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18/05/2022 | FRANCE | N°18/10486

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 18 mai 2022, 18/10486


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 18 MAI 2022

(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10486 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6MLY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juillet 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/00762







APPELANTE



SAS HÔTEL PICARD

[Adresse 1]

[Localité 6]




Représentée par Me Anne-Charlotte PASSELAC, avocat au barreau de PARIS, toque : D1903







INTIMÉE



Madame [K] [E] [I] épouse [Y] [N]

[Adresse 5]

[Localité 9]



Représentée par...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 18 MAI 2022

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10486 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6MLY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juillet 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/00762

APPELANTE

SAS HÔTEL PICARD

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Anne-Charlotte PASSELAC, avocat au barreau de PARIS, toque : D1903

INTIMÉE

Madame [K] [E] [I] épouse [Y] [N]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représentée par Me Charlotte HODEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0028

PARTIES INTERVENANTES

ASSOCIATION UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197

SCP BTSG prise en la personne de Me [D] [T] ès qualité de liquidateur de la SARL [Adresse 11]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Sans avocat constitué, signifié à personne morale le 20 Mai 2021,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée déterminée puis indéterminée, Mme [Y] [N] a été engagée à compter du 16 septembre 2010 par la société Hôtel Picard en qualité de femme de chambre.

La société Hôtel Picard a pour objet l'exploitation d'un hôtel. Elle compte moins de onze salariés et applique la convention collective nationale des hôtels cafés restaurant du 30 avril 1997.

Par jugement du 11 janvier 2016, la société Hôtel Picard a été placée sous sauvegarde, cette mesure étant convertie le 22 mars 2016 en redressement judiciaire.

Le 24 décembre 2016, à effet au 2 janvier 2017, la société Hôtel Picard a donné son fonds de commerce en location-gérance à la société [Adresse 11] et déclaré sa cessation d'activité.

Le contrat de location-gérance a été résilié par l'effet de la perte du bail principal à effet au 24 juin 2019 et la société [Adresse 11] a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du 19 novembre 2019, la SCTP BTSG étant désignée en qualité de liquidateur.

Le 16 décembre 2016, Mme [Y] [N] a été victime d'un accident du travail et placée en arrêt de travail jusqu'au 10 septembre 2020.

S'estimant non remplie de ses droits, elle a saisi le 22 février 2018 la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire à l'encontre de la société Hôtel Picard.

Par jugement du 16 juillet 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] les sommes suivantes :

- 28 148,54 euros à titre de rappel de salaire de février 2015 à décembre 2017,

- 2 814,85 euros au titre des congés payés afférents,

- 381,90 euros à titre de rappel du maintien de salaire du 16 décembre 2016 au 24 janvier 2017,

- 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a ordonné la remise par l'employeur à la salariée des coordonnées du centre de médecine du travail auquel est affiliée l'entreprise, débouté Mme [Y] [N] du surplus de ses demandes et condamné la société Hôtel Picard aux dépens.

Par déclaration du 13 septembre 2018, la société Hôtel Picard a interjeté appel de la décision notifiée le 31 août 2018.

Par ordonnance d'incident du 6 juin 2019, le conseiller de la mise en état a considéré que la déclaration d'appel de la société Hôtel Picard n'était pas affectée d'un vice de forme tiré de l'irrégularité de sa dénomination sociale et de la discordance entre les dispositions du jugement et ses conclusions d'appelant.

Le 3 décembre 2019, Mme [Y] [N] a été licenciée pour motif économique par le mandataire liquidateur de la société [Adresse 11].

Le 11 septembre 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes à l'encontre de la société Hôtel Picard, du mandataire de la société [Adresse 11] et de l'AGS CGEA IDF Ouest afin de voir fixer au passif de la société [Adresse 11] les sommes de 11 447, 77 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en 'uvre de la prévoyance conventionnelle et de 629, 88 euros pour défaut de mise en place d'une complémentaire santé. A titre subsidiaire, elle a formé les mêmes demandes à l'encontre de la société Hôtel Picard.

Par jugement du 14 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a déboutée la salariée de ses demandes et l' condamnée aux dépens.

Par déclaration du 25 février 2021, Mme [Y] [N] a interjeté appel du jugement notifié le 4 février 2021.

Par ordonnance du 14 septembre 2021, les deux procédures ont été jointes sous le numéro RG 18-10486.

Dans ses dernières conclusions transmises le 3 décembre 2021 par voie électronique, la société Hôtel Picard demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de rappel de salaires pour la période du 1er au 7 février 2015, de rejeter la demande de rappel de salaire du mois de décembre 2016 et janvier 2017, de la débouter de sa demande relative aux titres de transport, de déclarer irrecevable la demande pour la période postérieure au 1er janvier 2017, de déclarer irrecevable la demande de production des bulletins de salaire à compter de janvier 2017, de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la demande de dommages et intérêts pour non-respect du suivi médical obligatoire, de débouter la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle lui demande de confirmer le jugement du 14 septembre 2020, de débouter la salariée de ses demandes, d'ordonner le remboursement des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire de droit et de la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 novembre 2021, Mme [Y] [N] demande à la cour :

A titre principal, en l'absence de transfert du contrat de travail à la société Hôtel Picard, de confirmer le jugement du16 juillet 2018 en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à lui verser les sommes de 381,90 euros à titre de rappel du maintien de salaire pendant l'arrêt pour accident du travail, du 16 décembre 2016 au 24 janvier 2017, 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il lui a ordonné la remise des coordonnées du centre de médecine du travail et l'a condamnée aux dépens, de l'infirmer pour le surplus et d'infirmer le jugement du 14 septembre 2020.

Statuant à nouveau, elle demande à la cour de condamner la société Hôtel Picard à lui verser les sommes suivantes :

-55 620,62 euros à titre de rappel de salaire contractuel du 1er février 2015 au 31 décembre 2021,

-5 562,06 euros au titre des congés payés afférents,

-11 447,77 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de mise en 'uvre du régime conventionnel de prévoyance du 10 décembre 2017 au 10 septembre 2020,

-629,88 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de complémentaire santé,

-30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du suivi médical obligatoire,

-666,46 euros à titre de remboursement des titres de transport de février 2015 à décembre 2016,

-3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

-3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle lui demande d'ordonner à la société Hôtel Picard de lui remettre les bulletins de paie à compter de janvier 2017 et de lui transmettre les coordonnées de la médecine du travail sous astreinte de 50 euros par jour de retard, d'assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal outre l'anatocisme et de condamner la société Hôtel Picard aux dépens.

À titre subsidiaire, si la cour retient le transfert du contrat de travail à la société [Adresse 10] le 2 janvier 2017 et son retour à la société Hôtel Picard le 21 novembre 2019 :

-de confirmer le jugement du 16 juillet 2018 en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, lui a ordonné la remise des coordonnées du centre de médecine du travail, et l'a condamnée aux dépens et de l'infirmer pour le surplus.

-d' infirmer le jugement du 14 septembre 2020,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- condamner la société Hôtel Picard à lui verser les sommes suivantes :

-55 620,62 euros à titre de rappel de salaire contractuel du 1er février 2015 au 31 décembre 2021,

-5 562,06 euros au titre des congés payés afférents,

-216,02 euros à titre de rappel de maintien de salaire légal durant l'arrêt pour accident du travail du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017,

-30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du suivi médical obligatoire,

-666,46 euros à titre de remboursement de titre de transport de février 2015 à décembre 2016,

-3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

-3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Elle lui demande de fixer au passif de la société [Adresse 11] les sommes suivantes :

-11 447,77 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en 'uvre du régime conventionnel de prévoyance du 10 décembre 2017 au 10 septembre 2020,

- 629,88 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de complémentaire santé,

-165,89 euros à titre de rappel de maintien de salaire légal durant l'arrêt pour accident du travail du 2 au 24 janvier 2017,

Elle lui demande de condamner l'AGS à garantir les sommes fixées au passif de la société [Adresse 11], de condamner le liquidateur de la société [Adresse 11] à lui remettre les bulletins de paie de janvier 2017 à décembre 2019 et de décembre 2019 à décembre 2021 et les coordonnées de la médecine du travail sous astreinte, d' assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal outre l'anatocisme et de condamner la société Hôtel Picard aux dépens.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour considère que le contrat de travail de la salariée a été transféré à la société [Adresse 11] le 2 janvier 2017 et été rompu par le licenciement économique, il est demandé à la cour de :

-confirmer le jugement rendu le 16 juillet 2018 en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à lui verser les sommes de 28 148,54 euros à titre de rappel de salaire de février 2015 à décembre 2017,outre 2 814,85 euros à titre de congés payés afférents, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- l'infirmer pour le surplus,

- infirmer le jugement du 14 septembre 2020 ,

- statuant à nouveau et y ajoutant, condamner la société Hôtel Picard à lui verser les sommes suivantes :

- 216,02 euros à titre de rappel de maintien de salaire légal durant l'arrêt pour accident du travail du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017,

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect du suivi médical obligatoire,

- 666,46 euros à titre de remboursement de titre de transport de février 2015 à décembre 2016,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-Fixer au passif de la société [Adresse 11] les sommes suivantes :

- 11 447,77 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en 'uvre du régime conventionnel de prévoyance du 10 décembre 2017 au 10 septembre 2020,

- 629,88 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de complémentaire santé,

- 165,89 euros à titre de rappel de maintien de salaire légal durant l'arrêt pour accident du travail du 2 au 24 janvier 2017,

- 4 152,11 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 3 397,77 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

Elle lui demande de condamner l'AGS à garantir les sommes fixées au passif de la société [Adresse 11], de condamner le liquidateur de la société [Adresse 11] à lui remettre les bulletins de paie de janvier 2017 à décembre 2019, un certificat de travail et une attestation d'employeur destinée à Pôle Emploi conformes (rectifiée sans mention d'un transfert à Hôtel Picard en date du 21/11/2019), sous astreinte, d'assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal outre l'anatocisme et de condamner la société Hôtel Picard aux dépens.

Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 11 août 2021, l'AGS demande à la cour de lui donner acte des conditions et limites de l'intervention et de la garantie de l'AGS, de dire que la décision à intervenir ne sera opposable à l'AGS que dans les conditions, limites et plafonds de sa garantie, de confirmer le jugement du 14 septembre 2020 et de débouter la salariée de ses demandes.

A titre subsidiaire, elle lui demande de rejeter les demandes de fixation de créances qui ne sont ni fondées dans leur principe ni justifiées dans leur montant et de réduire aux seuls montants dûment justifiés les montants des créances susceptibles d'être fixées, notamment à titre de salaires et à titre d'indemnités.

La SCP BTSG prise en la personne de Me [T] ès qualité de liquidateur de la SARL [Adresse 11] n'a pas constitué avocat.

L'instruction a été clôturée le 14 décembre 2021 et l'affaire plaidée le 10 janvier 2022.

MOTIFS

Sur la détermination de l'employeur

La salariée soutient que son contrat de travail conclu avec la société Hôtel Picard n'a pas été transféré à la société [Adresse 11], et subsidiairement, si la cour considère qu'il lui a été transféré, qu'il a fait retour à la société Hôtel Picard.

La société Hôtel Picard soutient que le contrat de travail de la salariée a été transféré à la société [Adresse 11] à compter du 2 janvier 2017. Le mandataire liquidateur de la société [Adresse 11] affirme qu'elle est demeurée salariée de la société Hôtel Picard.

Selon l'article L. 1224-1 du code du travail lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

L'entité économique conserve son identité en cas de location gérance si le fonds de commerce est toujours exploitable et fait retour de plein droit au bailleur.

En l'espèce, si la salariée a été embauchée par la société Hôtel Picard le 16 septembre 2010, la société Hôtel Picard a donné son fonds de commerce en location gérance à la société [Adresse 11] à compter du 2 janvier 2017.

Il ressort des dispositions de l'article 3-7 du contrat de location gérance conclu le 24 décembre 2016 entre la société Hôtel Picard et la société [Adresse 11] que « le locataire s'engage à reprendre l'ensemble des contrats en cours relatifs à l'exploitation de l'établissement » et l'article 4 intitulé « personnel attaché au fonds » que « le locataire-gérant s'engage à prendre à sa charge sans recours contre le loueur l'ensemble des conséquences financières relatives à toute action ou poursuite intentée ou engagée par l'un de ses salariés à l'encontre du loueur. Toutefois, il est expressément convenu que le loueur prendra toutefois à sa charge les éventuelles demandes ou condamnations qui auraient trait à l'exécution du contrat de travail des salariés du Fonds durant la période au cours de laquelle ces derniers étaient encore employés par le Loueur, soit antérieurement à la Date de Prise d'Effet ».

Le contrat de travail de la salarié en cours au jour de la modification dans la situation juridique de la société Hôtel Picard a subsisté entre le nouvel employeur et la salariée qui produit un bulletin de salaire de décembre 2017 établi au nom de [Adresse 12] mentionnant le numéro de Siret 82403176900014 qui correspond à celui de la société [Adresse 11].

Le liquidateur de la société [Adresse 11] a prononcé le licenciement pour motif économique de la salariée le 3 décembre 2019, date à laquelle les relations contractuelles ont cessé à l'égard de la société [Adresse 11].

La société Hôtel Picard produit des constats d'huissier établissant qu'à cette période, le fonds de commerce était devenu inexploitable compte tenu des défauts de structure de l'immeuble dans lequel l'hôtel était exploité mettant en péril sa sécurité et interdisant toute poursuite d'activité.

La résiliation du contrat de location gérance le 24 juin 2019 qui a entraîné la cessation de l'exploitation du fonds de commerce n'a pas eu pour effet d'entrainer le retour du contrat de travail de la salariée à la société Hôtel Picard.

Au regard de ces éléments, la cour considère que la salariée a été employée par la société Hôtel Picard du 16 septembre 2010 au 1er janvier 2017 et ensuite par la société [Adresse 11] jusqu'au 3 décembre 2019, date de son licenciement par le mandataire liquidateur de la société [Adresse 11].

Sur la demande de rappel de salaire de février 2015 à décembre 2016

La salariée sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à lui verser la somme de 28 148, 54 euros outre 2 814, 85 euros au titre des congés payés.

La société Hôtel Picard oppose la prescription de la demande pour la période du 1er au 7 février 2015 et soutient qu'elle n'était plus sa salariée depuis le 1er janvier 2017.

Selon l'article L.3245-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l'action en paiement du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour ou celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La salariée a saisi le conseil de prud'hommes le 2 février 2018.

La demande n'est donc pas prescrite.

La salariée soutient que l'employeur a réduit unilatéralement son temps de travail à compter de décembre 2010 et qu'il faisait varier chaque mois la durée du travail.

L'employeur ne peut imposer unilatéralement au salarié une modification de son contrat de travail. La durée du travail constitue un élément essentiel du contrat de travail qui ne peut pas être réduite sans modification du contrat et sans le consentement du salarié.

En l'espèce, les bulletins de salaire produits par la salariée établissent que l'employeur a réduit la durée du temps de travail initialement fixée à 169 heures par mois, qui variait chaque mois, comme la rémunération, sans qu'il justifie avoir conclu avec la salariée un avenant au contrat de travail.

Au regard de l'ensemble des éléments produits, la cour confirme le jugement du 16 juillet 2018 en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 28 148, 54 euros à titre de rappel de salaire outre 2 814, 85 euros à titre de congés payés afférents pour la période de février 2015 au 15 décembre 2016.

Sur la demande de rappel de salaire pour la période du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017

La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 16 décembre 2016 et soutient n'avoir perçu aucune somme de la part de la société Hôtel Picard au titre de son maintien du salaire.

Selon les articles L.1226-1 et D.1226-1 du code du travail, tout salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise bénéficie en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de la maladie d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière qui est égale à 90% de la rémunération brute que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler.

Ni la société Hôtel Picard ni la société [Adresse 11] ne justifient avoir maintenu le salaire pendant l'arrêt de travail de la salariée du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017 et du 1er janvier 2017 au 24 janvier 2017 alors qu'elle produit son arrêt de travail pour maladie pour cette période.

Au regard des éléments produits, la cour, par infirmation du jugement du 16 juillet 2018 sur le quantum et du jugement du 14 septembre 2020, condamne la société Hôtel Picard à verser à la salariée la somme de 216, 02 euros au titre du maintien du salaire sur la période du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017 et fixe la créance de la salariée au passif de la société [Adresse 11] à la somme de 165, 89 euros au titre du maintien du salaire pour la période du 2 au 24 janvier 2017.

Sur la demande de remboursement des titres de transport

La salariée sollicite la condamnation de la société Hôtel Picard à lui verser la somme de 666, 46 euros en remboursement des titres de transport pour la période de février 2015 à décembre 2016.

La salariée produit ses bulletins de paye qui ne mentionnent pas le remboursement des frais de transport auxquels l'employeur est tenu.

L'employeur soutient que la salariée n'a pas été remboursée certains mois de ses frais de transport à défaut de présentation des titres par la salariée.

Selon l'article L.3261-2 du code du travail, l'employeur prend en charge les prix des titres d'abonnement souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen des transports publics de personnes.

La prise en charge des frais de transport par l'employeur est subordonnée à la remise ou à défaut à la présentation des titres par le salarié .

En l'espèce, la salariée ne produit aucun justificatif.

En conséquence, la cour confirme le jugement du 16 juillet 2018 en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de suivi médical

La salariée sollicite la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle soutient n'avoir jamais été convoquée par la société Hôtel Picard à une visite médicale.

L'employeur s'oppose à la demande.

L'employeur ne verse au débat aucune pièce pour justifier du respect de son obligation lors de l'embauche et au cours de la relation contractuelle.

La salariée qui exerçait des fonctions de femme de chambre sources de troubles musculo- squelettiques n'a bénéficié d'aucun suivi. Elle justifie avoir été victime d'un accident du travail en 2016 en lien avec un traumatisme de l'épaule droite post effort au titre duquel la responsabilité pour faute inexcusable de l'employeur a été retenue par jugement du 25 mai 2020 du tribunal judiciaire de Bobigny, la salariée ayant alerté les 13 octobre 2016 et le 8 novembre 2016 le contrôleur du travail sur la carence de l'employeur dans l'organisation des visites médicales obligatoires et dans l'évaluation des risques.

La cour, par infirmation du jugement du 16 juillet 2018, condamne la société Hôtel Picard à verser à la salariée la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de mise en 'uvre de la prévoyance conventionnelle

La salariée sollicite la fixation de la somme de 11 447, 77 euros au passif de la société [Adresse 11] à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en 'uvre du régime conventionnel de prévoyance à compter du 10 décembre 2017. Elle soutient que l'employeur n'a pas adhéré au régime de prévoyance, aucune cotisation ne figurant sur son bulletin de salaire et qu'ayant été en arrêt de travail continu du 11 septembre 2017 au 13 septembre 2017, du 14 septembre 2017 au 9 décembre 2017 et du 10 décembre 2017 au 10 septembre 2020, elle n'a perçu que les indemnités journalières et a été privée du complément de salaire dû par la prévoyance à compter du 10 décembre 2017, date d'expiration du délai de carence.

La société Hôtel Picard soutient qu'elle n'employait plus la salariée depuis le 1er janvier 2017 et qu'en tout état de cause les bulletins de salaire mentionnent la mise en place d'une prévoyance.

L'AGS soutient que le contrat de location gérance ne comporte pas la preuve de la transmission à la société [Adresse 11] du contrat de travail de la salariée et que celle-ci ne lui a transmis aucun arrêt de travail et relevé d'indemnité journalière.

L'avenant conventionnel n°1 du 13 juillet 2004 énonce en son article 18-2-5 dans sa version applicable du 1er juin 2014 au 1er janvier 2018 qu'en cas d'arrêt de travail consécutif à une maladie ou à un accident professionnel ou non le salarié bénéficie d'une indemnité journalière de 70% du salaire brut de référence sous déduction des prestations brutes versées par la sécurité sociale à l'issue d'une période de franchise de 90 jours d'arrêt de travail continus.

Les obligations conventionnelles de l'employeur découlant de cet avenant de la convention collective qui prévoit que les salariés bénéficient d'une indemnité journalière dans le cadre de la mise en 'uvre d'une garantie de prévoyance constituent une obligation de faire.

En l'espèce, la cour a considéré que la société [Adresse 11] était l'employeur de la salariée à compter du 2 janvier 2017.

La société [Adresse 11] en sa qualité d'employeur de la salariée ne justifie pas avoir souscrit une garantie prévoyance privant ainsi la salariée du bénéficie d'une prise en charge complémentaire pendant la durée de son arrêt de travail du 11 septembre 2017 au 3 décembre 2019, date de son licenciement.

En conséquence, la cour, par infirmation du jugement du 14 septembre 2020, fixe au passif de la société [Adresse 11] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription d'une garantie de prévoyance.

Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de souscription d'une complémentaire santé

La salariée sollicite la fixation de la somme de 629, 88 euros au passif de la société [Adresse 11] à titre de dommages et intérêts reprochant à son employeur de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires pour qu'elle puisse bénéficier au delà du12 juin 2019 de la garantie de remboursement complémentaire des frais de santé souscrite auprès de la société GPS.

L'AGS soutient que la société GPS a considéré que la salariée était salariée de la société Hôtel Picard.

La société Hôtel Picard soutient que la salariée n'était plus son employée lorsqu'elle a sollicité la garantie.

L'article 16 de la convention collective intitulé « Garanties collectives ou individuelles complémentaires et supplémentaires » énonce que les salariés doivent pouvoir accéder, dans le cadre de contrats collectifs (obligatoires ou individuels) ou individuels d'assurance, à des garanties frais de santé supplémentaires, moyennant une tarification spécifique, et dont les prestations répondent aux exigences posées à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale.

L'article 10 intitulé « Nature et montant des prestations des garanties conventionnelles obligatoires » précise que sont couverts les actes et frais de santé relevant des postes énumérés au tableau ci-après. Ils sont garantis en fonction des montants et plafonds indiqués, qui sont exprimés, sauf mention contraire, en complément des prestations en nature des assurances maladie et maternité de la sécurité sociale et dans la limite du reste à charge (hors pénalités, franchises et contributions). Les actes et frais non pris en charge par le régime de base de la sécurité sociale ne sont pas couverts, sauf indication contraire figurant au tableau des prestations ci-dessous. Les prestations sont limitées aux frais réels restant à charge du salarié après intervention du régime de base et/ ou d'éventuels organismes complémentaires et compte tenu des pénalités, contributions forfaitaires et franchises médicales, y compris lorsqu'elles sont exprimées sous forme de forfait ou de pourcentage du plafond mensuel de la sécurité sociale.

En l'espèce, la société [Adresse 11], employeur de la salariée depuis décembre 2019, ne justifie pas avoir souscrit une garantie frais de santé en vigueur à cette date au profit de la salariée alors qu'elle demeurait soumise aux mêmes dispositions conventionnelles que la société Hôtel Picard. La salariée produit une lettre de la société GPS du 17 octobre 2019 l'informant qu' elle n'est « plus couverte par cet organisme pour les soins postérieurs à sa sortie de la société le 12 juin 2019 ».

L'absence de maintien d'une telle garantie prévue par la convention collective constitue un manquement de l'employeur à ses obligations à l'origine d'un préjudice de la salariée qui justifie avoir exposé des frais d'hospitalisation du 20 au 21 décembre 2019 et de consultation le 5 décembre 2019 .

En conséquence, la cour, par infirmation du jugement 14 septembre 2020, fixe au passif de la société [Adresse 11] la somme de 180 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription d'une garantie complémentaire santé.

Sur la demande d'indemnité légale de licenciement et de congés payés

La salariée sollicite la fixation de la somme de 4 152, 11 euros au passif de la société [Adresse 11] au titre de l'indemnité légale de licenciement outre celle de 3 397, 77 euros au titre des congés payés acquis et non pris au 3 décembre 2019. Elle soutient avoir été licenciée verbalement le 3 décembre 2019, la lettre de licenciement du mandataire liquidateur, adressée à une mauvaise adresse, ne lui étant jamais parvenue.

Selon l'article L.1232-6 du code du travail lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception.

En l'espèce, la lettre de licenciement a été adressée à Madame [Y] [N] domiciliée au [Adresse 4]) par lettre recommandée avec un accusé de réception qui n'est pas produit. Si cette adresse figure sur le contrat de travail conclu avec la société Hôtel Picard en 2010, sur les bulletins de salaire postérieurs, elle est domiciliée au [Adresse 5]).

Le mandataire liquidateur ne justifie pas avoir valablement notifié le licenciement à la salariée.

La non réception de la lettre de licenciement par la salariée en raison d'une erreur du liquidateur dans le libellé de l'adresse prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Au regard des bulletins de salaire produits, la salariée est fondée à obtenir la fixation au passif de la société [Adresse 11] de la somme de 4 152, 11 euros à titre d'indemnité légale de licenciement compte tenu de son ancienneté de 9, 22 années ( du 16 septembre 2010 au 3 décembre 2019) outre celle de 3 397, 77 euros au titre des 49 jours de congés payés acquis et non pris, par infirmation du jugement du 14 septembre 2020.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La salariée sollicite la somme de 3 000 euros.

En l'absence de circonstance de nature à faire dégénérer en faute le droit de la société Hôtel Picard à faire valoir ses droits en justice, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur les autres demandes

La cour ordonne au liquidateur de remettre à la salariée ses bulletins de salaire de janvier 2017 à décembre 2019, un certificat de travail et une attestation pour le Pôle Emploi rectifiés et de transmettre à la salariée les coordonnées du service médical dont dépendait l'entreprise sans qu'il y ait lieu à ordonner d'astreinte.

Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement.

L'anatoscisme sera ordonné dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

La société Hôtel Picard succombant partiellement en ses demandes sera condamnée aux dépens.

La société Hôtel Picard est condamnée à verser à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

-Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de rappel de salaire de février 2015 à décembre 2017 ;

-Infirme le jugement du 14 septembre 2020 ;

-Infirme le jugement du 16 juillet 2018 sauf en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 28 148, 54 euros à titre de rappel de salaire outre 2 814, 85 euros à titre de congés payés afférents pour la période de février 2015 au 15 décembre 2016, en ce qu'il a débouté Mme [Y] [N] de sa demande au titre des frais de transport, en ce qu'il a condamné la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que le contrat de travail a été transféré à la société [Adresse 11] ;

- Condamne la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 216, 02 euros au titre du rappel de salaire du 16 décembre 2016 au 1er janvier 2017 ;

- Condamne la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'obligation de suivi médical ;

-Fixe au passif de la société [Adresse 11] les sommes suivantes :

-165, 89 euros au titre du maintien du salaire pour la période du 2 au 24 janvier 2017,

-2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription d'une garantie de prévoyance,

-180 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription d'une garantie complémentaire santé,

-4 152, 11 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ,

-3 397, 77 euros au titre des congés payés,

-Dit que les créances de Mme [Y] [N] seront garanties par l'association UNEDIC délégation AGS CGEA d'Ile-de-France Ouest, à qui le présent arrêt est déclaré opposable, dans la limite des plafonds applicables, conformément aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail ;

-Déboute Mme [Y] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;

-Ordonne à la SCP BTSG représentée par Maître [T] pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société [Adresse 11] de remettre à Mme [Y] [N] ses bulletins de salaire de janvier 2017 à décembre 2019, un certificat de travail et une attestation pour le Pôle Emploi rectifiés et de lui transmettre les coordonnées du service médical dont dépendait l'entreprise ;

-Rejette la demande d'astreinte ;

-Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de la société Hôtel Picard devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de l'arrêt ;

-Condamne la société Hôtel Picard à verser à Mme [Y] [N] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamne la société Hôtel Picard aux dépens.

-Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 11].

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/10486
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;18.10486 ?
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