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16/05/2022 | FRANCE | N°20/09118

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 16 mai 2022, 20/09118


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 16 Mai 2022



(n° , 4 pages)



N°de répertoire général : N° RG 20/09118 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCAT5



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière

, lors des débats et de Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :





Statuant sur la requête déposée le 3 juillet 2020 par ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 16 Mai 2022

(n° , 4 pages)

N°de répertoire général : N° RG 20/09118 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCAT5

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, lors des débats et de Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 3 juillet 2020 par M. [R] [M] né en [Date naissance 2] 1988 à [Localité 3] (Belgique), élisant domicile au cabinet de Maître [B] [U] - [Adresse 1] ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 11 avril 2022 ;

Entendus Me Agnieszka MARTIN substituant Me Philippe OHAYON représentant M. [R] [M], Me Amélie VERGNENEGRE substituant Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitut Général, les débats ayant eu lieu en audience publique ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * * * *

Ayant fait l'objet le 11 décembre 2017, dans le cadre de l'enquête relative à l'attentat du Thalys, d'un mandat d'arrêt européen pour des infractions de 'participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteinte aux personnes' et de 'complicité d'assassinat en relation à titre principal avec une entreprise individuelle visant à troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur', M. [M], demeurant en Belgique, a été placé sous écrou extraditionnel du 20 décembre 2017 au 17 janvier 2018, date à laquelle il a été élargi par la cour d'appel de Bruxelles, puis, ayant été remis aux autorités françaises sur une convocation des autorités judiciaires belges à laquelle il a spontanément déféré, il a été mis en examen des chefs énoncés dans le mandat d'arrêt européen, placé en détention provisoire et écroué à la maison d'arrêt de Fleury Mérogis le 2 février 2018.

Libéré sous contrôle judiciaire le 6 novembre 2018, il a bénéficié le 18 décembre 2019 d'un non-lieu décidé à son égard par les juges d'instruction saisis du dossier.

Par requête enregistrée le 3 juillet 2020, il a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris d'une requête aux fins d'être indemnisé des préjudices résultant de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Dans sa requête dont il reprend et développe les termes oralement à l'audience, il sollicite à titre d'indemnisation les sommes de

- 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 56 810, 64 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, dont 33 273, 34 euros de perte de chiffre d'affaires, 17 400 euros correspondant à la valeur des actifs du commerce de sandwicherie qu'il avait ouvert le 1er avril 2017, 717 euros correspondant aux frais de transport exposés par sa compagne pour venir lui rendre visite, et les sommes de 3600 et 2420 euros de frais de défense,

- 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses explications orales à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat, reprenant ses écritures communiquées, visées et déposées au greffe le 17 janvier 2022, refuse toute indemnisation du préjudice matériel, aucun des chefs de demandes n'étant articulé ou prouvé dans les conditions permettant de le prendre en compte, il offre au titre du préjudice moral la somme de 20 000 euros.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de son avis visé par le greffe le 8 mars 2022, conclut à une durée de détention indemnisable de 28 jours au titre de l'écrou extraditionnel, puis 9 mois et 4 jours au titre de la détention découlant du mandat de dépôt, soit au total 10 mois et 2 jours, recommandant de tenir compte, pour l'indemnisation du préjudice moral, de la durée de la détention, de l'éloignement familial qu'elle a entraîné et du fait que M.[M] a été assujetti en détention au régime de Dps, tout en soulignant aussi qu'il avait déjà connu la détention en Belgique, que les conditions de détention spécifiquement mauvaises de Fleury Mérogis au moment de sa détention ne sont pas documentées, et que de même M.[M] ne fait pas la preuve des répercussions psychologiques de la détention qu'il allègue.

Quant au préjudice matériel, il considère, avec l'Agent judiciaire de l'Etat, qu'il ne peut être indemnisé dans aucune des composantes de la demande.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel ; cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code.

M. [M] a adressé le 19 juin 2020 sa requête aux fins d'indemnisation, qui a été enregistrée le 3 juillet suivant, soit dans le délai de six mois de la décision de non lieu, qui est définitive. Aucun des cas d'exclusion visés par l'article 149 du code de procédure pénale n'étant concerné, cette requête est donc recevable.

Sur l'indemnisation

M.[M] été placé sous écrou extraditionnel pendant 28 jours du 20 décembre 2017 au 17 janvier 2010, puis sous mandat de dépôt du 2 février au 6 novembre 2018 : la durée de la détention indemnisable, qui inclut ces deux périodes, est donc de 10 mois et 2jours, ou 302 jours.

Quant au préjudice moral, M.[M], âgé de 29 ans lors de son incarcération, et n'ayant jamais connu la détention en France, s'est trouvé incarcéré à Fleury Mérogis, éloigné de sa compagne et de son très jeune enfant, dans les conditions de détention très difficiles de cet établissement qui doivent être prises en compte comme un facteur aggravant même si le rapport général des lieux de détention sur lequel M.[M] appuie sa demande concerne une période (2010) antérieure à sa détention, alors qu'il est notoire que depuis cette date, la situation n'a pas été améliorée mais s'est au contraire constamment dégradée. En outre, M.[M] était détenu sous la désignation de 'détenu particulièrement surveillé' et donc assujetti à un régime de détention beaucoup plus rigoureux, cet élément ne pouvant manquer d'être retenu comme facteur aggravant, étant largement probable, même si M.[M] n'en fait pas la démonstration, qu'il en est résulté pour lui, à sa sortie, des difficultés pour se réadapter, hors la maison d'arrêt, à un quotidien personnel et professionnel normal.

L'importance de la peine encourue est également de nature à constituer un facteur aggravant, du fait de l'angoisse suscitée par le risque d'une condamnation, mais elle ne peut constituer un préjudice spécifique indemnisable en tant que tel.

Le préjudice moral de M.[M] sera dans ces conditions évalué à la somme de 24 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice matériel,

Sur les pertes de chiffre d'affaires et de valeur d'actif subies par la sandwicherie qu'exploitait M. [M], ce dernier en justifie uniquement par l'invocation du rapport d'expertise d'une société comptable qu'il a mandatée à cette fin dont les conclusions, très peu étayées, ne reposent que sur une prévision, l'entreprise n'ayant été crée qu'en avril 2017, soit quelques mois à peine avant le début de la détention.

A les supposer mieux justifiés, ces chiffres, en toute hypothèse, ne sont pas ceux d'un préjudice personnel qu'aurait subi M.[M], mais de celui qu'a dû supporter l'entreprise, et faute de démontrer la part du chiffres d'affaires qui aurait pu revenir à M.[M], ce préjudice personnel, seul indemnisable, n'est pas établi : la demande de ce chef doit donc être rejetée.

Quant aux frais de défense, il en sera de même, non que soit mis en doute le fait que M.[M] ait eu à régler des honoraires pour des diligences de son conseil concernant le problème de la détention, mais parce qu'ayant réglé en même temps des frais pour sa défense au fond, il lui incombait de produire une facture ventilant les diligences  pour identifier, parmi les dépenses effectuées, celles qui sont directement et exclusivement imputables à la question de la détention, seules indemnisables.

Tel n'est pas le cas de la facture de 3 600 euros produite, et quant à la première partie de la procédure - la procédure d'écrou -, il n'est pas davantage fourni de facture justifiant de la réalité des honoraires payés, mais seulement un reçu de la somme en cause, dont rien ne permet de dire qu'il correspond à des honoraires versés en règlement d'interventions sur la question de la détention, plutôt que sur le fond du dossier.

Enfin, quant aux frais de transport exposées par la compagne de M.[M], il n'est produit aucun élément établissant leur prise ne charge soit par une communauté conjugale existante, soit par M. [M] sur ses deniers propres, en sorte qu'ils ne peuvent non plus constituer un préjudice personnel propre du requérant : il ne peut donc en réclamer réparation à l'agent judiciaire de l'Etat.

En définitive, aucune somme n'est donc allouée à M.[M] au titre des préjudice matériels invoqués.

L'équité justifie que lui soit allouée une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable la requête de M.[R] [M],

Lui allouons la somme de 24 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Lui allouons la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons le surplus de ses demandes,

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 16 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/09118
Date de la décision : 16/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-16;20.09118 ?
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