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02/06/2022 | FRANCE | N°19/04931

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 02 juin 2022, 19/04931


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 02 Juin 2022

(n° 54 , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04931 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7ORV



Décision déférée à la Cour : saisine sur renvoi après cassation de l'arrêt du 09 mars 2017 (pourvoi n° 16-10.442) de la Cour de cassation cassant l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 14 janvier 2014 (RG n°12/0422) après renvoi après cassation de l'arrêt du 06 octobre

2009 (pourvoi n°08-19.53) cassant l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2006 (RG n°05/1605) suite au jugement rendu le 15 d...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 02 Juin 2022

(n° 54 , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04931 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7ORV

Décision déférée à la Cour : saisine sur renvoi après cassation de l'arrêt du 09 mars 2017 (pourvoi n° 16-10.442) de la Cour de cassation cassant l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 14 janvier 2014 (RG n°12/0422) après renvoi après cassation de l'arrêt du 06 octobre 2009 (pourvoi n°08-19.53) cassant l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2006 (RG n°05/1605) suite au jugement rendu le 15 décembre 2004 (RG n°28/04) par la chambre de l'expropriation du Tribunal de grande instance de Bobigny.

APPELANTE

Madame [U] [S] épouse [V]

[Adresse 7]

[Localité 10]

représentée par Mme [H] [V] (fille)

INTIMÉES

Société SEQUANO ANCIENNEMENT SODEDAT 93

[Adresse 12]

[Adresse 2]

[Localité 9]

représentée par Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069,

assisté de Me Jean-Louis PERU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0087 substitué par Me Emmanuel REGIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0087

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE ST DENIS COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

France domaine

[Adresse 1]

[Localité 9]

non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Hervé LOCU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Hervé LOCU, Président,

Valérie MORLET, Conseillère,

Catherine LEFORT, Conseillère,

Greffier : Marthe CRAVIARI, lors des débats

ARRÊT :

- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Hervé LOCU, Président et par Marthe CRAVIARI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par arrêté du 6 octobre 1983, modifié le 29 juillet 1986, pris en application de l'article L.42 du code de la santé publique, alors applicable, le Préfet de la Seine Saint Denis a délimité, sur le territoire de la commune de [Localité 13], un périmètre à l'intérieur duquel il a déclaré insalubres des locaux et installations d'habitation, mais impropres à cet usage.

Par convention d'aménagement du 26 février 1986, la commune de Noisy-le-Sec a confié à la SODEBAT la réalisation de l'opération concernant l'ilôt insalubre dénommé "Merlan".

Par arrêté du 15 décembre 1986, le Préfet de Seine Saint Denis a déclaré d'utilité publique l'acquisition par la SODEBAT des terrains nécessaires à la résorption de l'habitat insalubre dans cet ilôt et a déclaré immédiatement cessibles les propriétés concernées.

Par ordonnance du 19 mai 1987, le juge de l'expropriation a prononcé l'expropriation des parcelles propriété de M. [N] [S] et Mme [U] [S] épouse [V]

Le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête des consorts [S] tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 15 décembre 1986, par jugement du 26 mai 1987 qui a été annulé le 16 octobre 1996 par le Conseil d'Etat. Par voie de conséquence, la Cour de Cassation a annulé l'ordonnance d'expropriation le 25 mars 1997.

Par arrêté du 9 février 1999, le Préfet de Seine Saint Denis a prescrit l'ouverture d'une enquête parcellaire en vue de déterminer la liste des propriétaires des parcelles cadastrées section AJ [Cadastre 3] et [Cadastre 4]. Le commissaire enquêteur a émis, le 4 mai 1999, un avis défavorable sur le dossier d'utilité publique de l'opération.

Le conseil municipal de [Localité 13] a décidé de poursuivre la procédure de déclaration d'utilité publique.

Par décret du 16 octobre 2000, le Premier Ministre a déclaré d'utilité publique l'acquisition des parcelles nécessaires à l'aménagement de l'ilôt.

M. [N] [S] et Mme [U] [S] épouse [V] ont déféré le décret à la censure du Conseil d'Etat.

Par lettre du 17 avril 2001, la société Sodebat 93 a demandé l'ouverture d'une enquête parcellaire sur les parcelles cadastrées section AJ [Cadastre 3]-[Cadastre 4] situées 44 et [Adresse 6].

Par arrêté du 9 mai 2001, le Préfet de Seine Saint Denis a prescrit l'ouverture d'une enquête parcellaire. Monsieur et Madame [S] ont déféré l'arrêté du 9 mai 2001 à la censure du tribunal administratif de Cergy Pontoise. Le 19 juin 2001, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable à la cessibilité des parcelles concernées.

Par arrêté du 13 septembre 2001, le Préfet de Seine Saint Denis a déclaré immédiatement cessibles, au profit de la société Sodebat 93, les parcelles de terrains cadastrées section AJ [Cadastre 3]-[Cadastre 4] appartenant à M. [N] [S] et Mme [U] [S] épouse [V] .

Le 26 septembre 2001, le juge de l'expropriation a ordonné l'expropriation immédiate pour cause d'utilité publique, au profit de la société Sodebat 93, de ces parcelles.

Saisi d'une demande en fixation de l'indemnité de dépossession par la société Sodedat 93, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Seine-Saint-Denis, par jugement du 15 décembre 2004, a :

- dit que la demande de la société anonyme d'Economie Mixte d'Aménagement du territoire du département de la Seine Saint-Denis dite "Sodebat 93"est recevable,

- dit n'y avoir lieu à communication du fichier immobilier et sursis à statuer,

- fixé à la somme de 82.200 euros l'indemnité due par la Sodebat 93 à Madame [U] [S] épouse [V] et à Monsieur [N] [S] au titre de la dépossession foncière,

- fixé à la somme de 1.000 euros l'indemnité due par la Sodebat 93 à Madame [U] [V] et à Monsieur [N] [S] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de la société d'économie mixte d'aménagement du territoire du Département de la Seine Saint-Denis.

Sur le pourvoi formé par Madame [U] [S] épouse [V] et par Monsieur [N] [S], la cour de cassation, par arrêt du 6 octobre 2009,N°08-19534 a :

- cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en date du 14 septembre 2006 entre les parties qui a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du 15 décembre 2004 et, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, les renvoyant, pour être fait droit, devant la cour d'appel de Versailles (chambre de l'expropriation),

- condamné la société Sodebat 93 aux dépens,

- rejeté la demande de la société Sodebat 93 en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Sodebat 93 à payer à Madame [V] et à Monsieur [S], ensemble, la somme de 2.500 euros.

La Cour de cassation a cassé l'arrêt en toutes ses dispositions après avoir constaté que l'arrêt attaqué fixe les indemnités revenant à Madame [V] et à Monsieur [S] à la suite de l'expropriation au profit de la société Sodebat 93 des biens immobiliers leur appartenant au vu des conclusions du commissaire du gouvernement déposées le 26 mai 2006 en réponse aux mémoires des expropriés appelants "déposés le 4 avril 2005 et le 8 juin 2006", et après avoir dit qu'en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d'office, si le commissaire du gouvernement n'avait pas reçu notification du mémoire déposé le 4 avril 2005 plus d'un mois avant le dépôt de ses conclusions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

La cour d'appel de Versailles par arrêt du 14 janvier 2014 a :

- constaté la déchéance des appels interjetés par M. [N] [S] et Mme [U] [S] épouse [V]

- condamné Mme [U] [S] épouse [V] aux dépens.

Sur le pourvoi formé par Madame [U] [S] épouse [V] et par Monsieur [N] [S], la Cour de Cassation, par arrêt du 9 mars 2017, N°16-10442 a :

- cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versilles 14 janvier 2014, qui a constaté la déchéance des appels interjetés par Monsieur [N] [S] et Madame [U] [S] épouse [V] et qui a condamné cette dernière aux dépens d"appel ; et, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

- condamné la société Sequano, anciennement Sodedat 93, aux dépens ;

- vu l'article 700 du code de procédure civile, rejetté la demande de la société Sequano, la condamnée à payer la somme de 3 000 euros à Mme [V] ;

La Cour de cassation a cassé l'arrêt en toutes ses dispositions après avoir constaté que l'arrêt attaqué pour constater la déchéance des appels formés par Mme [V] et M. [S], retient qu'il ressort des éléments versés aux débats, d'une part, que le greffe de la cour a reçu, le 31 janvier 2005, l'acte d'appel de M. [S] visant le jugement rendu le 15 décembre 2004 et que son mémoire d'appel a été déposé au greffe le 5 avril 2005, d'autre part, que le greffe de la cour a reçu l'acte d'appel de Mme [S]-[V] le 3 février 2005 et qu'il n'est pas justifié du dépôt ou de l'envoi en recommandé avec demande d'avis de réception de son mémoire au greffe des expropriations avant le 8 juin 2006 et après avoir dit qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des documents produits que M. [S] et Mme [V] avaient adressé leur mémoire d'appel au greffe de la cour d'appel de Paris respectivement le 1er avril et le 31 mars 2005, la cour d'appel a violé l'article R. 13-49 ancien du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, applicable à la cause.

Par courrier du 8 mars 2019, visé au greffe le 12 mars 2019, la cour d'appel a été saisie sur renvoi après cassation par Mme [U] [S], épouse [V], agissant en tant que telle et en tant qu'héritière de son frère, feu Monsieur [N] [L] [S]. Elle est représentée par Mme [H] [V], sa fille.

Par arrêt du 25 juin 2020, la cour a :

Vu l'article 367 du code de procédure civile,

- ordonné la disjonction de l'instance

- dit que le dossier de fond sera suivi sous le N° RG 19/04931

- dit que le dossier relatif à la question de proportionnalité de Mme [S] [U] épouse [V] sera suivi sous le N° RG 20/07219

- sursis à statuer sur les prétentions et moyens des parties dans les deux instances susvisées

- renvoyé l'examen des deux affaires à l'audience collégiale du jeudi 10 septembre 2020

- réservé les dépens.

L'affaire fixée à l'audience du 10 septembre 2020 a été renvoyée à l'audience du 3 décembre 2020 suite à la demande de renvoi formulée par Mme [S]-[V], indiquant qu'elle souhaitait répliquer aux conclusions de la partie expropriante et qu'elle attendait les conclusions du commissaire du gouvernement.

A l'audience du 3 décembre 2020, l'affaire a été renvoyée en raison du COVID et fixée à l'audience du 16 septembre 2021.

A cette date, suite à la demande par courrier de Mme [S] déposé au greffe le 16 septembre 2021, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 16 décembre 2021.

Elle a en effet indiqué qu'elle sollicitait le renvoi des deux affaires, à savoir les dossiers 19/04931 et RG 20/07219, car elle souhaitait répliquer aux conclusions de la partie expropriante et qu'elle attendait également les conclusions du commissaire du gouvernement ; elle précisait qu'elle n'était pas en mesure de déposer de nouvelles conclusions comme elle le souhaitait, que même une éventuelle abstention du commissaire du gouvernement l'amènerait à réagir, qu'elle apporterait notamment dans ses conclusions en réplique des précisions qui permettront de lever certaines ambiguïtés, et cela paraissait nécessaire aussi bien en ce qui concerne le dossier sur le fond qu'en ce qui concerne le dossier sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Par courrier enregistré à la cour le 16 septembre 2021, Mme [H] [V] représentant Mme [S]- [V] a à nouveau demandé le renvoi de l'affaire en raison de problèmes de santé en précisant que malgré ses efforts elle n'avait pu achever ses écritures.

L'affaire a donc été renvoyée à l'audience du 16 décembre 2021.

Par courrier enregistré au greffe le 14 décembre 2021, Mme [H] [V] a demandé à nouveau le renvoi pour raisons de santé, ayant contracté suite à un accident une infection très difficile à juguler.

Elle s'est présentée à l'audience en remettant un certificat médical du 10 décembre 2021 certifiant que son état de santé nécessitait trois jours de repos à domicile.

L'affaire a donc été renvoyée à l'audience du 10 mars 2022.

Aucune conclusion nouvelle n'a été envoyée ou déposée au greffe.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux :

- conclusions d'appel adressées au greffe, par Mme [U] [S], épouse [V], appelante, le 11 juin 2019, notifiées respectivement le 14 juin 2019 (AR du 18 juin 2019, pas d'AR du commissaire au gouvernement), re-notifiées le 27 février 2022 (AR du 02 mars 2020) aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- dire et juger que l'indemnité sera fixée à 1,5 millions d'euros, et y condamner la Sequano ;

- condamner la société Sequano aux sommes demandées précédemment au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dernièrement à 3.000 euros ;

- condamner la société Sequano aux dépens ;

- prendre acte que Mme [H] [V] va présenter de nouvelles conclusions, et que cela vient en respect des règles conventionnelles et constitutionnelles exposées ci-dessus ;

- transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ;

- prendre acte de la demande de Mme [H] [V] au commissaire du gouvernement, membre de l'administration fiscale, "administration invisible", de sa demande sans restriction au "fichier immobilier" pour les années pertinentes correspondant au prononcé du jugement de première instance en décembre 2004 ;

- conclusions en réponse, déposées au greffe, par la société Sequano, intimée, le 7 août 2019, notifiées le 09 octobre 2019 (AR du 11 octobre 2019 et pas d'AR du Commissaire au gouvernement), re-notifiées au commissaire du gouvernement le 27 février 2022 (AR du 02 mars 2020) aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- déclarer irrecevables les conclusions de Mme [U] [S], épouse [V] du 11 juin 2019 ;

- déclarer l'appel interjeté par Mme [U] [S], épouse [V] infondé et le rejeter ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 82.200 euros l'indemnité due à Mme [U] [S], épouse [V] ;

- condamner Monsieur et Mme [U] [S], épouse [V] aux entiers dépens de l'instance.

Le commissaire du gouvernement n'a pas adressé ou déposé de conclusions.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [U] [S], épouse [V] fait valoir, dans ses conclusions, que :

- elle a demandé à avoir accès au fichier immobilier détenu par l'administration fiscale tout au long de la procédure ; le premier juge n'ayant pas fait droit à cette demande, il s'est prononcé eu égard aux éléments produits par le commissaire du gouvernement ;

- n'y ayant pas eu accès, elle n'a pas bénéficié d'un procès équitable au titre de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ; cette situation viole l'article 10 (accès à l'information) et l'article 13 (accès réel et effectif à une juridiction) de la présente convention et contrevient aux dispositions de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention ; l'indemnité, étant inférieure au prix du marché, aboutit au financement de l'opération d'expropriation par l'exproprié, en violation du principe d'égalité des citoyens devant l'impôt ; ceci entre en violation des règles de la communauté européenne en aboutissant à fournir à la partie expropriante des aides d'Etat cachées ;

- les dispositions de l'article L.322-2 de code de l'expropriation sont également contraires aux dispositions susvisées ; l'indemnité fixée par la cour doit donc l'être au jour de l'arrêt ;

- ces dispositions, contraires au bloc de constitutionnalité, justifie le dépôt joint d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

- les conditions de consultation de la base de donnée "PARTIM" ne permettent pas d'apporter une réponse à ces critiques ; elle souhaite conclure à partir de la base de donnée "DVF-etalab" ouverte en 2019 ; elle n'a pas pu traiter les informations figurant dans cette base (demande de copie, visite, information sur le PLU) ;

- la base de donnée "DVF-etalab" ne prend en compte que les cinq dernières années ; si l'indemnité devait être évaluée à la date du premier jugement, elle demande que le commissaire du gouvernement mette à sa disposition les mêmes informations que celles figurant sur la base de donnée "DVF-etalab" pour la date du premier jugement ;

La société Sequano soutient que :

- concernant l'irrecevabilité des conclusions : l'appelante aurait du conclure dans les deux mois postérieurs à sa déclaration de saisine du 8 mars 2019 ; ses conclusions sont hors délai ; la question prioritaire de constitutionnalité ne doit pas être considérée comme interruptive des délais dès lors que l'objet du litige n'est pas clairement déterminé ;

- concernant la demande d'accès au fichier immobilier : la jurisprudence de la cour établit qu'il n'y a pas lieu à statuer lorsque copie ou extrait des documents détenus par la conservation des hypothèques peut être demandée à cette dernière, d'autres sources sont d'accès libre et les éléments produits par le commissaire du gouvernement ne sont pas contestés ; eu égard à cette jurisprudence et aux difficultés matérielles d'organisation, cette demande d'accès doit être rejetée ;

- concernant la demande d'indemnisation : la demande de 1,5 million d'euros est injustifiée et exorbitante ; la superficie des parcelles et le taux de l'indemnité principale doivent être confirmés selon l'appelante ; les bâtiments édifiés n'existant plus à la date du premier jugement, il n'y avait lieu d'indemniser que le terrain ; la méthode de comparaison doit être retenue ; deux éléments font ressortir un prix unitaire de 180 euros/m² à 190 euros/m² ; le prix unitaire de 200 euros/m² retenu par le premier juge est le maximum susceptible d'être alloué ; le jugement doit être confirmé concernant l'indemnité principale, fixée à la somme de 73.800 euros [369m² x 200 euros] et l'indemnité accessoire fixée à la somme de 8.380 euros ;

SUR CE, LA COUR

- Sur l'irrecevabilité des conclusions de Madame [S] soulevée par SEQUANO

Sequano soulève l'irrecevabilité des conclusions de Madame [S] sur le fondement de l'article 1037-1 du code de procédure civile en raison de l'article R311-29 du code de l'expropriation précisant que la procédure devant la cour d'appel est régie par le titre VI du livre II du code de procédure civile.

Cependant, en l'espèce, Monsieur [N] [S] et Madame [S] épouse [V] ont interjeté appel du jugement du 22 janvier 2005 enregistré sous le numéro 05/00016 du jugement du 31 janvier 2005, enregistré sous le numéro 05/00017 en application de l'article R 13-48 du code de l'expropriation devenu l'article 311-24 dudit code.

En application de l'article R 13-51 devenu l'article R 311-27 dudit code, la procédure en raison de l'appel est donc sans représentation obligatoire, la procédure étant devenue avec représentation obligatoire uniquement en application du décret numéro 2019'1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020.

L'article 1037-1 du code de procédure civile - créé à compter du 1er septembre 2017 (décret N°2017-891 du 6 mai 2017) dispose qu'en cas de renvoi devant la cour d'appel, lorsque l'affaire relevait de la procédure ordinaire, celle-ci est fixée à bref délai dans les conditions de l'article 905. En ce cas, les dispositions de l'article 1036 ne sont pas applicables.

Or, l'article R 311-29 dispose que sous réserve des dispositions de la présente section et des articles R311-19, R311-22 et R 312-2 applicables à la procédure d'appel, la procédure devant la cour statuant en matière d'expropriation est régie par les dispositions du Titre VI du livre II du Code de procédure civile.

Or, cet article vise la procédure ordinaire et ne concerne pas la procédure d'expropriation applicable en l'espèce, régie par l'article R 311-27 alinéa deux, dans sa version antérieure au décret N°2019-13333 du 11 décembre 2019, c'est à dire en raison de la date de l'appel sans représentation obligatoire.

S'agissant en effet des dispositions applicables devant la cour d'appel sur renvoi après cassation, selon l'article R 13'49 du code de l'expropriation devenu l'article R 311-26 du code de l'expropriation, tel qu'interprété par la Cour de cassation (3e civile 10 février 2010, 25 septembre 2013 numéro 12'079 et 6 avril 2022, n°21/12893), aux termes de l'article 631 du code de procédure civile, « devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation ». La juridiction de renvoi connaît donc le litige dans l'état où celui-ci se trouvait devant la juridiction dont la décision a été cassée. Il en résulte que les parties et le commissaire du gouvernement ne sont pas assujettis au respect des délais de dépôt de leurs mémoires tels que ceux-ci sont fixés par l'article R 13'49 (devenu l'article R311-26) , cet article n'étant pas « applicables devant la cour d'appel statuant sur renvoi de cassation ».

En conséquence, les conclusions de Madame [S] épouse [V] à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité du 14 juin 2019 sont recevables.

La demande de SEQUANO d'irrecevabilité des conclusions de Madame [S] épouse [V] sera donc rejetée.

- Sur le fond

À l'appui de voir fixer l'indemnité de dépossession à la somme de 1,5 millions d'euros, Mme [S] épouse [V] fait valoir que lors du premier jugement, les expropriés avaient demandé l'accès au fichier immobilier détenu par l'administration fiscale, que le premier juge n'y a pas fait droit et a fixé l'indemnité au vu des éléments fournis par le commissaire du gouvernement.

Elle précise, qu'à la différence de la première expropriation, annulée, seul le terrain a été exproprié lors de la seconde procédure, la SODEBAT ayant cru bon de diviser imparfaitement le terrain d'origine de ces terrains nouvellement cadastrés, à sa demande seule, AJ [Cadastre 3] et AJ [Cadastre 4], pour un total de 369 m², réduisant ainsi artificiellement la surface.

Elle souligne que ce terrain est idéalement situé, sans défectuosités, qu'il est situé en angle de rue, avec des façades larges sur chaque rue, d'une forme rectangulaire, et qu'il est constructible.

Elle indique que tout au long de la procédure, elle a demandé l'accès au fichier immobilier détenu par l'administration fiscale afin de proposer une fixation des indemnités dans le cadre d'un procès équitable et elle a ainsi demandé une indemnité, de 1,5 millions d'euros, à affiner, dès qu'elle aura accès au fichier immobilier ; elle n'a donc pu bénéficier d'un procès équitable au titre de l'article 6 de la CEDH, notamment en violation de l'article 10 sur l'accès à l'information et à l'article 13, l'accès à l'information n'étant au mieux que partiel et imparfait.

Elle réitère sa demande à ce que l'indemnité soit fixée par la cour au jour de l'arrêt et non à celui du jugement, les dispositions le prévoyant résultant de l'article L 13'15 du code expropriation, devenu l'article L322-2 étant également contraires aux dispositions conventionnelles susvisées.

Elle précise que deux événements sont intervenus :

'l'ouverture par l'administration de la base de données "PARTIM" (en réalité PATRIM), qui est sans effet, les conditions de consultation de cette base ne permettant pas d'apporter une réponse efficace aux critiques ci-dessus soulevées ;

'plus intéressant, elle vient d'apprendre par un article du magazine " Le Point " du 6 juin 2019 que l'administration venait tout juste de mettre à sa disposition, début mai, une base de données : "DEVF-étalab", qui semblerait répondre aux exigences ci-dessus rappelées ; elle ajoute que même si elle avait connu l'existence de cette base dès son ouverture, cela lui ne lui aurait pas permis de présenter de conclusions en tenant compte des informations essentielles qui figurent, puisqu'il faut en effet pouvoir traiter l'information : demande de copie d'actes, visites in situ, information sur le PLU, etc.

Elle constate également que cette base ne rend compte que des cinq dernières années et elle demande au commissaire du gouvernement qu'il mette à sa disposition les mêmes informations, mais pour les 5 années correspondant au prononcé du jugement de décembre 2004, dans le cas où il ne serait pas fait droit à sa demande de fixation d'indemnité au jour du prononcé de l'arrêt à venir.

SEQUANO rétorque qu'elle ne s'oppose pas à la demande de Madame [S] s'agissant de l'accès au fichier immobilier, qui cependant n'est pas de son ressort et ajoute qu'il est difficile de concevoir comment elle pourrait être matériellement organisée. Elle demande le rejet de cette demande.

S'agissant de la demande d'indemnisation, elle indique que Madame [S] sollicite, sans justifier de ses prétentions, le versement à son profit de la somme de 1,5 millions d'euros ; il ne peut être fait droit à cette demande exorbitante, puisque le premier juge a retenu à bon droit, la surface mentionnée dans la seconde expropriation de 369 m², ainsi qu'une indemnité principale de 73'800 euros.

Elle ajoute :

- En effet, à la date de l'ordonnance d'expropriation du 26 décembre 2001, en application de l'article L13'14 du code de l'expropriation, les bâtiments édifiés n'existaient plus, de sorte qu'il n'y avait lieu d'indemniser que le terrain, il ne s'agit donc dans le cas de la présente procédure d'indemniser Mme [S] de la partie de ce seul terrain.

- À cette fin, la méthode par comparaison doit être retenue. Le terrain de Monsieur et Mme [S] était de forme rectangulaire, possédant une double façade sur la rue de Merlan pour 22,50 m et sur la [Adresse 14] pour 13 m, d'une profondeur respective de 13,50 m et 23 m.

- Deux termes de comparaison peuvent être retenus :

'une vente du 1er juillet 2003 d'un terrain de forme sensiblement rectangulaire (façade de 20,01 m profondeur de 61 m) sis [Adresse 8], d'une superficie de 1226 m², pour un prix total de 221'050 euros, soit 180,30 euros/ m² ;

'une vente du 9 mars 2004 d'un terrain de forme sensiblement rectangulaire (façade de 10,01 m profondeur moyenne de 40 m), sis [Adresse 5], d'une superficie de 426 m², pour un prix total de 80'143 euros soit 190,48 euros/m².

- Ces deux éléments de comparaison font ressortir un prix unitaire du terrain variant de 191 à 190 euros/m².

- Les 6 références produites par le commissaire du gouvernement en première instance comme devant la cour d'appel de Versailles faisaient apparaître, une valeur dominante de 190 euros/m².

- Le premier juge a suivi le commissaire du gouvernement et, compte tenu de la situation d'angle du terrain, a retenu un prix de 200 euros/m², soit une indemnité principale de : 369 m² x 200 euros = 73'800 euros.

- Il s'agit du maximum susceptible d'allouer.

SEQUANO demande donc la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne à la fois l'indemnité principale et l'indemnité accessoire.

- Sur les biens à évaluer à évaluer

Le premier juge expose que l'expropriant et le commissaire du gouvernement estimant que les expropriés sont dépossédés tant du terrain que des constructions qui autrefois s'y trouvaient proposent une indemnisation pour ces deux postes ; que les expropriés rappellent qu'à la date de la deuxième expropriation, les constructions étaient démolies et que dès lors celles-ci ne peuvent être indemnisées dans le cadre de la présente procédure.

Il indique en conséquence qu'il résulte des articles précités que seuls peuvent être indemnisés les biens existants au moment de l'ordonnance d'expropriation ; que cette procédure fait suite à l'ordonnance d'expropriation datant du 26 septembre 2001, qu'à cette date il n'est contesté par aucune des parties que les bâtiments édifiés sur les parcelles AJ [Cadastre 3] et [Cadastre 4] n'existaient plus ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de procéder dans le cadre de cette procédure qu'à l'indemnisation du terrain, étant entendu que Madame [U] [V] et Monsieur [N] [S] pourront saisir la juridiction civile de droit commun compétent pour obtenir l'indemnisation de leurs biens ayant fait l'objet d'une prise de possession irrégulière suite à la première ordonnance d'expropriation annulée.

Ce point n'étant pas contesté par Madame [S] épouse [V], le jugement sera confirmé de ce chef.

- Sur la description du bien

Il s'agit d'un terrain de forme à peu près rectangulaire possédant une double façade de 22,50 m sur la rue Merlan et de 13 mètres sur la rue Carouges avec pan coupé de 3 m, d'une profondeur respective de 13,50 m et 23 m.

La rue Merlan au niveau de ce terrain est pavée et garnie d'un espace vert.

Le terrain supporte un immeuble récent de quatre étages, construit suite à la première ordonnance d'expropriation.

Madame [S] épouse [V] souligne que ce terrain est idéalement situé, sans défectuosité, situé en angle de rue, avec des façades larges sur chaque rue, que sa forme est rectangulaire et qu'il est constructible.

- Sur la surface

La surface correspondant à la deuxième expropriation concernant la présente procédure, soit 197 m² et 170 m², soit 369 m² au total n'est pas contestée par Mme [S].

Le premier juge a également indiqué que le terrain étant considéré comme terrain nu ne fera pas l'objet de l'abattement pour encombrement.

Le jugement n'étant pas contesté sur ces points, le jugement sera confirmé.

- Sur la date de référence

Le premier juge expose que l'expropriant et le commissaire du gouvernement estimant que les expropriés sont dépossédés tant du terrain que des constructions qui autrefois s'y trouvaient, proposent une indemnisation pour ces deux postes ; que les expropriés rappellent qu'à la date de la deuxième expropriation, les constructions étaient démolies et que dès lors celles-ci ne peuvent être indemnisées dans le cadre de la présente procédure.

Il indique en conséquence qu'il résulte des articles L 13'13, L13'14, L 13'15 du code de l' expropriation et des articles L213-4 et L 213-6 du code de l' urbanisme que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que le bien doit être évalué au jour du jugement, compte tenu d'une part de la consistance matérielle et juridique à la date de l'ordonnance d' expropriation et d'autre part de son usage effectif à la date de référence qui en l'espèce se situe un an à l'ouverture de l'enquête publique soit le 8 février 1998.

Cette date de référence n'étant pas contestée par l'appelante Mme [S] épouse [V], le jugement sera confirmé de ce chef.

- Sur la date de fixation de l'indemnité de dépossession

Dans le cadre du dossier enregistré sous le numéro RG 20/07219, [S] a déposé une QPC concernant l'article L13-15 du code de l'expropriation devenu l'article L.322-2 alinéa premier dudit code disposant que les bien sont estimés à la date de la décision de première instance, applicable à la procédure en cours ; elle indique en effet que l'examen du litige par la cour dépendra de l'application ou non de cette disposition.

Les modalités de détermination de la valeur des biens expropriés répondent à des règles d'ordre public prévues aux articles L322-2 à L 322-9 du code de l'expropriation.

L'article L322-2 est relatif à la date de référence, à laquelle doit se placer le juge pour procéder à cette évaluation.

Cet article est issu de l'ordonnance N°2014-1345 du 6 novembre 2014 qui a procédé pour l'essentiel, à une codification à droit constant des règles antérieurement prévues par le précédent code de l'expropriation, l'article L322-2 reprenant à cet égard les dispositions du premier paragraphe de l'article L 13-25 de l'ancien code de l'expropriation.

Elles n'ont été modifiées qu'une fois depuis lors, par la loi numéro 2018'1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite « loi ELAN ».

Dans sa rédaction initiale, comme dans celle résultant de la loi ELAN, l'article L 322-2 du code de l'expropriation se compose de quatre alinéas.

Le premier alinéa contesté identique dans les deux versions, énonce que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.

Un recours en appel est sans incidence sur la date à laquelle cette valeur doit être estimée, qui reste la date de la décision de première instance, sauf lorsque la décision de première instance doit être considérée comme non avenue parce que l'ordonnance d'expropriation dont elle est indivisible a été annulée ou celle dans laquelle la décision de première instance a elle-même été annulée et n'a donc plus d'existence légale. L'appréciation peut alors être effectuée par la juridiction saisie en appel à la date à laquelle elle statue, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La durée entre la décision de première instance du 15 décembre 2004 et la date où la cour doit statuer après saisine par Mme [S] épouse [V] le 8 mars 2019 est due aux circonstances suivantes :

- l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 septembre 2006 suite à un pourvoi formé par M. [N] [S] et Mme [S] a été cassé en toutes ses dispositions par arrêt du 6 octobre 2009 avec renvoi devant la cour d'appel de Versailles ;

- l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 14 janvier 2014 suite à un pourvoi formé par M. [N] [S] et Mme [S] a été cassé en toutes ses dispositions par arrêt du 9 mars 2017 avec renvoi devant la cour d'appel de Paris

Mme [S] épouse [V] a saisi la cour d'appel de renvoi le 12 mars 2019.

En conséquence, en application de l'article L 13-15 devenu l'article L322-2 alinéa premier du code de l'expropriation, les biens de Mme [S] et de M. [S] sont estimés à la date de la décision de première instance, soit en l'espèce le 15 décembre 2004.

- Sur la méthode

La méthode par comparaison retenue par le premier juge n'est pas contestée par Mme [S].

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- Sur la demande d'accès au fichier immobilier

Devant le premier juge, les expropriés, se fondant sur l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au procès équitable, sans contester le rôle du commissaire du gouvernement, ont sollicité l'accès au fichier immobilier.

Le premier juge a dit n'y avoir lieu à communication du fichier immobilier et à sursis à statuer.

Il a indiqué que tant les expropriés que l'expropriant n'ont pas accès au fichier immobilier, que le commissaire de gouvernement dont la place à l'audience n'a pas encore été remise en cause par un texte de loi est avant tout un conseiller technique du juge de l'expropriation, qu'il produit les éléments à l'audience que les parties peuvent vérifier et dont elles peuvent débattre contradictoirement, que les parties ont en outre la possibilité de recourir à un expert, et qu'en l'espèce, le commissaire du gouvernement a produit de nombreux termes tant pour les terrains que les bâtis et a ainsi permis aux parties de prendre connaissance de l'état du marché immobilier à une date très récente.

Il a ajouté qu'en outre, les décrets 55'22 du 4 janvier 1955 et 55'1350 du 14 octobre 1955 concernant la publicité foncière ne prévoient pas l'accès libre au fichier immobilier et il n'appartient pas au juge de l'expropriation d'enjoindre au Conservateur des Hypothèques de permettre un tel accès à Madame [V] et à Monsieur [S].

Cependant pour la CEDH, le commissaire de gouvernement participe entièrement à l'instance en fixation d'indemnité dans la mesure où il prend part à la visite des lieux, où il se prononce sur l'évaluation de l'indemnité, où il reçoit notification du jugement de première instance et où il peut interjeter appel contre ce jugement. Il doit, en conséquence, être considéré comme une « partie » à l'instance, ce qui implique que sa participation réponde aux principes du « droit à un procès équitable », garanti aux termes de l'article 6 paragraphe 1, de la convention.

Pour la CEDH, la position dominante occupée par le commissaire du gouvernement dans la procédure de fixation d'indemnité doit être considérée comme contrevenant à « l'égalité des armes », qui constitue l'une des composantes de ce principe (CEDH, 24 avril 2003, numéro 44'962/98, Yvon/France).

Cette analyse a été très rapidement avalisée par la Cour de cassation qui, reprenant l'argumentaire de la CEDH, a souligné que le commissaire du gouvernement devait être considéré comme occupant une position dominante et comme bénéficiant, par rapport à l'exproprié, d'avantages dans l'accès aux informations pertinentes publiées au fichier immobilier et que les dispositions contestées devaient être considérées par conséquent comme génératrices d' un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes (3e, civile, 2 juillet 2003, numéro 02'7047,Cts Monzérian/ département de la Drôme, 10 décembre 2003, 31 mars 2004, 22 septembre 2004, 14 décembre 2004, 13 avril 2005, 25 septembre 2006, 27 février 2007).

Cependant, le moyen tiré de la violation du principe de l'égalité des armes doit être assorti de précisions de nature à établir que le commissaire du gouvernement a effectivement bénéficié d'une position dominante et que de ce fait, la procédure de fixation des indemnités est entachée d'irrégularités (3e, 28 septembre 2005, époux [E] et a/commune de [Localité 11]).

Or en l'espèce, comme l'indique le premier juge, Madame [S] épouse [V] ne conteste pas le rôle du commissaire du gouvernement, mais sollicite l'accès au fichier immobilier et ce, à nouveau en cause d'appel.

En effet, Mme [S] épouse [V] à l'appui de son moyen tiré de la violation du principe de l'égalité des armes, n'apporte pas de précisions de nature à établir que le commissaire du gouvernement a effectivement bénéficié d'une position dominante et que de ce fait, la procédure de fixation des indemnités est entachée d'irrégularités.

En effet, si le commissaire de gouvernement a, dans ses conclusions, agit dans la transparence la plus totale en fondant son évaluation sur des décisions exhaustives, librement accessibles, dont les parties ont été à même de débattre contradictoirement, il n'y a pas lieu de relever une quelconque violation de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (cassation 3e du 29 mars 2006, 11 octobre 2006, 22 novembre 2006, 10 mai 2007 et 9 avril 2008).

Or en l'espèce, Monsieur et Madame [S] ont eu connaissance des termes du commissaire du gouvernement de première instance, et en particulier des références de publication, permettant d'accéder aux actes de vente et de connaître les caractéristiques des mutations.

En outre, à la date du jugement, comme l'indique exactement le premier juge, le commissaire de gouvernement a produit de nombreux termes tant pour les terrains que les bâtis et a ainsi permis aux parties de prendre connaissance de l'état du marché immobilier à une date très récente ; en outre les décrets 55'22 du 4 janvier 1955 et 55'1350 du 14 octobre 1955 concernant la publicité foncière ne prévoyaient pas l'accès libre au fichier immobilier et il n'appartenait pas au juge de l'expropriation d'enjoindre au Conservateur des Hypothèques de permettre un tel accès à Madame [V] épouse [S] et à Monsieur [S].

Aux termes de l'article 561 du code de procédure civile, l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel et en application du décret 2017'891 du 6 mai 2017, de l'article 9'2 en vigueur le 1er septembre 2017, il statue à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées au livre premier 2e du présent code.

En outre, en application de l'article 563 du code de procédure civile pour justifier en appel les prétentions qu'elle avait soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Comme l'indique, Madame [S] épouse [V] depuis le jugement entrepris, suite à l'arrêt susvisé de la CEDH et aux arrêts susvisés de la Cour de cassation, un nouveau code de l'expropriation est entré en vigueur en ce qui concerne la partie législative en application de l'ordonnance 2014'1345 du 6 novembre 2014 et, pour la partie réglementaire, du décret numéro 2014'1635 du 26 décembre 2014, ce nouveau code ayant été instauré en application de l'article 5 de la loi numéro 2013'1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens et autorisant celui-ci à procéder'sur le fondement l'article 38 de la constitution' à la modification du code antérieur, issu, quant à lui, de deux décrets n°77'392 et 77'393 du 28 mars 1977, avec notamment une modification des dispositions concernant le commissaire du gouvernement et l'accès aux informations immobilières.

En effet, dans le cadre de la loi numéro 2006'872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL) modifiée par la loi numéro 2014'366 du 24 mars 2014 (article 142) et par la loi n°2015'1786 du 29 décembre 2015 (article 59), chapitre 5 : accroître la transparence du marché immobilier, (article 21), l'article 135 B du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

'1° l'administration fiscale transmet gratuitement, à leur demande, aux propriétaires faisant l'objet d'une procédure d'expropriation, aux services de l'État, aux collectivités territoriales, aux établissements publics de coopération intercommunale dotées d'une fiscalité propre, aux établissements publics administratifs, aux établissements publics visés aux articles L143-16, L 321-1, L 324-1 et L 326-1 du code de l'urbanisme, aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural mentionnées à l'article L 141-1 du code rural et la pêche maritime, aux concessionnaires des opérations d'aménagement mentionnés à l'article L300-4 du code de l'urbanisme, aux associations foncières urbaines mentionnées à l'article L 322-1 du même code et aux observatoires des loyers mentionnés à l'article 16 de la loi n°89'462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86'1290 du 23 décembre 1986, les éléments d'informations qu'elle détient au sujet des valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations intervenues dans les cinq dernières années et qui sont nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière de politique foncière, d'urbanisme et d'aménagement et de transparence du marché foncier et immobilier. Cette administration ne peut, dans ce cas, se prévaloir de la règle du secret.

Si Madame [S] épouse [V] indique exactement, que ces dispositions lui permettaient uniquement d'avoir accès aux cinq années correspondant au prononcé du jugement de décembre 2004, elle ne justifie pas avoir formulé cette demande auprès de l'administration fiscale.

Elle ajoute qu'elle venait d'apprendre que l'administration fiscale venait tout juste de mettre à dispositions début mai 2019, une base de données "DVF-etalab" qui semblerait répondre aux exigences d'un procès équitable au sens de la CEDH.

Elle fait référence, au décret n°2018'1350 du 28 décembre 2018 relative à la publication sous forme électronique des informations portant sur les valeurs foncières déclarées à l'occasion de mutations immobilières, qui prévoit s'agissant de l'ouverture des données foncières à l'article R 112 A-1 que pour l'application de l'article L 112A, l'administration fiscale met gratuitement à disposition du public les informations mentionnées ci-après relatives aux ventes, adjudications, expropriations et aux échanges de biens immobiliers publiés au fichier immobilier au cours des cinq dernières années, issus des traitements informatisés relative à la publicité foncière et la documentation littérale du cadastre.

Pour chaque mutation, les éléments d'information mis à disposition sont les suivants :

a) date et nature de la mutation ;

b) prix ;

c) adresse : numéro de voirie, indice de répétition, type, code et libellé de la voie, code postal et libellé de la commune ;

d) les références cadastrales : code de la commune et du département, préfixe et code de la section cadastrale, numéro du plan du lieu de situation des biens, numéro de volume ainsi que, si le bien objet de la mutation fait partie d'une copropriété, le nombre de lots dans la limite de cinq lots par mutation ;

e) descriptif du bien dès lors qu'il a été déclaré à l'administration : surface 'Carrez' telle que définie par l'article 4'1 du décret n°67'223 du 17 mars 1967 pris pour l'application de la loi n°65'557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâti, surface réelle au sens de l'article 324M de l'annexe III du code général des impôts, code type de local, type de local, nombre de pièces principales, surface du terrain, et pour les terrains non bâtis, nature de culture et nature de culture spéciale.

Article R 112A-2 : les informations mentionnées à l'article R 112A-1 sont mises à disposition du public sous forme d'un fichier dans un format standard, pouvant faire l'objet d'un téléchargement.

Ces informations font l'objet d'une mise à jour semestrielle.

Article R 112 A-3 : les conditions générales d'utilisation des informations prévoient, d'une part, que les traitements portant sur la réutilisation des informations mentionnées à l'article R 112 A-1 ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de permettre la réidentification des personnes concernées et, d'autre part, que ces informations ne peuvent faire l'objet d'une indexation sur les moteurs de recherche en ligne.

Cependant, comme l'indique exactement, Mme [S] épouse [V] cet accès sous forme électronique aux valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations immobilières est limité aux cinq dernières années.

En conclusion :

'le commissaire du gouvernement de première instance a proposé six termes de comparaison récents, comportant les références de publication, permettant ainsi à Madame [S] épouse [V] d'avoir accès aux actes de vente, et ce alors, qu'à la date du jugement, tout intéressé pouvait requérir copie ou extrait des documents détenus à la Conservation des Hypothèques, moyennant un tarif raisonnable (12 euros par acquisition du chef de 5 immeubles) et pour une réponse dans les 10 jours de la requête ;

'le fichier immobilier a pour vocation la sécurité des transactions et non l'évaluation des biens, d'autres sources d'accès libre permettent de procéder de façon plus pertinente à cette évaluation, fichier de notaire, des experts immobiliers ;

'Madame [S] épouse [V] ne justifie pas devant la cour avoir demandé à l'admistration fiscale de lui communiquer des références allant au-delà des 5 ans, prévus par les dispositions précitées.

Enfin, en application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, un énoncé des chefs de jugement critiqué, une discussion des prétentions et moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions.

Or, s'agissant de l'accès au fichier immobilier, Madame [S] épouse [V] indique : « prendre acte de ma demande au commissaire du gouvernement, membre de l'administration fiscale, administration indivisible, de ma demande sans restriction au fichier immobilier » pour les années pertinentes correspondant au prononcé du jugement de première instance en décembre 2004.

Une demande de prendre acte ne constitue pas une prétention.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui a débouté Monsieur et Mme [S] de leur demande de sursis à statuer et de débouter Madame [S] épouse [V] de sa demande susvisée formée en cause d'appel.

- Sur les références des parties

1° Les références de Mme [S] épouse [V]

Dans le dispositif de ses conclusions, Madame [S] épouse [V] mentionne : « dire et juger que l'indemnité sera fixée à 1,5 millions d'euros (un et demi), et y condamner la SEQUANO ».

Or, si aux termes de l'article L 13-5 du code de l'expropriation devenu l'article L 321-1 les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation en application de l'article L 13-6 devenu l'article L 321-3 le jugement doit distinguer, notamment dans la somme allouée à chaque intéressé, l'indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées.

Il s'en déduit implicitement que la somme réclamée par Madame [S] épouse [V] correspond à l'indemnité totale de dépossession.

À l'appui de sa demande, comme en première instance, elle ne produit aucun terme de comparaison en appel, et ce alors, qu'elle a demandé à plusieurs reprises le renvoi pour pouvoir déposer de nouvelles conclusions, ce qu'elle n'a finalement pas fait.

2° Les références de SEQUANO

Elle invoque deux termes de comparaison :

'vente du 1er juillet 2003 d'un terrain de forme sensiblement rectangulaire, façade de 20 m de profondeur de 61 m², 78, boulevard Michelet, d'une superficie de 1226 m², pour un prix total de 221'050 euros, soit 180,30 euros/m²

Ce terme correspond au premier terme du commissaire du gouvernement de première instance.

'vente du 9 mars 2004 d'un terrain de forme sensiblement rectangulaire (façade de 10,01 m profondeur moyenne de 40 m), sis [Adresse 5], d'une superficie de 426 m², pour un prix total de 80'143 euros, soit 190,48 euros/m².

Ce terme correspond au quatrième terme du commissaire du gouvernement de première instance.

SEQUANO indique que ces deux éléments de comparaison font ressortir un prix unitaire du terrain variant de 180 à 190 euros/m², que les six références produites par le commissaire du gouvernement de première instance devant la cour d'appel de Versailles faisaient apparaître une valeur dominante de 190 euros/m² et que la somme allouée par le premier juge de 200 euros/m² correspond au maximum susceptible d'être alloué.

Ces termes, dont les références de publication sont mentionnées dans le jugement, ne sont pas critiqués par Madame [S] épouse [V] ; ils sont récents par rapport à la date du jugement et de consistance matérielle et juridique comparable ; ils seront retenus comme étant pertinents soit pour une moyenne de :

180,30 + 190,48 = 370,78 euros / 2 = 185,39 euros.

Le Conseil constitutionnel par décision n°2021-915/916 du 11 juin 2021 relatif au 4e alinéa de l'article L 322-2 du code de l'expropriation a indiqué pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, que le juge peut tenir compte des changements de valeur subie par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. À ce titre, il peut notamment prendre en compte l'évolution du marché immobilier pour estimer la valeur du bien expropriée à la date de sa décision.

En conséquence, au vu de ces termes retenus par la cour, l'un des termes étant de 2003, le premier juge a exactement retenu une valeur supérieure de 200 euros/m² soit une indemnité principale de : 369 m² x 200 euros = 73'800 euros.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce sens.

- Sur l'indemnité accessoire de remploi

Les taux d'indemnité de remploi fixés par le premier juge, non contestés par Madame [S] épouse [V] sont les suivants :

1000 euros x 20 % = 1000 euros

10'000 euros x 15% = 1500 euros

58 800 euros x 10 % = 5880 euros

soit un total de 8 380 euros.

Le jugement sera donc confirmé en ce sens.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a exactement fixé l'indemnité totale de dépossession due par la SODEBAT 93 à Mme [U] [K] [S] épouse [V] et M. [N] Albert [S] à la somme de 82'180 euros arrondis à 82'200 euros se décomposant comme suit :

'indemnité principale : 73'800 euros

'indemnité de remploi : 8380 euros

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 1000 euros l'indemnité due par la SODEBAT 93 à Madame [U] [V] et Monsieur [N] [S] au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'équité commande de débouter Madame [S] épouse [V] de sa demande de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

- Sur les dépens

Madame [S] épouse [V] perdant procès sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2017 n°16/10442 de renvoi devant la cour d'appel de Paris ;

Rejette la demande de SEQUANO d'irrecevabilité des conclusions de Madame [S] épouse [V] du 11 juin 2019 ;

Déboute Madame [S] épouse [V] de sa demande de prendre acte de sa demande au commissaire du gouvernement, membre de l'administration fiscale, administration indivisible, de sa demande sans restriction au « fichier immobilier » pour les années pertinentes correspondant au prononcé du jugement de première instance en décembre 2004 ;

Confirme le jugement entrepris ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Déboute Madame [S] épouse [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [S] épouse [V] aux dépens.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 19/04931
Date de la décision : 02/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-02;19.04931 ?
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