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16/05/2022 | FRANCE | N°21/15142

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 16 mai 2022, 21/15142


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 16 Mai 2022



(n° , 4 pages)



N°de répertoire général : N° RG 21/15142 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHUE



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière

lors des débats et de Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :





Statuant sur la requête déposée le 16 juillet 2021 par ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 16 Mai 2022

(n° , 4 pages)

N°de répertoire général : N° RG 21/15142 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHUE

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière lors des débats et de Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 16 juillet 2021 par M. [D] [Z] né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 4], élisant domicile au cabinet de Me Gabriel CHICHE - [Adresse 1] ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 28 mars 2022, renvoyée au 11 avril 2022  ;

Entendus Me Gabriel CHICHE représentant M. [D] [Z], la SARL CM & L AVOCATS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitut Général, les débats ayant eu lieu en audience publique ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * * * *

M. [D] [Z], mis en examen des chefs de tentative de viol aggravé et agression sexuelle aggravée, a été placé en détention provisoire suivant décision du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris le 1er octobre 2017 et écroué à la maison d'arrêt de [3] le même jour.

Libéré sous contrôle judiciaire le 21 décembre 2017, il a bénéficié d'un non lieu partiel et a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris du chef d'agression sexuelle par personne en état d'ivresse, dont il a été relaxé par jugement du 26 mars 2021.

Le 16 juillet 2021, il a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris d'une requête aux fins d'être indemnisé des préjudices résultant de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Tant dans sa requête que les écritures postérieures par lesquelles il a légèrement modifié le quantum des divers postes de ses demandes, en proposant un chiffrage subsidiaire de son préjudice matériel, et qu'il développe oralement à l'audience, il sollicite à titre d'indemnisation les sommes de

- 25 600 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, dont 8000 au titre du contrôle judiciaire,

-En réparation de son préjudice matériel,

- 3447, 21euros, subsidiairement 2926, 11 euros de pertes de salaires,

- 344, 72 euros, subsidiairement 292, 61 euros au titre d'indemnité de congés payés

- et 313,70 euros, subsidiairement 266, 28 euros au titre des cotisations de retraite,

outre en tout état de cause,

- 2000 euros au titre de la perte de chance de contester la rupture abusive de sa période d'essai,

- 3000 euros de frais de défense,

- 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses explications orales à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat, reprenant ses dernières écritures régulièrement communiquées et reçues au greffe le 1er avril 2022, déclare admettre le préjudice résultant de la perte de salaire à hauteur de 2861 euros - sur la base de 88 jours de perte d'un salaire mensuel de 975, 37 euros -, et les pertes de congés payées corrélées, soit 286 euros. Il demande le rejet de tous les autres chefs, en particulier les frais de défense, le lien des diligences dont le remboursement est réclamé avec la détention n'étant pas suffisamment établi. Il offre donc au total 3147 euros, et propose, au titre du préjudice moral une réparation de 7500 euros en excluant toute indemnisation au titre du contrôle judiciaire.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de son avis visé par le greffe le 22 février 2022, conclut à une durée de détention indemnisable de 2 mois et 27 jours, le dommage moral subi devant tenir compte du fait que M.[Z] s'est trouvé privé par l'effet de sa détention de voir ses deux enfants alors âgés de 9 et 2 ans, de la lourdeur du chef d'accusation ayant déterminé la détention, mais aussi de l'amoindrissement du choc carcéral du fait de six incarcérations précédentes ; il s'oppose à toute indemnisation au titre du contrôle judiciaire.

Quant au préjudice matériel, il conclut au rejet de sa demande au titre de la perte de chance faute de démonstration de son caractère réel et sérieux, comme de celle relative à ses frais de défense, faute de ventilation des prestations permettant d'identifier les frais relatifs à la détention.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel ; cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code.

M. [Z] a adressé sa requête aux fins d'indemnisation le 16 juillet 2021, soit dans le délai de six mois de la décision de relaxe, qui est définitive. Aucun des cas d'exclusion visés par l'article 149 du code de procédure pénale n'étant concerné, cette requête est donc recevable.

Sur l'indemnisation

M.[Z] a été incarcéré du 1er octobre 2017 au 27 décembre 2017 : la durée de la détention indemnisable est donc de 2 mois et 27 jours

Quant au préjudice moral,

M.[Z], âgé de 36 ans au moment de son incarcération, a subi un choc carcéral dont on ne peut nier qu'il ait été atténué par le fait qu'il avait déjà la connaissance d'un tel milieu, ayant déjà été incarcéré à plusieurs reprises ; cependant il doit aussi être tenu compte de ce que ces épisodes précédents étaient anciens - plus de dix ans avant les faits - et que si l'intéressé ne s'est pas, par la suite, abstenu de tout acte de délinquance, d'autres condamnations étant intervenues jusqu'en 2013, pour autant il a manifestement oeuvré positivement à la stabilisation de sa situation sociale, ce dont attestent ses efforts de formation, le fait qu'il ait eu un emploi, et les liens réguliers qu'il entretient avec ses deux enfants en dépit de ses ruptures avec leurs mères respectives.

La détention injustifiée ainsi intervenue sous le coup d'une mise en examen pour des faits très graves, de nature à susciter une angoisse importante quant à l'issue possible, le privant de ses enfants, a de surcroît été vécue dans les conditions de détention difficiles de la maison d'arrêt de [3], peuplée à 153 % à la période contemporaine de son passage, ce qui ne peut qu'entraîner, sans nécessité d'une démonstration particulière, des difficultés au niveau de l'hygiène, du respect de l'intimité et des diverses activités, ne pouvant non plus être méconnu le risque avéré de menaces et violences entre détenus, particulièrement notoire pour ceux d'entre eux présents dans l'établissement sur la base d'accusations de délits sexuels tel que l'était M.[Z].

Le préjudice moral de M.[Z] sera, dans ces conditions, évalué à la somme de 10 000 euros, cela pour la période de sa détention, celle du contrôle judiciaire ne pouvant en revanche être prise en compte dans l'indemnisation.

En ce qui concerne le préjudice matériel,

Quant aux pertes de salaire, M [Z] justifie qu'il travaillait à temps partiel depuis le 21 juillet 2017 chez Planet Sushi en tant que livreur, pour un salaire de 975, 37 euros au mois de septembre 2017. Il est donc justifié de retenir une perte de salaire pendant la durée de la détention, indemnisable à hauteur de la somme de 2861 euros exactement calculée par l'agent judiciaire de l'Etat, à majorer de 10 % soit 286 euros au titre de l'indemnité de congés payés à laquelle il aurait eu droit, mais non de la somme demandée au titre des pertes de points retraite, aucune amputation n'affectant les droits du régime général du fait de la détention provisoire si celle-ci ne vient pas s'imputer sur une peine ferme.

Quant à la perte de chance alléguée, Planet Sushi a notifié à M.[Z] qu'il était mis fin à la période d'essai de deux mois de son embauche initiale le 3 octobre 2017, soit à une date à laquelle cette période, courant depuis le 21 juillet, était déjà terminée.

Nonobstant les objections de l'agent judiciaire de l'Etat, selon lesquelles il aurait eu toute latitude de faire valoir ses droits en saisissant le conseil des prud'hommes, il est probable que sa détention lui ait fait perdre la chance de demeurer employé de Planet Sushi, s'il avait pu s'expliquer immédiatement sur cette notification, alors qu'en outre et surtout, il est tout aussi probable qu'elle ne lui a été adressée que du fait de sa détention, la lettre indiquant que la rupture est sans autre précision'compte tenu de vos absences', qui pourraient être celle des 48 heures précédentes, au moment où il venait d'être placé en détention.

Cependant, le montant des salaires qu'il aurait perçus pendant la durée de sa détention, qui lui est accordée, équivaut à considérer que son contrat se serait poursuivi et neutralise donc, sur cette période, les effets allégués de cette perte de chance. Pour le reste, les perspectives de poursuite du contrat, de même que le résultat du recours envisagé, à supposer que M.[Z] l'aurait effectivement tenté, apparaissent trop hasardeuses pour caractériser la perte d'une chance autre qu'hypothétique, qui ne peut de ce fait être indemnisée.

Enfin, sur les frais de défense, s'il est évidemment certain qu'une partie des diligences de son conseil ont été dédiées à résoudre la question de sa détention, il n'est produit pour en justifier qu'une facture globale établie a posteriori, puisque datée du 21 février 2021, qui fait état d'une diligence consistant en une demande de mise en liberté, mais sans ventilation permettant d'identifier quelle part de cette facture globale elle représente, la jurisprudence constante en la matière s'opposant en l'état à la prendre en compte, même pour la fraction proposée par son conseil à l'audience.

Le préjudice matériel de M.[Z] sera donc indemnisé à hauteur de la somme de 3147 euros.

L'équité justifie que lui soit allouée une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable la requête de M. [D] [Z],

Lui allouons la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Lui allouons la somme de 3147 euros en réparation de son préjudice matériel,

Lui allouons la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons le surplus de ses demandes,

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 16 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/15142
Date de la décision : 16/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-16;21.15142 ?
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