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19/04/2022 | FRANCE | N°19/06917

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 19 avril 2022, 19/06917


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRÊT DU 19 AVRIL 2022



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06917 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7T67



Décision déférée à la Cour : Jugement du 6 mars 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/07447



APPELANTE



Madame [Z] [T]

Née le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 11]
r>[Adresse 9]

[Localité 7]



Représentée par Me Françoise HERMET LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque: C0716

Assistée de Me Sophie LIMOUZINEAU, avocat au barreau de PARI...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 19 AVRIL 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06917 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7T67

Décision déférée à la Cour : Jugement du 6 mars 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/07447

APPELANTE

Madame [Z] [T]

Née le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 11]

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représentée par Me Françoise HERMET LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque: C0716

Assistée de Me Sophie LIMOUZINEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C0864

INTIMÉS

Maître [A] [F]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Maître [X] [J]

[Adresse 5]

[Localité 8]

MUTUELLES DU MANS ASSURANCES - MMA

[Adresse 1]

[Localité 6]

Toutes trois représentées et assistées de Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0848

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Le 24 septembre 1982, [G] [C] divorcée [T] a acquis un appartement sis à [Localité 10] (92), selon acte authentique établi par M. [A] [F], notaire.

En 1983, elle a fait réaliser des travaux de couverture d'une terrasse, partie commune, pour l'intégrer à son appartement.

Le 17 juin 1993, par acte reçu par M. [F], [G] [C] a fait une donation-partage à ses deux filles, attribuant, notamment à Mme [Z] [T], 375/1500èmes de l'appartement de [Localité 10].

[G] [C] est décédée le [Date décès 2] 2008, appelant à sa succession ses deux filles [Z] et [H] [T] et M. [F], chargé du règlement de la succession, a établi l'acte de partage le 27 février 2009.

Mme [Z] [T] s'est heurtée à des difficultés pour vendre son appartement lorsqu'il est apparu que la terrasse était une partie commune de la copropriété de l'immeuble.

Elle a racheté, le 30 août 2013 aux copropriétaires de l'immeuble, la partie commune correspondant à la terrasse couverte pour un prix de 20 000 euros fixé par assemblée générale du 14 novembre 2012.

Le 27 novembre 2013, elle a vendu l'appartement pour un montant de 390 000 euros.

Par acte du 14 novembre 2017, Mme [Z] [T] a fait assigner M. [A] [F] et M. [X] [J] son successeur ainsi que la société Mutuelles du Mans Assurances devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'engager leur responsabilité civile professionnelle.

Par jugement du 6 mars 2019, le tribunal de grande instance de Paris a':

- déclaré l'action de Mme [T] irrecevable,

- condamné Mme [T] aux dépens,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution par provision du présent jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 28 mars 2019, Mme [T] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 26 juin 2019, Mme [T] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- rejeter l'exception de prescription,

- condamner solidairement M. [F] et M. [J] à lui payer la somme de 191 946,45 euros en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal depuis l'assignation introductive d'instance,

- les condamner en outre à lui payer la somme de 16 776,80 euros de droits de succession sur la base de la valeur excessive du bien déclaré, tenant compte de 20 m² de parties communes qui ne pouvaient être transmises à l'héritier au jour du décès,

- condamner les mutuelles du Mans Assurances à garantir M. [F] et M. [J] de l'intégralité des condamnations, y compris en ce qui concerne les intérêts de retard,

- condamner M. [F], M. [J] et les mutuelles du Mans solidairement à lui payer la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 16 juillet 2019, M.[F], M. [J] et la société d'assurances mutuelles MMA Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :

- les juger recevables et bien fondés en leurs conclusions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action de Mme [T] irrecevable, comme étant prescrite, au visa de l'article 2224 du code civil,

en cas de réformation sur ce point,

- débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes dirigées à leur encontre,

- condamner Mme [T] à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [T] aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de Me Valérie Toutain de Hauteclocque, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Le tribunal a considéré que le délai de prescription a commencé à courir avant le 14 novembre 2012, date à laquelle l'assemblée générale a autorisé Mme [T] à procéder à l'achat de la terrasse, la prescription étant alors acquise lors de l'acte introductif d'instance du 14 novembre 2017, aux motifs que :

- elle a nécessairement eu connaissance de la proposition de l'assemblée générale de régulariser l'annexion de partie commune avant le jour de l'assemblée le 14 novembre 2012,

- malgré une sommation de communiquer, Mme [T] n'a pas produit la lettre de convocation à l'assemblée générale qui devait mentionner la régularisation et qui est nécessairement intervenue antérieurement,

- quand bien même la prescription aurait commencé à courir le 14 novembre 2012, le délai pour agir expirait le 13 novembre 2017 à minuit, le délai quinquennal de prescription n'étant pas soumis aux règles de computation énoncées aux articles 641 et 642 du code de procédure civile ainsi qu'a pu le juger la Cour de cassation (Civ. 1ère, 12 décembre 2018, n°17-25.697).

Les intimés soutiennent l'irrecevabilité de l'action au motif que Mme [T] a eu connaissance de la nécessité de régulariser le statut juridique de la construction effectuée sur la terrasse et lui permettant d'exercer une action en responsabilité à trois reprises :

- en premier lieu, l'estimation immobilière effectuée par M. [I] le 17 juillet 2008 et adressée directement à l'indivision [T], était tout à fait claire sur la nécessité d'effectuer une régularisation pour les m² construits sur la terrasse,

- en deuxième lieu, le projet de partage a été adressé à Mme [T] le 18 février 2009, soit 10 jours avant la signature de la vente (sic), ce qui lui permettait d'émettre toute contestation si elle le souhaitait, puisqu'à cette date, elle était informée que le procès-verbal d'assemblée générale de 1983 ne pouvait être produit,

- en troisième lieu, lorsque Mme [T] a cherché à revendre le lot n°91 en novembre 2010, le notaire de l'acquéreur a demandé expressément la production du procès-verbal de l'assemblée générale de 1983, rappelant, par la même, une difficulté quant à la situation juridique de la pièce construite sur la terrasse.

Ils ajoutent que Mme [T] a fait établir un projet de modificatif au règlement de copropriété qu'elle a soumis à l'assemblée générale qui s'est tenue le 14 novembre 2012, que la connaissance du fait préjudiciable était acquise lors de l'envoi de la convocation au minimum 21 jours avant la tenue de l'assemblée générale.

Mme [T] fait valoir que':

- le tribunal a considéré que la prescription commençait à courir à compte d'une date indéterminée, antérieure au 14 novembre 2012, date de la convocation à une assemblée générale qu'elle n'a pas conservée, alors que la prescription se comptant par jour doit préciser très clairement à compter de quel jour celle-ci serait acquise,

- surtout, Mme [T] n'a pu constater la portée de son préjudice que du jour où les conditions de l'achat de la terrasse sont devenues définitives, soit à minima deux mois après la notification de la délibération du 14 novembre 2012 selon l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 et même lorsque la cession s'est réalisée le 2 septembre 2013,

- en effet, en vertu de la 11ème résolution du procès-verbal d'assemblée générale du 14 novembre 2012, la majorité des copropriétaires représentant plus des 2/3 des tantièmes a été obtenue à 4 tantièmes près et ainsi, avant la date de la délibération, rien ne lui permettait d'avoir la certitude qu'une telle majorité accepterait de lui céder la partie commune,

- rien ne lui permettait d'avoir l'assurance, ni lors de la convocation, ni de lors de l'assemblée, qu'elle pourrait effectivement réaliser cette acquisition,

- le tribunal, en faisant application d'une jurisprudence du 12 décembre 2018 non évoquée entre les parties, n'a pas respecté le principe du contradictoire,

- le préjudice déterminant son action n'était qu'éventuel et indéterminé tant que l'assemblée générale n'avait pas fixé les conditions dans lesquelles la terrasse pouvait ou non être vendue et à quel prix,

- subsidiairement, en vertu de l'article 2229 du code civil, le jour pendant lequel se produit l'événement ne compte pas dans le délai et la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli, soit, en l'espèce, le 14 novembre 2017 à minuit, contrairement à la décision rendue.

La cour relève à titre préliminaire que Mme [T] ne tire aucune conséquence juridique du non respect du principe de la contradiction allégué.

L'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En application de cet article, l'action en responsabilité des notaires court à compter du jour où le dommage s'est matérialisé.

Mme [T] a acquis en 1982, selon l'acte authentique dressé par M. [F], le lot n°91

' se composant de la propriété exclusive et particulière de : un appartement au 8 ème étage porte gauche du bâtiment D comprenant studio, cuisine, couloir, cabinet de toilette, WC, terrasse, balcon et une cave n°58, et la copropriété de 10/1000èmes des parties communes de l'ensemble immobilier'.

Or, le règlement de copropriété du 18 juillet 1946 désigne le lot n°91 situé au 8ème et dernier étage comme comprenant exclusivement 'une entrée, une pièce alcôve et cave n°58" et mentionne dans les parties communes ' la charpente et la toiture, y compris les parties de terrasses données aux locataires des derniers étages à titre de jouissance.'

L'acte de partage du 27 février 2009 également établi par M. [F] reprend la description du titre initial de propriété contraire à l'état descriptif du règlement de copropriété.

Dans le cadre du règlement de la succession de la mère de l'appelante, M. [I] chargé d'évaluer l'immeuble a relevé que la configuration actuelle de l'appartement ne correspondait pas au titre de propriété s'agissant de la terrasse fermée pour devenir une pièce et indiqué :

'Malgré nos demandes et nos recherches, nous n'avons pas de trace de l'autorisation de la copropriété et/ou d'un changement de tantièmes concernant une construction sur la terrasse.

L'estimation qui va suivre ne peut être validée que si tous les problèmes juridiques sont levés, tant au niveau de la copropriété que de l'urbanisme. Nous vous conseillons une régularisation si toutefois cela n'a pas été fait'.

Dans sa lettre à la chambre des notaires de Paris du 23 juillet 2014, Mme [T] indique que la copropriété lui a enjoint par lettre du 27 décembre 2010 soit de racheter la surface considérée soit de démolir la construction.

Lors de l'assemblée générale du 16 novembre 2011, les copropriétaires ont accepté le principe d'une privatisation de la terrasse ainsi qu'il ressort du projet de modificatif du descriptif de copropriété et plans que Mme [T] a fait rédiger.

La convocation adressée aux copropriétaires pour l'assemblée générale du 14 novembre 2012 prévoyait une résolution sur la cession de la terrasse pour un prix de 20 000 euros et en cas de refus par la majorité qualifiée des copropriétaires d'autoriser le syndic à agir en suppression de la terrasse.

Selon l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 applicable au litige, ' les actions qui ont pour objet de contester les décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants, dans un délai de deux mois à compter de la notification desdites décisions qui leur est faite à la diligence du syndic, dans un délai de deux mois à compter de la tenue de l'assemblée générale'.

La cession a été acceptée par 670/1000 voix soit à trois voix près, la majorité requise étant des 2/3.

Le dommage ne s'est manifesté qu'au jour où la délibération de l'assemblée générale des copropriétaires qui a décidé de la vente des parties communes au prix de 20 000 euros est devenue définitive, lequel est fixé au jour de l'attestation de non recours établi par le syndic de copropriété le 28 janvier 2013, à défaut de connaissance de la date exacte de la notification de la décision de l'assemblée générale.

Dès lors, l'action de Mme [T] intentée le 14 novembre 2017 est recevable car non prescrite et le jugement est infirmé en ce sens.

Sur la faute

Mme [T] estime que les notaires ont commis des fautes lors du partage en ce que':

- le notaire, tenu de veiller à l'efficacité de ses actes, est responsable des erreurs qu'il commet sur la consistance et la désignation juridique du bien vendu ou objet du partage,

- il est également tenu d'une obligation de conseil s'il n'attire pas l'attention des parties sur les conséquences d'une éventuelle divergence entre la description du lot dans le règlement de copropriété et le lot existant dévolu ou acquis,

- M. [F] dans l'acte de partage de 2009, a repris à tort une désignation du lot n°91 ne correspondant pas à la désignation juridique du lot, telle que prévue par le règlement de copropriété, cette désignation étant déjà fausse dans le titre de propriété de [G] [C] divorcée [T] dont il était aussi le rédacteur et qu'il a reprise dans la donation-partage,

- il ne pouvait ignorer au vu du règlement de copropriété, qu'aucune dévolution de la terrasse ne pouvait être faite dans le cadre du partage, à titre de partie privative,

- il lui a cependant indiqué que l'appropriation de la terrasse n'était qu'une formalité qui pouvait être couverte dès lors qu'une autorisation de travaux avait été donnée en 1983 par l'assemblée générale des copropriétaires et qu'un permis de construire avait été obtenu,

- il n'a pas attiré l'attention de Mme [T] sur les conséquences d'une éventuelle divergence entre la description du lot au règlement de copropriété et le lot existant dévolu ou acquis et ne l'a pas informée que la régularisation passait nécessairement par une acquisition complémentaire d'une terrasse qu'elle pensait s'être vue transmettre au moment du partage, laquelle dépendait de la bonne volonté du syndicat des copropriétaires,

- elle n'était pas en mesure d'apprécier les réserves de l'expert mentionnées dans son estimation, lequel soulevait une difficulté relative à l'autorisation de construction plutôt qu'à la propriété de la terrasse,

- M. [F] a délibérément occulté la difficulté, ne pouvant modifier la désignation du lot sans reconnaître son erreur préalable de1982 et 1993,

- ni M. [F] ni M. [J] n'ont proposé à Mme [T] de mettre en 'uvre les recours, de faire éventuellement un acte rectificatif du partage ou de tenter de renégocier celui-ci avec sa cohéritière,

- la situation conflictuelle dans la succession et les modalités de partage dont se prévalent les notaires est totalement démentie et aucun élément n'est versé aux débats pour en faire la preuve,

- contrairement à ce qu'ils affirment, les notaires étaient en mesure de prévoir que la cession d'une partie commune allait nécessairement se faire avec contrepartie financière, puisqu'il s'agissait non pas d'une autorisation de la copropriété mais d'une cession de droit réel sur une partie commune.

Les intimés répondent n'avoir commis aucune faute aux motifs que :

- Mme [T] ne saurait prétendre ne pas avoir été alertée sur la situation juridique du lot n°91, alors que M. [I], mandaté par l'indivision successorale elle-même, a clairement mis en exergue la nécessité de régulariser juridiquement la situation dans son attestation,

- M. [F] s'est préoccupé d'obtenir la copie du procès-verbal d'assemblée générale autorisant la construction mais il n'a pu obtenir qu'une lettre du cabinet L. Nicolas et A.Lanes, syndic, du 20 juillet 1983, adressée à la mère de Mme [T] et confirmant que "l'assemblée des copropriétaires [lui] a donné l'autorisation pour le projet de fermeture de [sa] terrasse au 8ème étage du bâtiment D sur l'arrière de l'immeuble cité en référence",

- lors de la signature de l'acte de partage, la réserve quant au statut juridique de la construction de 22 m² était bien connue de Mme [T],

- l'existence de la terrasse figurant dans le descriptif du lot n°91 ne pouvait laisser croire à l'intéressée qu'il pouvait s'agir d'une partie privative,

- l'appelante ne peut invoquer une faute à l'encontre du notaire qui ne pouvait prédire, ni subodorer que le syndicat des copropriétaires négocierait, 29 ans après, l'autorisation qu'il avait donnée en 1983, de soumettre la cession de la terrasse à une contrepartie financière.

Sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, le notaire est tenu d'assurer l'efficacité de l'acte qu'il instrumente et d'un devoir d'information et de conseil à l'égard de toute partie à l'acte pour lequel il prête son concours en vertu duquel il doit fournir les informations utiles et efficaces pour lui permettre de faire, en connaissance de cause, les choix appropriés à l'objectif affiché de l'opération à laquelle le professionnel prête son concours.

La désignation erronée de la consistance du lot n°91 a été commise dans l'acte de vente de 1982 comme dans l'acte de donation-partage de 1993, tous deux établis par M.[F], celui-ci ayant indiqué que la terrasse figurait dans le lot en qualité de partie privative alors que le règlement de copropriété précisait qu'elle constituait une partie commune dont seule la jouissance était attribuée au propriétaire de l'appartement du 8ème étage, le notaire ayant ainsi manqué à son obligation relative à l'efficacité de ses actes et particulièrement de la donation-partage de 1993.

M. [I] chargé d'estimer la valeur du bien a mentionné une difficulté relative à la désignation du bien dans le titre de propriété au regard de la configuration actuelle du lot, la terrasse formant une pièce de l'appartement, et évoqué un éventuel changement de tantièmes.

Dans la lettre recommandée qu'elle a adressée à la chambre des notaires de Paris le 23 juillet 2014, Mme [T] écrit, sans être contredite, au sujet de l'estimation de M.[I], que le sujet avait été évoqué avec son notaire lors de la succession, lequel avait malgré tout conservé l'estimation, elle-même lui ayant précisé que son souhait était de vendre le plus rapidement possible ce bien et que "les régularisations seraient effectuées par l'acquéreur suivant".

Les notaires ne peuvent soutenir que l'existence de la terrasse figurant dans le descriptif de son lot ne pouvait laisser croire à Mme [T] qu'il pouvait s'agir d'une partie privative alors que le titre de propriété de sa mère établi par M. [F] indiquait expressément que le lot n°91 "se composait de la propriété exclusive et particulière de : un appartement au 8 ème étage porte gauche du bâtiment D comprenant studio, cuisine, couloir, cabinet de toilette, WC, terrasse, balcon".

Ils prétendent tout aussi vainement que les mentions de l'estimation de la valeur de l'immeuble du 17 juillet 2008 avaient averti de manière claire Mme [T] sur la difficulté relative à l'annexion d'une partie commune alors que cette attestation n'en fait pas état expressément et que M. [F] lui-même n'a pas été suffisamment alerté pour procéder à la vérification qui s'imposait toutefois à lui et non à sa cliente, de l'exacte désignation du lot dans l'acte de partage qu'il a établie au regard du règlement de copropriété, privant ainsi d'efficacité l'acte de partage au détriment de Mme [T] en lui attribuant une terrasse dont sa mère n'était en réalité pas propriétaire, celle-ci partie commune de la copropriété ne lui ayant été attribuée qu'en jouissance.

De plus, lorsque Mme [T] a envisagé de vendre son lot en 2010, M. [F] et son successeur M. [J], au vu des documents sollicités par le premier et mentionnant que l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires donnée en 1993 n'avait porté que sur la création d'un auvent et la surélévation d'une souche de cheminée ainsi qu'il ressort de l'avis favorable donné par l'ingénieur du service de l'urbanisme de la commune de [Localité 10], ont, alors qu'ils auraient du s'apercevoir de la mention erronée de la propriété de la terrasse, manqué à leur obligation de conseil en ne l'avertissant pas du risque de voir la copropriété revendiquer la propriété de la terrasse à défaut d'achat par elle de cette partie commune annexée à tort.

De même, ils ne lui ont jamais proposé d'effectuer un acte rectificatif de partage.

Leurs fautes sont donc caractérisées.

Sur le préjudice et le lien de causalité

Mme [T] fait valoir que':

- elle s'est trouvée dans l'obligation d'acquérir une deuxième fois une terrasse qui lui avait été dévolue par partage,

- elle a dû régler le coût de l'acquisition de la terrasse négocié à 20 000 euros, en septembre 2013, soit 4 ans après l'avoir théoriquement déjà acquise par succession et a dû faire face aux frais d'établissement d'un modificatif de règlement de copropriété pour un montant de 5 100 euros de sorte que le préjudice subi est clairement déterminé,

- l'erreur de valeur dans l'acte de partage est de 111 846,45 euros et s'ajoute un préjudice lié à l'indisponibilité de l'immeuble d'une valeur de 275 000 euros du 27 février 2009 jusqu'en novembre 2013, soit une perte de rentabilité sur la base d'un rendement moyen de 4%, de 11 000 euros par an x 50 mois, soit 55 000 euros,

- au total, son préjudice est donc de 191 946,45 euros,

- les trois préjudices ' à savoir l'iniquité du partage pour insuffisance de valeur, le coût de rachat de la terrasse et la perte de rentabilité d'un bien immobilisé pendant 3 ans avant de pouvoir être vendu ' sont distincts,

- s'y ajoutent des droits d'enregistrement et de succession excessifs sur la valeur de 206'250 euros de l'appartement, alors qu'aurait dû être déclarée une valeur de 122 365,16 euros dans l'actif successoral,

- les droits, en fonction de l'attribution d'un capital de 127 821 euros après abattement de 110 360 euros, portaient exclusivement sur 17 461 euros, et s'élevaient à 1 770,20 euros au lieu des 18 547 euros qu'elle a dû acquitter, soit un trop-versé de 16 776,80 euros.

Les intimés répondent que le préjudice revendiqué par l'appelante est sans lien avec le reproche fait au notaire puisque l'acte de partage a reçu toute efficacité en attribuant à chacune des indivisaires sa quote-part dans l'indivision et qu'en tout état de cause, si l'absence d'autorisation de la copropriété avait été révélée lors de la rédaction de l'acte de partage, il n'est pas sûr, pour autant, que Mme [T] aurait refusé de le signer.

Ils ajoutent que l'appelante n'a subi aucun préjudice :

- la désignation du bien, telle qu'elle figure dans l'acte de partage, n'est nullement à l'origine d'un quelconque préjudice, seule la nécessité de régulariser la situation juridique de la construction en vue de la revente, a occasionné une dépense complémentaire pour l'appelante, régularisation pour laquelle elle a été dûment informée préalablement à l'acte de partage,

- elle réclame des indemnités au titre de la perte vénale, de la perte locative et du prix de rachat de la terrasse auprès de la copropriété, lesquelles font manifestement triple emploi,

- l'évolution du marché immobilier lui a été extrêmement profitable, puisqu'elle a obtenu, par voie de succession, un bien immobilier d'une valeur estimée à 275'000 euros en 2009, qu'elle a fini par vendre en 2013 au prix de 390'000 euros,

- la perte de rentabilité invoquée n'est pas justifiée par l'intention d'avoir voulu tirer profit d'un revenu locatif ou autre,

- Mme [T] ne saurait faire supporter par le notaire le prix d'acquisition de la terrasse, ainsi que les frais du modificatif au règlement de copropriété, dès lors qu'elle avait été alertée, dès l'acte de partage, de ce que la situation juridique du bien devait être régularisée,

- elle était ainsi contrainte, en tout état de cause, de soumettre la construction à l'assemblée générale des copropriétaires et de supporter le coût de cette régularisation et du modificatif subséquent.

La faute du notaire qui lui a attribué à tort la propriété d'une terrasse dans le cadre du partage est en lien de causalité direct et certain avec le préjudice correspondant à la nécessité pour Mme [T] d'acquérir la copropriété la terrasse pour un prix de 20 000 euros et de prendre à sa charge les frais de modification du règlement de copropriété s'élevant à la somme de 5 100 euros.

En revanche, elle est mal fondée à réclamer la somme de 111 846,45 euros correspondant à la valeur de la construction effectuée sur la terrasse de 20,77 m² et constituant une pièce intégrée à l'appartement qui lui a été attribué dans le cadre du partage au prix de 5 385 euros par m², sous déduction du prix correspondant au sol de la partie commune qu'elle a dû acquérir ultérieurement pour devenir propriétaire de l'ensemble mais dont elle est indemnisée.

S'agissant du préjudice lié à l'indisponibilité à la vente de l'immeuble du fait de la difficulté quant à la situation juridique de la pièce construite sur la terrasse, en lien de causalité direct et certain avec la faute des notaires, celui-ci n'a couru que du jour où le notaire de l'acquéreur a expressément sollicité la production du procès verbal d'assemblée générale de 1983 soit le 2 décembre 2010 et a pris fin au jour où Mme [T] a acquis la partie commune soit le 30 août 2013. L'indemnité d'immobilisation du bien dont la vente était rendue impossible dans l'attente de la régularisation de sa situation juridique, calculée en prenant en compte un taux non contesté de 4 % par an de la valeur de l'immeuble retenue dans le cadre du partage s'élève à la somme de 30 250 euros ( 275 000 euros x 4 % x 33 mois/ 12 mois) et doit être indemnisé, le fait que Mme [T] ait bénéficié d'une plus value en vendant l'immeuble en novembre 2013 pour un montant de 390 000 euros en 2013 alors qu'elle souhait le vendre en 2010 pour un prix de 370 000 euros étant indifférent.

Enfin, Mme [T] soutient à bon droit avoir subi un préjudice en lien avec la faute des notaires en payant des droits d'enregistrement et de succession excessifs mais son préjudice est limité à hauteur de la somme de 20 000 euros correspondant au prix de rachat ultérieur de la partie commune sur la propriété de laquelle elle a été taxée.

Ces droits se calculent de la manière suivante :

assiette taxable : 191 706 euros ( 211 706 - 20 000)

reliquat d'abattement taxable : 101 346 euros

montant taxable : 81 346 euros

droits à payer :

7 699 à 5 % : 385

3 849 à 10 % : 385

3 647 à 15 % : 547

66 152 x 20 % : 13 230

total : 14 547 euros.

Mme [T] ayant payé des droits pour un montant de 14 547 euros, son préjudice s'élève à la somme de 4 000 euros.

M. [F] et M. [J] sont condamnés in solidum à payer les sommes ainsi arrêtées à Mme [T] et la société MMA Iard assurances mutuelles, leur assureur, est condamnée à les garantir de l'intégralité de ces condamnations mises à leur charge.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber in solidum à M. [F], M. [J] et la société MMA Iard assurances mutuelles, parties perdantes, lesquels sont également condamnés in solidum à payer à Mme [T] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare l'action de Mme [Z] [T] recevable,

Condamne in solidum M. [A] [F] et M. [X] [J] à payer à Mme [Z] [T] les sommes de :

- 20 000 euros au titre de l'acquisition de la terrasse,

- 5 100 euros au titre des frais d'acte et de modification du règlement de copropriété,

- 30 250 euros au titre de la perte de rentabilité de l'immeuble,

- 4 000 euros au titre des droits de succession,

Condamne la société MMA Iard assurances mutuelles à garantir M. [A] [F] et M. [X] [J] de ces condamnations,

Condamne in solidum M. [A] [F], M. [X] [J] et la société MMA Iard assurances mutuelles aux dépens et à payer à Mme [Z] [T] la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/06917
Date de la décision : 19/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-19;19.06917 ?
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