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19/05/2022 | FRANCE | N°21/109197

France | France, Cour d'appel de Paris, B1, 19 mai 2022, 21/109197


Copies exécutoires
délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 19 MAI 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :
No RG 21/10919 - No Portalis 35L7-V-B7F-CD3CK

Décision déférée à la cour :
jugement du 27 mai 2021-juge de l'exécution de PARIS-RG no 20/81883

APPELANTE

RASHEED BANK
société de droit irakien
[Adresse 3]
[Localité 4]
IRAK

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au

barreau de PARIS, toque : D2090
Ayant pour avocat plaidant Me Ardavan AMIR-ASLANI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

CITIBANK
société de droit ...

Copies exécutoires
délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 19 MAI 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :
No RG 21/10919 - No Portalis 35L7-V-B7F-CD3CK

Décision déférée à la cour :
jugement du 27 mai 2021-juge de l'exécution de PARIS-RG no 20/81883

APPELANTE

RASHEED BANK
société de droit irakien
[Adresse 3]
[Localité 4]
IRAK

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
Ayant pour avocat plaidant Me Ardavan AMIR-ASLANI, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

CITIBANK
société de droit américain
[Adresse 2]
[Localité 1] (USA)

Représentée par Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : A619

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 6 avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

Par un jugement en date du 27 septembre 2000, le Tribunal d'arrondissement d'Amsterdam (Pays-Bas) a condamné la société irakienne Rasheed Bank à verser les sommes de 11 431 893,85 $, outre 1 059,29 $ par jour de retard, 12 200 florins et 20 844 florins, à la société américaine Citibank.

Le 28 juillet 2011, la société Citibank a fait pratiquer une saisie conservatoire des avoirs de la société Rasheed Bank dans les livres de l'Union de Banques Arabes et Françaises (ci-après dénommée l'UBAF), pour sûreté de la somme de 3 839 385,79 euros ; cette mesure d'exécution sera dénoncée à la débitrice le 4 août 2011.

Le 19 décembre 2017, statuant sur renvoi après cassation, la Cour d'appel de Paris a conféré l'exequatur au jugement néerlandais du 27 septembre 2000.

Par ordonnance du 15 juin 2020, le juge de l'exécution du Tribunal judiciaire de Paris a autorisé la société Citibank à faire convertir en saisie-attribution la saisie conservatoire du 28 juillet 2011, pour avoir paiement de la somme de 3 735 995 euros.

Il a été procédé à cette conversion par acte d'huissier du 24 juin 2020, qui sera signifié à la société Rasheed Bank le 7 juillet suivant.

Le 8 septembre 2020, la société Rasheed Bank a fait assigner la société Citibank devant le juge de l'exécution de Paris, sollicitant l'annulation de l'acte de conversion du 24 juin 2020 et l'allocation d'une indemnité de procédure de 10 000 euros.

Par jugement du 27 mai 2021, le juge de l'exécution a :
- dit n'y avoir lieu à annuler l'acte de conversion du 24 juin 2020,
- rejeté la demande de dommages-intérêts,
- condamné la société Rasheed Bank à verser à la société Citibank la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Rasheed Bank aux dépens.

Par déclaration du 11 juin 2021, la société Rasheed Bank a interjeté appel de ce jugement.

En ses dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2022, elle fait valoir que :
- son statut d'émanation de l'Etat d'Irak fait présumer que ses fonds sont utilisés à des fins souveraines, les biens lui appartenant et détenus par l'UBAF étant alors présumés couverts par l'immunité d'exécution et donc insaisissables ;
- les éléments avancés par la société Citibank ne sont pas de nature à renverser cette présomption, puisqu'elle n'apporte pas la preuve suffisante de ce que les fonds objet de la saisie sont spécifiquement utilisés ou destinés à l'être par l'Etat d'Irak à des fins commerciales ;
- la société Citibank se base sur une expertise non judiciaire et non contradictoire, retranscrivant diverses jurisprudences relatives à d'autres fonds que ceux saisis en l'espèce ;
- cette expertise a été seulement retenue à titre d'indice, or le juge de l'exécution ne saurait se fonder sur de simples indices pour justifier de la commercialité des fonds ;
- ces fonds, en vertu de la coutume internationale reprise par la loi française, sont présumés utilisés à des fins de service public non commerciales ;
- elle est une émanation de l'Etat irakien depuis sa création en 1989, et ne peut être déduit de la seule date de dépôt des fonds, même antérieure à 1998, le rattachement de ceux-ci à une opération de nature commerciale purement privée ;
- la fourniture de garanties bancaires n'est pas en soi constitutive d'une activité commerciale, puisque c'est le but de l'acte litigieux, et non sa nature, qui est pris en compte pour trancher la question de l'immunité d'exécution, et l'UBAF n'a délivré aucune information quant aux caractéristiques de ces fonds, de sorte qu'aucun élément ne permet de conclure à une utilisation commerciale de ceux-ci ;
- la réalisation actuelle d'activités commerciales par l'UBAF ne préjuge pas de la finalité commerciale de l'utilisation des fonds.

En conséquence, la société Rasheed Bank demande à la Cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par la créancière,
statuant à nouveau,
- débouter la société Citibank de toutes ses demandes,
- prononcer la nullité de l'acte de conversion du 24 juin 2020,
- condamner la société Citibank au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Citibank aux entiers dépens qui seront recouvrés par son conseil conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En ses dernières conclusions notifiées le 8 mars 2022, la société Citibank soutient que le fait que la société Rasheed Bank soit une émanation de l'Etat d'Irak ne l'empêche pas d'exercer des activités de nature commerciale. Elle explique que les avoirs concernés par la mesure d'exécution litigieuse sont bien utilisés ou destinés à l'être à des fins commerciales puisque :
- le rapport d'expertise de Mme [V] a force probante, la preuve d'un fait juridique étant libre, et un rapport extrajudiciaire et non contradictoire pouvant constituer une preuve dès lors qu'il a été soumis à la discussion des parties en cours d'instance ; dans un arrêt du 3 décembre 2021, la Cour de cassation a validé la méthode d'appréciation de la commercialité par faisceau d'indices ;
- par ailleurs, le juge ne s'est pas exclusivement fondé sur le rapport d'expertise, il a également pris en compte les propres déclarations de l'appelante, l'origine de la créance, et la jurisprudence de la Cour de cassation,
- les jurisprudences citées sont pertinentes, aucune autre donnée publique n'étant disponible en raison du secret bancaire ;
- les avoirs saisis sont destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commercial : la société Rasheed Bank se présente comme une banque ayant des activités purement commerciales et elle fournit des garanties bancaires pour les besoins d'opérations de commerce international ; sa créance a une origine commerciale ; il ressort des constatations du rapport d'expertise que la société Rasheed Bank et l'UBAF ont toujours eu des relations commerciales, et cette dernière est une banque de négoce qui travaille essentiellement avec des pays du monde arabe ;
- les comptes de la société Rasheed Bank ouverts dans les livres de l'UBAF sont affectés à une activité de droit privé, du fait du faisceau d'indices résultant notamment de la date des dépôts et du montant des soldes des comptes.

Enfin, la société Citibank fait valoir que la société Rasheed Bank exerce abusivement son droit de faire appel, puisqu'elle sait qu'elle n'a aucune chance de réussite.

En conséquence, la société Citibank demande à la Cour de : - confirmer le jugement entrepris,
- débouter la société Rasheed Bank de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société Rasheed Bank au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts eu égard au caractère abusif de son action,
- condamner la société Rasheed Bank à verser à la société Citibank une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Selon ordonnance en date du 11 janvier 2022, le magistrat délégataire du premier président de cette Cour a rejeté la demande de la société Rasheed Bank à fin de sursis à exécution du jugement dont appel, et l'a condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS,

Aux termes de l'article L 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, des mesures d'exécution forcée ne peuvent être pratiquées sur un bien appartenant à un Etat étranger que " (...) lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'Etat concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée".

Les biens saisis appartiennent incontestablement à la société Rasheed Bank et il n'est pas contestable ni contesté qu'elle est une émanation de l'Etat irakien, dans la mesure où il s'agissait à l'origine d'une société entièrement possédée par ledit Etat, son directeur général étant nommé en conseil des ministres alors que les membres de son conseil d'administration étaient, pour la plupart d'entre eux, désignés par le ministre des finances. Les biens saisis bénéficient d'une immunité de principe et il incombe à la créancière de rapporter la preuve contraire. La conversion querellée a dû être autorisée par le juge de l'exécution suivant ordonnance datée du 15 juin 2020, conformément à l'article L 111-1-1 du code des procédures civiles d'exécution .

La société Rasheed Bank exerce des activités privées et réalise des opérations commerciales ; son site internet permet de voir qu'elle se présente comme une banque offrant des services bancaires usuels (prêts et avances, opérations sur devises, etc), et même comme étant la deuxième plus grande banque commerciale d'Irak. Par ailleurs, le juge de l'exécution a relevé à juste titre que l'une des annexes au courrier de l'UBAF en date du 24 juillet 1996 est un récapitulatif faisant état de 14 saisies des avoirs de la société Rasheed Bank pratiquées entre ses mains entre le 18 septembre 1990 et le 18 juillet 1996, toutes manifestement en vue de recouvrer des créances purement commerciales, ce qui atteste de l'activité commerciale de la société Rasheed Bank. La créance cause de la saisie n'est donc pas de nature souveraine.

D'autre part, la société Citibank produit un rapport d'expertise de Mme [V], qui certes ne constitue pas une expertise judiciaire mais peut être versé aux débats dès lors qu'il est soumis à la libre discussion des parties, et il résulte de la lecture de ce document que :
- à la suite des mesures d'embargo qui ont été prises à l'encontre de l'Irak au mois d'août 1990, la société CED viandes, qui avait conclu des contrats d'exportation de viande bovine provenant de ce pays, a rencontré de sérieuses difficultés financières, et s'est retrouvée dans l'incapacité de rembourser les concours bancaires qui lui avaient été accordés ; un protocole visant à éviter la liquidation de ladite société a été signé le 3 juillet 1991 avec 25 banques dont l'UBAF ;
- celle-ci a été nommée coordinateur de la dette bancaire ainsi gelée ;
- les interactions entre la société Rasheed Bank et l'UBAF sont bien de nature commerciale, celle-ci jouant le rôle de banque négociatrice ;
- l'UBAF est une petite banque de négoce, dont le capital est détenu à 47,01 % par la société Crédit agricole corporate, et sa mission est décrite par l'intéressée comme l'accompagnement et la sécurisation des flux commerciaux internationaux entre l'Europe, l'Asie et le monde arabe ;
- elle comptabilise des opérations interbancaires et assimilées qui correspondent à des prêts et dépôts classiques de gestion de liquidités ;
- sa notation est assez médiocre ce qui rend peu plausible que des fonds souverains y soient déposés ;
- en définitive, l'UBAF est une petite banque spécialisée dans le négoce avec le monde arabe, qui traite de transactions commerciales.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le juge de l'exécution a décidé que les fonds appréhendés par la saisie querellée ne sont pas utilisés ni destinés à l'être à des fins de service public non commerciales.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté les contestations de la société Rasheed Bank.

La société Citibank réclame la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le droit d'action ou de défense en justice ne dégénère en abus qu'en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière, équipollente au dol, de sorte que la condamnation à dommages-intérêts doit se fonder sur la démonstration de l'intention malicieuse et de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec, sans autre but que de retarder ou de décourager la mise en oeuvre par la partie adverse du projet contesté, en l'espèce la conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution litigieuse. Le principe du droit d'agir implique que la décision judiciaire de retenir le caractère non fondé des prétentions ne suffit pas à caractériser l'abus de l'exercice du droit. En l'espèce, la société Rasheed Bank a pu, dans des conditions exemptes de critiques, estimer que les conditions de saisie de ses avoirs bancaires en les livres de l'UBAF n'étaient pas réunies. Faute de caractère abusif de la présente action en justice, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Citibank de sa demande de dommages et intérêts.

La société Rasheed Bank, qui succombe, sera condamnée au paiement de la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Statuant dans les limites de l'appel,

- CONFIRME le jugement en date du 27 mai 2021 en toutes ses dispositions ;

- CONDAMNE la société Rasheed Bank à payer à la société Citibank la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-CONDAMNE la société Rasheed Bank aux dépens.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : B1
Numéro d'arrêt : 21/109197
Date de la décision : 19/05/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-05-19;21.109197 ?
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