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19/05/2022 | FRANCE | N°19/05358

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 10, 19 mai 2022, 19/05358


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRÊT DU 19 MAI 2022



(n° , 13 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05358 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7P46



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Janvier 2019 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 18/11345





APPELANTE



ASSOCIATION POLYCLINIQUE D'[Localité 8]

[Adresse 5]

[Localité 8]





Représentée par Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P141













INTIMÉS



Monsieur [I] [N]



et



Madame [A] [N]



[Adresse 10]

[Adresse 10]
...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 19 MAI 2022

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05358 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7P46

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Janvier 2019 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 18/11345

APPELANTE

ASSOCIATION POLYCLINIQUE D'[Localité 8]

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Gilles CARIOU de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P141

INTIMÉS

Monsieur [I] [N]

et

Madame [A] [N]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 8]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 75101002219023073 du 29/05/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représentés par Me Laurent MORET de la SELARL LM AVOCATS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 427

Monsieur [E] [W] [C]

né le [Date naissance 3] 1965 en Algérie

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assisté par Me Anaïs FRANCAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : R123

CPAM DE SEINE SAINT DENIS

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

INTERVENANT

Monsieur [D] [N]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 8]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/005013 du 04/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représenté par Me Laurent MORET de la SELARL LM AVOCATS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 427

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 24 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PAPIN, Présidente et Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte de l'affaire dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère

Madame Clarisse GRILLON, Conseillère

qui en ont délibéré dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

En août 2002, Mme [A] [N], qui était déjà mère d'une petite fille née le [Date naissance 6] 1999, a appris qu'elle attendait un second enfant. Elle a été suivie pendant les premiers mois de sa grossesse par son médecin traitant, puis à la Polyclinique d'[Localité 8] par le docteur [O].

Plusieurs échographies ont été pratiquées les 30 septembre 2002, 21 janvier 2003, 7 avril 2003.

Le 21 avril 2003, Mme [N] qui était à 8 mois de grossesse et avait eu une consultation normale le 14 avril 2003, a eu une importante hémorragie à domicile. Elle a été transportée en urgence par le SAMU à 1a maternité de La Roseraie. En raison du rythme cardiaque foetal réactif et oscillant enregistré par la sage-femme, le docteur [R], obstétricien de garde, a décider de recourir en urgence à une césarienne après avoir pratiqué une échographie qui a révélé un placenta partiellement recouvrant, non diagnostiqué antérieurement.

Mme [N] a accouché à 20h20 d'un petit garçon, prénommé [D], de 2,88 kilogrammes. L'enfant a été immédiatement pris en charge par le docteur [C], pédiatre, présent au bloc obstétrical qui l'a désobstrué, aspiré, ventilé au masque pendant 30 secondes. Le nouveau-né est resté pâle et hypotonique. Le score de Silverman est noté à 3/10 (geignement et battement des ailes du nez). Confronté à une majoration des signes de détresse respiratoire et à un bilan biologique inquiétant en raison notamment d'un taux de lactates très élevé, le docteur [C] a appelé le SAMU et [D] a été transféré par le SMUR pédiatrique à la clinique du Bois d'Amour, où il a subi différents traitements (transfusion de culo-globulaire, plasma frais, injection de bicarbonate et de diurétique) puis face à la détérioration de sa situation et à un malaise grave qui a nécessité une ventilation au masque puis après une tentative d'intubation, son placement sous enceinte oxygène avec une concentration maximum proche de 100%. Il a été transféré par le SMUR dans l'unité de réanimation néonatale du Centre hospitalier de [Localité 11]. Il a été hospitalisé dans cette unité jusqu'au 9 mai 2003 et transféré à cette date à clinique du Bois d'Amour où il est resté jusqu'au 30 mai 2003.

Le jeune [D] souffre d'un handicap irréversible : il présente une hémiplégie droite spastique, des troubles des apprentissages avec dyspraxie et déficit attentionnel et il marche avec une canne.

Par ordonnance du 14 octobre 2013, le juge des référés, saisi par Mme [N], a ordonné, au contradictoire du docteur [H] et de l'Hôpital [13], une expertise judiciaire confiée aux docteurs [M] et [K].

Les experts ont déposé un rapport  en l'état, le 23 septembre 2015, après avoir vainement invité les parties à mettre en cause le docteur [C], la Polyclinique d'[Localité 8] et la clinique du Bois d'Amour. Les experts écartaient tout manquement du docteur [H] et de la Clinique de la Roseraie, mais ils relevaient que le placenta recouvrant le col n'avait pas été diagnostiqué lors du suivi échographique de la grossesse de Mme [N] par les docteurs [F] et [G], médecins salariés de la Polyclinique d'[Localité 8]. Ils estimaient que ce défaut de diagnostic était à l'origine d'une perte de chance de limiter la durée de l'hémorragie et son retentissement foetal. Ils évoquaient également une non-conformité aux règles de l'art des soins administrés au nouveau-né en post natal qui avait retardé la prise en charge de la souffrance foetale.

Aux termes d'actes extra-judiciaires en date des 22 et 25 avril 2016, M. et Mme [N], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur 'ls mineur [D], ont introduit un nouveau référé expertise et provision, assignant la Polyclinique d'[Localité 8], le docteur [G], l'Hôpital européen de [Localité 12], la Clinique de la Roseraie, le docteur [C], la caisse primaire d'assurance maladie Seine Saint Denis et 1'Hôpital Privé de la Seine Saint Denis.

Par ordonnance de référé du 21 octobre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny a fait droit à la mesure d'expertise, a désigné les docteurs [M] et [K] pour y procéder et a rejeté la demande de provision.

Les experts ont déposé leur rapport le 3 juillet 2017. Ils concluent à une erreur de diagnostic des docteurs [F] et [G], médecins salariés de la polyclinique d'[Localité 8] et que les soins administrés par le docteur [C] au nouveau-né n'avaient pas été conformes aux données acquises de la science et aux bonnes pratiques en néonatalogie, celui-ci n'ayant pas correctement évalué l'importance de la spoliation sanguine qui nécessitait une transfusion et le transfert immédiat du nouveau-né, ajoutant que ce retard thérapeutique avait été préjudiciable à l'enfant.

Ils proposent de retenir à parts égales les responsabilités du docteur [V] et des deux

sages-femmes tous salariés de la polyclinique d'[Localité 8] ayant reçu Mme [N] les 7 et 14 avril 2003 à hauteur de 25 % en considérant qu'ils étaient ensemble à l'origine directe et certaine de la perte de chance de limiter la durée de l'hémorragie en césarisant en urgence, pour sauver la patiente et limiter le retentissement foetal (anémie et séquelles) de l'hémorragie anténatale, les 50% correspondant à la perte de chance liée à la carence de la prise en charge post-natale par le pédiatre.

Ils retiennent les postes de préjudices suivants : une hémiplégie droite définitive et des troubles dysexécutifs non consolidés, un déficit fonctionnel temporaire de 100% durant les trente neuf jours d'hospitalisation néo-natale puis de 50%, la nécessité du recours à une tierce personne, deux heures par jour, un pretium doloris (5/7) un préjudice esthétique temporaire (4/7), un préjudice scolaire et un préjudice d'agrément.

Face à une situation financière ne leur permettant pas de prendre en charge les frais générés par l'état de santé de leur fils de nouveau hospitalisé, M. Et Mme [N] ont sollicité et obtenu l'autorisation d'assigner à jour fixe la Polyclinique d'[Localité 8], le docteur [C] et la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis devant le tribunal de grande instance de Bobigny, ce qu'ils ont fait par actes extra-judiciaires des 26 et 28 septembre 2018.

Par un jugement réputé contradictoire rendu le 22 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- rejeté la demande de renvoi du docteur [C] et sa note en délibéré en date du 23 novembre 2018, ainsi que les pièces qui y étaient attachées,

- condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à M. et Mme [N] en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur [D] [N] né le [Date naissance 2] 2003 la somme de 75 000 euros à titre de provision à valoir sur l'évaluation de son préjudice,

- dit que dans leurs rapports entre eux, la Polyclinique supportera cette somme à hauteur de 25 000 euros et le docteur [C] à hauteur de 50 000 euros,

- condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à titre personnel à M. et Mme [N] une provision de 7 500 euros chacun à valoir sur le montant de leur préjudice moral et d'affection,

- dit que dans leurs rapports entre eux, la Polyclinique supportera cette somme à hauteur de 2 500 euros et le docteur [C] à hauteur de 5 000 euros,

- condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à M. et Mme [N] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Enjoint au docteur [C] de communiquer les coordonnées de son assureur,

- Condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis une provision de 44 022,31 euros à valoir sur le montant des prestations versées en faveur de [D] [N] en raison des faits survenus lors de sa naissance le 21 avril 2003 et dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2018,

- dit que dans leurs rapports entre eux, la polyclinique d'[Localité 8] supportera cette somme à hauteur de 14 674,10 euros et le docteur [C] à hauteur de 29 348,21euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2018,

- condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toutes autres demandes plus amples et contraires et condamné la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise de la procédure de référé et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclarations en date des 8 et 19 mars 2019, l'association Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] ont interjeté appel de ce jugement. Le 20 décembre 2019, ces deux procédures ont été jointes.

Par arrêt en date du 10 février 2022, la cour a rouvert les débats afin que le jeune [D] [N] désormais majeur intervienne volontairement à la procédure ou soit assigné.

Assigné en intervention forcée à la requête du docteur [C], le 10 mars 2022, M. [D] [N] s'est constitué et a conclu le 16 mars 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 mars 2022, l'association Polyclinique d'[Localité 8] demande, à la cour à titre principal, d'annuler le jugement entrepris et en conséquence, à titre principal, de débouter les consorts [N] et la caisse des demandes dirigées à son encontre et de condamner tout succombant à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et subsidiairement, d'ordonner une contre-expertise, de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, de rejeter les demandes plus amples ou contraires et de réserver les dépens.

A titre subsidiaire, l'association sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité et en conséquence, à titre principal, soutient le rejet des demandes des consorts [N] et de la caisse et réclame les sommes sus-mentionnées au titre des dépens et frais irrépétibles et à titre subsidiaire, elle demande à la cour d'organiser une contre-expertise et dans l'attente du dépôt du rapport par les médecins commis, qu'il soit sursis à statuer, rejeté les demandes plus amples ou contraires des autres parties et réservé les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 mars 2022, le docteur [E] [C] demande à la cour, au visa de l'article L.1142-1 du code de santé publique, de réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau de lui donner acte de ce qu'il a communiqué le nom de son assureur de responsabilité civile professionnelle et d'ordonner une contre-expertise confiée à un collège d'experts composé d'un obstétricien et d'un pédiatre, dont il précise la mission, de débouter M. et Mme [N] de leur demande de provision, la Polyclinique d'[Localité 8] et la caisse primaire d'assurance maladie de leurs demandes y compris celles fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de réserver les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 mars 2022 M. et Mme [N] et le jeune [D] [N] demandent à la cour, au visa des articles L. 1142-1 I alinéa 1 et R 4127-33 du code de la santé publique et à toutes fins, des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, et subsidiairement de l'article 1382 du code civil de débouter la polyclinique de sa demande d'annulation du jugement et de confirmer le jugement sur les responsabilités et le rejet de la demande de contre-expertise et de l'infirmer sur le quantum des provisions, sollicitant la condamnation in solidum de la Polyclinique d'[Localité 8] et du docteur [C] à verser à [D] [N], la somme de 276 411,75 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice calculé sur la base d'une perte de chance de 75 % décomposée tel qu'il suit :

Préjudices extra-patrimoniaux :

' 67 578,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total puis partiel ;

' 22 500 euros au titre des souffrances endurées ;

' 7 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

' 7 500 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Préjudices patrimoniaux :

' 160 083 euros au titre de l'assistance par tierce personne ;

' Pour mémoire au titre des dépenses de santé ;

' 11 250 euros au titre du préjudice scolaire ;

' Pour mémoire au titre des frais de logement adapté.

Ils sollicitent également la condamnation in solidum de la Polyclinique d'[Localité 8] et du docteur [C] à leur verser la somme de 15 000 euros chacun en réparation de leurs préjudices moral et d'affection.

A titre subsidiaire, si la cour estimait qu'une contre-expertise était nécessaire pour être éclairée, ils lui demandent de faire application des dispositions de l'article 245 du code de procédure civile et d'inviter les médecins, M. [M] et Mme [K], à compléter par écrit leurs conclusions, voire d'ordonner un complément d'expertise confié aux même experts.

Toujours à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement, ils sollicitent, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel que la cour juge la Polyclinique d'[Localité 8] responsable à hauteur de 25 % pour les comportements fautifs de ses salariés, et plus précisément le docteur [V] responsable à hauteur de 12,5 % et les deux sages-femmes responsables à hauteur de 12,5 % et le docteur [C], médecin pédiatre, responsable à hauteur de 50 % et reprennent à titre principal, les demandes provisionnelles sus-mentionnées et à titre subsidiaire, ils demandent à la cour de faire application de l'article 245 du code de procédure civile et à défaut, d'ordonner un complément d'expertise confié aux même experts.

Enfin, en tout état de cause, ils sollicitent la condamnation in solidum de la Polyclinique d'[Localité 8] et du docteur [C] à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 août 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis demande à la cour, au visa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de rejeter l'appel de la Polyclinique d'[Localité 8] et celui du docteur [C], de confirmer le jugement entrepris et de condamner solidairement les appelants à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner tout succombant aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 24 novembre 2021.

SUR CE, LA COUR :

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de donner acte du docteur [C], en effet le donné acte, qui ne formule qu'une constatation, n'est pas susceptible de conférer un droit à la partie qui l'a requis et obtenu.

Sur l'exception de nullité :

Pour soutenir la nullité du jugement, la polyclinique fait valoir que les experts ont déposé leur rapport définitif, sans lui avoir préalablement notifié leur pré-rapport, ce qui ne lui a pas permis de déposer ses observations et dires dans des délais dont elle n'avait pas connaissance, contrairement aux autres parties. Elle estime que cela constitue une violation du principe du contradictoire et une entorse au déroulement des opérations d'expertise tel que prévu à l'article 276 du code de procédure civile. Elle en déduit que le juge ne pouvait pas fonder exclusivement sa décision sur les conclusions expertales et que pour cette seule raison, le jugement encourt l'annulation. Elle ajoute qu'il appartiendra à la cour d'analyser le dossier en ne considérant le rapport d'expertise versé aux débats qu'à titre d'éléments d'information.

M et Mme [N] affirment le respect par les experts du principe du contradictoire, ceux-ci ayant indiqué qu'après le dépôt du pré-rapport, les dires devaient leur être adressés au plus tard le 23 juin 2017 et ayant répondu aux dires déposés dans ce délai, mais aussi à celui du docteur [C] adressé hors délai. Ils estiment que la polyclinique est de mauvaise foi lorsqu'elle fait valoir qu'elle n'a pas reçu la note de synthèse du docteur [M] du 23 mai 2017, alors qu'elle a reçu leur dire du 23 juin et les autres échanges antérieurs au dépôt du rapport définitif. Ils relèvent que le docteur [M] a d'ailleurs accepté de répondre au dire (tardif) du pédiatre.

Il convient au préalable de relever que le rapport d'expertise fait mention de l'envoi du pré-rapport aux parties le 23 mai 2017 (page 27) et qu'en l'état des pièces communiquées aux débats, les experts n'ont pas été interrogés sur la difficulté soulevée par la polyclinique qui a prétendu, dans un courrier adressé au service du contrôle des expertises le 21 septembre 2017, ne pas avoir été destinataire du pré-rapport d'expertise.

Étant rappelé que toutes les irrégularités qui affectent le déroulement d'expertise sont sanctionnées par une nullité du rapport, selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant les nullités des actes de procédure et que la polyclinique n'a à aucun stade de la procédure, en première instance ou à hauteur d'appel, poursuivi l'annulation du rapport des docteurs [K] et [M], celui-ci conserve de ce seul fait, sa valeur probante d'expertise judiciaire.

De surcroît, il convient de noter que l'appréciation erronée de la valeur probante d'une pièce par les premiers juges, à la supposer établie, ne constitue pas une cause de nullité de leur décision.

L'exception de nullité soulevée par la polyclinique d'[Localité 8] sera par conséquent rejetée.

Sur les responsabilités :

Sur le plan obstétrical, les experts retiennent que les radiologues de la polyclinique ont commis une faute en ne diagnostiquant pas le placenta bas inséré. Ils relèvent que le docteur [S] a conclu son compte rendu du 21 janvier 2003, en conseillant un contrôle échographique dans un mois, compte tenu de la difficulté technique liée à la position antérieure du dos foetal et à l'épaisseur de la paroi abdominale. Ils ajoutent que le docteur [V] a commis une faute en ne précisant pas l'insertion du placenta dans le compte-rendu de son examen, ce qui n'était pas conforme aux recommandations du Collège des échographistes français et en n'effectuant pas d'échographie endo-vaginale, puisque les conditions étaient difficiles. Ils relèvent également que les sages-femmes qui ont examiné Mme [N] les 7 et 14 avril 2004 à 34 semaines d'aménorrhée n'ont pas demandé l'échographie du 3ème trimestre de la grossesse (normalement réalisée à 32 semaines d'aménorrhée) conformément aux recommandations du Collège des obstétriciens français et que le docteur [G] a juste vérifié la présentation du foetus à la demande de la sage-femme le 7 avril 2003, qui hésitait avec une présentation par le siège.

Ils retiennent que le docteur [R], obstétricien de garde à la clinique de la [13], a immédiatement diagnostiqué échographiquement le placenta praevia antérieur noté recouvrant et que la césarienne à 35 semaines et demi d'aménorrhée était justifiée par l'hémorragie maternelle, qu'elle a nécessité un passage transplacentaire car le placenta était antérieur et bas inséré et qu'elle s'est déroulée sans incident. Ils qualifient les soins du docteur [R] d'attentifs, de diligents et conformes aux données de la science médicale.

Sur le plan pédiatrique, les experts estiment que les soins administrés par le docteur [C] au nouveau-né n'ont pas été conformes aux données acquises de la science et aux bonnes pratiques en néonatalogie. Ils lui reprochent de ne pas avoir correctement évalué, sur les seuls éléments à prendre en compte (le contexte et les signes polycliniques) l'importance de la spoliation sanguine qui nécessitait une transfusion et le transfert immédiat du nouveau-né. Ils notent que ce retard thérapeutique a été préjudiciable à l'enfant.

A ces conclusions, la Polyclinique d'[Localité 8] oppose les notes des docteurs [B] et [Z]. Elle fait valoir que le docteur [B] a considéré que les moyens diagnostics utilisés par les échographistes en prénatal étaient conformes et qu'il n'y avait aucun signe évocateur d'une localisation basse du placenta. Elle affirme que, sans qu'il soit nécessaire de développer l'absence de manquement imputable à l'équipe médicale, elle démontre que l'absence de diagnostic n'a eu aucune conséquence sur la prise en charge de la parturiente au sein de l'hôpital privé de la [13], qui n'a appelé aucune critique des experts. Pour ce faire, elle critique le raisonnement des experts repris par le premier juge, qui est contredit selon elle par la doctrine médicale, ainsi que par l'analyse des données polycliniques. Elle conteste le caractère recouvrant du placenta, relève l'absence de consensus à la date de l'accident médical sur la préconisation d'une hospitalisation à 34 semaines d'aménorrhée retenue par les experts pour affirmer que la patiente aurait été hospitalisée le jour de l'hémorragie, ce qui aurait permis de pratiquer une césarienne plus précoce, dès le début du saignement. Elle qualifie celui-ci de peu ou pas impactant dans la mesure où la spoliation sanguine est intervenue au décours de la césarienne et non antérieurement, et fait valoir que c'est celle-ci qui associée à une prise en charge pédiatrique non conforme, est à l'origine des lésions présentées par le nouveau-né. A titre subsidiaire, sur l'absence de diagnostic anténatal de placenta inséré bas, elle estime qu'il est uniquement en relation de causalité avec un préjudice d'impréparation dont elle estime que la somme de 1 500 euros constituerait une juste indemnisation. Et à titre infiniment subsidiaire au visa de l'article R.621-1 du code de justice administrative (sic), elle demande une contre-expertise.

M et Mme [N] reprennent les réponses apportées par les experts aux contestations désormais soutenues par la polyclinique.

Le contrat médical met à la charge du médecin l'obligation de dispenser au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention. Cette obligation concerne tant le diagnostic que l'indication du traitement, sa réalisation et son suivi. En application de l'article L. 1142-1-I, alinéa 1er, du code de la santé publique, la faute du praticien ou de l'établissement de soins doit être prouvée par celui qui l'invoque.

Les experts judiciaires ne sont pas contredits lorsqu'ils écrivent que le diagnostic de placenta bas inséré est échographique au 4èmemois (20/22 semaines) lors de l'échographie systématique du 2ème trimestre de grossesse. Or dans son compte-rendu de l'échographie pratiquée à 22 semaines et demi, le docteur [S] note un placenta antérieur, non bas inséré mais également la difficulté technique de l'examen en raison de la position antérieure du dos foetal et de l'épaisseur de la paroi abdominale (Mme [N] pesant 132 kilogrammes) ainsi que la nécessité de compléter l'examen.

Dans leurs notes, les praticiens consultés par la polyclinique ne remettent pas en cause l'erreur de diagnostic du docteur [S] objectivement établie par le constat réalisé ensuite, le 21 avril 2003, d'un placenta bas inséré au moins partiellement recouvrant. Ils se contentent d'alléguer d'une absence de consensus professionnel sur le contenu des comptes-rendus d'échographie et sur la nécessité de réaliser une échographie endo-vaginale.

Or la nécessité, en l'espèce, du recours à cet examen ressort du constat des difficultés notées dans la réalisation des échographies en raison de l'épaisseur de l'abdomen. Le docteur [G] a d'ailleurs déclaré au cours de l'accedit du 17 janvier 2017 que le diagnostic de placenta Praevia est difficile chez l'obèse ; il faut faire une échographie endo-vaginale.

Par ailleurs, l'insertion basse du placenta n'a pas été diagnostiquée, lors de l'échographie du 8 mars 2003 (à 29 semaines d'aménorrhée) et malgré des difficultés de l'examen à nouveau relevées, il n'a pas été pratiqué d'examen endo-vaginal. Est tout aussi fautive l'absence de prescription de l'échographie du troisième trimestre et les experts retiennent, sans être contredits sur ce point, que la présentation céphalique très haute constatée par la sage-femme le 7 avril 2003, devait attirer l'attention sur un possible obstacle Praevia et malgré ce constat, le docteur [G] gynécologue obstétricien de la polyclinique a uniquement vérifié la présentation de l'enfant.

L'absence de diagnostic d'un placenta bas inséré consécutif à l'absence de réalisation des examens complémentaires qu'imposait l'état de la patiente est fautive. Mais elle n'est susceptible d'engager la responsabilité de la polyclinique, employeur des médecins et sages-femmes incriminés que dans la mesure où il est établi qu'elle est en lien de causalité certaine et directe avec le dommage dont il est sollicité réparation, soit la perte de chance de limiter la spoliation sanguine et ses conséquences pour le foetus liées au retard à l'extraction par césarienne.

Aucune référence à la littérature médicale ou aux pratiques hospitalières en 2003 n'est faite par les experts lorsqu'ils affirment qu'un diagnostic de placenta bas inséré à la 29ème ou à la 32ème semaine d'aménorrhée aurait permis d'informer la patiente, de prévoir son hospitalisation à 34 semaines ou en cas de contractions, la commande de sang, de programmer la césarienne à 36 semaines en présence de toute l'équipe médicale.

Rien ne permet de contredire, la polyclinique quant elle affirme la pertinence, au regard des pratiques obstétricales de 2003, de l'étude postérieure à l'accouchement de Mme [N] publiée en 2014 (sa pièce 3) qui décrit la prise en charge des placenta preavia et accreta. Selon cette étude, la prise en charge ambulatoire est possible, y compris dans l'hypothèse d'épisodes hémorragiques. S'agissant des placenta preavia comme celui de Mme [N] asympthomatique, elle retient un risque hémorragique entre 1,7 % à 35 semaines d'aménorrhée à 87% à 39 semaines et suggère comme étant le meilleur compromis entre le risque hémorragique et celui lié à la prématurité, un accouchement dans la période de 35-36 semaines d'aménorrhée et qu'à partir de ses données des auteurs anglo-saxons proposent un accouchement à partir de 36-37 semaines d'aménorrhée ; l'étude conclut qu'en cas de placenta preavia recouvrant asympthomatique il est recommandé de planifier la césarienne entre 38 et 38 semaines et six jours en raison du risque d'hémorragie cataclysmique en cas d'entrée en travail spontanée.

Dès lors la démonstration n'est pas faite qu'il aurait été proposé à Mme [N] une hospitalisation en l'absence de saignements et d'un placenta bas inséré qui n'était pas recouvrant et qui plus est, dès la 34ème semaine dans la perspective d'une césarienne à la 36ème semaine.

Or, en l'espèce, il n'est pas allégué et les experts ne retiennent aucun retard dans la prise en charge de Mme [N] autre que celui lié au fait qu'elle se trouvait à son domicile lors de l'épisode hémorragique débuté vers 17 heures 20. Le caractère contributif de la faute de la polyclinique impose la preuve qu'une hospitalisation avant la date de l'accident médical constituait la seule prise en charge acceptable conforme aux données acquises de la science. Le caractère impératif de cette hospitalisation ne repose sur aucune donnée médicale contemporaine de la naissance du jeune [D] et est démenti par des données ultérieures.

Dès lors, faute de preuve d'un lien de causalité entre les fautes du personnel de la polyclinique et le dommage subi par l'enfant, la responsabilité de l'établissement de soins doit être écartée. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'appelante et est entré en voie de condamnation à son encontre. Aucune condamnation ne sera prononcée à l'encontre de la polyclinique dans la mesure où Mme [N] ne sollicite pas l'indemnisation du préjudice d'impréparation évoqué dans le corps des écritures de cet établissement de soins.

Le docteur [C], pédiatre, dit avoir satisfait à l'injonction de communiquer les coordonnées de son assureur responsabilité professionnelle, la Mascf. Il conteste avoir commis une faute, s'appuyant sur l'avis du docteur [Y], ancien chef de service d'anesthésie réanimation pédiatrique. Ce consultant critique les conclusions des experts qui ont retenu une prise en charge fautive, en raison de l'absence transfusion immédiate, devant la pâleur de l'enfant et d'un contexte d'un placenta praevia hémorragique. Il fait valoir que la numération de la formule sanguine réalisée, à une heure de vie objective un taux d'hémoglobine à 12,6g/dl, soit un taux supérieur à la valeur seuil habituellement retenue à la période néonatale, pour décider d'une transfusion ainsi qu'il ressort de la littérature médicale qu'il produit et que le temps de recoloration capillaire (TRC) mesuré était strictement normal. Il évoque également l'absence de toute analyse des conditions du transfert de l'enfant à la clinique du Bois d'Amour, alors que son état s'est considérablement dégradé au sein de cet établissement et il conteste le lien de causalité entre les manquements qui lui sont imputés et l'hémiplégie partielle droite de l'enfant, dont par ailleurs, le développement psycho-intellectuel est satisfaisant. Il estime que l'absence de communication aux débats de l'IRM qui aurait été pratiquée à l'âge de 8 ans fait difficulté dans la mesure où son l'analyse aurait peut-être permis de connaître les circonstances de survenue de l'hémiplégie, dont il ne peut être exclu qu'elle est due aux difficultés d'extraction du foetus. En dernier lieu, il conteste le taux de perte de chance retenu qui ne prend pas en compte les conditions particulièrement difficiles de la césarienne.

A titre liminaire, il convient de relever que la documentation médicale versée aux débats par le docteur [C] est constituée de diverses publications en langue anglaise, qui ne sont pas traduites et d'une synthèse des recommandations de la haute autorité de santé de 2014 sur les transfusions de globules rouges homologues qui intéressent les modalités de ces transfusions et non leur prescription.

Le docteur [C] a déposé un dire au cours des opérations d'expertise auquel le docteur [M] a répondu de façon circonstanciée. L'expert lui fait principalement grief de ne pas avoir correctement évalué l'importance de la déperdition sanguine, complication néonatale majeure du placenta praevia hémorragique, bien connue des pédiatres de maternité. Il ajoute que la décision de transfuser se prend sur des critères anamnestiques (ici le placenta praevia hémorragique) et cliniques.

Ce contexte était parfaitement connu du docteur [C], présent au bloc obstétrical.

Le docteur [C] met en exergue un taux d'hémoglobine de [D] de 12,6g/dl à une heure de vie sans apporter la moindre contradiction à l'indication des experts que cette mesure du taux d'hémoglobine est un examen faussement rassurant puisqu'il ne s'abaisse que progressivement dans les heures suivant l'hémorragie f'tale. Le taux initial peut être strictement normal (19+ ou ' 2g/100 ml) chez un nouveau-né lorsque l'hémorragie est aiguë et vient de se constituer.

Les experts ne sont pas plus utilement démentis lorsqu'ils écrivent que la pâleur de l'enfant est le principal indicateur diagnostic d'anémie aiguë. Il convient d'ailleurs de noter que le sachant consulté par le docteur [C] qualifie ce critère de très subjectif pour évaluer valablement l'importance réelle d'une spoliation sanguine, sans pour autant démentir de façon argumentée et documentée l'expert pédiatre lorsqu'il écrit que le diagnostic de la spoliation sanguine doit être posé sur les signes cliniques ( pâleur cutanéo-muqueuse franche et persistante et signes respiratoires et neurologiques). Or le docteur [C] présent au bloc obstétrical et qui a pris en charge [D] dès sa naissance, a constaté sa pâleur, la persistance de celle-ci malgré une récupération de la fonction cardia-respiratoire après une ventilation au masque et l'existence de signe péjoratif (score de Silverman de 3/10). Il n'a pas pris en compte, la souffrance anoxique tissulaire post-hémorragique qui avait commencé à se constituer en prénatal dont témoignait le taux d'acide lactique très élevé à une heure de vie.

Le SAMU n'a été appelé qu'à 23 heures 11, soit 2 heures 45 après la naissance alors que l'état de [D] s'est aggravé 45 minutes après sa naissance (majoration des signes de détresse respiratoires avec un Silverman de 6/10 et une pâleur accentuée).

Il convient d'ajouter que l'expert retient que le diagnostic d'une spoliation sanguine est exclusivement clinique et il cite parmi les signes évocateurs, l'hypotension artérielle qui en l'espèce, n'a pas été mesurée par le docteur [C] qui ne disposait pas d'un brassard adapté.

La discussion que le docteur [C] entend engager sur les soins administrés par le SMUR pédiatrique puis au sein de la clinique du Bois d'Amour est inopérante en l'absence de mise en cause de ces établissements et surtout du constat indéniable que quelle soit l'argumentation qu'il développe, il a négligé les signes cliniques qui auraient dû l'amener à transfuser l'enfant ou ainsi que l'écrit l'expert pédiatre, à préparer l'enfant pour que cette transfusion puisse être pratiquée dès l'arrivée du médecin du SMUR (mise en place d'une voie veineuse, commande de sang) et d'organiser son transfert vers un service de néonatalogie dès sa naissance et non comme cela a été le cas en l'espèce, à deux heures de vie ce qui a retardé d'autant la compensation de la spoliation sanguine.

Le fait que les médecins du SMUR n'aient pas transfusé le nouveau-né ne constitue pas la preuve que pense y voir le docteur [C] de l'absence de nécessité de transfuser immédiatement. En effet, ainsi que le conclut l'expert pédiatre, les médecins qui ont pris en charge l'enfant ont hérité d'une situation très dégradée, ils ont posé le diagnostic d'anémie sévère par spoliation sanguine responsable d'un choc hémorragique, réalisé un remplissage vasculaire et privilégié la réalisation de la transfusion sanguine sur le site d'accueil du nouveau-né, structure plus adaptée. Leur décision de transfuser a donc été immédiate.

L'expert décrit l'extrême dégradation de l'enfant à son arrivée dans le service de néonatalogie liée à la carence de sa prise en charge post-natale (anémie profonde, trouble sévère de l'hémostase, acidose métabolique, insuffisance rénale) et des traitements entrepris, qui n'ont pas empêché la dégradation ultérieure de l'état de l'enfant et la nécessité d'un transfert secondaire en unité de réanimation, pour défaillance multi-viscérale sévère secondaire au choc hémorragique et au retard de traitement.

Le retard dans la décision de transfuser et de transférer l'enfant vers une unité de soins adaptée est fautive et en lien de causalité, ainsi que le retiennent les experts avec une perte de chance d'éviter l'aggravation de l'état du nouveau-né et les séquelles neuro-motrices et psycho-intellectuelles dont souffre [D] [N].

La nature de préjudice retenu (une perte de chance) rend inopérant les allégations du docteur [C] d'une contribution des complications survenues au sein du service de réanimation à l'hémiplégie dont souffre l'enfant. Est tout aussi inopérant pour le même motif, l'argument tiré de la localisation à droite des troubles dys-exécutifs et neuro-moteurs écarté par l'expert, d'autant que le sachant consulté par le docteur [C] retient une absence de thrombopénie à une heure de la naissance et son constat à l'admission en réanimation, le lendemain.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle retient le caractère fautif et contributif de la carence du pédiatre dans la prise en charge de la déperdition sanguine qui s'était constituée dans les trois heures précédant la naissance et qui avait entraîné une souffrance anoxique tissulaire post hémorragique. Le taux de perte de chance de 50% est également pertinent puisqu'il prend en compte, l'état d'anoxo-ischémique anténatal et les circonstances de la naissance et le fait qu'une prise en charge plus précoce aurait simplement réduit le risque de survenue de complications.

La cour doit, par conséquent, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Polyclinique d'[Localité 8] au côté du docteur [C] et a mis à la charge de l'établissement de soins, la charge définitive d'une partie de l'indemnisation provisionnelle des préjudices de la victime, de ses parents et de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis.

Le caractère subrogatoire de la créance de cet organisme dans un contexte de dommages partiellement imputables à la faute du seul responsable retenu par la cour exclut qu'il soit alloué une indemnité provisionnelle à ce tiers payeur, qui se verra opposer le droit de préférence de la victime.

S'agissant de la victime et de ses parents, force est de constater que les provisions sollicitées ne prennent pas en compte une réparation minorée à 50%, compte tenu du rejet de leurs prétentions à l'encontre de la Polyclinique. Par ailleurs, s'agissant du poste de préjudice le plus conséquent, l'assistance par tierce personne, les consorts [N] procèdent à un calcul à compter de la naissance de l'enfant alors que dans les premières années de sa vie, celui-ci comme tout nouveau-né puis jeune enfant, nécessitait des soins de puériculture ordinaire et de surveillance sans lien avec son handicap.

Dès lors, au regard de ce qui précède et des conclusions expertales quant aux séquelles présentées d'ores et déjà acquises (un déficit fonctionnel total durant les 39 jours d'hospitalisation puis de 50%, un pretium doloris de 5/7, un préjudice esthétique temporaire de 4/7, un préjudice scolaire et un préjudice d'agrément), l'indemnisation provisionnelle ne peut pas être portée à la somme sollicitée. Elle sera portée, à celle de 120 000 euros et mise à la charge exclusive du docteur [C].

L'indemnisation provisionnelle des parents de l'enfant sera confirmée dans son montant et mise à la charge exclusive du docteur [C].

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées en ce qu'elles sont prononcées à l'encontre du docteur [C], qui supportera l'intégralité des dépens et frais irrépétibles de première instance. Le docteur [C] sera condamné aux dépens d'appel.

Les consorts [N] sollicitent l'allocation d'une indemnité au visa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 qui prévoit le versement d'une indemnité au profit de l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il sera fait droit à cette demande dans les termes du dispositif ci-dessous.

En équité, la demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile de la Polyclinique et de son assureur sera rejetée, comme celle de la caisse primaire d'assurance maladie.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe

Rejette l'exception de nullité du jugement soutenue par la Polyclinique d'[Localité 8] ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bobigny le 22 janvier 2021, en ce qu'il a :

- condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] au paiement de la somme de 75 000 euros à titre de provision à valoir sur l'évaluation du préjudice de [D] [N] et dit que dans leurs rapports entre eux, la Polyclinique supportera cette somme à hauteur de 25.000 euros et le docteur [C] à hauteur de 50 000 euros,

- condamné la Polyclinique d'[Localité 8] au paiement à titre personnel à M. et Mme [N] une provision de 7 500 euros chacun à valoir sur le montant de leur préjudice moral et d'affection et dit que dans leurs rapports entre eux, la Polyclinique supportera cette somme à hauteur de 2 500 euros et le docteur [C] à hauteur de 5 000 euros,

- condamné la Polyclinique d'[Localité 8] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné in solidum la Polyclinique d'[Localité 8] et le docteur [C] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis une provision de 44 022,31euros à valoir sur le montant des prestations versées en faveur de [D] [N] en raison des faits survenus lors de sa naissance le 21 avril 2003 et dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2018 et dit que dans leurs rapports entre eux, la polyclinique d'[Localité 8] supportera cette somme à hauteur de 14 674,10 euros et le docteur [C] à hauteur de 29 348,21euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2018,

- condamné la Polyclinique d'[Localité 8] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Polyclinique d'[Localité 8] aux dépens

et le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Déboute M et Mme [N] et M. [D] [N] de leurs demandes à l'encontre de la Polyclinique d'[Localité 8] ;

Condamne le docteur [C] à payer à M. [D] [N] la somme de 120 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;

Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis de sa demande provisionnelle ;

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;

Condamne le docteur [C] à payer au conseil de M. et Mme [N] et de M. [D] [N], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle la somme de 3 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à charge pour ce conseil de renoncer à percevoir la part contributive de l'état, dans les délai prévu par les textes.

Condamne le docteur [C] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/05358
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;19.05358 ?
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