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12/05/2022 | FRANCE | N°21/15599

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 10, 12 mai 2022, 21/15599


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10



ARRÊT DU 12 MAI 2022



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/15599 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEJAJ



Décision déférée à la cour : jugement du 07 juillet 2021-juge de l'exécution de [Localité 5]- RG n° 21/80686



APPELANTE



S.A.R.L. FRANCE PRODUCTIONS

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Frédéric INGOLD de

la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Plaidant par Me Michel AMIRDA, avocat au barreau de PARIS



INTIMÉ



Monsieur [P] [W]

[Adresse 2]

[Localit...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 12 MAI 2022

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/15599 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEJAJ

Décision déférée à la cour : jugement du 07 juillet 2021-juge de l'exécution de [Localité 5]- RG n° 21/80686

APPELANTE

S.A.R.L. FRANCE PRODUCTIONS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Plaidant par Me Michel AMIRDA, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ

Monsieur [P] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Plaidant par Me Roland POYNARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 31 mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseillère

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT :

-contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

Par ordonnance de référé du 21 janvier 2019, le conseil des prud'hommes de Paris a condamné la SARL France Productions à payer à M. [W] la somme de 15.000 euros au titre des prestations artistiques qu'il avait effectuées les 13 et 14 janvier 2018. La condamnation à paiement a été prononcée « en tant que de besoin », la société France Productions reconnaissant sa dette.

Cette ordonnance de référé a été signifiée le 9 décembre 2019.

En exécution de cette ordonnance, M. [W] a pratiqué une première saisie-attribution le 19 février 2020, entre les mains de la banque LCL, et dénoncée à la débitrice le 25 février 2020.

Par jugement du 28 décembre 2020, le juge de l'exécution a cantonné cette saisie-attribution à la somme de 12.000 euros en principal. Ce jugement a été signifié le 4 février 2021.

Par acte d'huissier du 26 février 2021, M. [W] a de nouveau fait pratiquer une saisie-attribution à l'encontre de la SARL France Productions, pour obtenir paiement d'une somme de 15.000 euros. Cette saisie-attribution a été dénoncée le 3 mars suivant. Elle s'est avérée fructueuse à hauteur de 861,63 euros.

Par exploit d'huissier du 30 mars 2021, la SARL France Productions a fait assigner M. [W] devant le juge de l'exécution aux fins d'obtenir mainlevée de cette seconde saisie-attribution puis, le saisissant ayant procédé à cette mainlevée le 9 avril 2021, condamnation de ce dernier au paiement de dommages-intérêts pour saisie abusive.

Par jugement du 7 juillet 2021, le juge de l'exécution a :

dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts et à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la demanderesse ;

dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts et à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du défendeur ;

condamné M. [W] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a estimé que l'allocation de dommages et intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile n'était justifiée, compte tenu des circonstances de la cause, ni au profit de la demanderesse ni au profit du défendeur.

Selon déclaration du 13 août 2021, la société France Productions a relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions du 2 décembre 2021, l'appelante demande à la cour de :

la recevoir et la dire bien fondée en son appel ;

infirmer la décision dont appel en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts et à application de l'article 700 du code de procédure civile à son profit ;

et statuant à nouveau,

condamner M. [W] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts par application de l'article 1240 du code civil ;

débouter M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

condamner M. [W] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens, de première instance et d'appel.

A cet effet, l'appelante fait valoir que :

l'ordonnance de référé du 21 janvier 2019 ne lui a jamais été notifiée ;

la saisie-attribution pratiquée par l'intimé le 26 février 2021 pour obtenir paiement de la somme de 15.000 euros revêt un caractère abusif, dès lors que le juge de l'exécution avait, par jugement du 28 décembre 2020, cantonné le montant en principal de la saisie- attribution à la somme restant due de 12.000 euros ; que l'intimé ne saurait invoquer une simple erreur de plume, alors qu'il appartient à l'huissier poursuivant de vérifier l'exactitude du montant des sommes objet de la saisie dont, au surplus, M. [W] n'a donné mainlevée qu'à la suite de l'assignation dont il a fait l'objet devant le juge de l'exécution ;

le juge de l'exécution n'a pas motivé sa décision au regard des dispositions de l'article 1240 du code civil en retenant que les circonstances de la cause ne justifiaient pas l'allocation de dommages et intérêts, alors que le caractère abusif de la saisie était établi ; que la démonstration d'une faute n'est pas exigée lorsque le juge a ordonné mainlevée de la saisie (Civ. 2ème, 29 janvier 2004, n°01-17.161).

Par dernières conclusions du 4 novembre 2021, l'intimé demande à la cour de :

le déclarer recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

constater que la saisine du juge de l'exécution a été opérée sans la moindre tentative de rechercher une solution amiable préalable et est manifestement abusive ;

constater que la mainlevée de la saisie contestée a été immédiate et spontanée, et que la société appelante ne justifie d'aucun préjudice ;

constater que la société demanderesse est dépourvue de droit à agir et est donc irrecevable ;

en conséquence,

débouter la société France Productions de toutes ses demandes ;

confirmer le jugement entrepris sauf sur sa condamnation aux dépens ;

et statuant à nouveau,

condamner la société France Productions à lui payer la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société France Productions en tous les dépens.

L'intimé soutient que :

le montant de 15.000 euros porté sur l'acte de saisie-attribution litigieux ' saisie qui était justifiée dans son principe mais inexacte dans son montant ' ne résultait pas d'une volonté délibérée de nuire mais d'une simple erreur matérielle, qui ne saurait ainsi être confondue avec un abus de saisie au sens de l'article 1240 du code civil ;

dès prise de connaissance de l'erreur commise, il a donné immédiatement les instructions en vue de la mainlevée de la saisie-attribution ; l'appelante, sans rechercher préalablement à mettre fin amiablement à cet incident, a engagé aussitôt de manière abusive une procédure devant le juge de l'exécution ; elle ne justifie, en outre, d'aucun élément susceptible de démontrer l'existence et le quantum d'un quelconque préjudice et fait preuve de mauvaise foi en tentant d'obtenir des dommages-intérêts exorbitants et injustifiés pour tenter de diminuer sa dette ;

la société France Productions était dépourvue de droit d'agir pour contester la saisie-attribution litigieuse dès lors que cette saisie était infructueuse, le compte bancaire sur lequel elle a été pratiquée n'étant, au jour de l'acte de saisie, crédité que d'une somme de 861,63 euros, très largement inférieure à sa dette d'un montant de 12.000 euros (Civ. 2ème, 25 mars 2021, n°1-26.109).

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir

Selon les dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il résulte de l'application de ces dispositions que l'intérêt à agir doit être personnel, légitime, né et actuel. En l'espèce, l'intérêt à agir de la société France Productions pour contester la saisie-attribution du 26 février 2021 est incontestablement personnel, né et actuel au moment de sa contestation élevée par acte d'huissier du 30 mars suivant. Reste à déterminer s'il est légitime alors que M. [W] prétend que la mesure s'est avérée globalement infructueuse, seule une somme disponible de 861,63 euros figurant sur le compte saisi, l'intimé se prévalant en outre d'une jurisprudence de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 mars 2021.

Cependant d'une part, il ne peut être considéré en l'espèce que la mesure a été complètement infructueuse alors qu'il existait une somme saisissable, si minime soit-elle, sur le compte saisi. D'autre part, alors que l'intérêt à agir relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, dans la décision citée, la Cour de cassation s'est bornée à constater que c'était dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que, en l'espèce, la cour d'appel avait estimé que les débiteurs saisis étaient dépourvus d'intérêt à contester la saisie infructueuse (notamment parce qu'ils ne justifiaient pas avoir subi des frais).

En la présente espèce, il y a donc lieu de rejeter la fin de non-recevoir tiré du défaut de qualité pour agir de la société France Productions.

Au fond

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'ordonnance de référé rendue par le conseil des prud'hommes le 21 janvier 2019 lui a été signifiée le 9 décembre 2019 à l'étude d'huissier, ainsi qu'il en est justifié aux débats (pièce n°3 de l'intimé).

L'appelante fonde son action en dommages-intérêts sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, selon lesquelles tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Paradoxalement, alors que ce fondement suppose la démonstration d'une faute et d'un préjudice en résultant, elle se prévaut également de la jurisprudence prise par la Cour de cassation pour l'application des dispositions de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, selon laquelle le préjudice causé par la mesure conservatoire peut être réparé par l'octroi de dommages-intérêts en l'absence de toute constatation d'une faute et, notamment, en cas de mainlevée de la mesure. Mais ce texte ne s'applique qu'aux mesures conservatoires, à l'exclusion des mesures d'exécution forcée telles que la présente saisie-attribution.

En l'espèce, l'ordonnance de référé, sur le fondement de laquelle la saisie-attribution litigieuse a été pratiquée, prenait expressément acte, dans son dispositif, de ce que la société France Productions reconnaissait la dette de 15.000 euros, qu'elle était condamnée à payer à M. [W] « en tant que de besoin », et ce pour des prestations artistiques fournies les 13 et 14 janvier 2018, soit un an auparavant.

Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'un premier jugement du juge de l'exécution était intervenu le 28 décembre 2020, soit deux mois avant la saisie-attribution litigieuse, cantonnant à 12.000 euros les effets d'une première saisie-attribution, pratiquée le 19 février 2020, et que la dette retenue par le juge de l'exécution n'était toujours pas acquittée par la société France Productions à la date de la saisie-attribution du 26 février 2021.

La cour observe que, à ce jour, soit plus de quatre ans après la fourniture des prestations, pour paiement desquelles la saisie-attribution est intervenue, la société France Productions n'a toujours pas payé la somme restant due de 12.000 euros à M. [W] et que celui-ci a donné mainlevée de la mesure dès le dixième jour suivant l'assignation remise le 30 mars 2021 à domicile élu chez l'huissier instrumentaire, soutenant qu'il s'agit d'une simple erreur de plume dudit huissier qui, compte tenu de la proximité du jugement rendu le 28 décembre précédent, avait omis de prendre en compte le cantonnement opéré par celui-ci ; qu'il déplore, sans être contredit par l'appelante, que celle-ci n'ait pas pris la peine de le lui signaler amiablement, ce qui aurait pu éviter l'introduction d'une nouvelle assignation devant le juge de l'exécution.

En tout état de cause, la société France Productions, dont le compte bancaire n'a été saisi qu'à hauteur de la somme de 861,63 euros alors qu'elle demeure toujours débitrice envers M. [W] d'une somme de 12.000 ' 861,63 euros = 11.138,37 euros, ne peut se prévaloir d'aucun abus fautif ni d'un quelconque préjudice en lien avec celui-ci, conditions requises pour l'application de l'article 1240 du code civil invoqué. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la demanderesse de sa demande en dommages-intérêts.

Le droit d'action en justice ne dégénère en abus qu'en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière, équipollente au dol, de sorte que la condamnation à dommages-intérêts doit se fonder sur la démonstration de l'intention malicieuse et de la conscience d'un acharnement procédural voué à l'échec, sans autre but que de retarder ou de décourager la mise en 'uvre par la partie adverse de mesures d'exécution forcée.

En l'espèce, les circonstances et la chronologie des faits ci-dessus décrites mettent en évidence la mauvaise foi mise par la société France Productions à introduire, sans aucune recherche préalable de solution amiable, une nouvelle action en justice pour contester une mesure de saisie-attribution qui n'était fructueuse que pour une partie très minime des sommes qu'elle restait devoir depuis de nombreuses années. L'abus du droit d'agir en justice est ainsi caractérisé et a nécessairement occasionné un préjudice à M. [W], qui subit une nouvelle fois les tracas d'une procédure judiciaire. Ce préjudice sera réparé par l'octroi d'une somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige justifie l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du défendeur et condamné M. [W] aux dépens de première instance et la condamnation de la société France Productions aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement à M. [W] d'une indemnité de 1500 euros à hauteur de première instance et d'une indemnité de 1800 euros à hauteur d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu ni à dommages-intérêts ni à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du défendeur et condamné M. [W] aux dépens de première instance ;

Et statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la SARL France Productions à payer à M. [P] [W] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne la SARL France Productions à payer à M. [P] [W] la somme de 1500 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en compensation de ses frais irrépétibles de première instance ;

Condamne la SARL France Productions aux dépens de première instance ;

Et y ajoutant,

Condamne la SARL France Productions à payer à M. [P] [W] la somme de 1800 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en compensation de ses frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la SARL France Productions aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 21/15599
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.15599 ?
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