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12/05/2022 | FRANCE | N°20/12053

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 12 mai 2022, 20/12053


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 12 MAI 2022



(n° /2022, pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/12053

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIMM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2020 -TJ de PARIS (19ème chambre civile) - RG n° 19/11235



APPELANTE



S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 4]

[Localité 7]r>
représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111



INTIMES



Monsieur [U] [M] [N]

[Adresse 5]

[Loc...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 12 MAI 2022

(n° /2022, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/12053

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIMM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2020 -TJ de PARIS (19ème chambre civile) - RG n° 19/11235

APPELANTE

S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

INTIMES

Monsieur [U] [M] [N]

[Adresse 5]

[Localité 9]

né le [Date naissance 2] 1995 à [Localité 10] (MALI)

représenté et assisté par Me Hadrien MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0871

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE SAINT DENIS

[Adresse 1]

[Localité 8]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre chargée du rapport, et devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre assesseur.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Sophie BARDIAU, conseillère

Greffière lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 15 novembre 2013, M. [U] [M] [N] a été victime d'un accident de la circulation dans le [Localité 6]. Alors qu'il circulait au guidon de son tricycle, une roue de son vélo s'est détachée, entraînant sa chute sur un véhicule automobile en stationnement assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

Une expertise amiable et contradictoire a été organisée par la société Axa et réalisée par le Docteur [V] qui a fait appel aux Docteurs [L] et [R] en qualité de sapiteurs. Le Docteur [V] a établi son rapport le 10 février 2017.

Par décision du 29 octobre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné une expertise médicale de M. [N], confiée au Docteur [K] et a alloué à M. [N] une indemnité provisionnelle d'un montant de 21 162 euros, à valoir sur la liquidation définitive de son préjudice, ainsi qu'une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par exploits en date des 23 et 25 septembre 2019, M. [N] a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris la société Axa et la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis (la CPAM) pour obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel.

Par jugement rendu le 3 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- constaté que le droit à indemnisation de M. [N] est entier sur le fondement des dispositions des articles 1 et 2 de la loi du 5 juillet 1985,

- dit qu'il convient d'appliquer le barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais le 28 novembre 2017,

- condamné la société Axa à payer à M. [N] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou en quittance, provision de 23 162 euros non déduite, avec intérêts au taux légal à compter du jugement :

- dépenses de santé actuelles : 64,24 euros

- frais divers : 1 680 euros

- assistance par tierce personne avant consolidation : 1 984 euros

- perte de gains professionnels futurs : 654 247,23 euros

- incidence professionnelle : 100 000 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 10 843 euros

- souffrances endurées : 15 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 66 000 euros

- préjudice esthétique permanent : 500 euros

- préjudice scolaire : 10 000 euros

- préjudice d'agrément : 3 500 euros,

- condamné la société Axa à payer 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande au titre du préjudice sexuel,

- déclaré le jugement commun à la CPAM,

- condamné la société Axa aux dépens,

- accordé aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur des deux tiers du montant des condamnations prononcées et de la totalité de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 28 août 2020, la société Axa a interjeté appel de cette décision en ses dispositions relatives à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions de la société Axa, notifiées le 15 mars 2021, par lesquelles elle demande à la cour, de :

à titre principal

- débouter M. [N] de son appel incident et de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a liquidé les préjudices de M. [N] comme suit :

- frais divers : 1 680,00 euros

- frais de santé : 64,24 euros

- assistance tierce personne temporaires : 1 984,00 euros

- préjudice scolaire : 10 000,00 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 10 843,00 euros

- souffrances endurées : 15 000,00 euros

- déficit fonctionnel permanent : 66 000,00 euros,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Axa à régler à M. [N] les sommes suivantes :

- perte de gains professionnels futurs : 654 247,23 euros

- incidence professionnelle : 100 000 euros,

et, statuant à nouveau

- fixer à 114 173,11 euros l'indemnisation de M. [N] au titre de la perte de gains professionnels futurs sous forme de rente indexée,

- fixer à 50 000,00 euros l'indemnisation de M. [N] au titre de l'incidence professionnelle,

- déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande de M. [N] au titre du préjudice d'établissement,

- déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande de M. [N] au titre du doublement des intérêts légaux de retard,

- ramener à de plus justes proportions la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens, dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire

- rejeter la demande au titre du préjudice d'établissement,

- rejeter la demande au titre du doublement des intérêts légaux de retard.

Vu les conclusions de M. [N], notifiées le 20 octobre 2021, aux termes desquelles il demande à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

Vu les articles L.211-9 et L.211-13 du code des assurances,

- juger M. [N] recevable et bien fondé en son appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la condamnation de la société Axa à lui payer les sommes suivantes :

- dépenses actuelles de santé : 64,24 euros

- frais divers : 1 680 euros

- tierce personne avant consolidation : 1 984 euros

- perte de gains professionnels futurs : 654 247,23 euros

- incidence professionnelle : 100 000 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 10 843 euros

- souffrances endurées : 15 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 66 000 euros

- préjudice esthétique permanent : 500 euros

- préjudice scolaire : 10 000 euros

- préjudice d'agrément : 3 500 euros,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Axa au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

et, statuant à nouveau

- condamner la société Axa à payer à M. [N] les sommes suivantes :

- préjudices patrimoniaux (en application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais à 0%) : 1 536 717,85 euros

- préjudices extra-patrimoniaux : 105 843,00 euros,

à titre subsidiaire

- appliquer le barème de capitalisation de la Gazette du palais 2020 à 0,3% ou, à défaut, le barème de capitalisation de la Gazette du palais 2018,

en conséquence

- condamner la société Axa au paiement des intérêts de retard au double du taux légal, du 11 juillet 2017 jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif, calculés sur le montant alloué au titre de l'indemnisation de ses préjudices, avant déduction de la créance de la CPAM et des provisions déjà versées, avec capitalisation annuelle des intérêts échus à partir de la première année,

- condamner la société Axa au paiement d'une somme de 4 000 euros en première instance et de 4 000 euros en appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à M. [N] ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Muller, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- rendre l'arrêt à intervenir commun à la CPAM,

- ordonner l'exécution provisoire.

La CPAM, à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier de justice en date du 18 mars 2021, délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

A l'audience et par message RPVA du 18 février 2022 la cour a invité les parties à formuler par note en délibéré par la voie du RPVA, dans le délai de 15 jours du présent message, leurs observations sur le moyen relevé d'office de l'application éventuelle du salaire médian en France pour les pertes de gains professionnels.

M. [N] a répondu par note en délibéré transmise par RPVA du 18 février 2022.

La société Axa n'a pas formulé d'observations.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le préjudice corporel

Par l'effet des appels principal et incident la cour n'est pas saisie de l'évaluation des postes du préjudice corporel de M. [N] relatifs aux dépenses de santé actuelles, frais divers, assistance temporaire par tierce personne, déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, déficit fonctionnel permanent, préjudice esthétique permanent et préjudice d'agrément.

La cour n'a donc pas à confirmer le jugement sur ces points.

L'expert le Docteur [K] a indiqué dans son rapport en date du 30 avril 2019 que M. [N] a présenté à la suite de l'accident du 15 novembre 2013 un traumatisme crânien avec des nausées et des céphalées avec vomissements et qu'il conserve comme séquelles des troubles cognitifs à type de troubles de l'attention, de la mémoire et de la concentration, une fatigabilité intellectuelle et une lenteur idéatoire ainsi que des troubles du comportement avec irritabilité très importante, une perte facile de l'autocontrôle et une symptomatologie dépressive.

Il a conclu notamment ainsi qu'il suit :

- déficit fonctionnel temporaire total du 18 novembre 2013 au 20 novembre 2013

- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 50 % du 15 novembre 2013 au 17 novembre 2013 et du 21 novembre 2013 au 1er janvier 2015 et au taux de 33 % du 2 janvier 2015 à la consolidation

- consolidation au 15 novembre 2016

- préjudice scolaire : l'accident a eu pour conséquence des troubles cognitifs qui ont gêné la reprise de l'activité scolaire ayant finalement amené M. [N] à abandonner son projet d'études universitaires ; l'arrêt des activités universitaires est directement en relation avec les troubles cognitifs notamment les troubles d'attention, la fatigabilité, la concentration, les troubles de mémoire

- déficit fonctionnel permanent de 22 %

- préjudice professionnel : M. [N] est apte à exercer une activité génératrice de gains en milieu ordinaire ; cependant l'activité professionnelle exercée actuellement ne correspond pas au niveau de celle à laquelle il aurait pu prétendre s'il avait pu mener à bien ses études ; il existe dans l'exercice d'une profession quelle qu'elle soit, des gênes liées à la fatigabilité et aux troubles cognitifs qui constituent des difficultés dans l'exercice des professions qu'il peut exercer et qui pourraient demander, dans certaines professions, une certaine adaptation des conditions de travail

- préjudice sexuel : la fonction sexuelle est préservée ; il est retenu cependant une gêne dans la constitution d'une relation affective et durable du fait de l'irritabilité.

Son rapport constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime née le [Date naissance 3] 1995, de sa situation d'étudiant en administration économique et sociale, de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Par ailleurs, l'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue ; et le barème de capitalisation utilisé sera celui publié par la Gazette du palais du 15 septembre 2020 taux d'intérêts 0 % dont l'application est sollicitée à titre principal par la victime et qui est le plus approprié en l'espèce.

- Sur le préjudice scolaire, universitaire ou de formation

Ce poste a pour objet de réparer la perte d'année(s) d'études scolaires, universitaires, de formation ou autre consécutive à la survenance du dommage subi par la victime. Il inclut non seulement le retard scolaire ou de formation subi, mais aussi une possible modification d'orientation, voire une renonciation à toute formation qui obère ainsi gravement l'intégration de cette victime dans le monde du travail.

Le tribunal a alloué une somme de 10 000 euros à M. [N] au titre de la perte de deux années de licence en administration économique et sociale.

La société Axa conclut à la confirmation du jugement en acceptant d'indemniser la perte de la première année de licence en 2013/1014, M. [N] n'ayant pas validé l'année et ayant été défaillant aux examens mais s'oppose à l'indemnisation d'une deuxième année de licence au motif que le relevé de notes de l'année 2014/2015 n'a pas été communiqué et que pour l'année 2015/2016 le relevé de notes fait apparaître que M. [N] qui était présent aux cours et aux examens est mentionné comme ajourné et non comme défaillant.

M. [N] soutient qu'après l'accident il a tenté de reprendre ses études mais n'a plus été en capacité de passer ses examens dans de bonnes conditions, que la seule formation qu'il a pu suivre est le Brevet d'aptitude aux Fonds d'animateur et accueils collectifs de mineurs ce qui lui a permis d'encadrer des jeunes dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée de surveillant d'élève, que l'expert a noté que l'arrêt des activités universitaires est directement en relation avec les troubles cognitifs consécutifs à l'accident et que le préjudice scolaire concerne non seulement l'année en cours lors de l'accident mais aussi l'année suivante et toutes les années d'études qu'il aurait voulu effectuer ; il sollicite une somme de 20 000 euros.

Sur ce, M. [N] justifie avoir obtenu le diplôme du baccalauréat général série économique et sociale le 26 août 2013 et s'être inscrit pour les années scolaires 2013/2014, 2014/2015 et 2015/2016 à l'université [11] en première année de licence administration économique et sociale ; l'expert a relevé que l'accident a eu pour conséquence des troubles cognitifs qui ont gêné la reprise de l'activité scolaire et que l'arrêt des activités universitaires est directement en relation avec les troubles cognitifs notamment les troubles d'attention, la fatigabilité, la concentration, les troubles de mémoire.

Il ne peut être reproché à M. [N] qui avait passé un baccalauréat le destinant à des études dans le domaine économique et social et qui s'était inscrit en première année de licence dans cette filière d'avoir tenté à plusieurs reprises d'obtenir un diplôme validant ; les relevés de notes des années 2013/2014 et 2015/2016 démontrent qu'il a été ajourné ou n'a pas validé les unités d'enseignement ; M. [N] est ainsi fondé à être indemnisé de la perte de deux années d'études universitaires, étant précisé que les parties s'accordent pour fixer la date de début de la perte de gains professionnels futurs au 1er janvier 2017, de sorte que la perte d'année de formation ne peut aller au-delà, et la somme de 20 000 euros sollicitée à ce titre est justifiée.

- Sur la perte de gains professionnels futurs

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

Le tribunal après avoir noté que la mère et les frère et soeur de la victime avaient fait des études supérieures, a estimé que l'accident avait fait perdre à M. [N] une chance, qu'il a estimée à 80 %, de poursuivre des études supérieures et de percevoir par la suite un salaire supérieur au SMIC.

Il a liquidé ce poste de dommage sur la base d'un salaire de 2 500 euros, correspondant à la moyenne nationale, pendant dix ans, perte sur laquelle il a imputé les salaires perçus en 2017 de 5 795 euros et en 2018 de 13 657 euros, cette dernière somme ayant été imputée par la suite sur chaque année, puis sur la base de 3 000 euros jusqu'à la fin de la carrière fixée à 65 ans à compter de l'année 2017.

La société Axa relève que M. [N] qui exerçait depuis 2017 un emploi de chauffeur livreur a été licencié pour motif économique ; elle critique le salaire de référence retenu par le premier juge au motif qu'il n'est pas justifié que les frère et soeur de la victime aient fait de longues études et qu'en toute hypothèse cela n'est pas significatif du cursus qu'aurait effectué M. [N] qui n'apporte aucun élément sur la réussite de sa scolarité.

Elle ajoute que l'obtention d'un diplôme universitaire n'est pas nécessairement gage de réussite professionnelle ; elle soutient enfin que le Docteur [R], neurologue, n'a fait état que de légers troubles de la mémoire épisodiques et que M. [N] a refusé de redoubler à nouveau sa première année pour s'orienter vers le milieu professionnel, alors qu'il aurait pu poursuivre ses études ou suivre un nouveau parcours universitaire.

La société Axa fait remarquer que selon la carrière qu'il avait choisie M. [N] aurait obtenu au mieux un salaire de 1 750 euros en début de carrière et de 2 000 euros en fin de carrière ; elle offre d'indemniser M. [N] sur la base du différentiel entre un salaire annuel de 21 000 euros à compter de l'année 2017 et le salaire perçu en 2018 de 13 657 euros.

La société Axa indique pour le préjudice de retraite, qu'elle place dans le poste d'incidence professionnelle, que dans la mesure où M. [N] a été licencié pour motif économique soit pour un motif indépendant de l'accident, où il est apte à exercer un emploi et où les périodes de chômage sont considérées comme des trimestres d'assurance, M. [N] ne justifie pas d'un préjudice de retraite.

Elle conclut à l'allocation d'une rente indexée plus protectrice des intérêts de la victime que l'allocation d'un capital.

La société Axa n'a pas répondu à la demande de la cour de note en délibéré.

M. [N] expose que depuis la rupture de son contrat de travail de chauffeur livreur auprès de la société CVV Transport en décembre 2019 il est sans emploi, qu'au moment de l'accident son objectif était de poursuivre une éducation universitaire afin d'être diplômé et d'exercer un emploi qualifié, comme sa mère qui travaille en qualité d'assistante de direction moyennant un salaire de 3 500 euros net et sa soeur [B] qui après des études à l'école ESC de [Localité 12] a perçu en début de carrière un salaire net de 2 000 euros.

Il demande à la cour de ne pas retenir de perte de chance et d'évaluer à la somme moyenne de 3 234 euros par mois le salaire qu'il aurait perçu sur l'ensemble de sa carrière et de lui allouer le différentiel entre ce salaire et le salaire effectivement perçu de 2017 à 2019, puis ensuite de capitaliser le différentiel entre le salaire espéré et le montant du SMIC de 14 400 euros par an, de façon viagère afin de tenir compte de l'incidence de sa perte sur le montant de sa retraite.

En réponse à la demande de la cour M. [N] a fait valoir par note en délibéré que le salaire médian ne peut être retenu dans la mesure où il pouvait prétendre à une meilleure rémunération que le salaire médian puisqu'il avait commencé des études supérieures et que sa détermination à poursuivre des études ressort des témoignages produits ; il ajoute que retenir le salaire médian est particulièrement défavorable pour une victime habitant en Ile de France.

Sur ce, ainsi que relevé précédemment M. [N] avait obtenu en 2013 le diplôme du baccalauréat général série économique et sociale le 26 août 2013 et s'était inscrit pour l'année scolaire 2013/2014 à l'université [11] en première année de licence administration économique et sociale.

Les quelques notes données avant l'accident démontrent qu'il était de niveau moyen et que sans l'accident il aurait ainsi obtenu sa licence.

Cet accident a entraîné de façon durable chez M. [N] des troubles cognitifs à type de troubles de l'attention, de la mémoire et de la concentration, une fatigabilité intellectuelle et une lenteur idéatoire ainsi que des troubles du comportement avec irritabilité très importante, une perte facile de l'autocontrôle et une symptomatologie dépressive, ensemble d'éléments qui ont empêché M. [N] de poursuivre ses études supérieures de licence et qui ne lui permettront jamais d'obtenir un emploi d'un niveau de rémunération équivalent à celui d'un emploi qualifié ; l'accident a ainsi généré de façon directe et certaine non une simple perte de chance mais une perte de gains, qu'il convient d'évaluer par voie d'estimation et de fixer sur la base du salaire mensuel moyen net en France soit 2 340 euros, et non sur la base du salaire médian, étant précisé que la perte de chance de promotion qui est sollicitée au titre de l'incidence professionnelle, sera examinée sous ce poste.

Il y a lieu de chiffrer la perte de gains ainsi qu'il suit :

- année 2017 à la liquidation :

2 340 euros x 12 mois x 5,36 ans = 150 508,80 euros

dont à déduire les salaires effectivement perçus soit

66 723 euros [5 795 euros en 2017 + 13 657 euros en 2018 + 13 287 en 2019 + 33 984 euros (14 400 euros x 2,36 ans) de 2020 à la liquidation]

solde : 83 785,80 euros

- à compter de la liquidation :

sur la base du différentiel entre un salaire annuel de 28 080 euros (2 340 euros x 12 mois) et le montant annuel du SMIC, soit 14 000 euros, M. [N] reconnaissant conserver cette capacité de gains, avec une capitalisation par un euro de rente viagère, afin de tenir compte de l'incidence péjorative sur le montant de la retraite, celui-ci étant fixé en fonction du salaire des 25 meilleures années pour un salarié et selon le barème susvisé pour une victime âgée de 27 ans à la liquidation soit 52,477

13 680 euros (28 080 euros - 14 400 euros) x 52,477 = 717 885,36 euros

- - total : 801 671,16 euros (83 785,80 euros + 717 885,36 euros).

M. [N] pouvant apprécier les moyens les plus appropriés à la conservation de ses intérêts et à la satisfaction de ses besoins, il convient, conformément à sa demande, de dire que cette indemnité sera versée sous forme de capital.

- Incidence professionnelle

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap il inclut la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail.

Le tribunal a alloué à M. [N] une indemnité de 100 000 euros destinée à compenser l'incidence sur la retraite et la fatigabilité accrue.

La société Axa considère que dans la mesure où M. [N] a été licencié pour motif économique soit pour un motif indépendant de l'accident, où il est apte à exercer un emploi et où les périodes de chômage sont considérées comme des trimestres d'assurance, M. [N] ne justifie pas d'un préjudice de retraite ; elle estime que la pénibilité accrue est justement indemnisée à hauteur de 50 000 euros.

M. [N] demande à la cour de lui allouer une indemnité de 100 000 euros au titre de la pénibilité accrue, de sa dévalorisation sur le marché du travail et de sa perte de chance de promotion professionnelle

Sur ce, M. [N] qui conserve des troubles de l'attention, de la mémoire et de la concentration doit être indemnisé de la pénibilité accrue qu'il va subir tout au long de sa vie professionnelle dans les emplois qu'il va occuper ; sa fatigabilité intellectuelle et ses troubles du comportement le placent dans une situation défavorable sur le marché du travail par rapport à un travailleur ne souffrant pas de tels troubles, y compris pour l'exercice d'emploi moins qualifié rémunéré au SMIC et de la perte de chance de promotion professionnelle qui n'a pas été prise en considération dans le calcul de la perte de gains professionnels futurs.

Eu égard à l'âge de M. [N] à la consolidation et à la nature et l'importance des séquelles de l'accident une indemnité de 60 000 euros doit lui être allouée.

- Sur le préjudice d'établissement

Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d'espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteinte la victime après sa consolidation. Il s'agit de la perte d'une chance de fonder une famille, d'élever des enfants et, plus généralement, des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui la contraignent à certains renoncements sur le plan familial. Ce préjudice recouvre en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

La société Axa soulève l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation faite au titre de ce poste de dommage sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile au motif qu'elle serait nouvelle en appel comme portant sur un préjudice distinct.

Sur le fond elle conclut au rejet de cette demande, le préjudice invoqué n'étant pas caractérisé.

M. [N] répond qu'il avait formé cette demande devant le tribunal dans le cadre d'un préjudice sexuel et que cette demande a le même fondement que les demandes initiales et poursuivent la même fin d'indemnisation.

M. [N] sollicite une indemnité de 10 000 euros compte tenu de son âge.

Sur ce, la demande de M. [N] d'indemnisation d'un préjudice d'établissement ne constitue pas une prétention nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, prohibée devant la cour car elle tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge à savoir obtenir l'indemnisation intégrale de l'ensemble des postes de dommage effectivement subis en relation de causalité avec l'accident, situation expressément autorisée par les articles 563 à 565 du code de procédure civile.

L'accident a généré chez M. [N] notamment des troubles du comportement avec irritabilité très importante, une perte facile de l'autocontrôle et une symptomatologie dépressive, ensemble d'éléments qui constitue un frein à la création de liens affectifs durables et à la constitution d'une famille ; eu égard à l'âge de M. [N] ce préjudice doit être indemnisé à hauteur de la somme de 10 000 euros demandée.

Sur la demande de doublement du taux de l'intérêt légal

La société Axa demande à la cour de dire cette demande irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile en contestant qu'il s'agisse d'une demande accessoire à la demande principale.

Sur le fond elle soutient avoir rempli ses obligations en ne contestant pas le droit à indemnisation de M. [N], en mettant en place une expertise amiable, en faisant une offre après le dépôt du rapport d'expertise amiable du Docteur [V] et en formulant une nouvelle offre d'indemnisation complète dès le 16 septembre 2019, le rapport d'expertise judiciaire ayant été déposé le 30 avril 2019.

M. [N] répond que cette demande est recevable pour constituer l'accessoire de sa demande principale.

Sur le fond il fait observer qu'à la suite du dépôt du rapport du Docteur [V] la société Axa disposait d'un délai expirant le 10 juillet 2017 pour transmettre une offre d'indemnisation mais qu'elle n'a formulé une offre que le 11 juillet 2017 et que celle-ci qui omettait les postes de préjudice les plus importants doit être considérée comme ayant été manifestement insuffisante.

Sur ce, il résulte de l'article 566 du code de procédure civile que les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, la demande de M. [N] d'application des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances présentée devant la cour constitue le complément nécessaire de la demande d'indemnisation de son préjudice corporel formée à titre principal devant le tribunal et est comme telle recevable au regard des dispositions précitées.

Sur le fond, en application de l'article L. 211-9 du code des assurances, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime, lorsque la responsabilité, n'est pas contestée, et le dommage entièrement quantifié, une offre d'indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d'indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n'est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié, l'assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.

Une offre d'indemnité comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans un délai maximal de huit mois à compter de l'accident. Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime et l'offre définitive d'indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.

A défaut d'offre dans les délais impartis, étant précisé que le délai applicable est celui qui est le plus favorable à la victime, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge, produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal, en vertu de l'article L.211-13 du même code, à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur.

La société Axa avait, en application des textes rappelés ci-dessus, la double obligation de présenter à M. [N] dont l'état n'était pas consolidé, une offre provisionnelle dans le délai de 8 mois de l'accident survenu le 15 novembre 2013, soit avant le 16 juillet 2014, et de lui faire ensuite, une offre définitive dans le délai de 5 mois suivant la date à laquelle elle a été informée de la consolidation de son état, soit avant le 11 juillet 2017, compte tenu du rapport d'expertise amiable du Docteur [V] du 10 février 2017, la société Axa n'invoquant pas ne pas en avoir eu connaissance à cette date.

M. [N] ne demande l'application du doublement du taux de l'intérêt légal qu'à compter du 11 juillet 2017.

La société Axa se prévaut d'une offre faite le 11 juillet 2017 ; or cette offre ne comporte aucune proposition pour le poste d'incidence professionnelle alors que l'expert avait caractérisé un tel préjudice.

Cette offre incomplète doit être assimilée à une absence d'offre.

L'offre faite le 16 septembre 2019 et celle contenue dans les conclusions du 21 février 2020 devant le premier juge doivent être considérées comme incomplètes pour ne pas contenir de proposition pour le poste de perte de gains professionnels futurs admis par l'expert et pour lequel M. [N] formait une demande d'indemnisation.

La société Axa ne justifie d'aucune offre complète devant la cour, faute de proposition dans ses dernières conclusions pour le préjudice d'établissement, qui était caractérisé par l'expert.

Il convient en conséquence de dire que les indemnités allouées par le jugement à titre définitif et par la présente cour avant imputation des créances des tiers payeurs et déduction des provisions versées produiront intérêts au double du taux légal à compter du 11 juillet 2017 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif.

Sur les demandes accessoires

Il n'y a pas lieu de déclarer l'arrêt opposable à la CPAM qui est en la cause.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

La société Axa qui succombe en son recours supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à M. [N] une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

L'arrêt n'étant pas susceptible d'un recours suspensif, la demande d'exécution provisoire est sans objet.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel

- Déclare recevables les demandes d'indemnisation d'un préjudice d'établissement et de doublement du taux de l'intérêt légal formées par M. [U] [M] [N],

- Infirme le jugement,

hormis sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Condamne la société Axa France IARD à payer à M. [U] [M] [N] les sommes suivantes provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire du jugement non déduites :

- 801 671,16 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

- 10 000 euros au titre du préjudice d'établissement,

- Condamne la société Axa France IARD à payer à M. [U] [M] [N] les intérêts au double du taux légal sur les indemnités allouées par le jugement à titre définitif et par la présente cour, avant imputation des créances des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 11 juillet 2017 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif,

- Condamne la société Axa France IARD à payer à M. [U] [M] [N] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour,

- Condamne la société Axa France IARD aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 20/12053
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;20.12053 ?
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