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09/05/2022 | FRANCE | N°20/08029

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 09 mai 2022, 20/08029


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 09 Mai 2022



(n° , 4 pages)



N°de répertoire général : N° RG 20/08029 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5WG



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière

lors des débats et à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :





Statuant sur la requête déposée le 15 mai 2020 par M. [D] [I] né le [Date naissance 1] 1989 à...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 09 Mai 2022

(n° , 4 pages)

N°de répertoire général : N° RG 20/08029 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5WG

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Nicole COCHET, Première présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière lors des débats et à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 15 mai 2020 par M. [D] [I] né le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 4], élisant domicile chez Me Zoë ROYAUX - [Adresse 2] ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 14 mars 2022 ;

Entendus Me Laurent SIMERAY substituant Me Zoé ROYAUX représentant M. [D] [I], Me Emeline HEREL substituant Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitut Général, les débats ayant eu lieu en audience publique ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [D] [I], mis en examen du chef d'homicide volontaire avec préméditation, a été placé en détention à la maison d'arrêt de [Localité 3] dans le cadre d'un mandat de dépôt à durée déterminée du 30 juin 2014 au 3 juillet 2014, puis placé sous assignation à résidence avec surveillance électronique du 4 juillet 2014 au 20 avril 2015 ; à la suite de la révocation de son contrôle judiciaire du fait de l'impossibilité de le maintenir dans le foyer qui l'hébergeait, il a fait l'objet d'un placement en détention provisoire, ce du 20 avril 2015 au 28 octobre 2016.

Libéré sous contrôle judiciaire le 29 octobre 2016, il a bénéficié d'un arrêt de non lieu rendu le 19 novembre 2019 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en infirmation de l'ordonnance de mise en accusation prise par le juge d'instruction saisi du dossier.

Par requête enregistrée au greffe le 15 mai 2020, il a saisi le premier président de la cour d'appel de Paris d'une requête aux fins d'être indemnisé des préjudices résultant de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Dans sa requête qu'il développe oralement à l'audience, M. [I] sollicite à titre d'indemnisation les sommes de

- 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

- 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses explications orales à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat, reprenant ses écritures visées par le greffe le 21 février 2022, admet le principe de l'indemnisation dont il demande que le montant soit limité à la somme 27 000 euros au titre de l'incarcération en maison d'arrêt, majorée de 9000 euros pour le préjudice résultant de la période de placement sous surveillance électronique.

Le procureur général reprenant oralement à l'audience les termes de son avis visé par le greffe le 8 février 2022 , conclut à une durée de détention indemnisable de 13 mois et 18 jours en milieu carcéral et 9 mois et 17 jours au titre de l'assignation à résidence, cela après déduction de la période du 27 novembre 2015 au 31 mars 2016 pendant laquelle a été mise à exécution à son encontre un peine de six mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel de Vesoul le 20 octobre 2015. Il rappelle en outre que le préjudice généré par un placement sous Arse est nécessairement moindre que celui qui résulte d'une période de détention compte tenu des périodes de libre circulation qu'il autorise pendant la journée.

SUR CE

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel ; cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code.

M. [I] a déposé sa requête aux fins d'indemnisation le 15 mai 2020, soit dans le délai de six mois de la décision de non lieu du 19 novembre 2019, qui est définitive. Aucun des cas d'exclusion visés par l'article 149 du code de procédure pénale n'étant concerné, cette requête est donc recevable.

Sur la durée de la détention indemnisable

M. [I] a été détenu à la prison de [Localité 3], dans le cadre d'une procédure terminée par un non lieu, et donc de manière injustifiée, d'abord pendant trois jours du 30 juin au 3 juillet 2014, puis à compter du 30 avril 2015, après la révocation d'un placement sous Arse qui a duré 9 mois et 17 jours. S'il a été remis en liberté le 28 octobre 2016, la période de détention comprise entre ces deux dates n'est pas indemnisable en totalité, devant en être déduits les jours correspondant à une autre cause de détention, à savoir la mise à exécution d'une peine de 6 mois d'emprisonnement prononcée à son encontre le 20 octobre 2015, soit, selon sa fiche pénale, la période du 27 novembre 2015 au 31 mars 2016.

La détention en maison d'arrêt de M. [I] est donc indemnisable, dans le cadre de la présente demande, pour les trois jours de début juillet 2014, puis du 30 avril 2015 au 27 novembre 2015, puis du 1er avril au 28 octobre 2016, soit pour une durée totale de 13 mois et 18 jours, l'étant également, à hauteur de ce qui sera ci après précisé, les 9 mois et 17 jours de placement sous Arse.

Sur l'indemnisation'

M. [I], âgé de 24 ans au moment de son incarcération, a subi un choc carcéral dont on ne peut considérer qu'il ait été significativement atténué par son premier contact avec le milieu carcéral en décembre 2013 compte tenu de l'extrême brieveté de celui-ci.

Son placement initial sous Arse a rendu difficile le maintien des contacts avec son enfant, âgé de un an , avec lequel il avait un lien certes ténu compte tenu de sa séparation d'avec la mère, mais cependant réel puisqu'un droit de visite en point de rencontre avait été mis en place, contacts qui sont devenus impossibles avec son placement en détention.

Par ailleurs, il faut également tenir compte de ce que même géographiquement séparé de sa famille, résidant en Tunisie, il entretenait avec celle-ci des liens dont le maintien était possible avec le placement sous Arse, mais ne l'a plus été avec sa détention sinon de manière très ténue, M. [I] ne tenant pas à faire connaître sa situation à ses proches.

Enfin, il ne peut être ignoré que détenu à [Localité 3], M. [I] a dû s'accommoder des conditions de vie notoirement difficiles au sein de cet établissement, en lien avec une surpopulation majeure dont on ne peut sérieusement prétendre que l'impact dommageable sur chaque détenu nécessiterait une démonstration particulière à défaut de laquelle elle pourrait être ignorée, compte tenu de ses conséquences en termes d'hygiène, de salubrité, d'intimité personnelle et de possibilité d'exercer des activités.

Les séquelles négatives sur son état psychologique que le requérant invoque ne seront en revanche pas prises en considération en tant que facteur d'aggravation du préjudice, faute de preuve des troubles allégués et de leur relation causale avec la détention subie.

De même, si les lenteurs et éventuels errements de l'instruction dont se plaint M. [I] ont pu lui causer préjudice, celui-ci résulte de la procédure et non de la détention, or c'est exclusivement le préjudice né de la détention que la procédure prévue par les articles 149 et suivants du code de procédure pénale a vocation à réparer.

Il en est de même du fait que M. [I] ait perdu une chance de pouvoir rester en France faute d'avoir pu effectuer les démarches nécessaires pour régulariser sa situation, ce qui a conduit à son expulsion du territoire français, alors qu'il résulte de ses propres indications que les vaines demandes de restitution de son passeport par son avocat ont été formulées en novembre 2017, puis juillet 2018, soit très largement après sa remise en liberté, en sorte que la situation qu'il déplore est sans lien avec la détention.

Eu égard à ces diverses considérations, le préjudice moral de M. [I] sera évalué à la somme de 30 000 euros au titre de sa détention à [Localité 3], à majorer de 8500 euros pour réparer le préjudice moindre mais cependant réel, résultant de la limitation de la liberté d'aller et de venir consécutive à son placement sous Arse pendant 9 mois et 17 jours.

L'équité justifie que lui soit allouée une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

Déclarons recevable la requête de M. [D] [I].

Lui allouons la somme totale de 38500 euros en réparation de son préjudice moral

Lui allouons la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons le surplus de ses demandes,

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 9 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/08029
Date de la décision : 09/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-09;20.08029 ?
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