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09/06/2022 | FRANCE | N°19/11624

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 09 juin 2022, 19/11624


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 09 JUIN 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11624 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAHC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Octobre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 18/00290





APPELANT



Monsieur [R] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]r>


Représenté par Me Stéphane MARTIANO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1459





INTIMEE



SAS ELIOR RESTAURATION ET SERVICES (ELRES) Agissant poursuites et diligences de son Prés...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 09 JUIN 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11624 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAHC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Octobre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 18/00290

APPELANT

Monsieur [R] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Stéphane MARTIANO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1459

INTIMEE

SAS ELIOR RESTAURATION ET SERVICES (ELRES) Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Franck BLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Selon contrat à durée indéterminée à temps partiel du 22 mars 2012, M. [P] a été engagé par la société Elior restauration et services (ci-après ELRES) en qualité de plongeur, niveau 1, statut employé. Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale pour le personnel des entreprises de restauration collective

Par lettre du 20 janvier 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 30 janvier 2017. Il a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 9 février 2017.

La lettre de licenciement est la suivante :

'[...]En date du lundi 9 janvier 2017, Monsieur [K] [S] a été informé de propos à caractère sexuel que vous avez tenus à maintes reprises envers une de vos collègues, Madame [U] [E], responsable d'atelier, et en présence de collègues de travail.

En effet, à plusieurs occasions, notamment entre le 26 décembre 2016 et le 6 janvier 2017, vous avez indiqué à vos collègues de travail que vous aviez eu des relations intimes avec Madame [U] [E].

A titre d'exemple, vous avez dit à vos collègues que vous « lui mettiez bien profond dans la bouche » et que vous « la remplissiez de sperme jusqu'à ce qu'elle en meure ».

D'après les témoignages que nous avons recueillis, vous avez tenu de tels propos auprès de vos collègues à plusieurs reprises sur votre site d'affectation ainsi que lors d'un repas à l'extérieur pour fêter le début d'année avec le personnel du site le 6 janvier 2017.

Aussi, vous avez, à plusieurs reprises et sur votre site d'affectation, montré à vos collègues des vidéos à caractère pornographique.

Lors de l'entretien du 30 janvier 2017, vous n'avez pas reconnu des faits.

Concernant les propos déplacés tenus à l'égard de Madame [U] [E], vous avez indiqué avoir eu une relation avec cette dernière il y a deux ans et demi et ne plus lui adresser la parole depuis deux ans.

Aussi, vous avez ajouté qu'entre hommes dans les vestiaires vous n'aviez fait que « pimenter les choses en évoquant vos rapports avec les femmes ». Enfin, vous avez annoncé que vous ne parleriez désormais plus à quiconque sur la cuisine et que vous souhaitiez « faire votre travail tranquillement».

Cependant, les explications que vous avez fournies lors de l'entretien ne nous permettent pas de reconsidérer notre position.

Ces propos scabreux et votre comportement irrespectueux ont choqué certains collaborateurs ont perturbé l'ambiance de travail sur le site en laissant planer un climat de stress et d'insécurité.

Nous tenons à vous rappeler que vous devez entretenir des rapports cordiaux et surtout professionnels et respectueux avec vos collègues.

D'après les dispositions de l'article 9.2 du règlement intérieur : « A titre indicatif et non limitatif, les fautifs suivants sont susceptibles d'entraîner la résiliation du contrat de travail, le cas échéant sans préavis et sans indemnité, sous réserve de l'observation des droits de la défense :

- Attitude désobligeante où injures à l'égard des collègues ou des collaborateurs.

Il convient par ailleurs de souligner que nous vous avions déjà alerté à plusieurs reprises suite à des faits similaires de comportement et propos inadaptés, à savoir par :

- un avertissement notifié le 27 novembre 2015 suite à un non-respect des instructions données par votre responsable hiérarchique ;

- une mise à pied disciplinaire de 2 jours notifiée le 18 décembre 2015 suite à un non-respect et refus des instructions de votre responsable hiérarchique et à une agression verbale envers un membre de l'encadrement ;

- une mise à pied disciplinaire de 5 jours notifiée le 2 juin 2016 suite à un départ anticipé de votre poste sans autorisation et insultes vers l'une de vos collègues.

Aussi, nous considérons que votre comportement et vos agissements répétés, malgré nos alertes, sont inadmissibles, révélateurs d'un manque de professionnalisme de votre part, et constituent une violation de vos obligations professionnelles et contractuelles, nous obligeant ainsi à retirer toute la confiance que nous avions placée en vous. Nous sommes donc amenés à vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.'

Lors de son licenciement, le salarié présentait une ancienneté de quatre ans et onze mois, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, le salarié a saisi le 27 février 2018 le conseil de prud'hommes de Créteil.

Par jugement du 18 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement de M. [P] était fondé sur une cause réelle et sérieuse, et l'a débouté en conséquence de toutes ses demandes.

Le 25 novembre 2019, le salarié a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS

Selon ses dernières écritures notifiées le 17 juin 2020, M. [P] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société ELRES à lui verser les sommes suivantes outre les dépens :

- 8.999,30 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.000 euros au titre de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile.

Selon ses dernières écritures notifiées le 28 avril 2020, la société ELRES conclut à la confirmation du jugement et donc au rejet des prétentions de M. [P] ainsi qu'à sa condamnation à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Pour un exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le bien-fondé du licenciement

Dans ses écritures, la société ELRES met en exergue le comportement inadapté de M. [P] dans le cadre de la relation de travail compte des propos à caractère sexuel tenus par celui-ci au sujet de détails de sa relation sexuelle avec une salariée, Mme [E], le 6 janvier 2017 lors du repas annuel du personnel. Elle ajoute que M. [P] a réitéré ses propos et qu'il a adopté un comportement déplacé dans le cadre de son travail à plusieurs reprises. Elle précise que Mme [E] n'a pas fait état de faits de harcèlement qui auraient nécessité une enquête du CHSCT. Enfin, elle rappelle la notification antérieure de plusieurs avertissements en 2015 et 2016, et conteste en conséquence le caractère disproportionné de la sanction prise.

M. [P] conteste les faits reprochés, critique les attestations produites par l'employeur et verse aux débats des attestations de salariés qui contestent les faits intervenus. Il dénonce également l'absence d'enquête du CHSCT.

L'article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire reposer sur des faits objectifs et vérifiables, les événements étant appréciés concrètement selon leur ampleur, leurs conséquences sur la bonne marche de l'entreprise et le comportement du salarié au sein de l'entreprise.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, qu'il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à M. [P] d'avoir tenu à plusieurs reprises des propos à caractère sexuel à ses collègues, d'avoir évoqué l'existence de relations sexuelles avec Mme [E] et de leur avoir montré des vidéos à caractère pornographique, ce qui a choqué certains salariés et perturbé l'ambiance de travail.

L'article 9.2 du règlement intérieur, visé par la lettre de licenciement, dispose que toute attitude désobligeante ou injures à l'égard des collègues est susceptible d'entraîner la résiliation du contrat de travail sans préavis ni indemnité.

La société ELRES produit deux attestations de Mme [E] qui précise qu'après le repas du personnel du 6 janvier 2017, elle a été interpellée le lundi suivant par un collègue qui lui a rapporté les propos de M. [P] au sujet d'une relation sexuelle avec elle. Elle a ajouté qu'il était évident que tout le monde était au courant de cette situation, M. [P] ne cessant de clamer haut et fort ces propos. Dans sa seconde attestation, elle a précisé qu'entre le 26 décembre 2016 et le 6 janvier 2017, M. [P] avait tenu des propos à connotation sexuelle à son encontre en présence de plusieurs salariés.

M. [F], dont l'attestation ne comporte aucune pièce d'identité, précise avoir été victime de propos injurieux de la part de M. [P] se tenant les parties génitales à deux mains et lui proposant de manière vulgaire une relation sexuelle lors de la signature de la feuille d'émargement. Outre l'absence de pièce d'identité, cette attestation ne comporte aucune date concernant les faits exposés.

M. [S], directeur de la restauration, précise que le 16 janvier 2017, Mme [E] s'est présentée à son bureau afin de lui relater les propos de M. [P] lui ayant été rapportés par un autre salarié au sujet d'une relation sexuelle avec elle. Il indique que le 27 janvier suivant, un salarié a attesté avoir entendu M. [P] se vanter d'une relation sexuelle avec Mme [E] et que durant la semaine du 19 au 23 décembre 2016, une personne venue dans le cadre d'un reclassement a été confrontée à des propos à caractère sexuel de la part de M. [P] et à des vidéos de ses rapports sexuels.

Il résulte de ces attestations que Mme [E] n'a pas personnellement assisté aux propos qui auraient été tenus M. [P] au sujet d'une relation sexuelle avec elle, celle-ci n'ayant fait que rapporter les propos d'un autre salarié dont l'identité n'est pas indiquée. Son attestation relative aux propos à connotation sexuelle tenus par M. [P] entre le 26 décembre 2016 et le 6 janvier 2017 n'est pas circonstanciée, ni corroborée par d'autres témoignages. Enfin, M. [S] n'a pas personnellement constaté que M. [P] avait tenu les propos reprochés puisqu'il n'a fait que reprendre les déclarations qui lui ont été rapportées par d'autres salariés dont l'identité n'est pas précisée.

Outre l'absence d'élément permettant d'établir de manière certaine les propos à connotation sexuelle tenus par M. [P], celui-ci produit plusieurs attestations de salariés indiquant qu'ils ne l'ont jamais entendu tenir de telles paroles sur le lieu de travail.

Il existe donc un doute au sujet des griefs reprochés à M. [P], ce dont il se déduit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de son ancienneté, le salarié a droit au paiement d'une indemnité qui en application de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au regard de la perte d'une ancienneté de quatre ans et onze mois, de son âge à la date de son licenciement, soit 24 ans, de ses difficultés à retrouver un emploi, du montant de son salaire de base, soit 1 454,40 euros bruts, il y a lieu de lui allouer la somme de 8999,30 euros qu'il a sollicitée à titre d'indemnisation.

Sur le remboursement indemnités à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article L1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, la société ELRES est tenue de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à M. [P] dans la limite d'un mois à compter de son licenciement.

La remise par la société ELRES au profit de M. [P] de bulletins de salaire, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes à la décision n'est pas assortie d'une astreinte.

 

            PAR CES MOTIFS

                       

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

           

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;           

 

Et statuant à nouveau,

 

DIT que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

         

CONDAMNE la société Elior restauration et services à payer à M. [P] la somme de 8 999,30 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter compter du prononcé de l'arrêt, et 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE la remise par la société Elior restauration et services au profit de M. [P] de bulletins de salaire, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes à l'arrêt dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt ;

 

ORDONNE à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite d'un mois ;

 

CONDAMNE la société Elior restauration et services au paiement des dépens de première instance et d'appel.         

           

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/11624
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;19.11624 ?
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