REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRET DU 09 JUIN 2022
(n° 114/2022, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 18/28060 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B65EA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - 6ème chambre - RG n° 2017047880
APPELANTE
SA SADE COMPAGNIE GENERALE DE TRAVAUX D'HYDRAULIQUE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 562 077 503
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
Assistée de Me François BILLEBEAU de la SCP BILLEBEAU - MARINACCE, avocat au barreau de PARIS, toque : R043
INTIMEE
SA ORANGE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 380 129 866
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée et assistée de Me Louis FAUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1093
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre
Mme Nathalie RENARD, présidente de chambre,
Mme Christine SOUDRY, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
signé par Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS
La société Sade - Compagnie générale de travaux d'hydraulique (ci-après « Sade ») est spécialisée dans la conception, la construction, la réhabilitation et l'entretien des réseaux et des ouvrages qui leur sont associés : eau, génie civil, télécom, énergie, etc.
La société Orange est spécialisée dans les activités liées aux télécommunications filaires et sans fil.
Le 4 mars 2014, la société Sade a procédé à des travaux sur la chaussée de la [Adresse 4].
A l'occasion de ces travaux, elle a endommagé un câble appartenant à la société Orange.
Un constat amiable de dommages aux installations du réseau de la société Orange a été dressé le jour-même entre la société Orange et la société Sade. Il a ainsi été relevé : « 3 fourreaux abimés que l'entreprise s'engage à réparer + (câble en conduite) 88/996/6 avec enveloppe abîmée + 1 quinzaine de paires avec fil à nu (plus d'isolant)/ ».
Le 15 juin 2015, la société Orange a adressé à la société Sade un mémoire des dépenses exposées pour la réparation des installations endommagées à hauteur de 7 701,54 euros.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 25 août 2015 et du 27 février 2017, la société Orange a mis en demeure la société Sade de lui payer la somme de 7 701,54 euros.
Ces mises en demeure sont restées infructueuses.
Procédure
Saisi sur requête de la société Orange, le président du tribunal de commerce de Paris a, par ordonnance du 16 mai 2017, enjoint à la société Sade de payer à la société Orange la somme de 7 701,54 euros en principal.
La société Sade a formé opposition à cette ordonnance le 28 juin 2017.
Par jugement du 22 novembre 2018, le tribunal de commerce de Paris :
-s'est déclaré compétent,
-a dit recevable mais mal fondée l'opposition formée par la société Sade,
-a débouté la société Sade de l'ensemble de ses demandes,
-a condamné la société Sade à payer à la société Orange la somme de 7 701,54 euros avec les intérêts légaux à compter du 27 août 2015,
-a ordonné l'anatocisme,
-a condamné la société Sade à payer à la société Orange la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-a condamné la société Sade aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 98,43 euros dont 16,19 euros de TVA,
-a ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 14 décembre 2018, la société Sade a interjeté appel de ce jugement en en ce qu'il :
- S'est déclaré compétent,
- A dit recevable mais mal fondée l'opposition formée par la société SA Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique,
- A débouté la société SA Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique de l'ensemble de ses demandes dont notamment la demande de communication de l'attachement élémentaire de l'entreprise sous-traitante outre sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- A condamné la société SA Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique à payer à la SA Orange la somme de 7.701,54 euros avec les intérêts légaux à compter du 27 août 2015,
- A ordonné l'anatocisme,
- A condamné la société SA Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique à payer à la SA Orange la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- A condamné la SA Sade Compagnie générale de travaux d'hydraulique aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 98,43 euros dont 16,19 euros de TVA,
- A ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Par conclusions du 28 mars 2019, la société Orange a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident de communication de pièces.
Par ordonnance du 26 septembre 2019, le conseiller de la mise en état a débouté la société Orange de sa demande de production de pièces.
Par arrêt du 18 février 2021, la cour a sursis à statuer sur les demandes des parties dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation à intervenir sur le pourvoi T 1922517 formé par la société Sade à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 juin 2019 n°RG 18/27755 et réservé les dépens.
L'arrêt sur le pourvoi T 1922517 formé par la société Sade à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 juin 2019 n°RG 18/27755 a été rendu le 8 avril 2021.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 9 novembre 2021, la société Sade demande à la cour de :
Vu la Loi du 28 Pluviôse an VIII,
Vu la Loi des 16-24 août 1790,
Vu la jurisprudence du tribunal des conflits, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation,
Vu l'article 1405 du code de procédure civile,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 22 novembre 2018 en toutes ses dispositions,
In limine litis et à titre principal,
- Juger le tribunal de commerce de Paris incompétent matériellement pour connaître des demandes de la société Orange tendant à la réparation d'un dommage de travaux publics,
- Renvoyer la société Orange à se mieux pourvoir devant le tribunal administratif de Caen.
A titre subsidiaire,
- Juger que la procédure d'injonction de payer ne peut être mise en 'uvre que pour des créances de nature contractuelle,
- Juger que l'ordonnance d'injonction de payer est nulle, et non avenue, frappée d'inexistence,
- Juger qu'il reviendra à la société Orange de procéder par assignation si elle entend persister en ses demandes devant le juge judiciaire.
A titre très subsidiaire,
- Juger que la société Orange ne rapporte pas la preuve de sa créance,
- Juger que ses réclamations sont incohérentes,
- Juger qu'elle ne peut être indemnisée de charges fixes, qu'elle aurait exposées avec ou sans l'incident,
- Juger que la créance alléguée par la société Orange n'est pas fondée,
- Rejeter toute demande à quelque titre que ce soit de sommation de communiquer des pièces formulée par la société Orange et dirigée à l'encontre de la Sade,
- Rejeter toute demande de la société Orange,
- Condamner la société Orange à payer à la société Sade la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 15 mai 2021, la société Orange demande à la cour de :
Vu l'article 1 de la Loi n°57-1424 du 31 décembre 1957,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
- Déclarer la S.A. Sade - Compagnie générale de travaux d'hydraulique mal fondée en son moyen tiré de l'article 1405 du code de procédure civile,
- Débouter la S.A. Sade - Compagnie générale de travaux d'hydraulique de l'ensemble de ses prétentions,
- Condamner la S.A. Sade - Compagnie générale de travaux d'hydraulique à payer à la S.A. Orange la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 décembre 2021.
MOTIFS
Sur la compétence
La société Sade soutient que les travaux qu'elle a réalisés sur la voie publique sont des travaux exécutés pour le compte de personnes publiques et ont donc le caractère de travaux publics et que la réclamation de la société Orange s'analyse en une demande de réparation d'un dommage de travaux publics qui relève par principe de la compétence exclusive et d'ordre public des juridictions administratives. Elle ajoute que la démonstration de l'existence d'un cas d'exception à cette compétence revient à la société Orange. Or elle affirme que cette preuve n'est pas rapportée.
La société Orange soutient qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957, les juridictions de l'ordre judiciaire sont seules compétentes pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque. Or, elle prétend que le dommage a été causé par une pelleteuse, engin de chantier, dont la jurisprudence a reconnu la nature de véhicule au sens de la loi du 31 décembre 1957. Elle affirme ainsi que la compétence du tribunal de commerce de Paris doit être confirmée.
Selon l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957, et par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque. Il s'en déduit que, dans le cas d'un dommage survenu à l'occasion de la réalisation de travaux publics, cette attribution de compétence s'applique dès lors que le dommage trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule et non dans la conception ou l'exécution de l'opération de travaux publics prise dans son ensemble.
La notion de véhicule au sens de la loi de la loi du 31 décembre 1957 doit être entendue de manière large et se définit comme un engin de chantier doté d'un dispositif lui permettant de se déplacer de façon autonome.
En l'espèce, il ressort du constat amiable établi le jour-même du sinistre que les travaux litigieux consistaient en des travaux de terrassement sous la chaussée (alimentation en eau potable selon la société Sade) et que trois fourreaux enrobés béton ont été endommagés. Il résulte encore du récépissé de DT/DICT (Déclaration d'Intention de Commencement de Travaux) daté du 27 janvier 2014 qu'au moins un réseau Orange était concerné par les travaux projetés par la société Sade, consistant en un câble à fort trafic, et que ce câble était enterré sous la chaussée.
Il se déduit de la nature même des travaux réalisés en zone urbaine, qui nécessitaient de percer la chaussée, et des dommages causés aux fourreaux enrobés béton que les dommages ont nécessairement été occasionnés par la mise en oeuvre d'engins de chantier par la société Sade. Il sera en outre relevé que malgré la sommation qui lui a été délivrée le 15 mai 2021 par la société Orange, la société Sade n'a pas communiqué la DICT établie le 23 janvier 2014 déposée préalablement à l'engagement des travaux, seul document permettant de déterminer le type d'engin utilisé pour les travaux litigieux.
Ces éléments sont suffisants pour permettre d'établir qu'un véhicule de chantier, au sens de la loi de la loi du 31 décembre 1957, était utilisé par la société Sade lors de la survenance du dommage et que le dommage trouve sa cause déterminante dans l'action de ce véhicule.
En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu leur compétence.
Sur la nullité de l'ordonnance d'injonction de payer
La société Sade soutient que la procédure d'injonction de payer ne peut être utilisée que pour le recouvrement d'une créance qui a une cause contractuelle ou résulte d'une obligation de caractère statutaire et s'élève à un montant déterminé. Or elle prétend qu'en l'absence de contrat avec la société Orange, la demande d'injonction de payer doit être déclarée nulle. Elle affirme qu'en utilisant abusivement cette procédure, la société Orange a tenté de s'affranchir d'un débat contradictoire.
La société Orange réplique que le principe du contradictoire a été respecté puisqu'il a été fait opposition à l'ordonnance d'injonction de payer.
L'article 1405 du code de procédure civile réserve la procédure rapide de l'injonction de payer au recouvrement d'une créance dont la cause est contractuelle ou résulte d'une obligation de caractère statutaire et s'élève a un montant déterminé.
Toutefois il résulte de l'article 1420 du code de procédure civile que « Le jugement du tribunal se substitue à l'ordonnance portant injonction de payer. »
Ainsi par l'effet de droit sus-énoncé, un jugement prononcé à l'issue d'un débat contradictoire s'est substitué à l'ordonnance d'injonction de payer critiquée et c'est ce jugement qui est déféré à la cour.
La circonstance que les parties ne sont pas liées par un contrat est dès lors indifférente et aucune nullité de l'ordonnance de l'injonction de payer ne saurait en résulter puisque, à la suite de l'opposition formée par la société Sade, le tribunal de commerce de Paris a été saisi du litige opposant les parties et que les parties en ont contradictoirement débattu.
En conséquence, la demande de nullité de l'ordonnance d'injonction de payer sera rejetée.
Sur l'action en responsabilité
La société Orange prétend que l'action de l'engin utilisé par la société Sade lui a causé un préjudice qu'elle estime à 7.701,54 euros HT correspondant au remplacement de matériels (143 mètres de câble, épissure) pour un montant de 6.285,84 euros HT, à des frais de personnel pour un montant de 118,91 euros HT ainsi qu'à des frais de sous-traitance d'un montant de 1.296,79 euros HT.
La société Sade affirme que la société Orange ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue. Elle prétend qu'aucun riverain n'a été impacté par le sinistre et que les frais de réparation provisoire étaient inutiles. Elle dément ainsi tout lien de causalité entre le préjudice invoqué et la rupture du câble qui lui est imputable.
Il ressort de ce qui précède qu'un engin de chantier utilisé par la société Sade a endommagé un câble appartenant à la société Orange. Selon le constat amiable de dommage aux installations du réseau de France Télécom signé par la société Sade le 4 mars 2014, jour même de la réalisation du dommage, le câble endommagé est un câble en conduite type 88/896/6 de 143 mètres de longueur. Il y est encore précisé que l'enveloppe de ce câble a été endommagée et qu'une quinzaine de paires se trouvaient fil à nu. Il sera rappelé que dans le récépissé de DICT adressé par la société Orange, celle-ci avait signalé la présence d'un câble à fort trafic à proximité des travaux envisagés.
Il résulte de ces éléments que contrairement à ce que soutient la société Sade, la société Orange devait entreprendre en urgence des travaux provisoires pour rétablir le réseau. Chacun des postes de préjudices invoqués est justifié et présente un lien de causalité avec l'action de l'engin de chantier utilisé par la société Sade.
Dans ces conditions, les premiers juges ont à juste titre alloué à la société Orange l'indemnisation réclamée. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Sade succombe à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées. La société Sade supportera les dépens de l'instance d'appel et sera condamnée à payer à la société Orange une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de la société Sade au titre des frais irrépétibles sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne la société Sade à payer à la société Orange une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Sade aux les dépens de l'instance d'appel ;
Rejette les autres demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE