alors qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce celle d'un ancien employeur, est libre, il ressort de nombreux courriers, attestations ou extraits de la procédure pénale produits aux débats que les clients de la société SOFINEX l'ont quittée spontanément en raison de dysfonctionnements ou de la mauvaise qualité des services rendus. Il argue enfin que c'est à juste raison que le tribunal a rejeté le grief relatif à la création d'un risque de confusion avec la société SOFINEX grâce à la société COCODE, faisant valoir que les déclarations de trois clients citées par la société SOFINEX ont été tronquées et qu'il ne peut être tiré aucune conséquence du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil du 14 janvier 2021 compte tenu de l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

La société COCODE indique qu'elle a cessé toute activité et été mise en sommeil le 31 janvier 2018. Elle conteste avoir exercé une activité d'expertise-comptable comparable à celle de la société SOFINEX, de sorte que les deux sociétés se seraient trouvées en situation de concurrence. Elle conteste également le démarchage déloyal de la clientèle de la société SOFINEX, faisant valoir que les clients ayant quitté cette société l'ont tous fait spontanément en raison de leur mécontentement, des agissements de son président et des changements intervenus dans le traitement de leurs dossiers ; que l'indication sur un classeur 'COCODE Récupération anciens clients SOFINEX + Courriers + BDD Clients SOFINEX' concerne ces clients ayant spontanément quitté la société SOFINEX pour lui confier la saisie de leur comptabilité en attendant de trouver un expert-comptable ; que de même, tous les clients visés dans la facture de présentation de clientèle entre la société COCODE et la société AZ EXPERTISE ont quitté spontanément la société SOFINEX. Elle soutient également qu'aucune désorganisation de la société SOFINEX n'est démontrée.

Sur la création d'une confusion entre les sociétés SOFINEX et COCODE

C'est à juste raison que le tribunal a retenu qu'il est rapporté la preuve par la société SOFINEX que M. [UT], bien que sans aucun lien de droit avec la société COCODE, dont il n'était ni l'associé, ni le mandataire social, ni le salarié, a exercé une activité effective d'administration, de gestion et de direction engageant cette société, dont il était en réalité le gérant de fait. Il ressort en effet du procès-verbal de constat réalisé dans les locaux de la société COCODE le 7 juillet 2017 que M. [UT] se trouve dans les locaux alors qu'il prétend ne pas y travailler, qu'il dispose d'un bureau personnel et d'un ordinateur lié à une session informatique d'administrateur enregistrée au nom de 'COCODE', que des clients s'adressent à lui directement pour la gestion de leur dossier, que M. [UT] signe occasionnellement 'M. [UT], COCODE', qu'une salarié présente indique que M. [UT] exerçait une fonction de direction (Mme [B] : 'Je suis secrétaire. C'est Monsieur [UT] qui me donne les tâches que je dois faire (...) Monsieur [UT] dirige la société COCODE, c'est le patron'). Par ailleurs, dans le cadre d'une enquête pénale concernant une plainte pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable, ont été recueillies plusieurs déclarations desquelles il ressort que M. [UT] assurait de fait la direction de la société COCODE (M. [VR], dirigeant d'une société en relation d'affaires avec COCODE, M. [V] [CM] et Mme [X], salariés de la société COCODE).

Le procès-verbal de constat du 7 juillet 2017 et les pièces de l'enquête pénale montrent également que la société COCODE, bien que proposant, au vu de son extrait Kbis, des 'prestations informatiques', assurait en réalité des prestations comptables, notamment pour d'anciens clients de la société SOFINEX, et était perçue comme telle par ses propres salariés (Mme [X] , Mme [M], M. [V] [CM]) et clients (M. [N]).

Pour autant, c'est à juste titre que le tribunal a écarté le grief relatif à la confusion qu'aurait créée et entretenue, auprès de la clientèle, M. [UT] et la société COCODE entre leurs activités et celles de la société SOFIDEX. En effet, les trois clients sur les déclarations desquels la société SOFIDEX fonde son grief, MM. [A], [N] et [W], ont fait état, lors de leurs auditions dans le cadre de l'enquête pénale, de leur ignorance quant aux liens entre M. [UT] et la société COCODE ou quant à l'identité du dirigeant de la société COCODE, du fait que M. [UT] assurait les mêmes prestations au sein de la société COCODE que celles exercées précédemment au sein de la société SOFIDEX ou que les honoraires de la société COCODE devaient être les mêmes que ceux de la société SOFINEX, ce qui ne démontre pas une confusion délibérément créée ou entretenue par M. [UT] ou la société COCODE. La lecture de leurs déclarations montre également que ces trois clients n'ignoraient pas que M. [UT] n'était pas expert-comptable et qu'il n'exerçait plus au sein de la société SOFIDEX et qu'ils distinguaient parfaitement les sociétés SOFIDEX et COCODE, cette dernière étant clairement perçue comme la nouvelle entité au sein de laquelle M. [UT] exerçait son activité après son départ de la société SOFIDEX. En outre, comme l'a relevé le tribunal, la clientèle de la société SOFINEX avait été en grande partie informée, notamment par lettre circulaire adressée par M. [UT], du fait qu'il avait été licencié, et dans le cadre de son activité de gérant de fait de la société COCODE, ce dernier a utilisé une adresse mail comportant le nom de cette société et signé des messages en le précisant également.

Il sera ajouté que dans le contexte très conflictuel existant entre la société SOFINEX et M. [UT], la circonstance que la société COCODE a été installée dans les locaux précédemment occupés par la société SOFINEX, que M. [UT], bailleur, a repris à son ancien employeur après son licenciement, ne peut être retenue à faute à l'encontre des appelants.

Enfin, la condamnation de M. [UT] par jugement du tribunal correctionnel de Créteil du 14 janvier 2001, dont il justifie avoir interjeté appel, pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable ne peut suffire à établir l'existence de la confusion alléguée qui ne peut être examinée qu'au regard des circonstances de l'espèce.

Sur les faits de dénigrement

Le dénigrement consiste, au delà d'une forme de critique admissible parce qu'objective et mesurée, à porter atteinte à l'image d'une entreprise ou d'un produit, désignés ou identifiables, afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles, ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis afin de toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur.

En l'espèce, il ressort du procès-verbal précité établi à la suite du constat dans les locaux de la société COCODE, le 7 juillet 2017, que dans un classeur intitulé 'COCODE Récupération anciens clients SOFINEX + Courriers + BDD Clients SOFINEX', a été trouvé un courrier dactylographié en date du 3 mars 2017 adressé par M. [UT] à 55 clients, indiquant :

'Cher Monsieur, (ou chère Madame)

Par la présente, je tiens à vous informer qu'à la suite de mon éviction de la société SOFINEX, j'envisage des poursuites judiciaires contre la nouvelle direction pour propos diffamatoires.

En effet, suite au mail d'avertissement que Monsieur [U] et Madame [T] ont adressé à certains d'entre vous et des propos qu'ils ont tenus à mon égard, vous comprendrez que je ne puis laisser les choses en état et vous invite à faire de même pour le cas ou leur comportement à votre égard serait également répréhensible.

Je tiens à vous préciser par ailleurs que le motif de mon licenciement n'est pas le détournement ou la fraude, comme on a pu vous le laisser entendre.

Si vous souhaitez me contacter ou me rencontrer, je me tiens à votre entière disposition. Veuillez agréer, chère Monsieur (ou chère Madame), l'expression de mes sentiments dévoués et distingués.

Monsieur [UT]'

C'est à juste raison que les premiers juges ont retenu que ce courrier comporte des propos excédant la seule volonté de M. [UT] d'informer les destinataires des circonstances de son licenciement et de son projet d'engager une action judiciaire à l'encontre de son ancien employeur et caractérisent son intention de dénigrer la société SOFINEX auprès de ses clients. Le tribunal a relevé pertinemment, en effet, que si le fait d'exposer le différend l'opposant à la société SOFIDEX ne constituait pas en soi un dénigrement, le fait d'inviter ces clients à engager des poursuites judiciaires à l'encontre des dirigeants de celle-ci en cas de comportement 'également répréhensible' de leur part, est de nature, non seulement à provoquer une inquiétude dans l'esprit des destinataires mais également à jeter le discrédit sur les dirigeants de cette société et par conséquent sur la société elle-même.

Par ailleurs, il est établi que M. [UT] a adressé un courrier, en date du 18 décembre 2017, à deux clients dans lequel il indique : 'Enfin, j'ai pu savoir que depuis mon départ, de nombreux clients ont souhaité également quitté le cabinet. Toutefois, ils ont dû payer des honoraires concernant des travaux non effectués ou n'ont pas pu récupérer la totalité de leur comptabilité, ce qui les a contraints à en informer le Procureur de la République'. Comme l'ont retenu les premiers juges, les accusations ainsi portées contre la société SOFIDEX mettent en cause sa probité et révèlent l'intention de M. [UT] de la discréditer auprès de sa clientèle. Le tribunal a en outre exactement retenu que l'exceptio veritatis n'étant pas admise en matière de concurrence déloyale, il est indifférent que les propos tenus soient exacts ou non, dès lors qu'ils démontrent une volonté d'atteindre l'image d'un concurrent auprès de sa clientèle.

L'existence de faits de dénigrement de nature à engager la responsabilité de M. [UT] et de la société COCODE est donc caractérisée.

Sur la désorganisation de la société SOFINEX

Il ressort des pièces au dossier que postérieurement à son licenciement, M. [UT] s'est introduit à deux reprises dans les locaux de la société SOFINEX afin d'y récupérer des documents, le 31 mars 2017, pour y prendre une 'boîte de comptabilité' et un dossier de paye d'une société MFL COIFFURE, dont il était le gérant, et le 2 juin 2017, pour récupérer un dossier [R], agressant le dirigeant, M. [U], violences pour lesquels M. [UT] a été condamné par le tribunal de police de Créteil par jugement du 1er juin 2018 confirmé par la cour d'appel de Paris. La circonstance que la société MLF COIFFURE était gérée par M. [UT] est inopérante, le dossier restant la propriété de la société SOFINEX.

Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de constat précité que la société COCODE a demandé en mars 2017, via l'adresse [Courriel 7], le changement du mot de passe net.entreprises de la société SOFINEX, ce qui a nécessairement gêné l'entreprise dans son fonctionnement (du 7 au 12 mars 2017 selon l'intimée).

La désorganisation de la société SOFINEX est ainsi établie.

Sur le démarchage systématique de la clientèle de la société SOFINEX

Il est constant que le démarchage de la clientèle d'un ancien employeur par un salarié non tenu par une clause de non concurrence est licite et qu'il n'en va autrement que lorsque ce démarchage s'accompagne de man'uvres déloyales et contraires aux usages du commerce.

En l'espèce, le tribunal a retenu à juste raison que le procès-verbal de constat d'huissier du 7 juillet 2017 démontre à suffisance que M. [UT] et la société COCODE ont procédé à un démarchage systématique et déloyal de la clientèle de la société SOFINEX. En attestent : la lettre circulaire du 17 janvier 2017 (avant la mise à pied) intitulée 'Lettre d'information', adressée par M. [UT] sur papier à en-tête de la société SOFINEX, pour informer les clients du fait qu'à la suite d'une modification de la répartition du capital de la société SOFINEX, il ne pourrait plus exercer ses fonctions très prochainement, leur rappelant la possibilité de changer de cabinet et communicant son numéro de téléphone 'pour plus amples informations' ; l'envoi de la lettre circulaire précitée du 3 mars 2017 adressée par M. [UT] à 55 clients ; la découverte lors du constat d'huissier réalisé dans les locaux de la société COCODE d'un classeur 'COCODE Récupération anciens clients SOFINEX + Courriers + BDD Clients SOFINEX' contenant une feuille intitulée 'COCODE Récupération d'anciens clients SOFINEX Classement alphabétique'; 43 lettres de résiliation adressées à la société SOFINEX par des clients, comportant, pour certaines, la même mise en page, les mêmes formules ou erreurs, plusieurs ayant été postées dans la commune de résidence de M. [UT], les numéros de souches de recommandé avec accusé de réception se suivant pour certaines, ce qui est de nature à indiquer que M. [UT] est l'auteur d'une partie des envois.

La déloyauté du démarchage mis en oeuvre par M. [UT] est caractérisée par son ampleur, par l'utilisation du papier à en-tête de la société SOFINEX (envoi du 17 janvier 2017 précédant la mise à pied), par le recours au dénigrement de son ancien employeur (lettre circulaire du 3 mars 2017) et aussi par la déclaration faite par M. [UT] à l'huissier de justice chargé du constat le 7 juillet 2017 : 'Je suis à quelques années de la retraite donc j'ai rien à gagner. Par contre je vais tout faire pour les couler. Je vais faire en sorte que tous les clients partent de SOFINEX'.

Il est cependant relevé que plusieurs des clients ayant quitté la société SOFINEX ont justifié leur décision par leur insatisfaction face aux prestations fournies ou à l'attitude du dirigeant de la société (groupe J.T.I. ('en raison des retards répétés dans la production de ces états [comptes consolidés] au-delà des délais légaux...') ; société A LA MODE DE BRETAGNE ('Suite à vos modifications tarifaires...') ; société SAO PEDRO DO SUL ('Depuis le départ de la personne qui suivait mon dossier, je n'arrive pas obtenir les renseignements que je demande et les documents fiscaux et comptables sont établis en retard') ; société ESTHETIQUE A SOUHAIT ('Depuis le début du congé maternité de Madame [H], j'ai le sentiment que vous ne prenez pas en considération mon dossier et que je n'ai pas le suivi nécessaire à la bonne gestion de mon entreprise. Je suis notamment dans l'attente de mon bilan que mon banquier me réclame') ; société LEMEC ('Suite à l'augmentation de mon tarif sans m'en avoir informé et prélevé la somme sans mon accord, j'ai décidé de quitter votre cabinet au 28 février 2017") ; société PARE-BRISE ('Depuis l'absence de [C] et de Monsieur [UT], je n'arrive plus à obtenir les réponses à mes différents mails. Comme vous le savez, mon entreprise est très loin de votre cabinet ce qui me fait perdre du temps au niveau de mes déplacements') ; société MB 94 AUTOMOBILES ('Vous êtes venus hier à mon entreprise pour me parler de votre nouvelle organisation, et vous n'avez fait que dire du mal de Mr [UT]. J'ai été choqué par vos propos et j'ai eu l'impression que [P] qui s'occupe de mon dossier n'avait pas le droit de parler') ; société BELLAVISTA ('Pendant tout le courant du mois de janvier, je n'ai cessé de vous solliciter pour obtenir de votre part des éléments comptables, à propos du bilan établi tardivement par vos soins, mais aussi à propos de données sociales, en outre concernant Malakoff Mederic avec des échéances qui sont à présent dépassées. Nous sommes le 6 février, je n'ai toujours pas les fiches de paie de janvier') ; Docteurs [O] ('A la suite de la réception du courrier recommandé AR émanant de mon centre de gestion Wagram laquelle me notifiait que vous n'aviez pas répondu dans les délais prévus à leurs différents courriers, nous avons pris la décision de mettre fin à vos missions. Nous ne comprenons pas cette situation d'autant plus qu'un autre courrier de mise en demeure envoyée par les services fiscaux pour une autre demande de document pour le CFE de mon épouse nous est parvenu en date du 19 janvier. Nous ne sommes aucunement concernés par vos problèmes internes en tant que clients'). Aucun élément ne permet de contester l'authenticité des motifs circonstanciés ainsi invoqués par ces clients pour expliquer leur départ du cabinet SOFINEX.

Sont par ailleurs fournies par M. [UT] plusieurs attestations de clients déclarant ayant quitté spontanément le cabinet SOFIDEX (Mme [NE], M. [F], M. [D], M. [L], société TRANSPORT JSJ, M. [I], M. [A] (dont l'attestation corrobore les déclarations faites à la police lors de l'enquête pénale précitée), Mme [J], M. [EY], M. [YC], certains précisant avoir quitté le cabinet en raison du départ de M. [UT] avec lequel ils avaient développé une relation de confiance au fil des années et auquel ils étaient particulièrement attachés (M. [L], sociétés [D] COUVERTURE, V12 AUTOMOBILE). Ces témoignages sont crédibles en raison de l'intuitu personae, non contesté, dont est empreinte la relation entre un client et son expert-comptable.

Ces éléments ne font pas disparaître la matérialité et l'importance du démarchage fautif entrepris par M. [UT] et la société COCODE, mais doivent conduire à en relativiser les conséquences lors de l'évaluation du préjudice de la société SOFINEX.

Sur la réparation

La société SOFINEX demande réparation de son préjudice sur les bases suivantes :

- 700 000 € pour le détournement de clientèle (sur la base du rapport de M. [S], expert-comptable, commissaire aux comptes et expert notamment près la cour d'appel de Paris),

- 34 000 € pour la désorganisation de l'entreprise, soit 16 000 € pour le piratage informatique (modification du mot de passe) et 18 000 pour le supplément de travail induit par la restitution des dossiers aux clients partants,

- 250 000 pour le dénigrement.

Elle fait valoir qu'il convient de prendre en considération, pour évaluer son préjudice, le nombre de clients détournés, la perte de chaque client générant un manque à gagner valorisable ; que les témoignages de clients justifiant leur départ par la découverte soudaine des carences du cabinet SOFIDEX ne sont pas sérieux et qu'en tout état de cause, le dénigrement et le démarchage entrepris ont pu les déterminer dans leur volonté de rompre leur contrat ; que M. [UT] a lui-même évalué son préjudice en faisant facturer par la société COFODE (dont il est l'actionnaire) la présentation de 102 clients à la société AZ EXPERTISE COMPTABLE pour un montant de 326 914,40 €.

M. [UT] soutient que les sommes réclamées ne sont pas justifiées, que l'expert mandaté par la société SOFINEX n'était pas indépendant et s'est contenté des indications données par sa mandante, que l'intimée fonde sa demande sur une liste de clients qui l'ont quittée volontairement, sans avoir été l'objet d'un quelconque démarchage, que certaines sociétés citées dans la liste ont été radiées du RCS et n'existent plus, que l'intimée calcule son préjudice sur la marge brute générée par dossier et non par les honoraires facturés, qu'aucune des sociétés listées n'est sa cliente puisqu'il n'exerce pas une activité d'expert-comptable, ni directement ni indirectement. M. [UT] conteste également le préjudice né de la désorganisation de la société SOFIDEX, faisant valoir que celle-ci a surtout été désorganisée par ses propres agissements qui ont conduit plusieurs de ses salariés à la quitter, l'ambiance de travail s'étant considérablement dégradée après son départ. Il fait encore valoir que M. [U] a acquis, en janvier 2017, 33,5 % du capital pour la somme de 49 590 €, ce qui montre qu'il n'a tenu compte que des capitaux propres de la société qui au 31 décembre 2016 s'élevaient à 125 009 € pour calculer le prix de cession, et non de la clientèle. Il juge la somme réclamée au titre du dénigrement extravagante eu égard au fait qu'il a lui-même été dénigré ainsi qu'en ont attesté plusieurs clients.

La société COCODE conteste la liste de clients perdus établie par la société SOFINEX et souligne le montant modique auquel M. [U] a acquis le tiers du capital de la société, pour soutenir que la valeur de la clientèle retenue pour le calcul du prix de cession est de 0 €.

Ceci étant exposé, il est observé qu'en appel, la société SOFINEX invoque 4 postes de préjudices (rappelés supra), à l'exclusion d'un poste lié 'à la minoration de la valeur intrinsèque' de l'entreprise, rejeté à juste titre par le tribunal, et que le tribunal a accordé la somme de 80 000 euros au titre d'un 'préjudice commercial' rattaché à la perte de clientèle, mais non revendiqué en tant que tel par la demanderesse (pages 3 et 14 du jugement).

Il ressort du rapport d'expertise amiable fourni par la société SOFINEX que 59 de ses clients ont été détournés, certains clients représentant plusieurs sociétés.

Pour l'évaluation du préjudice résultant du détournement de la clientèle, il doit être cependant tenu compte du fait que, comme il vient d'être dit, un certain nombre de clients ont quitté le cabinet SOFINEX spontanément et pour des raisons objectives exposées dans leur courrier de rupture, tenant au fonctionnement du cabinet ou à l'attitude de ses dirigeants, ou qu'ils ont choisi de suivre M. [UT].

Il est encore justifié par M. [UT] que c'est M. [U] lui-même qui a mis fin à la mission de la société SOFINEX pour le suivi de plusieurs sociétés (groupe ROYAL ESBLY, sociétés SESA, SCI LE QUATRE et RETROEXPERTISE) (témoignages et courriel de MM. [Y] et [G]) et que trois sociétés dont la société SOFINEX dénonce la captation par la société COCODE ont été radiées du registre du commerce et des sociétés courant 2018 (LUSO PNEUS, LES QUAIS DE LA NESQUES, JFM).

En outre, la société SOFINEX ne peut invoquer la perte du client MFL COIFFURE, dont M. [UT] était le gérant.

Il apparaît ainsi qu'une trentaine de clients de la société SOFITEX seulement a été détournée du fait du démarchage mis en oeuvre par M. [UT] et la société COCODE.

Il convient de tenir compte du fait que tout client était libre de poursuivre ou non sa relation avec la société d'expertise-comptable, une faible ancienneté dans la relation contractuelle renforçant le risque de rupture et qu'au vu du rapport d'expertise amiable fourni, une bonne partie de la clientèle détournée avait une ancienneté faible (moins de 5 ans). Il ne peut donc être retenu, comme le propose l'expert amiable, un pourcentage équivalent à la totalité du chiffre d'affaires TTC annuel réalisé avec les clients perdus, quelle que soit l'ancienneté des relations contractuelles.

Tous ces éléments conduisent la cour à ramener à de plus justes proportions la somme accordée en première instance au titre de la perte de clientèle et d'allouer à la société SOFINEX la somme de 70 000 € à titre de dommages et intérêts.

Par ailleurs, la désorganisation invoquée ne peut être retenue qu'à raison de la double intrusion de M. [UT] pour prendre des dossiers de clients appartenant à son ancien employeur et du changement du mot de passe de la société SOFINEX. La somme de 5 000 € sera allouée à ce titre. C'est à juste raison que le tribunal a écarté le préjudice lié à un prétendu surcroît de travail résultant du départ de clients (restitution de dossiers clients), relevant pertinemment que les départs ont nécessairement entraîné une diminution de l'activité de l'entreprise.

Enfin, le préjudice résultant des actes de dénigrement sera réparé par l'allocation de la somme de 5 000 €, en considération du fait que l'appelant justifie qu'il a lui-même fait l'objet de dénigrement de la part de son ancien employeur auprès de plusieurs clients (courrier MB 94 AUTOMOBILES, attestations Mme [NE], M. [F], M. [KT]).

Les sommes allouées seront mises à la charge solidairement de M. [UT] et de la société COCODE, celle-ci, dont les liens avec M. [UT] sont avérés et qui a été directement bénéficiaire du détournement de clientèle de la société SOFINEX, ayant contribué à la commission des faits litigieux, commis avant sa cessation d'activité le 31 juillet 2018.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur l'exécution provisoire

La demande d'exécution provisoire est sans objet devant la cour.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens et frais irrépétibles de première instance seront confirmés. En appel, chaque partie succombant sur une partie de ses prétentions, chacune gardera la charge de ses dépens et de ses frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société COCODE et M. [Z] [UT] à payer à la société SOFINEX la somme de 228 000 euros, se décomposant comme suit :

- 140 000 euros au titre d'une perte de clientèle ;

- 88 000 euros au titre d'un préjudice commercial ;

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum la société COCODE et M. [Z] [UT] à payer à la société SOFINEX la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, se décomposant comme suit :

- 70 000 euros au titre du détournement de clientèle,

- 5 000 euros au titre de la désorganisation de l'entreprise,

- 5 000 euros au titre du dénigrement,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles exposés en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/12198
Date de la décision : 15/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-15;20.12198 ?
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