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02/06/2022 | FRANCE | N°20/11397

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 02 juin 2022, 20/11397


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 02 JUIN 2022



(n° /2022, pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/11397

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGKM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2020 -Tribunal judiciaire de BOBIGNY RG n° 17/0109



APPELANTS



Madame [I] [A] épouse [D] agissant en son nom personnel, en qualité d'ayant dr

oit de Monsieur [F] [D] et en qualité de représentante légale de Monsieur [K] [D]

[Adresse 11]

[Localité 17]

née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 21] (France)

re...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 02 JUIN 2022

(n° /2022, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/11397

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGKM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2020 -Tribunal judiciaire de BOBIGNY RG n° 17/0109

APPELANTS

Madame [I] [A] épouse [D] agissant en son nom personnel, en qualité d'ayant droit de Monsieur [F] [D] et en qualité de représentante légale de Monsieur [K] [D]

[Adresse 11]

[Localité 17]

née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 21] (France)

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée par Me Anne-Laure TIPHAINE, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [L] [D] agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [F] [D]

[Adresse 11]

[Localité 17]

né le [Date naissance 5] 1999 à [Localité 23]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assisté par Me Anne-Laure TIPHAINE, avocat au barreau de PARIS

Madame [J] [D] agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [F] [D]

[Adresse 11]

[Localité 17]

née le [Date naissance 2] 1996 à [Localité 23]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée par Me Anne-Laure TIPHAINE, avocat au barreau de PARIS

Madame [Y] [X] [S]

[Adresse 10]

[Localité 15]

née le [Date naissance 4] 1951 à [Localité 24]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée par Me Anne-Laure TIPHAINE, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [R] [W]

[Adresse 9]

[Localité 16]

né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 22]

représenté et assisté par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

S.A.M.C.V. MATMUT

[Adresse 12]

[Localité 13]

représentée et assistée par Me Dominique LAURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1418

CPAM DE SEINE SAINT DENIS

[Adresse 8]

[Localité 14]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre, et devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre assesseur chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Sophie BARDIAU, conseillère

Greffière lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- Défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le [Date décès 7] 2012, alors qu'il circulait à moto sur la commune de [Localité 16] (93) et qu'il traversait un carrefour commandé par des feux de signalisation, [F] [D] a été victime d'un accident mortel de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule conduit par M. [R] [W], assuré auprès de la société MATMUT.

L'épouse de [F] [D], Mme [I] [A] a saisi le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire.

Le juge d'instruction a désigné un expert en accidentologie, M. [H] [C], qui a établi son rapport le 25 novembre 2015.

Par décision du 1er juin 2015, le juge d'instruction a ordonné un non-lieu, décision qui a été confirmée le 27 novembre 2015 par la quatrième chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Mme [I] [A], agissant tant en son personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils mineur, [K] [D], les deux enfants de la victime directe devenus majeurs, Mme [J] [D] et M. [L] [D] ainsi que sa mère, Mme [Y] [S] (les consorts [D]), ont fait assigner par actes d'huissier de justice en date des 16 et 24 janvier 2017, M. [W], la société MATMUT et la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis (la CPAM), devant le tribunal de grande instance de Bobigny, aux fins d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 23 juin 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a :

- débouté les consorts [D] de l'intégralité de leurs demandes y compris celle en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société MATMUT et M. [W] de leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les consorts [D] aux dépens.

Par déclaration d'appel du 30 juillet 2020, les consorts [D] ont interjeté appel de ce jugement en critiquant chacune de ses dispositions.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions des consorts [D], notifiées le 15 décembre 2021, aux termes desquelles ils demandent à la cour, au visa notamment de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des articles L. 211-9 et L. 211-13 du codes des assurances, de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny en date du 23 juin 2020 en ce qu'il a :

- débouté les consorts [D] de l'intégralité de leur demande tendant à l'indemnisation leurs préjudices, frais engagés et souffrances endurées, y compris celle en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné les consorts [D] aux dépens,

en conséquence et statuant à nouveau,

- juger que les circonstances de l'accident de la circulation en date du [Date décès 7] 2012 sont indéterminées, et qu'aucune faute n'est établie à l'encontre de [F] [D],

- juger les consorts [D] recevables et bien fondés à solliciter la réparation intégrale des conséquences dommageables subies lors de l'accident survenu le [Date décès 7] 2012 qui a causé le décès de [F] [D] sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985,

- déclarer les consorts [D] recevables et bien fondés en toutes leurs demandes,

- juger la société MATMUT et M. [W] tenus à l'indemnisation intégrale des préjudices subis par les requérants,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer aux ayants droit de [F] [D] :

- dépenses de santé : mémoire

- 30 000 euros au titre des souffrances endurées par [F] [D],

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer à Mme [I] [A] les sommes suivantes :

- frais d'obsèques : 14 064,40 euros

- préjudice économique : 761 708,25 euros

- préjudice d'affection : 50 000 euros,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer à Mme [J] [D] les sommes suivantes :

- préjudice d'affection : 40 000 euros

- préjudice économique : 24 090,92 euros,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer à M. [L] [D] les sommes suivantes :

- préjudice d'affection : 40 000 euros

- préjudice économique : 32 085,50 euros,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer à Mme [I] [A] en qualité de représentante légale de son enfant mineur, [K] [D], les sommes suivantes :

- préjudice d'affection : 40 000 euros

- préjudice économique : 48 141,65 euros,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à payer à Mme [Y] [S] la somme suivante :

- préjudice d'affection : 25 000 euros,

à titre infiniment subsidiaire,

- considérer que la faute de [F] [D] ne saurait réduire son droit à indemnisation, et celui de ses ayants droit et proches de plus de 25 %,

en conséquence,

- considérer que le droit à indemnisation des requérants est de 75 % a minima, et condamner la société MATMUT et M. [W] à indemniser l'ensemble des requérants dans ces proportions pour les montants sollicités et susvisés,

en tout état de cause,

- juger que ces sommes produiront intérêts de plein droit au double du taux légal à compter du 17 avril 2012,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à l'organisme social appelé en la cause,

- débouter les défendeurs de toutes demandes contraires,

- condamner la société MATMUT et M. [W] à verser aux requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

Vu les dernières conclusions de la société MATMUT et M. [W], notifiées le 14 janvier 2022, aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

Vu l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985,

à titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny,

- juger que [F] [D] a commis des fautes à l'origine exclusive de l'accident survenu le [Date décès 7] 2012,

- juger que ces fautes d'une exceptionnelle gravité sont de nature à exclure tout droit à indemnisation,

en conséquence,

- débouter les consorts [A] de l'ensemble de leurs demandes,

à titre subsidiaire,

- juger que la gravité des fautes commises par [F] [D] est de nature à limiter leur droit à indemnisation, lequel doit être fixé à 20%,

en conséquence,

- fixer comme suit le préjudice subi par les consorts [D]:

$gt; Mme [I] [A] :

- frais d'obsèques : pour mémoire

- préjudice d'affection : 30 000 euros

- préjudice économique : 299 323 euros

- juger que le capital décès versé par la CPAM ainsi que s'agissant du travail, la rente et les arrérages échus également versés par la CPAM, doivent venir en déduction,

- juger que ces sommes devront être réduites, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation,

$gt; Mme [J] [D] :

- préjudice d'affection : 25 000 euros

- préjudice économique : 23 710 euros

- juger que ces sommes devront être réduites, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation, et qu'il conviendra de tenir compte des rentes et arrérages échus versés par la CPAM,

$gt; M. [L] [D] :

- préjudice d'affection : 25 000 euros

- préjudice économique : 31 185 euros

- juger que ces sommes devront être réduites, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation, et qu'il conviendra de tenir compte des rentes et arrérages échus versés par la CPAM,

$gt; [K] [D] :

- préjudice d'affection : 25 000 euros

- préjudice économique : 45 384,80 euros

- juger que ces sommes devront être réduites, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation, et qu'il conviendra de tenir compte des rentes et arrérages échus versés par la CPAM,

-$gt; Mme [Y] [S]

- préjudice d'affection : 15 000 euros

- juger que cette somme devra être réduite, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation,

- débouter les consorts [D] de leur demande en indemnisation du préjudice au titre des souffrances endurées,

- débouter les consorts [D] de toutes leurs autres demandes,

à titre subsidiaire,

- sur le préjudice économique, fixer comme suit le préjudice économique :

- Mme [I] [A] : 346 162,25 euros

- Mme [J] [D] : 23 496,14 euros

- M. [L] [D] : 31 054,02 euros

- [K] [D] : 45 915,27 euros

à titre encore plus subsidiaire,

- fixer comme suit le préjudice économique :

- Mme [I] [A]: 368 117,88 euros

- Mme [J] [D] : 23 734,58 euros

- M. [L] [D] : 31 469,29 euros

- [K] [D] : 46 796,71 euros,

- juger que le capital décès versé par la CPAM ainsi que s'agissant du travail, la rente et les arrérages échus également versés par la CPAM, doivent venir en déduction,

- juger que ces sommes devront être réduites, pour correspondre à 20% du droit à indemnisation,

- condamner les consorts [D] à verser à M. [W] et à la société MATMUT, à chacun d'eux, une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

La CPAM, à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier de justice en date du 6 octobre 2020, délivré par dépôt à l'étude d'huissier, n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le droit à indemnisation de [F] [D] et de ses proches

Il résulte de l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.

En présence d'une telle faute, il appartient au juge d'apprécier si celle-ci a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages que ce conducteur a subi, en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs.

Les premiers juges ont retenu que [F] [D] circulait à une vitesse supérieure à 60 km/h dans une zone limitée à 30 km/h et estimé que cette faute était d'une gravité telle qu'elle l'exposait sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience et justifiait l'exclusion de son droit à indemnisation.

Les consorts [D] considèrent que les circonstances de l'accident sont indéterminées et qu'ils sont bien fondés à solliciter la réparation intégrale de leurs préjudices en lien avec le décès de [F] [D].

Ils estiment que l'enquête pénale ne permet pas de déterminer lequel des deux véhicules impliqués à omis de marquer l'arrêt au feu rouge fixe et soutiennent qu'à le supposer établi l'excès de vitesse de [F] [D] n'a eu aucune incidence sur son dommage.

A titre subsidiaire, ils concluent que la faute de la victime directe ne justifie qu'une limitation de 25 % au maximum de son droit à indemnisation et de celui de ses proches.

La société MATMUT et M. [W] soutiennent que le comportement inconscient de [F] [D] qui circulait dans un carrefour en travaux à une vitesse au moins égale au double de la vitesse autorisée constitue une faute d'une gravité exceptionnelle, de nature à exclure le droit à indemnisation des consorts [D].

A titre subsidiaire, ils font valoir que compte tenu de la gravité de la faute commise, le droit à indemnisation des consorts [D] doit être limité à 20 % de leurs préjudices.

Sur ce, il résulte de l'enquête pénale que M. [W] circulait à bord de son véhicule Peugeot 307 sur le [Adresse 19] (93) pour se rendre à son domicile et que [F] [D] circulait au guidon de sa motocyclette Susuki sur l'[Adresse 18] en direction de la pointe de [Localité 20].

Les fonctionnaires de police ont relevé que les conditions de circulation étaient bonnes, qu'il ne pleuvait pas mais qu'il y avait des travaux de voirie sur le côté droit de la chaussée de l'[Adresse 18], «immobilisant», la voie la plus à droite dans le sens de circulation du motard.

La collision s'est produite à l'intérieur du carrefour et les constatations relatives aux dégradations des véhicules témoignent de la violence du choc, les fonctionnaires de police ayant relevé que la motocyclette avait été entièrement détruite après l'impact, un pneu ayant été arraché et la fourche cassée et que le véhicule Peugeot 307 était également complètement détruit sur le côté droit avant et arrière.

Il ressort de la fiche de renseignement relative aux lieux de l'accident établie par les fonctionnaires de police et du croquis de l'accident que ce carrefour est commandé par des feux de signalisation et que la vitesse était limitée à 30 km/h sur l'[Adresse 18].

M. [T], agent du conseil général responsable de la signalisation tricolore a indiqué aux enquêteurs par téléphone que le relevé informatique n'avait signalé aucune anomalie sur les feux tricolores du carrefour le jour de l'accident ; il a précisé qu'en cas d'anomalie les feux se mettaient à l'orange clignotant ou s'éteignaient complètement, précisant qu'en aucun cas les feux ne pouvaient passer au vert en même temps.

Si M. [W] a toujours affirmé qu'il avait franchi l'intersection alors que le feu était vert et précisé qu'un témoin, ultérieurement identifié comme étant M. [V], lui aurait indiqué verbalement que le motard était passé au rouge, ce dernier, entendu à plusieurs reprises lors de l'enquête préliminaire puis sur commission rogatoire, n'a jamais confirmé avoir tenu de tels propos.

M. [V], sapeur pompier qui circulait en motocyclette derrière la victime, a dans un premier temps affirmé que le motard avait franchi l'intersection alors que le feu de signalisation était vert puis indiqué qu'à la réflexion il n'en avait pas la certitude.

Un automobiliste, M. [B], témoin de la collision, n'a pas été en mesure d'affirmer de quelle couleur était le feu de signalisation pour le motard victime lorsqu'il avait franchi l'intersection, précisant lors de sa seconde audition qu'il avait «un doute sur le feu tricolore».

Il en résulte que l'enquête pénale n'a pas permis d'établir que [F] [D] avait omis de marquer l'arrêt à un feu de signalisation rouge fixe.

En revanche, les témoignages concordent concernant la vitesse excessive à laquelle roulait [F] [D] au moment de l'accident.

M. [V] a ainsi indiqué qu'ils s'étaient arrêtés ensemble à un feu tricolore, que [F] [D] avait redémarré très fortement, que lui-même avait passé le premier rapport de vitesse puis le second et avait atteint 80 km/h sans pouvoir le rattraper ; il a précisé qu'il avait aperçu le feu à l'angle du [Adresse 19] et de l'[Adresse 18] et s'était demandé si la victime allait réussir à le franchir au vert, précisant qu'il avait «halluciné de la vitesse à laquelle il circulait».

M. [B] a exposé qu'il avait été doublé par deux motos, que celles-ci roulaient très vite et qu'il lui semblait qu'elles faisaient la course, qu'il avait continué son chemin et vu qu'il y avait des travaux en cours, qu'il y avait des panneaux de rétrécissement de chaussée et ensuite des cônes positionnés sur la partie droite de la chaussée, qu'il s'était déporté sur la gauche pour passer les cônes et avait à ce moment vu et en tendu le choc ; il a précisé avoir «vu la moto s'écraser sur la voiture, une bombe, tout a été très vite».

La vitesse excessive de [F] [D] dans une zone limitée à 30 km/h est confirmée par les conclusions des rapports d'expertise en accidentologie réalisés par le cabinet Jean-Baptiste et par l'expert désigné par le juge d'instruction, M. [C], le premier ayant estimé que la vitesse de la victime était proche de 100 km/h au moment du choc en relevant notamment que la rupture totale du cadre en alliage d'une moto, comme dans le cas de l'espèce, se produit au-delà de 70 km/h, le second ayant évalué la vitesse de la moto lors du choc à 63 km/h.

Il est ainsi établi que [F] [D] a commis une faute de conduite en circulant à une intersection à une vitesse d'au moins 60 km/h dans une zone en travaux où la vitesse maximale autorisée était de 30 km/h, étant observé que le rapport d'expertise officieuse réalisé par le cabinet Guin à la demande de Mme [I] [A] n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause les éléments de preuve attestant de cette vitesse excessive.

Cette faute de conduite a contribué à la réalisation des dommages subis par [F] [D], l'énergie cinétique acquise par la motocyclette ayant contribué à la violence du choc ayant entraîné son décès.

Cette faute de conduite ne présente pas toutefois un degré de gravité tel qu'elle justifie l'exclusion du droit à indemnisation de la victime et de ses proches, étant rappelé que les juges n'ont pas à tenir compte du comportement des autres conducteurs ni à rechercher si la faute qu'ils retiennent est la cause exclusive de l'accident.

Compte tenu de la nature et de la gravité de la faute commise par [F] [D], le droit à indemnisation de la victime et de ses proches sera réduit de 60 %, de sorte qu'ils pourront obtenir l'indemnisation de 40 % des préjudices subis consécutivement à l'accident.

Le jugement sera, en conséquence, infirmé.

Sur la réparation des préjudices de [F] [D]

Les consorts [D] réclament au titre de l'action successorale une indemnité de 30 000 euros au titre des souffrances endurées par [F] [D] en faisant valoir que la créance indemnitaire découlant des préjudices subis par la victime de son vivant a intégré son patrimoine et a ainsi été recueillie par ses ayants droit.

Ils relèvent que [F] [D] a particulièrement souffert à la suite de la violence du choc, occasionnant de nombreuses blessures, ayant entraîné son décès, peu de temps après.

La société MATMUT et M. [W] objectent que [F] [D] est décédé sur le coup compte tenu de l'extrême gravité de ses blessures, même si son décès n'a été constaté qu'à 16 heures 35 après l'arrivée des secours.

Ils se réfèrent au témoignage de M. [V], sapeur pompier et témoin de l'accident qui a porté secours à la victime quelques secondes après l'accident et en déduisent que la victime s'est trouvée dans un coma profond immédiatement après l'accident et est décédée quelques secondes plus tard, de sorte qu'il est impossible de retenir un préjudice relatif aux souffrances endurées.

Ils concluent qu'aucune créance d'indemnisation n'est entrée dans le patrimoine de la victime et sollicitent le rejet de la demande.

Sur ce, le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers.

M. [V], sapeur-pompier et témoin de l'accident intervenu pour apporter les premiers secours à la victime a indiqué lors de son audition par les services de police : «J'ai mis trente secondes pour arriver jusqu'au niveau du point de choc. J'ai porté secours au motard, dès que j'ai appuyé sur la cage thoracique j'ai senti que cela s'est affaissé. J'ai compris qu'il était décédé. Il était en train de gasp[er], c'est à dire rendre [son] dernier souffle».

Si le décès de [F] [D] a été constaté à 16 heures 35 au moment de l'arrivée des secours ainsi qu'il résulte de l'acte de décès, soit 10 minutes environ après la survenance de l'accident, il est en réalité intervenu plus tôt, peu après la collision, au moment où M. [V], sapeur-pompier professionnel, a constaté qu'il rendait son dernier souffle.

Il résulte de cette attestation qui présente toute garantie de crédibilité que [F] [D] n'est pas décédé sur le coup et a survécu, fût-ce pendant un temps très bref.

Pendant ce laps de temps, la victime a subi un préjudice lié aux souffrances physiques et psychiques consécutives à l'accident qui est entré dans son patrimoine et a été transmis à ses héritiers, étant observé que l'affirmation de la société MATMUT et de M. [W] selon laquelle [F] [D] aurait été plongé dans un coma profond jusqu'à son décès ne repose sur aucun élément médical et qu'en tout état de cause, à l'exception du préjudice lié à la conscience d'une mort imminente qui suppose que la victime ait été consciente avant son décès, l'indemnisation du dommage n'est pas fonction de la représentation que s'en fait la victime mais de sa constatation par le juge et de son évaluation objective.

Dans le cas de l'espèce, il ressort du rapport d'examen externe établi le 17 août 2012 par le médecin légiste que [F] [D] a présenté à la suite de l'accident :

- un traumatisme crânio-facial avec plage ecchymotique diffuse de la face, plaies délabrantes de la bouche avec fractures dentaires, fracas du massif facial et de la mandibule, otorragie bilatérale,

- un traumatisme thoracique avec vaste plage ecchymotique antérieure, emphysème sous-cutané, fracas du sternum et des côtes,

- un fracas du bras droit, fracture du poignet droit gauche,

- une cyanose nette des ongles des mains et des pieds,

- des érosions de la face interne de la racine des deux cuisses et quelques ecchymoses, excoriations et dermabrasions des membres inférieurs.

Compte tenu de l'importance du traumatisme initial et des nombreuses lésions qu'il a générées mais également du délai très bref qui s'est écoulé entre l'accident et le décès, il convient d'évaluer le poste de préjudice lié aux souffrances endurées consécutives aux blessures à la somme de 5 000 euros, non compris le préjudice spécifique lié à la conscience d'une mort imminente au titre duquel aucune demande n'est formulée.

Les consorts [D] versent aux débats un acte de notoriété dont il résulte que [F] [D] a laissé pour lui succéder ses trois enfants, Mme [J] [D], M. [L] [D] et [K] [D], mineur représenté par sa mère Mme [I] [A].

Après application de la réduction du droit à indemnisation, il revient aux héritiers de [F] [D] la somme globale de 2 000 euros.

Il convient enfin de constater que la cour n'est saisie d'aucune demande relative aux dépenses de santé actuelles qui sont seulement mentionnées pour mémoire par les consorts [D].

Sur la réparation des préjudices des proches

Sur les frais d'obsèques

Mme [I] [A] réclame une indemnité d'un montant de 14 064,40 euros au titre des frais funéraires.

La société MATMUT et M. [W] ne contestent pas le montant de ces frais assumés par Mme [I] [A] mais demandent qu'il soit fait application de la réduction du droit à indemnisation et que soient déduites les prestations versées par la CPAM au titre des frais d'obsèques.

Sur ce, Mme [I] [A] justifie par la production du bon de commande et du devis accepté correspondants que les frais d'obsèques et de monument funéraire qu'elle a assumés s'élèvent à la somme totale de 14 064,40 euros.

Il ressort du décompte de créance de la CPAM établi le 7 mai 2020 que cet organisme a pris en charge l'accident dont [F] [D] a été victime le [Date décès 7] 2012 au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu'elle a versé une somme de 1 515,50 euros au titre des frais funéraires (pièce n° 29 des consorts [D]).

Ces prestations doivent s'imputer sur le poste de préjudice des frais d'obsèques qu'elles ont vocation à réparer.

Selon l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractères personnel et, conformément à l'article 1252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. Il en résulte que, dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat.

Après application de la réduction du droit à indemnisation de 60 %, la dette du responsable et de son assureur s'élève à la somme de 5 625,76 euros.

Compte tenu du droit de préférence de la victime, cette somme revient intégralement à Mme [I] [A] dont le préjudice lié aux frais d'obsèques n'a été indemnisé que partiellement par les prestations servies par la CPAM.

Sur le préjudice d'affection des proches

Il convient, au vu des éléments versés aux débats, notamment des attestations produites d'évaluer à la somme de 30 000 euros le préjudice d'affection de Mme [I] [A] qui vivait depuis près de 20 ans en concubinage avec [F] [D] dont elle a eu trois enfants âgés respectivement de 15, 13 et 7 ans au moment de l'accident et qui a obtenu par décret du 25 janvier 2014 l'autorisation de célébrer son mariage avec ce dernier à titre posthume.

Après application de la réduction du droit à indemnisation de 60 %, il revient à Mme [I] [A] la somme de 12 000 euros.

Compte tenu des liens d'affection unissant Mme [J] [D], née le [Date naissance 2] 1996, M. [L] [D], né le [Date naissance 5] 1999 et [K] [D], né le[Date naissance 6] 2005 à leur père décédé alors qu'ils étaient encore mineurs, il y a lieu d'évaluer leur préjudice d'affection à la somme de 25 000 euros chacun.

Après application de la réduction du droit à indemnisation de 60 %, il leur revient chacun une somme de 10 000 euros.

S'agissant du préjudice d'affection de Mme [Y] [S], mère de la victime directe, il sera évalué compte tenu des liens les unissant à la somme de 20 000 euros.

Après application de la réduction du droit à indemnisation de 60 %, il revient à Mme [Y] [S] la somme de 8 000 euros.

Sur le préjudice économique du conjoint survivant et des enfants

Les consorts [D] évaluent le préjudice économique des proches de la victime directe à la somme de 761 708,25 euros pour Mme [I] [A], à celle de 24 090,92 euros pour Mme [J] [D], à celle de 32 085,50 euros pour M. [L] [D] et à celle de 48 141,65 euros pour le jeune [K] [D], ces sommes sous déduction des indemnités éventuellement versées par la CPAM.

La société MATMUT et M. [W] font valoir que s'agissant d'un accident du travail, les rentes servies par la CPAM doivent s'imputer sur ce poste de préjudice.

Sur ce, la cour d'appel doit pour statuer sur le préjudice économique des proches de [F] [D] disposer, s'agissant d'un accident pris en charge au titre de la législation professionnelle, d'un décompte détaillé des rentes d'ayants droit versées par la CPAM à Mme [I] [A], Mme [J] [D], M. [L] [D] et [K] [D] ou à défaut une attestation selon laquelle cet organisme ne sert aucune rente d'ayant droit à la concubine de [F] [D], devenue son épouse à titre posthume, et à ses trois enfants, encore mineurs à la date de l'accident.

Or s'il ressort du décompte de créance de la CPAM établi le 7 mai 2020 que cet organisme a pris en charge l'accident dont [F] [D] a été victime le [Date décès 7] 2012 au titre de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu'il a versé une somme de 1 515,50 euros au titre des frais funéraires et un capital rente accident du travail d'un montant de 8 567,46 euros, ce document ne fait pas état des prestations éventuellement versées aux ayants droit de la victime directe alors qu'il résulte des articles L. 434-7 et suivants du code de la sécurité sociale qu'en cas d'accident suivi de mort, le conjoint ou le concubin ou la personne liée par un pacte civil de solidarité a droit à une rente viagère égale à une fraction du salaire de la victime et que les enfants dont la filiation, y compris adoptive, est établie ont droit à une rente jusqu'à un âge limite.

Il convient ainsi, avant dire droit sur la liquidation du préjudice économique des proches, d'ordonner la réouverture des débats et d'inviter les consorts [D] à produire le décompte détaillé des prestations servies par la CPAM aux ayants droit de [F] [D] (capital décès, rentes d'ayants droit) ou une attestation de cet organisme attestant de l'absence de versement de telles prestations.

Sur la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal

Les consorts [D] demandent à la cour de dire que les sommes allouées produiront intérêt de plein droit au double du taux légal à compter du 17 avril 2012.

Compte tenu de la réouverture des débats ordonnée sur le préjudice économique des proches, il convient de surseoir à statuer sur la demande d'application de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être infirmées.

Compte tenu de la réouverture des débats ordonnée, il convient de réserver les dépens de première instance et d'appel et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, et par mise à disposition au greffe,

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Dit que [F] [D] a commis une faute de conduite justifiant la réduction de son droit à indemnisation et celui de ses proches de 60%,

- Condamne in solidum la société MATMUT et M. [R] [W] à payer à Mme [J] [D], M. [L] [D] et Mme [I] [A] prise en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, [K] [A], la somme globale de 2 000 euros au titre du poste de préjudice corporel de [F] [D] lié aux souffrances endurées avant son décès,

- Condamne in solidum la société MATMUT et M. [R] [W] à payer à Mme Mme [I] [A] la somme de 5 625,76 euros au titre des frais funéraires,

- Condamne in solidum la société MATMUT et M. [R] [W] à payer en réparation de leur préjudice d'affection :

- la somme de 12 000 euros à Mme [I] [A],

- la somme de 10 000 euros à Mme [J] [D],

- la somme de 10 000 euros à M. [L] [D],

- la somme de 10 000 euros à Mme [I] [A] prise en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, [K] [A],

- la somme de 8 000 euros à Mme [Y] [S],

- Avant dire droit sur la liquidation du préjudice économique des proches de [F] [D] et sur l'application de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances, ordonne la réouverture des débats afin d'inviter les consorts [D] à produire le décompte détaillé des prestations servies par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis aux ayants droit de [F] [D] (capital décès, rentes d'ayants droit) ou une attestation de cet organisme attestant de l'absence de versement de telles prestations,

- Renvoie l'affaire à l'audience du jeudi 13 octobre 2022 à 14 heures (Salle d'audience TOCQUEVILLE, Escalier Z, 4ème étage),

- Réserve les dépens de première instance et d'appel et l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 20/11397
Date de la décision : 02/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-02;20.11397 ?
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