Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRÊT DU 07 JUIN 2022
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08937 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B72PP
Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/00174
APPELANTS
Monsieur [S] [F]
Né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
GIE GROUPEMENT DES ARMATEURS CÔTIERS MARSEILLAIS
[Adresse 1]
[Localité 3]
Tous deux représentés par Me Lara AYACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1869
Assistés de Me Patrick PHILIP, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉ
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représenté et assisté de Me Anne-Laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079
LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS
Représenté par Mme Sylvie SCHLANGER, Avocat général, ayant émis un avis écrit en date du 6 février 2020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, pour Nicole COCHET Première présidente de chambre empêchée et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente à la mise à disposition.
* * * * *
Le groupement d'intérêt économique dénommé 'Groupement des armateurs côtiers marseillais' - ci après 'le Gie' - a été constitué en 1973 entre MM. [X] et [N] [D] d'une part, MM. [M] et [S] [F] d'autre part, propriétaires exploitants de navires assurant le transport de passagers depuis le Vieux port de [Localité 3], notamment vers les îles de l'archipel du Frioul.
Dans le contexte d'un contrôle fiscal déclenché à l'encontre du Gie pour les exercices 2002 à 2003, l'administration fiscale des Bouches du Rhône a signalé le 12 juillet 2005 au procureur de la République de Marseille des faits révélés par les opérations de vérification - navires acquis d'occasion ne figurant pas à l'actif du Gie, comptabilité incohérente et versement d'espèces sur les comptes courants d'associés - , susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.
Après enquête préliminaire, une information judiciaire à l'encontre de M. [S] [F] et d'autres personnes était ouverte le 16 janvier 2006, puis étendue par réquisitoire supplétif du 23 mars 2006, des chefs d'abus de confiance, blanchiment commis en bande organisée et abus de biens sociaux commis au préjudice de plusieurs autres sociétés de transport maritime. Plusieurs navires étaient saisis le 21 mars 2006, un second réquisitoire supplétif étant délivré par le ministère public le 14 avril 2006, au vu des documents de francisation des navires saisis, des chefs de faux et usage, obtention indue de documents administratifs et extorsion de fonds.
Saisi par plusieurs mis en examens dont M. [S] [F], le juge d'instruction, par ordonnance du 18 avril 2006, rejetait la demande de restitution des bateaux et ordonnait leur remise au service des Domaines, cette décision étant confirmée le 14 juin 2006 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le pourvoi formé sur cette décision étant rejeté par arrêt du 23 janvier 2007.
Renvoyé avec les autres mis en examen devant le tribunal correctionnel de Marseille, M.[S] [F], par jugement du 16 novembre 2009, a été déclaré coupable d'abus de confiance, de complicité d'abus de biens sociaux, de faux et usage de faux sur les actes de cession de plusieurs des navires saisis, d'obtention indue de documents administratifs pour d'autres, et d'extorsion de fonds, et condamné pour ces faits à deux ans d'emprisonnement et une amende de 100 000 euros, la confiscation de certains des navires étant ordonnée à titre de peine complémentaire.
Par arrêt du 2 février 2011, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, confirmant pour l'essentiel le jugement ainsi que la peine, a maintenu la confiscation de dix sept navires mais ordonné la restitution de cinq d'entre eux, à savoir : Pharaon I à M. [D], Mistral II au Gie, Ville de [Localité 3], Château d'[Localité 7] et Tramontane à MM. [F] et [D].
Les pourvois formés contre cet arrêt ont été rejetés par la Cour de cassation suivant arrêt du 5 décembre 2012.
Par courrier du 25 février 2013, le Gie et M. [F] ont présenté une demande auprès du ministre de la justice, renouvelée les 12 juin et 17 décembre 2013, afin d'être indemnisés du produit de cession de biens dont la restitution avait été ordonnée, vendus entretemps par la direction des Domaines et des préjudices subis du fait des procédures dirigées contre eux, à laquelle il leur a été répondu par un refus le 23 octobre 2013.
M.[S] [F] et le Gie ont alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande d'annulation de la décision de rejet du ministre et d'indemnisation à hauteur de 1 510 000 euros pour M.[S] [F] et de 940 000 euros pour le Gie.
Quasi simultanément, suivant acte d'huissier délivré le 24 décembre 2014, ils ont fait assigner l'agent judiciaire de l'État aux mêmes fins devant le tribunal de grande instance de Paris.
Après un sursis à statuer ordonné dans l'attente de la décision de la juridiction administrative, l'instance a été reprise consécutivement à la décision d'incompétence rendue le 19 septembre 2016 par la cour administrative d'appel de Marseille, et par jugement du 1er avril 2019, le tribunal judiciaire
- a débouté M. [F] et le Gie de leurs demandes,
- les a condamnés in solidum aux dépens, et à payer à l'agent judiciaire de l'État la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- a ordonné l'exécution par provision,
- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 23 avril 2019, M. [F] et le Gie ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 24 février 2022, M. [F] et le Gie demandent à la cour
- de les recevoir en leurs demandes, et les y déclarer bien fondés,
- d' infirmer et réformer le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
- de dire qu'ils sont victimes d'une faute suffisamment grave, en tout cas d'un déni de justice, permettant d'engager l'État afin qu'il procède aux indemnisations demandées,
- de recevoir leurs demandes d'indemnisation, à hauteur de 850 001 euros pour le Gie, et de 1 457 750 euros pour M. [F],
En tout état de cause,
- de condamner l'administration au versement d'une somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er mars 2022, l'État pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État demande à la cour
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner in solidum M. [F] et le Gie à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner in solidum M. [F] et le Gie aux entiers dépens de la procédure dont distraction au profit de Me Archambault.
Selon avis notifié le 6 février 2020, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la responsabilité de l'État n'était pas engagée.
SUR CE,
Sur la responsabilité de l'État
Le tribunal de grande instance de Paris a considéré que M. [S] [F] et le Gie ne rapportaient pas la preuve de la faute lourde reprochée à l' Etat et a rejeté leurs demandes, en motivant comme suit sa décision :
- le refus du juge d'instruction de restituer les navires au cours de l'information judiciaire ne peut constituer cette faute lourde,
- le fait que les demandeurs aient obtenu une relaxe partielle et la restitution d'une partie des navires devant la cour d'appel statuant au fond ne signifie pas que le surplus confisqué l'ait été sans raison,
- en tout cas, les juridictions ayant souverainement répondu aux demandes de restitution, l'action en responsabilité de l'Etat ne peut être utilisée comme une nouvelle voie de recours,
- le grief général tenant à la sous-évaluation des prix de vente par le service des domaines n'est pas susceptible de constituer une faute lourde dès lors qu'il n'est ni allégué ni justifié que la vente des navires n'ait pas été organisée conformément aux règles et usages en vigueur,
- le fait que la restitution ainsi ordonnée soit intervenue en équivalent, et non en nature, ne traduit pas non plus une faute, cette possibilité étant permise par le code de procédure pénale,
- si les demandeurs n'ont pas perçu de l 'État le prix de la vente des navires restitués vendus par les Domaines, c'est qu'il a été versé à l'administration fiscale au titre d'un avis à tiers détenteur relatif aux dettes fiscales de M. [F] que les Domaines n'avaient que la possibilité d'exécuter, la cour administrative d'appel de Marseille ayant d'ailleurs, suivant arrêt du 27 juillet 2012, confirmé le bien fondé dudit avis,
- s'agissant de l'imputation de sommes reçues dans le cadre de cette vente sur des créances salariales sur la procédure collective de M. [F], père du demandeur, il n'est pas établi par les éléments versés aux débats que les sommes en question n'aient pas été restituées, une correspondance du service des Domaines du 12 mai 2017 laissant au contraire penser qu'elles l'ont bien été,
- plus spécialement en ce qui concerne la vente du navire Mistral II, la non restitution du prix relève d'une difficulté d'exécution telle que prévue par l'article 710 du code de procédure pénale, et en n'exerçant pas le recours prévu par ce texte, les demandeurs n'ont pas mis le service public de la justice en mesure de réparer son éventuel dysfonctionnement, qu'ils ne peuvent de ce fait lui reprocher.
Les appelants soutiennent à titre liminaire que le jugement dont appel est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation quant à l'objet et la portée des moyens invoqués et de leurs demandes, et répond à des arguments qui ne sont pas les leurs, puisqu'ils n'ont en effet jamais critiqué la procédure pénale elle-même, leurs demandes ne portant que sur l'inexécution des restitutions de navires ordonnées depuis plus de dix ans.
Selon eux, l'action engagée n'est donc en rien une remise en cause détournée des décisions pénales rendues, mais une demande d'indemnisation du fait de cette inexécution, d'où sont résultées à leur détriment une minoration du prix de vente des navires et des pertes d'exploitation , ces préjudices ayant été causés et aggravés par une pluralité de fautes simples et lourdes des services de l'Etat, de nature à engager sa responsabilité, qui sont les suivantes :
- d'une part l'adoption, après déclaration par la Cour de Strasbourg de la non conformité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales des procédures de perquisitions fiscales de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ayant conduit à la saisie des navires, d'une loi qui a validé rétroactivement ces perquisitions inconventionnelles, sans pour autant leur donner la possibilité de bénéficier effectivement des voies de recours qu'elle instituait.
Sur ce premier grief, les appelants font valoir
- que comme l'a affirmé la Cedh dans son arrêt Ravon du 21février2008, la procédure initiale était irrégulière, puisqu'ils n'ont eu d'autre recours ouvert qu'un pourvoi en cassation qui a été rejeté, sans aucun réexamen par un juge du fond ;
- que la loi de validation 2008-776 du 4 août 2008, censée mettre les dispositions en cause en conformité avec les exigences de la cour de Strasbourg en instaurant une procédure d'appel devant le juge du fond, n'a cependant ouvert la possibilité d'exercer effectivement ce recours qu'aux seuls contribuables n'ayant pas encore définitivement contesté les ordonnances litigieuses, l'interdisant donc à ceux tels M.[F] dont le recours avait déjà fait l'objet d'un rejet par la Cour de cassation ;
- que M. [F] n'a donc pas pu, au nom de l'autorité de chose jugée, contester les ordonnances ayant autorisé les opérations de visite et de saisie, en dépit de leur inconventionnalité, ce alors même que ce sont les documents collectés lors de ces saisies par la Direction nationale des enquêtes et communiquées au parquet, en particulier le cahier de recettes d'août 2003, qui sont à la base de la procédure pénale, des saisies opérées dans ce contexte, et des condamnations prononcées à son encontre ;
- que cette loi de validation rétroactive, en le privant du bénéfice de la jurisprudence Ravon, et de son droit au procès équitable et à un recours effectif, sans qu'un motif impérieux d'intérêt général ne le justifie, puisque n'ont été invoqués lors de son adoption que des motivations purement budgétaires, caractérise une ingérence injustifiée du législateur dans le cours normal d'une procédure juridictionnelle et une atteinte à l'équilibre des droits des parties ;
- qu'en instaurant en outre des distinctions dans le droit au recours en fonction de la date des perquisitions et saisies litigieuses et suivant la nature judiciaire ou fiscale de la procédure dans laquelle ces éléments sont opposés, la loi en cause porte aussi atteinte aux principes de non discrimination et du droit au respect de la vie privée ;
- qu'elle constitue donc une violation des engagements internationaux de la France de nature à engager pour faute simple la responsabilité de l'Etat du fait de ses lois.
- d'autre part, le défaut de gardiennage et d'entretien des navires saisis : laissés à l'abandon, dégradés et même pillés, les navires, en parfait état de navigation lors de leur saisie, n'ont pu être cédés que pour une fraction insignifiante de leur valeur d'origine.
Selon les appelants, l'agent judiciaire de l'Etat ne peut se dédouaner en soutenant qu'à compter de leur remise aux Domaines, les biens saisis ne relevaient plus de la responsabilité du service public de la justice, alors que par une décision définitive du 19 septembre 2016, la juridiction administrative s'est déclarée incompétente au motif que la saisie puis la vente, intervenues au cours d'une procédure judiciaire, sont indétachables de la procédure pénale et relèvent de la compétence exclusive du juge judiciaire.
La violation du droit de propriété et du droit au respect des biens des justiciables que constitue la dégradation de ces navires saisis, alors que leur remise au service des Domaines en application de l'article 99-2 du code de procédure pénale avait pour finalité de conserver leur valeur, caractérise une faute de l'Etat ouvrant droit à réparation.
- enfin, de troisième part, le refus répété d'en restituer le prix de vente conformément à l'arrêt définitif de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 2 février 2011, en arguant de difficultés internes et en préférant systématiquement aux appelants des tiers sans droit sur ces sommes.
Les appelants précisent à cet égard
- que l'agent judiciaire de l'Etat ne peut leur reprocher utilement de n'avoir pas engagé d'action sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale, l'action en justice étant un droit fondamental et facultatif, l'exercice par le justiciable de sa liberté d'agir ou non ne pouvant délier l'Etat de son obligation d'exécuter les décisions de justice ;
- que l'absence de réponse quinze ans après les saisies et dix ans après que la décision de restitution est devenue irrévocable constitue à l'évidence un délai excessif caractérisant une faute lourde de l'Etat ;
- qu'après avoir justifié cinq ans d'inaction par des problèmes comptables, les Domaines ont ensuite versé la somme de 98 258, 04 euros à un mandataire au titre de créances sur M.[M] [F], lequel n'étant pas le propriétaire des navires concernés par les restitutions, n'avait aucun droits - ni donc ses créanciers - sur ces sommes ;
- que le solde a ensuite été également vers à un autre mandataire à raison d'une procédure qui ne concernait toujours pas M.[S] [F], avant d'être versé au Trésor public à raison d'un Atd contesté, qui a été annulé par le juge administratif ;
- que cet ensemble d'incidents sont constitutifs d'une faute lourde, de même que la mauvaise volonté avérée du service des Domaines que révèlent ces négligences graves et répétées.
L'agent judiciaire de l'État demande la confirmation du jugement , soutenant qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat n'est en l'espèce démontrée :
- Sur la prétendue faute simple de l'État résultant de ce que les appelants auraient été privés, par la loi d'août 2008, d'un appel contre les ordonnances ayant autorisé les perquisitions conduites en application des dispositions de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, une décision du Conseil constitutionnel, rendue le 20 juillet 2010 sur une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [M] [F], père de l'appelant, a validé en toutes ses dispositions l'article 164 créant le recours en cause, étant souligné que le moyen ainsi invoqué devant la cour par les appelants est complètement nouveau, aucune critique n'étant en revanche émise à l'encontre des chefs du jugement rendu par les premiers juges sur la responsabilité de l' Etat.
Au demeurant, la cour d'appel n'est pas un juge constitutionnel, et la responsabilité de l'Etat n'est pas susceptible d'être engagée du fait des lois ;
- Aucune faute lourde ni aucun déni de justice ne peuvent être retenus au titre de la procédure pénale, ouverte en 2005 tandis que l'information l'a été en janvier 2006, antérieurement à l'arrêt Ravon du 21 février 2008, l'irrégularité prétendue des visites et perquisitions n'ayant jamais été alléguée par M. [S] [F] dans le cadre de cette information judiciaire, ni devant le tribunal, et si elle est évoquée, c'est seulement dans l'arrêt rendu par la cour d' Aix en Provence le 30 avril 2019, lequel souligne surtout que les appelants n'ont pas tenté de remettre en cause la procédure. Au demeurant les décisions qui ont décidé de la culpabilité de M.[F] et l'ont confirmée n'évoquent pas les saisies, mais reposent sur les actes diligentés dans le cadre de l'enquête préliminaire puis de l'information judiciaire, et il n'est pas possible, au vu des pièces produites, de déterminer si les saisies litigieuses ont effectivement permis de réunir des preuves utilisées ensuite dans le cadre de la procédure pénale , alors qu'elles ont été autorisées sur la base de suspicion de fraude fiscale, les faits pour lesquels l'appelant a été poursuivi et condamné étant tout autres.
A supposer même que des documents tels le cahier d'août 2003 aient été versés à la procédure d'instruction, ce qui n'est pas prouvé puisque la pièce n'est pas cotée, ils ne peuvent être à l'origine de la confiscation des navires ni de la procédure pénale, qui se fonde sur l'ensemble des éléments de l'information judiciaire. Les navires ont été saisis en 2006 , en grande partie pour des faits postérieurs à 2004, à la suite surtout de l'analyse des documents de francisation qui a conduit le ministère public à délivrer un réquisitoire supplétif, preuve qu'il n'en avait pas connaissance au moment de l'ouverture de l'information.
Le ministère public souligne que même s'il est apparemment nouveau, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'origine et de l'insuffisance des modalités de régularisation prévues par la loi de validation du 4 août 2008 pour résoudre ses vices est recevable en appel, mais ne saurait cependant prospérer, alors que les dispositions transitoires de l'article 164 de cette loi ont été expressément validées par le Conseil constitutionnel et que dès lors, aucune faute de l'Etat du fait de ses lois ne peut être mise à sa charge.
Il considère que tout en n'invoquant pas expressément les dispositions de l'article L.141- 1 du code de l'organisation judiciaire, les appelants critiquent la procédure pénale en ce qu'elle reposerait sur des saisies irrégulières, mais que cependant les décisions rendues - qu'il s'agisse du jugement correctionnel du 16 novembre 2009 ou de l'arrêt confirmatif de la cour d'appel d'Aix en Provence du 2 février 2011- ne font pas état de ces saisies, et qu'elles reposent sur les actes diligentés dans le cadre de l'enquête préliminaire et de l'information : la preuve n'étant pas rapportée de ce que les saisies judiciaires auraient eu pour fondement les saisies et visites arguées d'irrégularité, aucune faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ne peut être retenue.
La lecture des dernières conclusions des appelants en première instance confirme que devant le tribunal, ils ne faisaient explicitement grief à l'Etat que : de n'avoir pas procédé aux restitutions ordonnées par l'arrêt du 2 février 2011 ; d'être, faute de gardiennage des objets saisis, responsable du très faible produit des trois cessions réalisées ; enfin de ne pas avoir procédé au reversement de ce produit entre leurs mains. Ils n'y critiquent pas, en particulier, le refus opposé le18 avril 2006 par le juge d'instruction à leur demande de restitution des bateaux, confirmé en appel puis en cassation, dont le tribunal a cependant estimé nécessaire de préciser qu'il ne pouvait, compte tenu du déroulement de la procédure, constituer une faute lourde de à la charge de l'Etat.
Les appelants ayant interjeté appel des chefs du jugement les ayant déboutés de leurs demandes, l'effet dévolutif opère s'agissant de la mise en cause de la responsabilité de l'Etat. Aucune irrecevabilité n'étant soulevée, tirée de la nouveauté en cause d'appel du moyen tenant à l'inconventionnalité des dispositions de l'article 16 B du livre des procédures fiscales et de la loi du 4 août 2008 censée avoir réparé cette inconventionnalité, qui priverait l'action conduite au pénal de son fondement, et la saisie des navires ordonnée en 2006 par le juge d'instruction de sa justification, ce moyen sera examiné.
Quant à la régularité des perquisitions fiscales donc, en l'absence de tout recours au fond contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention les autorisant en application de l'article 16 B du livre des procédures fiscales, la Cour européenne des droits de l'homme devant laquelle cette procédure a été mise en cause a jugé qu'en ce qu'il ne prévoyait pas d'autre contrôle de la régularité de l'autorisation délivrée qu'un pourvoi en cassation ne permettant pas l'examen des éléments de fait fondant l'autorisation litigieuse, ce texte n'offrait pas au contribuable poursuivi un recours conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Cet arrêt Ravon du 21 février 2008 ne permet pas d'alléguer l'irrégularité de la procédure fiscale concernant les appelants, conduite en 2002/2003 dans des conditions conformes au texte existant. Aussi bien M.[F] et le Gie concentrent leur critiques devant la cour sur la loi 'de validation' du 4 août 2008 visant à mettre ce texte en conformité aux principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en considération de cet arrêt: Selon eux, l'article 164 de cette loi modifiant l'article 16 B du livre des procédures fiscales pour y introduire un recours au fond, devant le premier président de la cour d'appel, à l'encontre des ordonnances d'autorisation , ne résout pas l'inconventionnalité relevée par la cour de Strasbourg mais au contraire l'accentue, en ce que sauf exceptions limitées, l'appel demeure fermé aux justiciables dont le pourvoi en cassation a été définitivement rejeté antérieurement à sa promulgation, continuant de priver certains contribuables - dont ils font partie -, d'un recours effectif, et leur faisant au surplus subir la rupture d'égalité introduite par les distinctions opérées dans l'ouverture du droit d'appel selon la date et la nature des procédures engagées à leur encontre, en contrariété avec les dispositions conventionnelles qui s'imposent pourtant au législateur français. La faute résultant de l'adoption d'un tel texte serait donc selon eux acquise, que la cour devrait sanctionner les indemnisant du préjudice subi par la mise en jeu de la responsabilité de l' Etat du fait des lois. Cependant, à supposer cette prétention justifiée - étant rappelé que l'exercice d'une telle action suppose en premier lieu que la loi critiquée n'ait pas fait l'objet d'une validation par le Conseil constitutionnel, alors qu'en l'occurrence le Conseil constitutionnel, répondant le 30 juillet 2010 ( 2010-19/27 QPC) à la question prioritaire de constitutionnalité soumise par le Conseil, a déclaré conformes à la Constitution ' l'article 1er: les 1° et 3° du paragraphe IV de l'article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l''économie ainsi que l'article 16 B du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de la même loi' -, le juge judiciaire, dont la compétence en matière de responsabilité de l'Etat est strictement cantonnée par l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire à l'appréciation du fonctionnement éventuellement défectueux du service public de la justice, n'est pas compétent pour juger du point que les appelants prétendent ainsi lui soumettre, et le serait-il qu'il n'aurait en tout cas pas pouvoir de statuer sur la conformité de la loi en cause aux engagements internationaux souscrits par la France.
Aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat au titre de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire ne peut donc caractérisée sur le fondement de ce moyen.
Quant au dépérissement de la valeur des biens saisis,
- D'une part, ainsi que l'a pertinemment observé le tribunal, s'agissant d'une vente aux enchères, la réalisation d'une cession à un prix inférieur, voire très inférieur, à la valeur à laquelle le bien vendu avait été estimé, ne peut constituer une faute ni par conséquent faire naître une quelconque responsabilité, à moins d'établir que la vente n'a pas été organisée conformément aux règles et usages en vigueur, et, le cas échéant, l'imputabilité d'une telle défaillance ; or les appelants n'allèguent rien en ce sens.
- D'autre part, sur la déperdition de valeur qui procéderait de la dégradation des navires par défaut de gardiennage et d'entretien, à supposer établie cette causalité qui ne résulte que des affirmations des appelants, elle ne peut en toute hypothèse être imputée à un fonctionnement défectueux du service public de la justice, ce nonobstant la décision par laquelle la Cour administrative d'appel de Marseille le 19 septembre 2016, saisie de demandes indemnitaires identiquement fondées et de mêmes montants, s'est déclarée incompétente en considérant - sans que l'argumentation qui lui a été présentée ne soit d'ailleurs précisée à la cour - que la saisie puis la vente des navires étant intervenues en application des dispositions de l'article 97 du code de procédure pénale, les préjudices dont la réparation était réclamée se rattachaient à l'exercice même de la fonction juridictionnelle et que l'appréciation de ces demandes relevait donc du juge judiciaire.
L'ordonnance du juge d'instruction du 18 avril 2006,confirmée le 14 juin 2006 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et rendue définitive par le rejet le 23 janvier 2007 du pourvoi formé sur cet arrêt, a en effet décidé, en application de l'article 99-2 du code de procédure pénale dans sa version contemporaine à sa décision, de la remise des navires au service des Domaines en vue de leur aliénation, précisant que leur conservation n'était plus utile à la manifestation de la vérité et que leur cession et la consignation de leur prix était conforme à l'intérêt des demandeurs quelle que soit l'issue définitive de la procédure.
Cette remise a marqué la fin de l'intervention judiciaire sur les biens saisis par leur transfert au service des Domaines, seul détenteur des moyens juridiques et logistiques nécessaires tant à leur conservation qu'à la réalisation de leur cession. C'est d'ailleurs exclusivement avec les Domaines, et non avec les autorités judiciaires, que le conseil de M. [F] a échangé pour s'enquérir de l'état d'avancement et du produit des ventes.
Le service public de la justice n'étant plus impliqué dans le sort des navires postérieurement à ce transfert, aucune faute lourde propre à engager sur le fondement de l'article L.141 -1 du code de l'organisation judiciaire la responsabilité de l'Etat du fait de la dépréciation des navires saisis ne peut être retenue, la décision des premiers juges étant à cet égard confirmée.
Pour les mêmes motifs que ceux susvisés, le service public de la justice n'étant plus en charge des navires confiés au Domaine, aucune faute lourde ni aucun déni de justice de l'Etat ne sont caractérisés s'agissant du reversement du prix de cession des navires.
Pour l'ensemble des motifs ci dessus exposés, complétant et au besoin se substituant à ceux des premiers juges, la cour, au constat de l'absence de toute faute lourde ou déni de justice établi par les appelants dans des conditions justifiant la mise en oeuvre de l'article L.141- 1 du code de l'organisation judiciaire, confirme le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'indemnisation.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Parties succombantes, M.[F] et le Gie sont condamnés aux dépens d'appel, l'équité justifiant leur condamnation à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Condamne M.[S] [F] et le Groupement d'intérêt économique Groupement des armateurs côtiers de Marseille aux entiers dépens d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Archambault,
Condamne M.[S] [F] et le Groupement d'intérêt économique Groupement des armateurs côtiers de Marseille à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE