Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 18 MAI 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05004 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5OQX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/01154
APPELANTS
Madame [K] [A] [F] [S] en qualite d'ayant droit de Monsieur [E] [S]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Tamara LOWY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 141
Monsieur [M] [S] en qualité d'ayant droit de [E] [S]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Tamara LOWY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 141
INTIMEE
SCI CARTIER BRESSON prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie-christine BEGUIN de la SELAS CABINET BEGUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0254
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [E] [S] a été engagé par la SAS Linda Textile, suivant contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2007. Le 30 décembre 2011, son contrat de travail a été transféré à la SCI Cartier Bresson pour un emploi de 'responsable adjoint entrepôt', avec reprise de son ancienneté.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des gardiens, concierge et employés d'immeuble, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 1 815 euros (moyenne sur les trois derniers mois).
A compter du 10 juillet 2015, le salarié a été placé en arrêt de travail de façon continue jusqu'à la rupture de la relation contractuelle.
Le 2 mars 2017, le salarié s'est vu notifier un licenciement pour absence prolongée désorganisant l'entreprise, libellé dans les termes suivants :
« Je suis au regret de vous informer que je suis dans l'obligation de vous licencier pour nécessité impérative pour l'entreprise de vous remplacer.
En effet, vous êtes absent de votre poste de travail de façon continue depuis le 1er juillet 2015 et l'organisation de l'entreprise perturbée par votre absence, nécessite votre remplacement, d'autant que nos effectifs sont très réduits puisque notre équipe est composée de 3 personnes.
Vous occupiez un poste clé dans l'entreprise de responsable adjoint de la sécurité du site.
Compte tenu de l'environnement et de la situation géographique de l'immeuble, ce poste est essentiel pour la bonne marche de l'entreprise qui doit assurer la sécurité des locaux pour les occupants sur place et leur fournir des prestations assurant leur sécurité. Cette fonction implique la connaissance des habitants ou occupants et votre absence, bien légitime au demeurant, nous a contraint à embaucher une personne pour pourvoir durablement à votre remplacement qui s'est prolongé dans le temps. Compte tenu de la nature de votre poste aucune solution provisoire ne pouvait être mise en place.
Je vous rappelle que vous êtes absent depuis plus de 18 mois et nous avons patienté autant que nous pouvions mais cette période d'absence s'est prolongée de telle façon que le salarié embauché en CDD pour vous remplacer, a exigé un CDI, menaçant à défaut de ne pas poursuivre sa mission.
Bien évidemment, votre état de santé est tout à fait étranger à cette décision justifiée exclusivement par la nécessité de vous remplacer. »
Le 19 avril 2017, M. [E] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny pour contester son licenciement et solliciter un rappel de salaire pour heures supplémentaires ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour défaut d'information sur le repos compensateur, pour défaut de visite médicale d'embauche et harcèlement moral.
Le 31 janvier 2018, le conseil de prud'hommes de Bobigny, dans sa section Commerce, a statué comme suit :
- fixe le salaire à 1 815 euros bruts
- condamne la société SCI Cartier Bresson à verser à Monsieur [E] [S] les sommes de :
* 1 000 euros bruts au titre du complément de l'indemnité conventionnelle de licenciement
* 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- déboute M. [E] [S] du surplus de ses demandes
- laisse les dépens à la charge de la SCI Cartier Bresson.
Par déclaration du 6 avril 2018, Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [E] [S], décédé le 10 janvier 2018, ont relevé appel du jugement de première instance, dont ils ont reçu notification le 5 mars 2018.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 19 novembre 2019, aux termes desquelles Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [E] [S] demandent à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 31 janvier 2018 en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes à l'exception du complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, dont elle réformera néanmoins le montant
- la SCI Cartier Bresson à payer à Mme [K] [A] [S] [F] et à M. [M] [S], en leur qualité d'ayants droit de M. [E] [S] les sommes suivantes :
* appel de salaire au titre des heures supplémentaires de mars 2014 à juin 2015 : 19 989 euros
* congés-payés afférents : 1 989 euros
* dommages-intérêt pour défaut d'information relatif au repos compensateur : 10 386 euros
* indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 18 732 euros
* dommages-intérêt pour non-respect de la visite médicale d'embauche : 3 000 euros
* complément d'indemnité compensatrice de préavis : 3 385 euros
* congés-payés afférents : 338 euros
* complément d'indemnité de licenciement : 3 716 euros
* indemnité pour licenciement nul, et à titre subsidiaire, dommages-intérêts pour rupture abusive : 93 660 euros
- ordonner la délivrance des bulletins de salaire, d'une attestation de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, la Cour se réservant la liquidation de l'astreinte
- condamner la société Cartier Bresson à payer à Me [W] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile
- condamner la SCI Cartier Bresson aux entiers dépens
- condamner la SCI Cartier Bresson à régler les intérêts au taux légal.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 19 novembre 2019, aux termes desquelles la SCI Cartier Bresson demande à la cour d'appel de :
In limine litis
- constater que l'appel interjeté par Madame [K] [A] [S] [F] et Monsieur [M] [S] est irrecevable, faute pour les appelants d'avoir justifié de leur qualité d'ayants-droits de Monsieur [E] [S] au moyen de l'acte notarié mentionnant les héritiers à la succession
Subsidiairement sur le fond
- confirmer le jugement du 31 janvier 2018 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Cartier Bresson à payer 500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile
- fixer le salaire brut moyen de Monsieur [S] à la somme de 1 815 euros
- juger que les appelants ont renoncé à la demande relative au harcèlement moral
- juger que les appelants ont renoncé à leur demande nouvelle de prime d'ancienneté
En tout état de cause
- constater l'absence du moindre élément relatif à tout harcèlement ou discrimination de la part de la société Cartier Bresson à l'égard de Monsieur [E] [S]
- dire que la demande nouvelle de 1 799 euros au titre d'une prime d'ancienneté est irrecevable
- fixer le salaire brut moyen de Monsieur [S] à la somme de 1 815 euros
- constater la nécessité du remplacement définitif de Monsieur [E] [S]
- débouter Madame [K] [A] [S] [F] et Monsieur [M] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, à l'exception de la somme de 1 001 euros que la société Cartier Bresson a reconnu devoir au titre de l'indemnité de licenciement.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, la cour constate que les appelants ont abandonné leurs demandes nouvelles au titre du harcèlement moral et de la prime d'ancienneté formées dans leurs premières conclusions d'appel.
1/ Sur la recevabilité de l'appel formé par Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] ayants droit de feu M. [E] [S]
La SCI Cartier Bresson demande à ce que l'appel formé par Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S], en leur qualité d'ayants droit de feu M. [E] [S], soit déclaré irrecevable faute pour les appelants de démontrer par le biais d'une attestation ou d'un acte de notoriété qu'ils ont bien la qualité d'héritiers du défunt et qu'il n'existe aucun procès, ni contestation en cours pour discuter cette qualité.
Mme [K] [A] [F] [S] justifie qu'elle était toujours mariée avec [E] [S] à la date de son décès et M.[M] [S] n'est autre que le fils du défunt, il est donc justifié qu'ils ont tous deux la qualité d'ayants-droits et, qu'en application de l'article 724 du code civil, ils se sont trouvés « saisis de plein droit des biens et actions du défunt ». Il est, de surcroît, versé aux débats le compte rendu d'interrogation du fichier central de dispositions de dernières volontés du 19 septembre 2018 (pièce 24), ainsi qu' une acceptation expresse de la succession de M. [E] [S], pour chacun d'entre eux, par acte sous seing privé (pièces 28 et 29). Leur appel sera donc dit recevable.
2/ Sur la visite médicale d'embauche.
Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] font grief à l'employeur de ne pas avoir organisé de visite médicale d'embauche au bénéfice de M. [E] [S] et ils sollicitent une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
L'employeur affirme, sans en justifier, que le salarié a bien bénéficié d'une visite médicale d'embauche en 2007.
La cour constate qu'il n'est fait état d'aucun préjudice précis qu'aurait occasionné ce défaut de visite médicale en l'absence de risques sanitaires spéciaux liés aux fonctions du salarié ou d'une fragilité de santé antérieure à son embauche. Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté les ayants droit de M. [E] [S] de leur demande de ce chef.
3/ Sur les heures supplémentaires
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.
Les ayants droit de M. [E] [S] rappelle que l'intéressé exerçait une fonction de gardien sur un site de 3 000 m2 occupé par un immeuble accueillant plusieurs sociétés dont un studio d'enregistrement et le plus grand mur d'escalade d'Europe. Ces locaux étaient organisés autour d'une cour où pouvait stationner un nombre limité de véhicules. Les appelants font valoir que, dans le cadre de ses fonctions, M. [E] [S] a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées et, au soutien de leurs revendications, ils produisent un décompte précis des heures supplémentaires réalisées semaine par semaine, établi à partir des mains courantes que le salarié remplissait chaque jour et qui comportaient notamment ses heures de début et de fin de travail (pièce 9). Les appelants ajoutent que M. [E] [S] ne bénéficiait pas de pause déjeuner puisqu'il devait être disponible à tout moment et qu'il ne sortait pas de l'entreprise pendant ses 12 heures de travail quotidien. Il est, également, précisé que le salarié avait pour mission de contrôler les entrées et sorties des véhicules sur le site, ainsi qu'en atteste d'ailleurs le procès-verbal d'huissier produit aux débats par l'employeur et qui comporte le descriptif par le gardien actuel de ses missions (pièce 14).
Ces affirmations sont confortées par le témoignage de M.[V] [N], chef d'entreprise, qui indique : « Les bureaux que je loue à la SCI Cartier Bresson se situent à l'entrée de la zone de locaux dont M. [E] [S] jusqu'à son arrêt maladie était le gardien. J'ai pu constater depuis mon arrivée en septembre 2012 que M.[E] était présent, seul, du lundi au samedi de 8h à 20h, à l'entrée de la zone pour réaliser différentes activités de gardiennage (filtrer les voitures entrantes, orienter les visiteurs').
Je me souviens avoir évoqué avec lui (à ma demande) cette situation et ce dernier m'avait répondu « ne pas avoir le choix » car sa femme était handicapée, qu'il était le seul salaire de son foyer et que compte tenu du nombre d'heures, il n'avait pas le temps de chercher un autre emploi » (pièce 12-1).
Il est, aussi, produit l'attestation d'un autre locataire de l'entrepôt Mme [T] [R], qui déclare : « En tant que responsable de ma société j'étais présente très tôt et partais tard.M.[S] était à son poste de 8h à 20 h tous les jours. J'ai constaté qu'il n'avait aucune coupure de toute la journée. Il travaillait 12 heures par jour sans interruption, 5 jours par semaine et quelques samedis par mois. À plusieurs reprises, d'autres locataires et moi-même lui apportions de la nourriture et des boissons car il ne pouvait pas abandonner son poste pour acheter un sandwich » (pièce 13-1).
Il est demandé à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires la somme de 19 989 euros, outre 1 989 euros au titre des congés payés y afférents.
L'employeur objecte, qu'en sa qualité de gardien, M. [E] [S] était tenu de contrôler les lieux, de faire des rondes de détection et de prévention de risques, de vérifier toute présence inhabituelle d'objets ou de personnes, de contrôler les équipements et les systèmes de prévention et de sécurité et qu'il n'avait pas pour mission de noter chaque entrée et sortie de véhicules en relevant leur numéro d'immatriculation comme le prétendent ses ayants droits. L'employeur précise que M. [E] [S] n'était tenu de s'assurer des entrées et sorties de véhicules qu'au seul moment des ouvertures et fermetures des bureaux, soit entre 8 heures et 11 heures et de 16h30 à 20 heures. Le reste de la journée, il était libre de vaquer à ses obligations personnelles, de façon tout à fait habituelle pour un gardien. La proximité de son domicile lui permettait, d'ailleurs, de se rendre au chevet de son épouse handicapée dans la journée. La société intimée conteste le caractère probant des attestations versées aux débats en soulignant que la société Addama dont Mme [R] se présente comme une représentante, n'a jamais été une de ses locataires mais qu'elle occupait sans droit ni titre ses locaux et que l'attestation produite aux débats n'a aucune objectivité en raison du contentieux opposant la SCI Cartier Bresson à la société Addama. Le témoignage de M.[V] [N] est, également critiqué, puisqu'il est observé que ce dernier se prononcerait sur les horaires effectués par le salarié pour une période où il n'était pas encore locataire de l'entrepôt. Il est aussi souligné que le bail de M. [N] aurait été signé par Mme [T] [R] ce qui implique une certaine proximité entre ces deux témoins.
L'employeur relève que les « mains courantes sécurité » produites par les ayants droits du salarié pour justifier des horaires effectués ne comportent pas de signature d'un supérieur hiérarchique et qu'il s'agit de documents purement déclaratifs qui ne lui ont jamais été remis. D'ailleurs, il est souligné que pendant la durée de la relation contractuelle le salarié n'a jamais contesté ses bulletins de salaire mentionnant un horaire de 151h40 par mois, pas plus qu'il n'a évoqué cette éventuelle problématique lors de l'entretien préalable à son licenciement. Il est enfin argué que trois gardiens étant employés sur le site, M. [E] [S] n'assumait pas seul la totalité des tâches de surveillance et de contrôle.
Mais, la cour retient que les éléments versés aux débats par l'employeur ne permettent pas d'établir de manière objective et fiable le nombre d'heures de travail effectuées par le salarié et qu'il n'est pas produit, par exemple, le témoignage des autres gardiens employés sur le site qui aurait pu éclairer la cour sur la répartition de leurs tâches et leur amplitude horaire, ni même de « mains courantes » signées par le supérieur hiérarchique de M. [E] [S], alors qu'il est soutenu que celles versées aux débats par les appelants seraient fallacieuses. Il est, en outre, établi que la société intimée n'avait pas mis en place de dispositif de contrôle du temps de travail journalier de M. [E] [S] alors, que ses horaires de travail n'étaient pas définis par son contrat de travail et qu'il appartenait à l'employeur de vérifier la charge effective de travail du salarié. La cour relève, encore, qu'il est versé aux débats par les appelants un registre d'entrée et de sortie des véhicules tenu par les gardiens (pièce 26) où il apparaît que ces derniers notaient l'immatriculation des véhicules entrants et sortants à toutes heures de la journée et pas uniquement durant la tranche horaire précisée par l'employeur.
En cet état, il sera considéré que la SCI Cartier Bresson ne remplit pas la charge de la preuve qui lui revient, les ayants droit du salarié ayant de leur côté étayé leur demande en apportant à la cour des éléments précis. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] de leur demande de rappel de salaires et congés payés afférents au titre des heures supplémentaires et il leur sera alloué les sommes qu'ils revendiquent.
4/ Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut d'information relatif au repos compensateur
L'article D 3171-11 du code du travail prévoit « qu'à défaut de précision conventionnelle contraire, les salariés sont informés du nombre d'heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte une mention notifiant l'ouverture du droit à repos et l'obligation de le prendre dans un délai maximum de deux mois après son ouverture ».
Les ayants droit de M. [E] [S] indiquent que la société intimée n'a jamais respecté son obligation d'informer le salarié de ses droits acquis en matière de repos compensateur pour les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent légal de 220 heures par an. Eu égard aux calculs qu'ils versent aux débats, ils estiment que M. [E] [S] a été privé de 745 heures de repos, équivalent à 8 917 euros, outre 891 euros au titre de l'année 2014 et de 44 heures de repos, correspondant à 526 euros, outre 52 euros au titre de l'année 2015 et revendiquent des dommages-intérêts à hauteur de 10 386 euros.
La société intimée répond que le salarié n'ayant jamais effectué d'heures supplémentaires, elle n'avait pas à l'informer de son droit à repos compensateur et, qu'en toute hypothèse, les sommes revendiquées à titre de dommages-intérêts sont excessives.
Cependant, la cour rappelle que le salarié qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur a droit à l'indemnisation du préjudice subi et que cette indemnisation comporte à la fois le montant de l'indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos et le montant des congés payés afférents. La société intimée reconnaissant ne pas avoir satisfait à son obligation d'information du salarié sur son droit à repos compensateur, il sera alloué à ses ayants droit la somme qu'ils demandent à titre de dommages-intérêts et le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
5/ Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail est caractérisée lorsqu'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; il appartient au juge d'apprécier l'existence d'une telle intention ;
Par ailleurs il résulte des dispositions de L. 8223-1 du même code qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié dont l'employeur a volontairement dissimulé une partie du temps de travail a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Les ayants droit de M. [E] [S] observent que, l'employeur ayant l'obligation de décompter le temps de travail effectué par le salarié, il ne peut soutenir qu'il n'était pas informé des heures supplémentaires accomplies. Ils ajoutent que le caractère intentionnel se déduit de la simple connaissance par l'employeur de l'existence des heures non déclarées, or, celui-ci était rendu destinataire « des mains courantes » établies par le salarié mentionnant ses heures de début et de fin de journée. En conséquence, ils demandent le versement d'une indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire, soit une somme de 18 732 euros, ainsi que la délivrance sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard de bulletins de paie conformes.
La société intimée s'abstient de répondre sur ce chef de demande mais dès lors qu'il a été retenu aux points précédents que le salarié a accompli quotidiennement des heures supplémentaires dont l'employeur avait connaissance par la transmission des « mains courantes » rédigées par le salarié et qu'elle n'a, pour autant, jamais déclaré la moindre heure supplémentaire accomplie par le salarié, il sera considéré qu'elle a bien délibérément dissimulé une partie du temps de travail réalisé par le salarié et il sera fait droit à la demande indemnitaire de ses ayants droit.
Il sera également ordonné à la SCI Cartier Bresson de délivrer, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, aux ayants droit de M. [E] [S] un bulletin de salaire récapitulatif mentionnant le rappel de salaire et congés payés afférents pour heures supplémentaires accordées, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
6/ Sur le licenciement pour absence prolongée désorganisant l'entreprise
L'article L. 1232-6 du code du travail impose à l'employeur d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement et l'article L. 1132-1 du même code lui fait interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap. Ces deux textes ne s'opposent pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié mais la lettre de licenciement doit énoncer expressément la perturbation dans le fonctionnement de l'entreprise et la nécessité de pourvoir au remplacement du salarié absent, dont le caractère définitif doit être vérifié par le juge.
Aux termes de la lettre de licenciement il a été retenu que M. [E] [S] avait été placé en arrêt de travail depuis le mois de juillet 2015, soit de façon continue pendant 18 mois, et que cette absence prolongée avait désorganisé l'entreprise puisqu'il occupait un poste clé et que son remplacement en interne était impossible, l'équipe de gardiens n'étant composée que de trois salariés. L'employeur ajoute que les fonctions du salarié impliquant qu'il ait une connaissance parfaite des occupants de l'immeuble, il n'était pas possible de remédier à son absence par un recours à des intervenants temporaires. Enfin, la société intimée précise que le 28 juillet 2015, elle a engagé M. [G] [I], en contrat de travail à durée déterminée sur le poste de M. [E] [S] mais, qu'après deux ans dans ces fonctions, ce salarié a exigé la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée sous peine de mettre un terme à sa collaboration.
C'est dans ces conditions et en l'absence de perspective de retour définitif du salarié que l'employeur a proposé à M. [I] de signer un contrat de travail à durée indéterminée le 1er mars 2017, soit dans un temps très proche du licenciement de M. [E] [S] (pièce 13).
Les ayants droit du salarié répondent, qu'avant que celui-ci ne soit convoqué à un entretien préalable à son licenciement, son médecin oncologue avait considéré qu'une reprise de son emploi était envisageable dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, ce dont le salarié avait informé la SCI Cartier Bresson ( pièces 6 et 18). Il a été amené à formuler à nouveau cette proposition lors de l'entretien préalable au licenciement, qui s'est tenu le 27 février 2017, ainsi qu'en atteste, le conseiller du salarié, M. [D] [J] :
« Nous avons été reçus par Mme [B] [H], gérante de la société, avec 30 min de retard.
La gérante fait part au salarié du grief suivant :
- Vous êtes en longue maladie depuis le 01/07/2015 ; sachez que j'ai embauché en CDD un salarié pour vous remplacer et que je souhaite pérenniser sa situation
Mr [S] précise qu'il est effectivement en longue maladie et que le médecin a préconisé une reprise en mi-temps thérapeutique. L'employeur ayant refusé cette demande.
La gérante affirme ce refus en précisant qu'elle était dans l'impossibilité de reprendre Mr [S] car elle souhaitait maintenir un plein temps, et non deux salariés à mi-temps.
J'informe la gérante que 50 % du salaire sera payé par la sécurité sociale et qu'elle pouvait obtenir des aides de l'Etat. Elle répond qu'elle allait se renseigner » (pièce 11).
Pour autant, il n'a été donné aucune suite à la proposition du salarié.
Les appelants soulignent que les fonctions de gardien de M. [E] [S] ne présentaient aucune spécificité qui auraient rendu son remplacement difficile, même à supposer que M. [G] [I] ait quitté ses fonctions en l'absence de signature d'un contrat à durée indéterminée ce qui n'est démontré en aucune manière. Pour eux, il existe une corrélation évidente entre l'information qui a été transmise à l'employeur de la possibilité pour M. [E] [S] de reprendre son emploi en mi-temps thérapeutique et son licenciement et c'est donc en raison d'une discrimination fondée sur son état de santé que cette mesure a été décidée ce qui rend son licenciement nul.
Il ressort de l'ensemble des éléments et pièces versées aux débats et des écritures des parties, qu'après 18 mois d'absence durant lesquels il avait été pourvu à son remplacement sans que l'employeur ne justifie avoir rencontré la moindre difficulté, le salarié s'est vu notifier un licenciement au moment où son médecin avait recommandé une reprise du travail en mi-temps thérapeutique et avait entrepris des démarches en ce sens auprès de la CPAM.
Si la société intimée affirme ne pas avoir reçu le courrier simple du salarié l'avisant de la recommandation de son médecin traitant, elle admet qu'elle avait connaissance, au moins de manière officieuse, de cette recommandation qui lui a, en outre, été à nouveau soumise durant l'entretien préalable au licenciement. Pour autant, et alors même qu'elle soutient que l'emploi de gardien de M. [E] [S] lui permettait de profiter de 5h30 de pause dans la journée et de rentrer à son domicile pour s'occuper de son épouse, elle n'a pas souhaité examiner la possibilité d'aménager l'emploi du salarié pour lui permettre de reprendre son activité avec le soutien d'un autre salarié à temps partiel. A défaut de soumettre à la cour un élément quelconque attestant d'une désorganisation de l'entreprise en lien avec l'absence prolongée du salarié, de justifier des problèmes qu'elle aurait rencontrés pour le remplacer ou même des supposées prétentions de M. [G] [I] a obtenir un contrat de travail à durée indéterminée, il sera considéré que la décision de licencier M. [E] [S] est intervenue pour éviter d'avoir à mettre en 'uvre un mi-temps thérapeutique et qu'étant fondée sur des considérations en lien avec l'état de santé du salarié, le licenciement doit être dit nul.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
Sur l'indemnité pour licenciement nul, le salarié qui ne réclame pas sa réintégration, a droit à une indemnité en réparation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.
Eu égard au montant du salaire brut moyen de M. [E] [S] intégrant la prise en compte de ses heures supplémentaires, autrement dit 3 122 euros, de son âge à la date de son licenciement, 57 ans, et de son ancienneté de plus de 9 ans au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci et de ses conséquences pour l'intéressé, il sera alloué à ses ayants droit la somme de 28 000 euros en réparation de leur entier préjudice.
Les ayants droit du salarié peuvent, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes, prenant en compte l'intégration des heures supplémentaires dans le calcul du salaire de référence :
- 3 385 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 338 euros au titre des congés payés y afférents.
Il sera, également, ordonné à la SCI Cartier Bresson de délivrer aux appelants, dans les deux mois suivants la notification de la présente décision les documents suivants rectifiés :
- une attestation de salaire
- un certificat de travail mentionnant une date d'ancienneté au 1er septembre 2007
- une attestation Pôle emploi
sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
7/ Sur le solde d'indemnité conventionnelle de licenciement
Les ayants droit du salarié relèvent qu'en intégrant les heures supplémentaires à son salaire de référence, M.[E] [S] aurait du obtenir une somme de 6 868 euros à titre d'indemnité de licenciement [(1/5ème x 10 ans x 3 122 euros) + (2/15ème x 3 ans x 3 122 euros)], or il n'a perçu qu'une somme de 3 152 euros. Les appelants revendiquent donc le solde de 3 716 euros.
La SCI Cartier Bresson avait admis devant les premiers juges qu'elle était redevable d'une somme de 1 001 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement mais elle conteste le reste de la somme calculé sur un salaire de référence intégrant les heures supplémentaires dont elle dénie l'existence.
En cet état et eu égard aux précédents développements, le montant de 1 001 euros alloué en première instance sera réformé et l'employeur sera condamné à payer une somme de 3 716 euros.
8/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2017, date de l'audience du bureau de conciliation et d'orientation, à défaut pour la cour de connaître la date à laquelle l'employeur a réceptionné sa convocation à cette audience.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
La SCI Cartier Bresson supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à Maître [U] [W] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Dit recevable l'appel formé par Mme [K] [A] [F] [S] et Monsieur [M] [S] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [E] [S],
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- débouté M. [E] [S] de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale
- condamné la SCI Cartier Bresson à payer à M. [E] [S] la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- laissé les dépens à la charge de la SCI Cartier Bresson,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit nul le licenciement notifié à M. [E] [S],
Condamne la SCI Cartier Bresson à payer à Madame [K] [A] [S] [F] et à Monsieur [M] [S] les sommes suivantes :
- 19 989 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires
- 1 989 euros au titre des congés payés y afférents.
- 10 386 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut d'information relatif au repos compensateur
- 18 732 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
- 28 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul
- 3 385 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 338 euros au titre des congés payés y afférents
- 3 716 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,
Condamne la SCI Cartier Bresson à payer à Maître [U] [W] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile,
Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2017 et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Ordonne à la SCI Cartier Bresson de délivrer à Madame [K] [A] [S] [F] et à Monsieur [M] [S], dans les deux mois suivants la notification de la présente décision, les documents suivants :
- un bulletin de salaire récapitulatif mentionnant le rappel de salaire et congés payés afférents pour heures supplémentaires accordées,
- une attestation de salaire rectifiée
- un certificat de travail rectifié mentionnant une date d'ancienneté au 1er septembre 2007
- une attestation Pôle emploi rectifiée,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SCI Cartier Bresson aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,