Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 9
ORDONNANCE DU 06 SEPTEMBRE 2022
Contestations d'Honoraires d'Avocat
(N° /2022, pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00743 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6XMK
NOUS, Laurence CHAINTRON, Conseillère, à la Cour d'Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assistée de Vanessa ALCINDOR, Greffière présente lors des débats et de Eléa DESPRETZ, Greffière présente lors de la mise à disposition au greffe.
Vu le recours formé par :
Monsieur [U] [S]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Comparant par visio conférence
Demandeur au recours,
contre une décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS dans un litige l'opposant à :
Maître [Z] [M]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Comparante en personne
Défenderesse au recours,
Par décision contradictoire, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, et après avoir entendu les parties présentes à notre audience du 01 Juin 2022 et pris connaissance des pièces déposées au Greffe,
L'affaire a été mise en délibéré au 06 Septembre 2022 :
Vu les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ;
***
En décembre 2016, M. [U] [S] a confié à Me [Z] [X] la défense de ses intérêts après qu'il ait été arrêté et placé en garde à vue pour viols, agressions à la pudeur sur mineurs et séquestration.
Aucune convention d'honoraires n'a été signée entre les parties.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 31 juillet 2018, enregistré le 2 août 2018, M. [S] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris d'une demande de fixation des honoraires dus à Me [X] et de restitution partielle des honoraires déjà versés à hauteur de 11 000 euros TTC.
Par décision contradictoire du 24 octobre 2018, la déléguée du bâtonnier a :
- fixé à la somme de 11 000 euros TTC le montant des honoraires dus par M. [S] à Me [X] ;
- constaté le versement d'ores et déjà intervenu de cette somme ;
- rejeté la demande de M. [S] ;
- rejeté la demande reconventionnelle ;
- dit que les frais de signification de la décision seront à la charge de M. [S] s'il se révélait nécessaire d'y recourir.
La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec avis de réception en date du 25 octobre 2018 dont elles ont signé les AR le 26 octobre 2018.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 12 novembre 2018, le cachet de la poste faisant foi, M. [S] a formé un recours contre la décision précitée.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 3 novembre 2021 par lettres recommandées avec avis de réception en date du 21 septembre 2021 qui est revenue avec la mention 'Pli avisé et non réclamé' pour M. [S] et 'destinataire inconnu à l'adresse' pour Me [X].
Par lettre recommandée avec avis de réception du 20 octobre 2021, M. [S] a de nouveau été convoqué à l'audience du 3 novembre 2021 qui a été réceptionnée et signée par la maison d'arrêt du Val d'Oise.
M. [S] n'a pas comparu à l'audience du 3 novembre 2021à laquelle a comparu Me [X].
L'affaire a été renvoyée à l'audience du 6 avril 2022. Les parties ont été convoquées à cette audience par lettres recommandées avec avis de réception des 3 novembre 2021 et 2 mars 2022 dont Me [X] a accusé réception le 4 mars 2022 et la maison d'arrêt du Val d'Oise le 5 novembre 2021.
Les deux parties ont comparu à cette audience, Me [X] en personne et M. [S] en visio conférence. L'affaire a été renvoyée au 1er juin 2022, M. [S] ayant indiqué qu'il avait demandé au greffe de la maison d'arrêt de déposer une demande d'aide juridictionnelle.
Les parties ont été convoquées à cette audience par lettres recommandées avec avis de réception du 7 avril 2022 dont Me [X] a accusé réception le 12 avril 2022 et la maison d'arrêt du Val d'Oise le 11 avril 2022.
M. [S] a comparu à cette audience en visio conférence et a précisé que son dossier d'aide juridictionnelle ayant été refusé, il entendait assurer seul sa défense. Il a sollicité l'infirmation de la décision déférée et précisé qu'il estimait devoir à Me [X] la somme de 5 000 euros TTC au titre de ses honoraires.
Me [X] a sollicité la confirmation de la décision déférée.
SUR CE
Sur les honoraires
A l'appui de ses prétentions, M. [S] expose que sa compagne a réglé à Me [X] la somme de 11 000 euros en espèces. Il relève le défaut de signature de convention d'honoraires. Il soutient que Me [X] a émis une facture un an et demi après la réalisation de ses diligences pour justifier de celles-ci. Il affirme qu'il était convenu avec l'avocate que le versement de la somme de 11 000 euros TTC couvrait l'ensemble de sa défense y compris la procédure d'assises, mais que cette dernière a mis fin à sa mission après la phase d'instruction de son dossier, 6 mois avant le début de son procès aux assises. Il allègue avoir dû vendre sa caravane et sa maison pour payer les honoraires de Me [X]. Il précise que Me [X] l'a assisté durant toute la phase d'instruction et reconnaît qu'elle a effectué du travail. Il expose que lui-même, ses soeurs et sa compagne appelaient beaucoup Me [X]. Il estime le travail effectué par l'avocate à la somme de 5 000 euros TTC.
En réplique, Me [X] reconnaît avoir reçu la somme de 11 000 euros versée en liquide. Elle affirme que cette somme couvrait uniquement la procédure d'instruction. Elle expose qu'aucune convention d'honoraires n'a été conclue avec son client car il ne sait ni lire, ni écrire. Elle soutient s'être dessaisie du dossier car son client et sa famille étaient menaçants à son égard. Elle allègue être allée au bout de sa mission. Elle expose que les faits reprochés concernaient une période particulièrement longue s'étendant de 2003 à 2019, le dossier confié était complexe s'agissant d'une procédure criminelle de viols, agressions à la pudeur sur mineurs et séquestration impliquant 13 victimes et également très volumineux puisqu'il comprenait 10 000 côtes. Elle expose avoir assisté son client lors de deux gardes à vue, 8 interrogatoires devant le juge d'instruction qui ont duré chacun une après-midi entière, une audience devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, préparé le dépôt d'un mémoire en annulation argumenté devant cette chambre qui a permis à M. [S] d'obtenir un non lieu du chef de séquestration de mineur, mis fin au tapage médiatique à l'égard de son client. Elle allègue avoir effectué des diligences complémentaires qu'elle n'a pas facturées tendant, notamment, à obtenir au profit de son client la restitution de divers objets.
Le recours de M. [S] qui a été effectué dans le délai d'un mois prévu par l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 est recevable.
Les pièces communiquées par les parties établissent que Me [X] est intervenue pour le compte de M. [S] à compter du mois de décembre 2016 jusqu'au 29 juin 2018, date à laquelle un confère lui a indiqué par correspondance du 29 juin 2018 que son client avait sollicité son intervention dans le cadre de sa mise en accusation devant la cour d'assises.
Pour connaître les conditions financières de l'intervention de Me [X] pour le compte de M. [S] et les diligences que l'avocat revendique, il y a lieu de se reporter aux documents suivants :
- une facture d'honoraires n° 180605 en date du 11 juin 2018 d'un montant de 12 470 euros HT, soit 14 964 euros TTC, qui mentionne les diligences suivantes : 1ère garde à vue, plainte pour violation du secret de l'instruction, 2ème garde à vue, étude dossier criminel (10 tomes), assistance audition devant Mme [T] juge d'instruction à [Localité 3] (7 auditions), visites à la maison d'arrêt d'[Localité 4] (3), mémoire devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles,
- une fiche de diligences dressée pour le bâtonnier, le 19 septembre 2018, dans laquelle Me [X] a notamment indiqué que :
- elle a 19 années d'exercice,
- l'affaire concernait une tentative d'enlèvement de mineur, des viols en série sur mineurs de 15 ans (13 victimes), des agressions sexuelles sur mineurs,
- cette affaire était sensible et très complexe vu la multiplicité des faits - dossier de 10 tomes en instruction depuis 2003,
- elle a eu 3 ou 4 rendez-vous avec la famille de son client, 30 entretiens téléphoniques avec cette dernière, son client et le magistrat instructeur,
- elle a adressé peu de lettres (4 ou 5) puisque M. [S] ne sait ni lire, ni écrire,
- elle a consacré plus de 30 heures à l'examen du dossier,
- elle a rédigé une plainte pour violation du secret de l'instruction, demandé la restitution d'objets, rédigé un mémoire devant la chambre de l'instruction, interjeté appel de l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises,
- elle a rendu 3 visites à son client en prison, l'a assisté au cours de deux gardes à vue de 48 heures chacune et 7 interrogatoires devant le juge d'instruction de [Localité 3] d'une durée de 4 ou 5 heures chacun,
- elle a consacré un nombre d'heures total au dossier de 150 heures,
- le montant total des honoraires facturés est de 12 470 euros, mais elle a forfaitisé ses honoraires à 11 000 euros TTC, compte tenu de la situation de fortune de son client.
Me [X] ne produit aucun document démontrant que M. [S] ait accepté les conditions financières de son intervention, de sorte qu'il est retenu qu'aucune convention d'honoraires n'a été signée, ni conclue par les parties.
Ainsi, à défaut d'une telle convention d'honoraires, il convient pour fixer les honoraires dus à Me [X] à compter du mois de décembre 2016 jusqu'au 29 juin 2018, de faire application des dispositions de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui dispose notamment que : ' Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.'
Force est de constater que l'application littérale de l'article 10 de la loi précitée dans ce dossier présente des difficultés dès lors que l'avocat ne justifie pas avoir communiqué à son client son taux horaire HT habituel, n'a pas porté à notre connaissance le temps passé pour chaque type de diligences réalisées et n'a communiqué aucune information sur la situation de fortune de son client.
Pour ces motifs, nous fixerons les honoraires de manière forfaitaire comme l'a fait le bâtonnier de Paris, en ne tenant compte que des diligences que Me [X] justifie dans la présente instance.
Me [X] justifie avoir effectué pendant la période considérée pour le compte de M. [S] les diligences suivantes :
- la rédaction d'une synthèse du dossier (pièce n° 3),
- l'établissement d'un tableau résumant les faits (pièce n° 4),
- la rédaction d'un mémoire déposé devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles (pièce n° 8),
- la rédaction de courriers et SMS adressés à M. [S] et sa compagne (pièces n° 6, 11, 14, 15, et 26),
- la rédaction et l'enrôlement d'une plainte pour violation du secret de l'instruction (pièces n° 19 et 20),
- l'envoi d'un courrier au juge d'instruction afin d'obtenir la restitution d'un ordinateur (pièce n° 22).
Elle a par ailleurs dû examiner un dossier très volumineux de 10 tomes et plus de 10 000 côtes.
Elle verse également aux débats, notamment, le réquisitoire de renvoi devant la cour d'assises du Val d'Oise (pièce n° 1), l'ordonnance de mise en accusation (pièce n° 2) et l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 2 août 2018 (pièce n° 32).
M. [S] ne conteste pas la réalisation des diligences effectuées par Me [X] telles qu'exposées dans la fiche de diligences précitée, mais estime que le temps facturé est excessif.
Toutefois, comme l'a retenu à juste titre le bâtonnier de Paris, l'évaluation à 150 heures du temps de travail consacré à ce dossier n'apparaît pas excessive au regard des nombreuses diligences réalisées et justifiées par Me [X], sur une période d'un an et demi, dans un dossier criminel particulièrement complexe et sensible au regard des faits reprochés à M. [S] impliquant 13 victimes pour la plupart mineures. Au regard du montant des honoraires réclamés par Me [X] à hauteur de la somme de 11 000 euros TTC, le taux horaire revendiqué s'élève à la somme de 61,11 euros HT qui est particulièrement raisonnable et tient compte de la situation de fortune de M. [S].
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est justifié de fixer à la somme de 11 000 euros TTC le montant des honoraires dus par M. [S] à Me [X] au titre des diligences effectuées, étant rappelé que Me [X] ne conteste pas que cette somme lui a déjà été réglée. La décision déférée est donc confirmée de ce chef et M. [S] est débouté par voie de conséquence de sa demande tendant à obtenir le remboursement partiel de la somme versée à l'intimée à hauteur de 5 000 euros TTC.
Sur les autres demandes
M. [S], partie perdante, sera condamné aux dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement en dernier ressort, par ordonnance contradictoire, et par mise à disposition de la décision par le greffe,
Confirmons la décision déférée rendue par la déléguée du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris du 24 octobre 2018 ;
Condamnons M. [U] [S] aux dépens de la présente instance ;
Disons qu'en application de l'article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'ordonnance sera notifiée aux parties par le greffe de la cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE