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25/05/2022 | FRANCE | N°21/18822

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 25 mai 2022, 21/18822


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 25 MAI 2022



(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/18822 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESKG



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Octobre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021011572





APPELANTE



S.A.S. COLACO, agissant poursuites et diligences de ses repr

ésentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistée d...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 25 MAI 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/18822 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESKG

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Octobre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021011572

APPELANTE

S.A.S. COLACO, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistée de Me Christian BOREL, avocat au barreau de LYON

INTIMEE

S.A.S. CENTRE VIDEO DISTRIBUTION, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée et assistée par Me Frédéric COULON de la SCP BIGNON LEBRAY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 7 avril 2022, en audience publique, Thomas RONDEAU, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Colaco indique être spécialisée dans la distribution de contenus audiovisuels et multimédias, auprès d'organismes institutionnels et éducatifs, sous la forme de prêt, location ou projection non commerciale sur place.

La SARL Centre Vidéo Distribution (CVD) exerce elle son activité dans la distribution en gros ou au détail de supports multimédias, précisant être active dans les secteurs lucratif et institutionnel.

Par plusieurs accords-cadres annuels depuis 2012, dont le plus récent date du 20 février 2020, CVD et Colaco ont défini les conditions dans lesquelles Colaco pouvait acquérir, auprès de CVD, les vidéogrammes pour le marché locatif ou institutionnel.

Estimant que la société Colaco a violé ses obligations, ne pouvant licitement se fournir sur le marché locatif et institutionnel autrement que par l'intermédiaire de CVD, et après avoir fait diligenter un audit confié au cabinet Oral, la société CVD a saisi sur requête le président du tribunal de commerce de Paris, qui, par ordonnance du 18 décembre 2020, a ordonné la désignation d'un huissier de justice afin que celui-ci se rende au siège social de la société Colaco et de son cabinet comptable, la société Firex, aux fins de se faire communiquer l'ensemble des documents comptables et de gestion nécessaires à la finalisation du rapport d'audit du cabinet d'expertise comptable Orial, en ce compris les factures d'achat auprès des sociétés Fnac, Carrefour et Edi, de 2015 à 2020.

Par acte du 3 mars 2021, la société Colaco a fait assigner la société Centre Vidéo Distribution (CVD) devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de, notamment :

- juger que ni la requête du 17 décembre 2020 ni l'ordonnance du 18 décembre 2020 ne justifient de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- juger que la société Centre Vidéo Distribution n'établit pas un motif légitime sérieux justifiant la mesure d'instruction autorisée par l'ordonnance du 18 décembre 2020 ;

- juger que les mesures ordonnées par l'ordonnance du 18 décembre 2020 ne sont pas légalement admissibles ;

en conséquence,

- rétracter l'ordonnance rendue le 18 décembre 2020 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

- ordonner la restitution immédiate, à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, de l'intégralité des éléments (documents et données) appréhendés lors de l'exécution de la mesure ;

- ordonner la destruction immédiate, à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, du procès verbal de constat établi par l'huissier de justice instrumentaire suite aux mesures réalisées le 5 février 2021, ainsi que de l'ensemble des copies et/ou extractions ayant pu être réalisées par l'huissier de justice instrumentaire et/ou l'expert informatique l'ayant assisté ;

- faire interdiction, à toutes fins, à la société Centre Vidéo Distribution, de faire état, d'utiliser et de conserver copie de l'un quelconque des éléments auquel elle aurait pu avoir accès dans le cadre de la réalisation des mesures d'instruction.

En réplique, la société Centre Vidéo Distribution (CVD) a demandé au principal le rejet des demandes formées par la société Colaco.

Par ordonnance contradictoire du 22 octobre 2021, le juge des référés a :

- dit que l'ordonnance du 18 décembre 2020 est conforme aux dispositions de l'article 145 et 493 du code de procédure civile,

- 'débouté Mme [G] épouse [C] [O] et la SAS [C] Fortin de leurs demandes de rétractation de l'ordonnance du 6 janvier 2021" ;

- 'condamné solidairement Mme [G] épouse [C] [O] et la SAS [C] Fortin à payer à la société Imfinity la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile' ;

- 'condamné solidairement Mme [G] épouse [C] [O] et la SAS [C] Fortin aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 euros dont 6,78 euros de TVA'.

Par ordonnance rectificative du 29 octobre 2021, le juge des référés a :

- dit qu'il convient de lire :

'déboutons la SA Colaco de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 18 décembre 2020 ;

condamnons la SA Colaco à payer à la SARL Centre Vidéo Distribution (CVD) la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamnons la SA Colaco aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 euros dont 6,78 euros de TVA' ;

- maintenu dans leur intégralité les autres termes de l'ordonnance ;

- ordonné que conformément aux articles 462 et 463 du code de procédure civile, mention de la présente décision sera portée sur la minute et sur les expéditions de la précédente décision et qu'elle sera notifiée comme celle-ci ;

- autorisé conformément aux dispositions de l'article 465 du code de procédure civile le greffe à délivrer une expédition comportant la formule exécutoire ;

- dit que les dépens seront à la charge du trésor public, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 euros dont 6,78 euros de TVA.

Par une première déclaration du 28 octobre 2021, la société Colaco a relevé appel de l'ordonnance du 22 octobre 2021 (RG 21/18822).

Par une seconde déclaration du 1er décembre 2021, la société Colaco a relevé appel de l'ordonnance rectificative du 29 octobre 2021 (RG 21/20941).

Dans ses dernières conclusions remises le 11 mars 2022 dans les procédures RG 21/18822 et RG 21/20941, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Colaco demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, des articles 12, 13, 462 et 493 du code de procédure civile, de :

- déclarer bien fondé l'appel interjeté par la société Colaco à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris le 22 octobre 2021 et de l'ordonnance rectificative du 29 octobre 2021 ;

- juger qu'en rectifiant l'erreur matérielle dont était affectée l'ordonnance rendue le 22 octobre 2021, nonobstant l'appel interjeté antérieurement, le juge des référés a excédé ses pouvoirs ;

En conséquence,

- annuler l'ordonnance rectificative rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris le 29 octobre 2021 et, par voie de conséquence, l'ordonnance, rectifiée, rendue le 22 octobre 2021 ;

À défaut d'annuler l'ordonnance entreprise,

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris le 22 octobre 2021, rectifiée par ordonnance du 29 octobre 2021 ;

Et, statuant à nouveau, après annulation ou, à défaut, infirmation de l'ordonnance entreprise,

- juger que ni la requête du 17 décembre 2020 ni l'ordonnance du 18 décembre 2020 ne justifient de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- juger que la société Centre Vidéo Distribution n'établit pas un motif légitime sérieux justifiant la mesure d'instruction autorisée par l'ordonnance du 18 décembre 2020 ;

- juger que les mesures ordonnées par l'ordonnance du 18 décembre 2020 ne sont pas légalement admissibles ;

En conséquence,

- rétracter l'ordonnance rendue le 18 décembre 2020 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

- ordonner la restitution immédiate à la société Colaco, à compter du prononcé de la décision à intervenir, de l'intégralité des éléments (documents et données) appréhendés lors de l'exécution des mesures d'instruction, à son siège social et à celui de la société Firex, son expert-comptable ;

- ordonner la destruction immédiate, à compter du prononcé de la décision à intervenir, des deux procès-verbaux de constat, en ce compris les annexes, établis par l'huissier de justice instrumentaire suite aux mesures d'instruction réalisées le 5 février 2021, à son siège social et à celui de la société Firex, son expert-comptable, ainsi que de l'ensemble des copies et/ou extractions ayant pu être réalisées par l'huissier de justice instrumentaire et/ou l'expert informatique l'ayant assisté ;

- faire interdiction, à toutes fins, à la société Centre Vidéo Distribution, de faire état, d'utiliser et de conserver original ou copie de l'un quelconque des éléments auquel elle aurait pu avoir accès dans le cadre de la réalisation des mesures d'instruction ;

- condamner la société Centre Vidéo Distribution à lui payer la somme de 15.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

La société SAS Colaco fait état des éléments suivants :

- le juge des référés a excédé ses pouvoirs en rectifiant l'erreur matérielle alors qu'il avait été relevé appel de la décision, ce qui commande d'annuler tant l'ordonnance rectificative que l'ordonnance rectifiée ;

- aucune circonstance ne justifiait la dérogation au principe du contradictoire, s'agissant de documents soumis à une obligation de conservation, étant observé qu'elle ne s'est jamais opposée à la remise des pièces ;

- il n'y a pas non plus de motif légitime justifiant la mesure d'instruction, Colaco n'étant liée à CVD par aucune clause d'approvisionnement exclusif, ni même d'approvisionnement minimal ; aucune réclamation n'a été en outre formée par les éditeurs et l'audit réalisé est dénué de toute portée ;

- la mesure d'instruction n'est pas légalement admissible, comme étant manifestement disproportionnée et au regard de la mission et des pouvoirs confiés à l'huissier de justice.

Dans ses dernières conclusions remises le 15 mars 2022 dans les procédures RG 21/18822 et RG 21/20941, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Centre Vidéo Distribution demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, des articles 462, 493 et 561 et suivants du code de procédure civile, des articles L. 151-1 et suivants et R. 153-1 et suivants du code de commerce, de :

À titre principal,

- décider que seule l'inscription au rôle de la cour d'appel intervenue par l'avis de fixation en date du 3 novembre 2021 a dessaisi M. le président du tribunal de commerce de Paris ;

En conséquence,

- décider que le président du tribunal de commerce de Paris était compétent lorsqu'il a rendu l'ordonnance du 29 octobre 2021 ;

- décider que le président du tribunal de commerce de Paris n'a pas excédé ses pouvoirs en rendant son ordonnance du 29 octobre 2021 ;

- rejeter les demandes de nullité de Colaco des ordonnances du Président du Tribunal de commerce de Paris les 22 octobre 2021 et 29 octobre 2021 ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 22 octobre 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris et rectifiée par ordonnance du 29 octobre 2021 ;

- débouter la société Colaco de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

À titre subsidiaire, si la cour d'appel de paris devait annuler l'ordonnance rectificative du 29 octobre 2021,

- décider que l'annulation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris de Paris du 29 octobre 2021 n'affecte pas la validité de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 22 octobre 2021 ;

- rejeter la demande de nullité de la société Colaco de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 22 octobre 2021 ;

- rectifier l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris le 22 octobre 2021 : en modifiant la dernière page comme suit : « Déboutons la Société Colaco de société demande de rétractation de l'ordonnance du 18 décembre 2020 ; Condamnons la Société Colaco à payer à la Société Centre Vidéo Distribution (C.v.d.) la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamnons la Société Colaco aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 euros TTC dont 6,78 euros de TVA » ; et en maintenant dans leur intégralité les autres termes de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 22 octobre 2021 ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 22 octobre 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris telle que rectifiée par la cour d'appel ;

À titre extrêmement subsidiaire, si la cour d'appel de paris devait annuler tant l'ordonnance du 22 octobre 2021 que l'ordonnance rectificative du 29 octobre 2021,

Statuant à nouveau,

- décider que la requête du 17 décembre 2020 et l'ordonnance du 18 décembre 2020 justifient de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- décider qu'elle établit un motif légitime sérieux justifiant la mesure d'instruction autorisée par l'ordonnance du 18 décembre 2020 ;

- décider que les mesures ordonnées par l'ordonnance du 18 décembre 2020 sont légalement admissibles ;

- rejeter la demande de rétractation de l'ordonnance du 18 décembre 2020 ;

En tout état de cause,

- débouter la société Colaco de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Colaco à lui verser la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Colaco aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Centre Vidéo Distribution fait état des éléments suivants :

- l'ordonnance rendue le 22 octobre 2021 et rectifiée par ordonnance en date du 29 octobre 2021 est régulière et exécutoire malgré la procédure d'appel introduite par déclaration d'appel du 28 octobre 2021 ; en effet, la date de la déclaration d'appel ne doit pas être prise en compte, seule la date d'enrôlement, à savoir la date d'émission par la cour d'appel de l'avis de fixation, en l'espèce, le 3 novembre 2021, devant être prise en compte ;

- le refus de la société appelante de fournir les pièces est établi, ainsi que le risque que les pièces soient détruites ou modifiées compte tenu de l'attitude de la société Colaco ;

- de nombreux éléments démontrent une violation par Colaco de l'accord-cadre conclu avec CVD du fait de son refus de communication d'éléments dans le cadre de l'audit et démontrent également que Colaco a commercialisé, sur le marché locatif et institutionnel qui est son seul secteur d'intervention, des vidéogrammes, sans disposer des droits pour les commercialiser sur ce marché ;

- il ressort des éléments produits que CVD disposait bien d'une exclusivité de droit ou de fait dans la distribution des vidéogrammes à destination du marché locatif et institutionnel concernant les éditeurs constituant la totalité du catalogue de CVD et des approvisionnements sauvages effectués par Colaco ;

- sur la proportion des mesures, il est bien évident qu'on est bien loin du cas d'une mission générale évoquée par Colaco d'une autorisation de saisir des documents de « tout document social, fiscal, comptable, administratif, de quelque nature que ce soit » ;

- la mission est circonscrite par le but poursuivi qui est suffisamment précis, mais au surplus les documents demandés ne sont que ceux que Colaco aurait dû transmettre dans le cadre de l'accord-cadre conclu avec CVD ;

- aucun pouvoir d'investigation ou de contrainte n'a été confié à l'huissier de justice.

SUR CE LA COUR

A titre liminaire, il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures RG n° 21/18822 et 21/20941, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

L'article 493 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

En outre, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime, c'est-à-dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

De plus, si la partie demanderesse dispose d'ores et déjà de moyens de preuves suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d'instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

Enfin, ni l'urgence ni l'absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d'application de ce texte.

En l'espèce, concernant d'abord la nullité de l'ordonnance rectificative, la société appelante expose que le premier juge aurait excédé ses pouvoirs en procédant à cette rectification par ordonnance du 29 octobre 2021 alors qu'un appel avait été interjeté.

Il sera rappelé qu'en application de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

La société Centre Vidéo Distribution a saisi le premier juge d'une requête en rectification d'erreur matérielle le 25 octobre 2021. La société Colaco a fait appel de l'ordonnance le 28 octobre 2021. Le premier juge a rendu son ordonnance rectificative le 29 octobre 2021.

Or, il est constant que, même si la cour d'appel est compétente pour rectifier la décision des premiers juges, cette compétence ne naît qu'avec l'instance d'appel, lors de l'inscription au rôle.

A la date du 29 octobre 2021, l'appel interjeté par déclaration du 28 octobre 2021 n'avait pas encore fait l'objet d'un enrôlement, l'appel ayant été enregistré le 3 novembre 2021.

Le premier juge pouvait donc encore régulièrement rectifier son ordonnance, de sorte qu'il y a lieu de rejeter le moyen de nullité de l'ordonnance rectificative, et, partant, l'ensemble des moyens de nullité soulevé par l'appelante.

Sur le fond du référé-rétractation, il y a lieu de relever :

- que, s'agissant d'abord de la dérogation au principe du contradictoire, le président du tribunal de commerce a motivé sa décision dans l'ordonnance sur requête en indiquant que les pièces produites montrent le refus de Colaco de transmettre les documents comptables, notamment les factures d'achat auprès d'autres distributeurs, de nature à établir les violations contractuelles et légales alléguées, étant aussi fait état d'un risque de disparition de ces éléments de preuve ;

- que, selon l'accord-cadre du 20 février 2020 (pièce 5), Colaco s'est engagé à communiquer à Centre Vidéo Distribution, sur simple demande écrite de sa part, ses bilans détaillés pour les trois derniers exercices dans un délai de 15 jours suivant la demande, autorisant également Centre Vidéo Distribution à procéder à des audits pour procéder ou faire procéder à un contrôle des documents comptables ;

- que la société Colaco, au regard des pièces produites (pièces 7, 9, 11, 12, 16), a bien refusé à plusieurs reprises de transmettre au moins certains des documents comptables réclamés par la société Centre Vidéo Distribution, la mesure ordonnée sur requête visant à cet égard logiquement la société appelante et son cabinet d'expert-comptable eu égard aux soupçons de dissimulation alléguées ;

- que la circonstance que les documents recherchés soient des factures n'empêche pas pour autant la nécessité d'un effet de surprise compte tenu d'un risque de dissimulation, le contentieux portant précisément sur une éventuelle violation des accords-cadres, peu important aussi que certains documents aient été transmis ;

- que, contrairement à ce qu'indique l'appelante, il n'est pas nécessaire, pour justifier de la dérogation au principe de la contradiction, de circonstances concrètes montrant une suppression déjà établie de données, le risque de cette suppression, s'il est suffisamment établi comme dans la présente procédure, pouvant justifier la dérogation ;

- qu'ainsi la nécessité de déroger au contradictoire est suffisamment établie, la société appelante ayant refusé la communication de plusieurs documents comptables et factures malgré les stipulations des contrats liant les parties, la société intimée justifiant aussi de ce qu'elle soupçonne la société appelante de s'être approvisionnée pour le marché locatif ou institutionnel sans avoir recouru à ses services ;

- que d'ailleurs, concernant le motif légitime, la société intimée fait état de ce que la société appelante violerait leurs accords contractuels, en commercialisant des vidéogrammes acquis dans le commerce sur le marché locatif et institutionnel, alors que Centre Vidéo Distribution dispose d'une exclusivité dans ce secteur pour une série d'éditeurs, l'établissement de son préjudice dans un éventuel futur procès commandant une mesure d'instruction fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile ;

- qu'il est à tout le moins établi qu'un courriel adressé par un de ses partenaires à la société intimée fait état de ce que Colaco se serait massivement approvisionné auprès d'un magasin Fnac pour plus de 400.000 euros par an (pièce 6), un audit partiel établissant une discordance entre les quantités acquises auprès de l'intimée et les quantités vendues par l'appelante (pièce 14, courriel de l'expert-comptable Orial du 29 octobre 2020) ;

- que, s'il est observé par l'appelante que les accords-cadres ne font en effet par expressément état d'une clause d'exclusivité, force est aussi de rappeler que Centre Vidéo Distribution revendique, pièces à l'appui, pouvoir seule vendre des vidéos, avec les droits locatifs et institutionnels, pour les éditeurs visés (pièce 31 pour FPE, pièce 33 pour LCJ, pièce 34 pour Zylo, pièce 35 à 37 pour Disney sans toutefois ici de contrat produit s'agissant d'une exclusivité revendiquée "de fait", pièce 40 pour [L] [D], pièce 41 pour [Z] [E] exclusivité de fait, pièce 45 pour [K]), étant observé que Colaco apparaît avoir été formellement informée à tout le moins pour certains des éditeurs par Centre Vidéo Distribution (pièce 32 FPE, pièce 45 Zylo, [L] [D] et [K]), peu important l'absence de réclamation desdits éditeurs ;

- que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile est donc caractérisé, dans la mesure où l'intimée a, à tout le moins, prévu une exclusivité en droit avec certains éditeurs sur le secteur locatif et institutionnel, portée à la connaissance de l'appelante, qui s'est approvisionnée simultanément dans le commerce en achetant des vidéos sans droits locatifs et institutionnels inclus, le litige potentiel étant ainsi suffisamment plausible ;

- que la SARL Centre Vidéo Distribution n'a pas à établir en l'état le bien-fondé de sa future action, les contentieux sur les comptes entre les parties, sur la saisie conservatoire ou sur le caractère licite de l'audit partiel étant aussi, à ce stade et dans ces conditions, indifférents ;

- qu'enfin, sur le caractère légalement admissible des mesures ordonnées, la requête apparaît d'abord bien en rapport avec le motif légitime allégué et les stipulations contractuelles signées entre les parties sur les documents comptables et l'audit, ne pouvant être retenu le caractère général de l'investigation, ayant été mentionné dans la requête une recherche portant sur les documents comptables et de gestion manquants, les factures d'achats auprès de la Fnac, de Carrefour, d'Edi pour les années 2015 à 2020, les factures d'achat pour 2020, la mission étant dès lors bien circonscrite tant au regard de la nature des documents que des limites temporels, ce même si la société appelante conteste la remise de documents pour les années 2015 et 2016 ;

- que l'absence d'usage de mots-clés n'établit pas le caractère disproportionné des mesures, caractère devant s'analyser compte tenu de l'ensemble de ce que prévoit l'ordonnance sur requête ;

- que, s'agissant du secret des affaires, à laquelle la mesure d'instruction peut certes éventuellement porter atteinte, l'intimée expose qu'une procédure est en cours sur la base des articles L. 153-1 et suivants du code de commerce, ce qui est de nature à garantir les droits des parties ;

- que les mesures ordonnées ne confient pas un pouvoir général d'investigation et de contrainte à l'huissier de justice, contrairement à ce qu'indique la SAS Colaco, le travail d'identification des documents ne déléguant pas à l'huissier de justice une mission juridictionnelle, étant de plus parfaitement usuel et conforme à sa mission que celui-ci puisse, en cas d'obstruction, faire appel à la force publique, sans que l'on puisse en déduire qu'il pourrait alors bénéficier d'un pouvoir de coercition illégal.

Aussi, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise telle que rectifiée, en ce compris le sort des dépens et frais de première instance exactement réglé par le premier juge.

A hauteur d'appel, la société appelante devra indemniser la société intimée pour ses frais non répétibles exposées et sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des procédures numérotées RG 21/18822 et 21/20941 sous le numéro RG 21/18822 ;

Rejette la demande de nullité des ordonnances des 22 octobre 2021 et 29 octobre 2021 ;

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du 22 octobre 2021, rectifiée par ordonnance du 29 octobre 2021 ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Colaco à verser à la SARL Centre Vidéo Distribution la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la SAS Colaco aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 21/18822
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;21.18822 ?
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