Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 01 JUIN 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07417 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B53KF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/08320
APPELANTE
Madame [L] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Michel WARME, avocat au barreau de PARIS, toque : A0718
INTIMEE
SARL GAUCHERE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Maria PINTO BONITO, avocat au barreau de PARIS, toque : L0154
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021,chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [N] a été engagée en qualité de couturière première main par la société GAUCHERE selon contrat à durée indéterminée à effet au 1er décembre 2014.
La convention collective applicable est celle des industries de l'habillement.
L'entreprise compte moins de dix salariés.
Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes le 18 juillet 2016 pour obtenir paiement de la majoration des heures supplémentaires.
Par courrier du 7 décembre 2016, Mme [N] était convoquée à un entretien préalable fixé au 16 décembre 2016.
Elle était mise à pied à titre conservatoire.
L'entretien a été repoussé au 20 décembre 2016.
Par courrier du 16 janvier 2017, la société GAUCHERE notifiait à Mme [N] son licenciement pour faute grave.
Par jugement du 23 avril 2018, notifié à Madame [N] le 1er juin 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a :
- condamné la société GAUCHERE à verser à Madame [L] [N] les sommes suivantes:
* 3 289,92 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire du 7/12/2016 au 18/01/2017,
* 328,99 euros au titre des congés payés afférents,
* 6 356,28 euros à titre d'indemnité de préavis,
* 635,62 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 645 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts de droit à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au jour du paiement,
- fixé la moyenne des salaires à la somme de 3 178,14 euros,
- ordonné la remise des documents sociaux rectifiés,
- débouté Madame [N] du surplus de ses demandes,
- débouté la société GAUCHERE de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 et l'a condamnée aux dépens.
Mme [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 12 juin 2018.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 septembre 2018, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, elle demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et subsidiairement bien fondé,
- en conséquence, infirmer la décision limitativement entreprise et la réformer,
- requalifier le licenciement pour faute grave prononcé par la société GAUCHERE, préalablement requalifié judiciairement en première instance en licenciement fondé pour une cause réelle et sérieuse, en licenciement abusif,
- condamner la société GAUCHERE à lui verser la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- condamner la société GAUCHERE à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de préjudice moral spécifique subi,
- juger que le point de départ des intérêts au taux légal alloués en sus des sommes précitées sera fixé au 18 janvier 2017 jusqu'à complet paiement dans les conditions de l'anatocisme,
- condamner la société GAUCHERE à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société GAUCHERE aux entiers dépens en cause d'appel.
Elle expose que :
- elle a contesté les motifs de son licenciement dans sa lettre du 21 février 2017,
- elle a été victime d'un stratagème mis au point par la société GAUCHERE et son précédent employeur la société PAKO pour « se débarasser d'elle » dans leur secteur professionnel car elle réclamait le respect de ses droits notamment en ce qui concerne les heures supplémentaires.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 avril 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, la société GAUCHERE demande à la cour de :
- dire Madame [L] [N] irrecevable et en tout état de cause mal fondée en son appel, fins et prétentions,
- la dire bien fondée et recevable en son appel incident;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 23 avril 2018 en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave de Madame [L] [N] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 23 avril 2018 en ce qu'il l'a condamnée à payer à Madame [L] [N] les sommes suivantes :
- 3 289,92 euros à titre de rappel de salaires sur mise a pied du 07/12/2016 au 18/01/2017,
- 328,99 euros à titre de congés payés y afférents,
- 6 356,28 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 635,62 euros à titre de congés payés y afférents,
- 1 645 euros à titre d'indemnité de licenciement;
- 900 euros au titre de1'article 700 du code de procédure civile.
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 23 avril 2018 en ce qu'il a débouté Madame [L] [N] de ses demandes;
Et statuant à nouveau,
- juger le licenciement pour faute grave de Madame [L] [N] bien fondé,
- débouter Madame [L] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner Madame [L] [N] à lui payer la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner Madame [L] [N] aux entiers dépens.
Elle expose que:
- les faits reprochés à Madame [N] rendent impossibles le maintien de cette dernière dans l'entreprise,
- Madame [N] ne justifie d'aucun préjudice résultant de son licenciement.
L'affaire était fixée à l'audience du 15 juin 2020. Les parties ayant refusé la procédure sans audience, elle a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 9 mars 2022.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 février 2022.
MOTIFS
Sur le licenciement
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'établir la réalité des griefs qu'il formule.
La lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :
«Ainsi, le 7 décembre 2016, dès l'ouverture de l'Atelier à 9 heures, vous avez invectivé Madame [R] [D], votre collègue modéliste, en la pointant de l'index de manière très menaçante et agressive. Ayant manifestement perdu toute maîtrise, vous l'avez accusée de m'avoir dit plusieurs fois que « vous ne saviez pas travailler». Vous l'avez ensuite accusé d'avoir changé le patronage que vous aviez réalisé dans le seul but de boycotter votre travail.
Vans avez continué à incriminer publiquement Madame [R] [D] en lui disant qu'elle ne savait pas travailler et qu'elle ne vérifiait pas son patronage.
Vous avez été jusqu'à menacer votre collègue en lui indiquant que vous pouviez lui montrer que vous étiez capable de « faire pire ».
Devant votre attitude, et contraints d'intervenir vu votre agressivité, vos autres collégues, Monsieur [H] [M] et Madame [C] [I], vous ont appelé à observer une attitude plus respectueuse des autres et invitée à plus de communication. Vous vous en êtes alors pris également à Madame [C] [I] en lui disant que « de toute façon, elle avait été embauchée pour vous surveiller et qu'elle n'avait donc pas à interférer ».
Une telle attitude à l'égard de vos collègues perturbe gravement le fonctionnement du service d'autant plus que nous accueillions ce jour là une nouvelle salariée en mission d'intérim. Sa première image de l'Ate1ier a donc été particulièrement ternie par votre attitude et l'altercation que vous avez provoquée.
Malheureusement, cet événement n'est pas isolé malgré les recadrages oraux et écrits que j'ai été contrainte de vous formuler compte tenu de votre comportement.
Par ailleurs, le 30 novembre 2016, vous aviez déjà eu une autre altercation avec Monsieur [H] [M] qui vous a simplement demandé de fermer la fenêtre.
Monsieur [H] [M], qui a 76 ans, souffrait déjà d'un état grippal et. devait déjà porter deux paires de chaussettes et deux couches de vêtements car vous refusez en permanence de fermer la fenêtre malgré le froid de saison qu'il fait dehors. Vous passiez par ailleurs systématiquement derrière lui pour ouvrir la fenêtre dès qu'il osait la fermer. Lorsque Monsieur [H] [M] vous a demander de fermer la fenêtre en vans indiquant qu'il faisait très froid, vous lui avez ainsi conseillé de bien se couvrir car « les personnes âgées ont toujours froid ».
ll a essayé de vous expliquer qu'il ne s'agissait pas d'une question d'âge mais bien de température extérieure qui ne permettait pas d'ouvrir les fenêtres. Sans aucune concession à l'égard de votre collègue, vous avez remis vos écouteurs, continué à chanter en prenant une attitude très méprisante et moqueuse à son égard.
Monsieur[M] été particulièrement perturbé par vos remarques déplacées et surtout par l'agressivité de votre attitude à son égard. il a dû quitter son poste de travail pour aller consulter un médecin à la suite de cette altercation.
La même semaine, alors que nous accueillions une nouvelle stagiaire, Madame [T] [K] dont l'intégration dans l'équipe et dans l'Entreprise est bien naturellement importamte, vous lui avez indiqué qu'il fallait qu'elle fasse attention à ce qu'elle dit car dans notre entreprise les salariés n'ont pas le droit de parler au risque de recevoir une lettre recommandée comme cela avait déjà été le cas pour vous. A un autre moment,alors que Madame [P] [K] était assise sur l'une de ses jambes, pour de raisons de santé et de posture du bassin, vous lui avez indiqué que 'si nous étions dans une entreprise professionnelle, vous seriez déjà licenciée ».
Ces altercations viennent s'ajouter aux nombreuses plaintes que je reçois chaque jour de la part des autres salariés concernant votre comportement très agressif et dénué de respect pour le travail d'équipe dans l'Atelier. Vous n'aviez par exemple pas hésité à vous adresser à Monsieur [J] [O], qui est pourtant l'un de vos supérieurs hiérarchiques, et ce devant toute l'équipe, en lui disant qu'il était « un petit con qui ne savait pas travailler ».
A titre d'autres exemples, pendant tous les mois d'hiver, vous avez tenu à ouvrir votre fenêtre sans tenir compte de vos collègues ou de moi même, qui souffrions du froid. Bien au contraire, chaque remarque de l'un de vos collègues on de votre supérieur hiérarchique donnait lieu soit à des remarques on comportements très agressifs, soit à une cessation totale de travail.
Il en va de même pour le chantonnement que vous entonnez en permanence, vos écouteurs à l'oreille. Je vous ai à de nombreuses reprises demandé de cesser ce chantonnement qui est très perturbant pour le travail de l'Atelier.
Malgré les nombreux recadrages, aussi bien à l'oral qu'à l'écrit, vous avez poursuivi dans le comportement non seulement peu professionnel et inadapté an travail d'équipe mais également très perturbateur pour le fonctionnement de1'Atelier et l'ambiance de travail collective.
Les conséquences de votre comportement sont également particulièrement graves.
Pour faire face au surcroit de travail lors des périodes de préparation d'une nouvelle collection, nous recrutons des salariés en intérim par le biais de sociétés prestataires de ce service.
Lors de ma dernière demande adressée à la société d'interim CAMELEONS, j'ai eu la mauvaise surprise d'apprendre qu'ils avaient la plus grande difficulté à nous conseiller du personnel car ils avaient reçu plusieurs plaintes d'anciens salariés sur votre comportement an sein de l'Atelier et à leur égard.
Cette situation est bien entendu très préjudiciable aussi bien an fonctionnement mais également a l'image de notre Société.
Les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien du 21 décembre 2016 ont été très limitées. C'est essentiellement Madame [E] [A] qui est intervenue, de surcroit d'une manière très agressive à mon égard ainsi qu'à l'encontre de Monsieur [J] [O] qui m'assistait. Cet entretien ne nous a donc pas permis de modifier notre appréciation des faits.
La gravité de ces faits ainsi que de leurs conséquences sur le fonctionnement de la Société, rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail et nous sommes ainsi contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave. »
Il est essentiellement reproché à Mme [N] des rapports très difficiles avec ses collègues de travail se traduisant par des invectives à leur encontre ou le fait de refuser de fermer les fenêtres en dépit du froid. L'employeur produit des attestations de Mme [D] et de M. [O] qui décrivent les comportements de Mme [N] à leur égard et à l'égard des autres salariés de l'atelier. Mme [D] atteste également des conditions de travail et des difficultés de M. [M] dues au fait que Mme [N] refusait de fermer les fenêtres de l'atelier. Il ressort par ailleurs des pièces produites que l'employeur a plusieurs fois rappelé à l'ordre Mme [N] sans que celle-ci ne change de comportement.
Toutefois, les fautes alléguées ne sont pas d'une importance telle que le maintien de Mme [N] dans l'entreprise n'était pas possible et qu'il faille mettre un terme immédiat aux relations contractuelles sans préavis.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société GAUCHERE au paiement de rappel de salaire sur mise à pied, de l'indemnité de préavis et de l'indemnité légale de licenciement dont les montants ne sont par ailleurs pas discuté.
Sur les frais de procédure
Mme [N] sera condamnée aux dépens.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne Mme [L] [N] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT