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14/06/2022 | FRANCE | N°19/12433

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 14 juin 2022, 19/12433


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRÊT DU 14 JUIN 2022



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12433 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFFO



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 mars 2019 - Tribunal d'Instance de MEAUX - RG n° 1118001357





APPELANTE



Madame [I] [S] veuve [M]

[Adresse 1]

[Localité 7]




Représentée par Me François LA BURTHE, avocat au barreau de MEAUX

Assisté de Me Adrien THIEBAUD, avocat au barreau de MEAUX





INTIMÉ



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Locali...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12433 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFFO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 mars 2019 - Tribunal d'Instance de MEAUX - RG n° 1118001357

APPELANTE

Madame [I] [S] veuve [M]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me François LA BURTHE, avocat au barreau de MEAUX

Assisté de Me Adrien THIEBAUD, avocat au barreau de MEAUX

INTIMÉ

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté et assisté de Me Maud SILBERBERG de la SCP BAHUCHET-ESTIENNE-ROVEZZO-SILBERBERG, avocat au barreau de MEAUX

LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Mme Sylvie SCHLANGER, Avocat général, ayant émis un avis écrit en date du 16 décembre 2019

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre chargée du rapport, et Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, pour Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Le 20 juin 2012, Mme [I] [S] veuve [M], née en 1935, a acheté un portail à la société Expert Habitat qui l'a démarchée à domicile, pour un prix de 8 900 euros, financé par un crédit à la consommation.

En octobre 2012, le portail était posé mais Mme [M], s'estimant victime d'une escroquerie, a fait opposition aux prélèvements de la société de crédit Financo.

Elle a déposé plainte à la gendarmerie pour escroquerie le 13 septembre 2013 contre la société Expert Habitat.

La société Financo a obtenu la condamnation de Mme [M] en remboursement du crédit, par jugement du tribunal d'instance de Meaux du 1er juin 2015 et déposé une requête en saisie de sa retraite.

L'avocat de Mme [M] a adressé une demande d'informations au parquet de Meaux quant à l'état d'avancement de sa plainte, lequel lui a indiqué le 27 octobre 2015 que l'affaire avait été enregistrée et que le commissariat du [Localité 2] enquêtait depuis le 30 décembre 2013.

Par lettres des 15 septembre 2016 et 23 février 2018, le conseil de Mme [M] a demandé au commissariat du [Localité 2] de l'informer de l'état d'avancement de l'enquête.

Se plaignant de n'avoir reçu aucun avis de classement sans suite, Mme [M] a, par acte du 19 septembre 2018, assigné devant le tribunal d'instance de Meaux, l'agent judiciaire de l'Etat en responsabilité sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Par jugement du 27 mars 2019, le tribunal d'instance de Meaux a :

- débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts,

- débouté Mme [M] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [M] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 19 mai 2019, Mme [M] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 30 août 2019, Mme [M] demande à la cour de :

- réformer en tous points le jugement attaqué,

- dire et juger que le ministère public a commis un déni de justice en recevant une plainte le 13 septembre 2013, puis en omettant de poursuivre, d'effectuer tout acte d'enquête, en omettant d'informer la plaignante de toute éventuelle décision de classement sans suite dans les conditions de la loi et en laissant l'infraction finalement se prescrire,

- dire que le préjudice qui s'en suit s'analyse en une perte de chance d'avoir pu poursuivre les auteurs de l'infraction et leur demander des dommages et intérêts, destinés à compenser le solde du crédit lié à la vente subsistant,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 9 999 euros à titre de dommages intérêts,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 octobre 2019, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.

Selon avis notifié le 16 décembre 2019, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l'Etat

Le tribunal a considéré que :

- la durée de traitement de la plainte de Mme [M] est excessive comme le reconnaît l'agent judiciaire de l'Etat,

- la perte de chance de Mme [M] de faire valoir ses droits au pénal n'est pas démontrée, s'agissant avant tout d'un problème civil de sorte que la chance de voir qualifier et poursuivre les fait allégués comme escroquerie et de pouvoir être indemnisée à ce titre apparaît quasiment inexistante et le préjudice allégué incertain,

- il n'est pas établi que cette perte de chance soit seulement imputable à un dysfonctionnement de la justice puisque Mme [M] disposait par ailleurs de la possibilité de déclencher l'action publique en se constituant partie civile auprès du doyen des juges d'instruction 3 mois après que sa plainte est restée sans réponse conformément à l'article 85 du code de procédure pénale.

Mme [M] fait valoir que :

- le ministère public a omis d'enquêter et de l'informer d'une éventuelle décision de classement sans suite dans les conditions prévues par la loi lui permettant de prétendre à récupérer les pièces de l'enquête préliminaire pour se substituer aux poursuites, ce qui constitue un déni de justice engageant la responsabilité de l'Etat,

- les faits sont très probablement prescrits et elle ne peut désormais plus demander aux auteurs de l'infraction énoncée un quelconque dédommagement ou faire réviser sa condamnation par ordonnance d'injonction de payer,

- elle a perdu une chance de faire valoir les conséquences de l'infraction pour réduire sa dette, qu'elle évalue à la somme de 9 999 euros alors que la somme de 11 768,56 euros correspond à la somme, intérêts compris, qu'elle reste devoir à la société Sofinco.

L'agent judiciaire de l'Etat répond que :

- il n'est pas contesté que le délai de traitement de la plainte, de plus de 5 ans, a été excessif,

- le grief de l'appelante n'apparaît fondé qu'à compter de la transmission du traitement du dossier par le commissariat de police du [Localité 2], ce dernier n'ayant réalisé aucun acte d'enquête,

- l'appelante n'a pas utilisé la possibilité qui lui était offerte par l'article 85 du code de procédure pénale de saisir le juge d'instruction 3 mois après son dépôt de plainte, s'abstenant ainsi d'utiliser plus tôt la voie de droit à sa disposition pour pallier les retards pris dans le traitement de sa plainte,

- un avis de classement à victime lui a bien été notifié,

- le préjudice allégué ne résulte pas de la durée du traitement de sa plainte mais des faits dénoncés survenus plus d'un an avant le dépôt même de la plainte, à savoir sa condamnation au profit de la société Sofinco,

- le lien de causalité n'est pas démontré.

Le ministère public souligne que :

- l'appelante, s'étant abstenue de recourir à la possibilité de saisir le juge d'instruction, ne peut alléguer un déni de justice du service public de la justice,

- aucun lien de causalité avec la durée de la procédure alléguée comme excessive n'est démontré par 1'appelante.

La responsabilité résultant d'un fonctionnement défectueux du service public de la justice n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice, lequel est caractérisé par tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable et s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

Le 1er octobre 2013, la plainte de Mme [M] du 13 septembre 2013 a été transmise au parquet de Meaux et adressée au commissariat de police de [Localité 8] le 24 octobre suivant aux fins d'audition du gérant de la société. La procédure a été transmise le 24 décembre 2013 au commissariat de police du [Localité 2] en raison de la domiciliation du gérant de la société, lequel l'a reçue le 20 janvier 2014.

Aucun acte d'enquête n'a été effectué et le 11 avril 2018, le commissaire de police du [Localité 2] a clos la procédure en constatant la prescription des faits.

Mme [M] produit elle-même la lettre du 13 septembre 2018 par laquelle le procureur du tribunal de grande instance de Meaux l'a informée que l'affaire était classée sans suite au motif que les faits dénoncés dans la procédure constituaient bien une infraction mais que le délai fixé par la loi pour pouvoir les juger était dépassé.

Le délai de traitement de la procédure à compter du 20 janvier 2014, date de transmission de la plainte au service de police compétent pour entendre l'auteur présumé de l'infraction et jusqu'au 13 septembre 2018, date de notification à la plaignante de l'avis de classement sans suite de sa plainte, soit 4 ans et 2 mois, est excessif et a eu pour conséquence de laisser les faits d'escroquerie dénoncés susceptibles d'être requalifiés en démarchage à domicile illicite se prescrire alors que la plainte avait été déposée un peu plus d'un an après les faits litigieux.

Le déni de justice est constitué, le fait que Mme [M] n'ait pas usé de la faculté qui lui était offerte par l'article 85 du code de procédure pénale de déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction n'étant pas exonératoire de la responsabilité de l'Etat au titre du délai excessif de traitement de sa plainte.

En revanche, le premier juge a relevé avec pertinence que le préjudice allégué en raison de la prescription de l'action pénale n'était pas imputable au seul dysfonctionnement du service public de la justice puisque cette prescription est également imputable à Mme [M] qui n'a pas usé de la faculté qui lui était offerte par l'article 85 du code de procédure pénale de déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction, passé le délai de trois mois après avoir adresser une demande d'information au sujet de sa plainte au procureur de la République de Meaux le 20 octobre 2015, soit en temps utile au regard de la prescription de l'action pénale.

Mme [M] est responsable pour moitié du préjudice qu'elle allègue et son indemnisation ne saurait dépasser la moitié du préjudice subi dont elle reconnaît qu'il ne peut s'analyser qu'en une perte de chance.

Elle ne peut se prévaloir d'une perte de chance de voir réviser sa condamnation par ordonnance d'injonction de payer en raison du résultat de sa plainte pour escroquerie alors qu'il ressort de la requête en saisie des rémunérations que l'ordonnance d'injonction de payer du tribunal d'instance de Meaux du 25 avril 2014 a été suivie d'un jugement contradictoire du même tribunal du 1er juin 2015, ce dont il doit être déduit que Mme [M] a fait opposition à l'injonction de payer mais n'a pas sollicité de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de sa plainte.

En revanche, alors que Mme [M], âgée de 77 ans au moment de l'achat du portail, a fait l'objet d'un démarchage à domicile, que le bon de commande ne mentionne aucune des mentions obligatoires en matière de démarchage à domicile dont la faculté de rétractation ni le financement par un crédit affecté auprès de la société Sofinco, elle avait une chance réelle et très sérieuse que la cour fixe à 75 % d'obtenir que des poursuites pénales soient engagées contre son vendeur et que celui-ci soit condamné à lui payer des dommages et intérêts susceptibles de venir en déduction de la somme de plus de 11 768,56 euros qu'elle doit rembourser à la société Sofinco.

En conséquence, l'agent judiciaire de l'Etat est condamné à lui payer la somme de 4 413 euros ( 75 % x 11 768,56/ 2) et le jugement est infirmé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à l' agent judiciaire de l'Etat, partie perdante, lequel est également condamné à payer à Mme [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [I] [S] veuve [M] la somme de 4 413 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [I] [S] veuve [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/12433
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;19.12433 ?
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