REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 25 MAI 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05830 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBWSW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL RG n° 17/09316
APPELANTE
S.A. CREDIT LOGEMENT
50 BD SEBASTOPOL
75003 PARIS
Représentée par Me Serge TACNET de l'ASSOCIATION TACNET CORINNE ET SERGE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 150
INTIMES
Monsieur [R] [L]
Né le 28/04/1965 à SAINT DENIS (97400),
14 RUE SAINT JUST
94200 IVRY SUR SEINE
Madame [T] [X] EP. [L]
née le 27/04/1971 à LA TRONCHE (38)
14 RUS SAINT JUST
94200 IVRY SUR SEINE
Non représentés (signification de la déclaration d'appel en date du 30 juin 2021, remis à l'étude )
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Marc BAILLY, Président de chambre
Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère
Madame Pascale LIEGEOIS, Conseillère
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
- par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Yulia TREFILOVA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
Suivant offre acceptée le 6 octobre 2005, la SA Le crédit lyonnais a consenti à
M. [R] [L] et à Mme [T] [X] épouse [L] un prêt d'un montant de
240 000 euros, remboursable en 180 mensualités de 1 674,76 euros, destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier à usage de résidence principale, situé au 14 rue Saint Just à Ivry sur Seine.
Par acte sous signature privée du 19 septembre 2005, la société Crédit logement a accepté de cautionner ce prêt.
Les emprunteurs ayant été défaillants dans le remboursement du prêt, la société Le crédit lyonnais a prononcé la déchéance du terme par deux lettres avec avis de réception du 17 mai 2017.
La société Crédit logement a réglé diverses sommes à l'établissement prêteur sur le fondement de son engagement de caution soit les sommes de 6 193,48 euros, 6 636,29 euros et 86.191,35 euros suivant quittances délivrées les 25 août 2016, 10 février et 20 juin 2017.
Par lettres recommandées du 14 juin 2017, elle a mis en demeure les époux [L] de procéder à la régularisation de la situation.
Par jugement en date du 1er juin 2017, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Mme [Y], masseuse-kinésithérapeute libérale.
La date de cessation des paiements a été fixée au 11 février 2016 et la SELAFA MJA désignée comme mandataire judiciaire.
La société Crédit logement a déclaré sa créance et a été admise à titre privilégié pour la somme de 91 670,95 euros mais a refusé le plan qui lui a été présenté le 17 janvier 2018.
Un plan de redressement a été arrêté par le tribunal d'une durée de 8 ans.
Par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil en date du 24 juillet 2017, la société Crédit logement a été autorisée à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire pour sureté et conservation de sa créance évaluée provisoirement à 92 000 euros, sur les biens et droits immobiliers appartenant aux époux [L] cadastrés section AO N°79 sis 14 rue Saint Just à IVRY SUR SEINE (94) et plus spécialement les lots 6 et 23 de l'EDD. Cette inscription a été publiée le 17 août 2017 et leur a été dénoncée le 21 août 2017.
Par deux actes d'huissier de justice en date du 28 août 2017, la société Crédit logement a assigné M. [R] [L] et à Mme [T] [X] épouse [L] devant le tribunal de grande instance de Créteil.
Mme [T] [X] épouse [L] n'a pas constitué avocat.
Par jugement réputé contradictoire en date du 19 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Créteil a :
-déclaré irecevable l'action en paiement intentée par la société Crédit logement à l'encontre de Mme [T] [X] épouse [L] aux motif qu'elle a fait l'objet d'une procédure collective ouverte antérieurement à son assigntation qui fait obstacle au droit de poursuites individuelles des créanciers,
-prononcé sa mise hors de cause,
-constaté la nullité de l'hypothèque judiciaire provisoire prise sur les biens situés à Ivry sur Seine à hauteur de 92 000 euros pour avoir été prise postérieurement à l'ouverture de la procédure collective au bénéfice de Mme [T] [X] épouse [L],
-condamné M. [R] [L] à payer à la société Crédit logement la somme de 90 614,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2017,
-condamné M. [R] [L] à payer à la société Crdéit logement la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté M. [R] [L] de sa demande au titre des frais irrépétibles,
-condamné M. [R] [L] aux dépens,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 31 mars 2020, la société Crédit logement a interjeté appel de ce jugement en ce que son action a été déclarée irrecevable à l'encontre de Mme [T] [X] épouse [L] et en ce que l'hypothèque judiciaire provisoire a été annulée.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 24 juin 2020 et signifiées avec la déclaration d'appel par acte d'huissier de justice du 30 juin 2020, la société Crédit logement demande à la cour de :
Vu les articles 1103, 1251 en son alinéa 3, 2305et 2306 et suivants du code civil,
INFIRMER le jugement en ce qu'il a déclaré l'action de la SA CREDIT LOGEMENT irrecevable et constaté la nullité de l'hypothèque judiciaire provisoire sur les lots numérotés 6 et 23 d'un ensemble immobilier sis à IVRY SUR SEINE (94) cadastrés section AO N°79 situé 14 rue Saint Just à IVRY SUR SEINE (94) publiée le 17 août 2017.
Et statuant à nouveau, nonobstant les règles de la procédure collective non applicables en l'espèce et vu l'exception prétorienne édictée,
DECLARER recevable l'action intentée par la SA CREDIT LOGEMENT à l'encontre de Mme [X] épouse [L],
DECLARER la SA CREDIT LOGEMENT bien fondée en ses demandes et y faisant droit,
Condamner Madame [T] [X] épouse [L] au paiement de :
-90.614,35 euros correspondant au montant de sa créance en principal, intérêts et accessoires, arrêtée au 3 juillet 2017 avec les intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2017 jusqu'à parfait paiement ;
-1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Constater la validité de l'hypothèque judiciaire provisoire sur les lots numérotés 6 et 23 d'unensemble immobilier sis à IVRY SUR SEINE (94) cadastrés section AO N°79 situé 14 rue Saint Just à IVRY SUR SEINE (94) publiée le 17 août 2017,
Confirmer le jugement entrepris pour le surplus tant en ce qui concerne la condamnation au paiement prononcée à l'encontre de M. [L] que sa condamnation prononcée en application del'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,
en faisant valoir que :
-l'article 2285 du code civil énonce que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers » alors que le patrimoine soumis à la procédure collective peut avoir un caractère variable selon l'article L.526-1 du code de commerce qui institue désormais une insaisissabilité de droit de la résidence principale du débiteur,
-elle a cautionné le prêt accordé par la société Le crédit lyonnais aux époux [L] destiné à financer leur résidence principale et a été amené à régler en sa qualité de caution aux lieu et place des co-emprunteurs défaillants, il s'agit donc d'une créance non professionnelle et l'insaisissabilité lui est donc inopposable,
-si le droit commun des procédures collectives impose à tous les créanciers, sans distinction ainsi que l'a retenu le tribunal, professionnels ou personnels, la suspension des poursuites, par un arrêt rendu le 13 septembre 2017 (Cass com 13 septembre 2017 n°16-10206 ), la Cour de cassation, pour permettre au créancier d'exercer le droit de saisie accordé, prévoit une dérogation à l'interdiction d'agir contre le débiteur, en retenant au visa des articles L.526-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 août 2015 et L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution que le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d'un droit de poursuite sur cet immeuble, qu'il doit être en mesure d'exercer en obtenant, s'il n'en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance,
-ainsi elle érige une exception au principe de l'interdiction des poursuites individuelles au profit du créancier, non muni d'un titre, mais disposant du droit de poursuivre le paiement de sa créance sur un bien échappant à la procédure collective, le bien sur lequel ce créancier peut agir étant hors procédure, elle a considéré que ce créancier devait pouvoir faire constater sa créance pour lui permettre d'exercer son droit de poursuite sur ce bien et donner toute la portée à l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité, de sorte que l'interdiction des poursuites individuelles ayant vocation à préserver le gage des créanciers de la procédure, elle n'a pas à s'appliquer au créancier qui peut agir sur un bien hors procédure,
-en sa qualité de créancier non professionnel, elle ne doit pas agir selon le droit commun des procédures collectives, les règles édictées ne lui étant pas applicables, quand bien même elle a déclaré sa créance et a été inscrite à titre privilégié de sorte qu'elle peut assigner la débitrice aux fins d'obtenir un titre exécutoire et en obtenir le paiement en exerçant son droit de poursuite sur la résidence principale des époux [L] mais également inscrire une hypothèque sur le bien dont elle est propriétaire indivis malgré les dispositions de l'article L 622-30 du code de commerce,
son action est donc recevable et l'hypothèque prise ne peut être déclarée nulle.
M. [R] [L] et Mme [T] [X] épouse [L] n'ont pas constitué avocat. La déclaration d'appel et les premières conclusions d'appelant leur ont été notifiées par remise de l'acte à l'étude, pour chacun d'eux, par acte d'huissier de justice du 30 juin 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Le premier alinéa de article L.526-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, applicable au litige, dispose que : " Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d'habitation en application de l'article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire. "
Il est ainsi de principe qu'un créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable peut exercer son droit de poursuite sur celui-ci indépendamment de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble.
En l'espèce, la créance de la société Crédit logement est née antérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire prononcé le 1er juin 2017 par le tribunal judiciaire de Paris à l'encontre de Mme [T] [X] épouse [L] et elle a fait l'objet d'une déclaration auprès de la Selarl MJA, en sa qualité de mandataire judiciaire, mais elle ne saurait être qualifiée de créance née à l'occasion de l'activité professionnelle de celle-ci, s'agissant de la créance d'une caution ayant garanti le prêt immobilier accordé aux époux [L] pour l'acquisition de leur résidence principale.
Par ailleurs, il ne résulte pas de la motivation du premier juge que le bien immobilier situé à Ivry-sur-Seine, objet de la mesure d'hypothèque judiciaire provisoire prise par la société Crédit logement, serait affecté en tout ou partie à l'exercice par Mme [T] [X] épouse [L] de son activité de masseur-kinésithérapeute.
Dès lors, il est de droit, insaisissable et échappe au droit de gage des créanciers professionnels mais cette insaisissabilité n'est pas, en revanche, opposable à la société Crédit logement.
Néanmoins, si en application de l'article L.526-1 alinéa 1er précité, le créancier auquel l'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable bénéficie d'un droit de poursuite sur cet immeuble, il n'en demeure pas moins soumis au principe d'ordre public de l'arrêt des poursuites ainsi qu'à l'interdiction de recevoir paiement des créances dont la naissance est antérieure au jugement d'ouverture prévus par les articles L. 622-7 et L. 622-21 du code de commerce. Il en résulte que, si ce créancier doit être en mesure d'exercer le droit qu'il détient sur l'immeuble en obtenant un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité de sa créance, cette action ne peut tendre au paiement de celle-ci (Cass com 7 octobre 2020 pourvoi n°19-13560).
Par conséquent, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il déclare irrecevable la demande en paiement de la société Crédit logement formée à l'encontre de Mme [T] [X] épouse [L].
Pour autant, il convient de constater que la société Crédit logement justifie à l'encontre de celle-ci de l'existence d'une créance exigible d'un montant de 90 614,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2017, au vu de l'offre de prêt du 6 octobre 2005, du tableau d'amortissement, de son engagement de caution du 19 septembre 2005, des quittances subrogatives, du décompte de créance arrêtée au 3 juillet 2017 et de la mise en demeure du 14 juin 2017 produits aux débats et dont elle est fondée à poursuivre l'exécution sur le bien immobilier situé à Ivry-sur-Seine, constituant la résidence principale de Mme [T] [X] épouse [L] lui appartenant en indivision avec son époux M. [R] [L] à hauteur de 50, dont l'insaisissabilité ne lui est pas opposable, nonobstant l'ouverture de la procédure collective.
Dans ces conditions, le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il constate la nullité de l'hypothèque judiciaire provisoire sur les lots n°6 et 23 d'un ensemble immobilier situé à Ivry-sur-Seine ( 94 ) à hauteur de 92 000 euros prise par la société Crédit logement au service de la publicité foncière de Créteil le 17 août 2017 et dénoncée le 21 août 2017 dont il convient de constater la validité.
Par ailleurs, le jugement est confirmé en toutes ses autres dispositions.
Mme [T] [X] épouse [L], qui succombe en appel, supportera les dépens d'appel.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Crédit logement les frais non compris dans les dépens exposés en appel et il convient de rejeter la demande formée à ce titre par la caution.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut,
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a constaté la nullité de l'hypothèque judiciaire provisoire sur les lots n°6 et 23 d'un ensemble immobilier situé à Ivry-sur-Seine ( 94 ) appartenant en indivision à Mme [T] [X] épouse [L] et à M. [R] [L], prise à hauteur de la somme de 92 000 euros par la société Crédit logement au service de la publicité foncière de Créteil, le 17 août 2017 et dénoncée le 21 août 2017,
Statuant à nouveau de ce chef,
CONSTATE que la société Crédit logement est titulaire d'une créance exigible à l'encontre de Mme [T] [X] épouse [L] à hauteur de la somme de 90 614,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2017,
CONSTATE la validité de l'hypothèque judiciaire provisoire sur les lots n°6 et 23 d'un ensemble immobilier situé à Ivry-sur-Seine ( 94 ), appartenant en indivision à Mme [T] [X] épouse [L] et à M. [R] [L], prise à hauteur de la somme de
92 000 euros par la société Crédit logement en exécution de cette créance, au service de la publicité foncière de Créteil, le 17 août 2017 et dénoncée le 21 août 2017,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [T] [X] aux dépens d'appel,
REJETTE la demande formée par la société Crédit logement en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT