REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 12
SOINS PSYCHIATRIQUES SANS CONSENTEMENT
ORDONNANCE DU 29 AVRIL 2022
(n° 173 , 6 pages)
N° du répertoire général : N° RG 22/00176 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTWZ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Avril 2022 -Tribunal Judiciaire de BOBIGNY (Juge des Libertés et de la Détention) - RG n° 22/02363
L'audience a été prise au siège de la juridiction, en audience publique, le 28 Avril 2022
Décision réputé contradictoire
COMPOSITION
Anne-Laure MEANO, présidente de chambre à la cour d'appel, agissant sur délégation du Premier Président de la cour d'appel de Paris,
assistée de Nolwenn CADIOU, greffier lors des débats et de la mise à disposition de la décision
APPELANTE ET TIERS
Madame [W] [U]
demeurant 112 avenue du président Salvador Allende - 93100 MONTREUIL
Comparante en personne
APPELANT ET INTIMÉ
1°/ M. [Y] [U] (Personne faisant l'objet des soins)
né le 28/09/1991 à BAMAKO(MALI)
demeurant 112 avenue de président Salvador Allende - 93100 MONTREUIL SOUS BOIS
Actuellement hospitalisé à l'EPS Ville Evrad
comparant en personne et assisté de Me Marie-Laure MANCIPOZ, avocat commis d'office au barreau de Paris
INTIMÉ
2°/ M. LE DIRECTEUR DE L'EPS VILLE EVRARD
demeurant 202 avenue Jean Jaurès - 93332 NEUILLY-SUR-MARNE
non comparant, non représenté,
MINISTÈRE PUBLIC
Représenté par Mme Anne BOUCHET-GENTON , avocate générale,
DÉCISION
Par décision du 4 avril 2022, le directeur de l'EPS de Ville-Evrard a prononcé, sur le fondement des dispositions de l'article L.3212-1 II 1°, l'admission en soins psychiatriques de M. [Y] [U] à la demande d'un tiers, en l'espèce Mme [W] [U], sa soeur.
Depuis cette date, le patient est pris en charge sous la forme d'une hospitalisation complète.
Par requête du 8 avril 2022, le directeur de l'établissement a régulièrement saisi le juge des libertés et de la détention de Créteil aux fins de poursuite de la mesure.
Par ordonnance du 14 avril 2022, notifiée le 15 avril 2022 à M. [Y] [U], le juge des libertés et de la détention de Bobigny a ordonné le maintien en hospitalisation complète de celui-ci.
Par déclaration motivée reçue le 22 avril 2022, Mme [W] [U] a interjeté appel de la dite ordonnance.
Par ailleurs, par déclaration d'appel motivée reçue le 25 avril 2022, M. [Y] [U] a interjeté également appel de cette ordonnance
Les parties ainsi que le directeur de l'établissement ont été convoqués à l'audience du 28 avril 2022.
L'audience s'est tenue au siège de la juridiction, en audience publique, M. [Y] [U] ne s'y opposant pas.
Mme [W] [U], appelante, régulièrement convoquée, a comparu et a été entendue en, ses observations.
M. [Y] [U] a été entendu et assisté par son conseil.
Au début de l'audience, les parties ont été invitées à se prononcer sur la recevabilité de l'appel de Mme [W] [U] en tant que tiers à la procédure.
L'appelante n'a pas fait d'observations particulières à ce sujet mais se joint à la demande de mainlevée formée par M. [Y] [U], son frère.
Le conseil de M. [Y] [U] a développé oralement ses écritures, en précisant toutefois se désister de ses deux premiers moyens relatifs à la question de la recevabilité de cet appel (qui est de fait recevable) et à l'irrégularité résultant de l'absence de notification de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, puisque cette notification est établie.
Il convient de se référer aux notes d'audiences et à ces écritures pour plus amples précisions.
M. [Y] [U] exprime son souhait de poursuivre ses soins sans contrainte et de retourner vivre près de ses proches.
Mme l'avocate générale a indiqué :
-sur l'appel de Mme [U], qu'il convenait de le déclarer irrecevable ;
-sur l'appel de M. [U], en substance, que les irrégularités alléguées ne sont pas constituées et qu'en tout état de cause il n'en est résulté aucune atteinte aux droits de l'intéressé, les certificats médicaux concordant à retenir la nécessité de la poursuite de l'hospitalisation complète.
Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance querellée.
M. [Y] [U] a eu la parole en dernier.
MOTIFS
Aux termes de l'article L.3212-1 du code de la santé publique,
I.-Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;
2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l'article L. 3211-2-1.
II.-Le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission :
1° Soit lorsqu'il a été saisi d'une demande présentée par un membre de la famille du malade ou par une personne justifiant de l'existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants exerçant dans l'établissement prenant en charge la personne malade. Lorsqu'elle remplit les conditions prévues au présent alinéa, la personne chargée, à l'égard d'un majeur protégé, d'une mesure de protection juridique à la personne peut faire une demande de soins pour celui-ci.
Il résulte de l'article L 3211-12-1 du même code que l'hospitalisation complète d'un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le directeur de l'établissement, n'ait statué sur cette mesure avant l'expiration d'un délai de douze jours à compter de la décision par laquelle le directeur de l'établissement a prononcé son admission ou modifié la forme de la prise en charge du patient en procédant à son hospitalisation complète et que cette saisine est accompagnée d'un avis motivé rendu par le psychiatre de l'établissement.
En cas d'appel, le premier président ou son délégataire statue dans les douze jours de sa saisine.
Sur la recevabilité de l'appel formé par Mme [W] [U]
En l'espèce, pour mémoire, il résulte des pièces du dossier que M. [Y] [U] a été admis en soins psychiatriques sans consentement sous forme d'hospitalisation complète à la demande de Mme [W] [U], dans le contexte d'une crise d'agitation à son domicile avec des propos suicidaires, accompagné d'un délire mystique ; que le juge de la liberté et de la détention a été saisi en vue d'une prolongation de la mesure par le directeur de l'établissement, conformément à l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, et a fait droit à cette demande, l'hospitalisation complète restant nécessaire pour s'assurer de la poursuite indispensable des soins, M. [Y] [U] présentant toujours des troubles mentaux rendant impossible son consentement et son état mental imposant des soins assortis d'une surveillance médicale constante.
Il résulte des articles L. 3211-12 et R. 3211-13 du code de la santé publique, que le tiers qui a formulé la demande de soins psychiatriques consentement peut saisir le juge des libertés et de la détention aux fins d'obtenir la mainlevée de cette mesure ; que, lorsque la saisine du juge n'émane pas de ce tiers, celui-ci est avisé de l'audience de première instance ou d'appel, peut faire parvenir ses observations par écrit et demander à être entendu, mais qu'il n'a pas la qualité de partie ; il n'a la qualité de partie que s'il forme une demande de mainlevée des soins sur le fondement de l'article L. 3211-12 du code de la santé publique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
L'appel formé par Mme [W] [U] doit donc être déclaré irrecevable.
Sur l'appel formé par M. [Y] [U]
Sur la régularité de la procédure
Au préalable il convient de rappeler que selon l'article L. 3216-1, alinéa 2 du code précité, l'irrégularité affectant la décision administrative, à la supposer établie, n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet.
- sur le caractère 'rétroactif' de la décision d'admission en hospitalisation sans consentement
La décision d'admission doit en principe précéder l'admission elle-même à l'exclusion de tout effet rétroactif ; toutefois un délai est susceptible de s'écouler entre l'admission et la décision du préfet ou du directeur d'établissement, celle-ci pouvant être retardée le temps strictement nécessaire à l'élaboration de l'acte, qui ne saurait excéder quelques heures ; au-delà de ce bref délai, la décision est irrégulière (Avis de la Cour de cassation, 11 juillet 2016, n° 16-70.006, Bull. 2017. I, n°854).
En l'espèce, il résulte des pièces du dossier que M. [Y] [U] a été hospitalisé le 4 avril 2022, vers 1h37 du matin (heure du 'premier certificat médical' du docteur [T]), qu'il a été informé par le docteur [D] de la décision d'admission en urgence, de la poursuite de ses soins et de la situation juridique à l'occasion de l'examen médical du 4 avril.
La décision d'admission du patient à la demande d'un tiers a été prise par le directeur de l'établissement le 5 avril 2022, ce dont l'intéressé a été informé le 5 avril 2022 (notification signée).
Il n'est ainsi pas démontré que la prise de décision d'admission par le directeur de l'établissement hospitalier a dépassé quelques heures à compter de l'admission elle-même, et il ne résulte de ces éléments aucune irrégularité ; au demeurant aucune atteinte au droit de l'intéressé n'est démontrée ni même alléguée.
-Sur la motivation de la décision administrative d'admission
L'obligation de motivation résulte notamment de l'article R. 3211-12 du code de la santé publique, qui prévoit que figure, parmi les pièces à communiquer au juge des libertés et de la détention "une copie de la décision d'admission motivée" ; la motivation sur les troubles mentaux nécessitant des soins peut consister à se référer au certificat médical circonstancié à la condition de s'en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision (1re Civ., 10 février 2021, pourvoi n° 19-25.224, publié).
En l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu, la décision du 5 avril 2022 est suffisamment motivée, se référant, d'une part, aux deux certificats médicaux du 4 avril 2022 établis par les docteurs [T] et [D] et, d'autre part, explicitement, à la nature des troubles mentaux du patient 'à type bizarreries-inadaptation' et nécessitant des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète rendant nécessaire son admission en soins psychiatriques.
Quant à la décision de poursuite des soins du 7 avril 2022, elle s'approprie manifestement le contenu des certificats médicaux des 5 et 7 avril 2022 établis par les docteurs [S] et [N].
Ces certificats médicaux ont bien 'accompagné 'la décision litigieuse qui s'y réfère , comme le prévoit l'alinéa 7 de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique applicable en l'espèce (et non l'article L. 3213-1 cité par les conclusions de l'appelant, qui n'est pas applicable).
Aucune irrégularité pour motivation insuffisante ne résulte donc de ces éléments.
En tout état de cause, aucune atteinte aux droits de M. [U] n'est établie, les médecins ayant conclu à la nécessité de la mesure d'hospitalisation complète et l'intéressé ayant pu faire valoir ses droits, ayant eu connaissance de la décision litigieuse et des nécessités de soins dont il a fait l'objet.
- Sur l'absence de remise à l'intéressé de la copie des décisions des 5 et 7 avril 2022
Aucune disposition du code de la santé publique n'est invoquée à l'appui de ce moyen et qui serait de nature à fonder l'irrégularité invoquée.
Il résulte de l'article L3211-3 du code de la santé publique, qui n'est d'ailleurs pas invoqué à l'appui de l'irrégularité, que le patient doit être informé le plus rapidement possible et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission et de la décision maintenant les soins, ainsi que des raisons qui motivent ces décisions, et dès l'admission ou aussitôt que son état le permet, et, par la suite après chacune des décisions maintenant les soins s'il en fait la demande, de sa situation juridique, de ses droits et des voies de recours qui lui sont ouvertes.
L'absence de notification telle que prévue par ces dispositions n'est en réalité en tant que telle ni alléguée, ni démontrée en l'espèce ; ainsi qu'il a été déjà dit, M. [U] a signé la notification de la décision d'admission en soins du 5 avril 2022 ainsi que la notification de la décision de maintien en soins du 7 avril 2022, l'information concernant ses droits et voies de recours ayant été donnée.
En tout état de cause, aucune atteinte aux droits de M. [U] n'est établie.
Par conséquent aucune irrégularité n'est en l'espèce démontrée et il n'y a pas lieu de prononcer pour ce motif la mainlevée de la mesure d'hospitalisation ou l'annulation de la procédure.
Sur le fond et le bien-fondé de la mesure d'hospitalisation sans consentement ainsi que son caractère proportionné
Il convient de rappeler que le juge n'a pas à substituer son avis à l'évaluation faite par les médecins s'agissant des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins (1re Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-22.544, Bull. 2017, I, n° 206) ; il contrôle que les conditions de fond des mesures de soins, propres à chaque mesure sont remplies au moment où il statue, compte tenu des éléments médicaux dont il dispose.
Il résulte des certificats médicaux du dossier ainsi que, plus particulièrement, du certificat médical de situation du 25 avril 2022 que M. [Y] [U] a été hospitalisé dans le contexte d'une décompensation psychotique compliquée d'une anxiété massive et d'une crise suicidaire ; qu'en hospitalisation, il présente encore des idées délirantes à thématique messianique, disant qu'il souhaite créer un nouvel ordre ; que son discours et le cours de sa pensée sont encore désorganisés ; que la reconnaissance de son trouble reste partielle voire superficielle, qu'il présente un repli sur soi, avec des mises en danger sociale, familiale, professionnelle et financière marquées, que la poursuite de l'apaisement des idées délirantes et de la reconnaissance des troubles est nécessaire.
Il est conclu de façon concordante que la poursuite des soins sans consentement en hospitalisation complète est indispensable.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments et de ceux recueillis lors de l'audience que si M. [Y] [U] évolue de manière positive dans son adhésion aux soins, dans sa prise de conscience de ses troubles et qu'il se montre plus apaisé, ses troubles persistent néanmoins et nécessitent toujours une surveillance médicale constante, l'intéressé se trouvant dans l'impossibilité de consentir aux soins de façon suffisamment constante et stabilisée en l'état.
Ces éléments sont suffisamment précis pour justifier les restrictions à l'exercice des libertés individuelles de M. [U], qui demeurent adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis, comme l'exige l'alinéa 1 de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique, l'intéressé ne présentant pas une capacité encore suffisamment constante à consentir avec aux soins en raison des troubles décrits.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète de M. [Y] [U].
PAR CES MOTIFS
Nous, délégué du premier président de la cour d'appel, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique,,
DÉCLARONS irrecevable l'appel formé par Mme [W] [U],
CONFIRMONS l'ordonnance entreprise,
REJETONS toute autre demande,
LAISSONS les dépens à la charge de l'État.
Ordonnance rendue le 29 AVRIL 2022 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGATAIRE
Une copie certifiée conforme notifiée le par fax à :
' patient à l'hôpital
ou/et ' par LRAR à son domicile
' avocat du patient
' directeur de l'hôpital
' tiers par LRAR
' préfet de police
' avocat du préfet
' tuteur / curateur par LRAR
' Parquet près la cour d'appel de Paris