Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 24 MARS 2022
(no 2, 53 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 20/08390 - No Portalis 35L7-V-B7E-CB6UU
Décision déférée à la Cour : décision no 3, procédure 19-03, de l'Autorité des marchés financiers en date du 17 avril 2020
DEMANDEURS AU RECOURS :
ELLIOTT ADVISORS(UK) LIMITED
Société de droit anglais
Prise en la personne de son conseil d'administration (board of directors), lequel agit lui-même par l'un de ses membres (directors)
Ayant son siège social [Adresse 7]
LONDRES W1K GAF (ROYAUME-UNI)
ELLIOTT CAPITAL ADVISORS L.P.
Société de l'État du Delaware (ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE),
Prise en la personne du vice-président d'Elliott Advisor GP LLC, son associé commandité (general partner)
Ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 5])
Élisant tous deux domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistés de Me Kami HAERI, du cabinet QUINN EMANUEL URQUHART et SULLIVAN LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de son président
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Mme [N] [G] dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 01 juillet 2021, en audience publique, devant la Courcomposée de :
– Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre, présidente,
– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
– Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * *
Vu la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marché financiers no 3 du 17 avril 2020 ;
Vu la déclaration de recours formé contre cette décision par les sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited, déposée au greffe de la Cour le 3 juillet 2020 et enregistrée sous le no RG 20/08390 ;
Vu l'exposé complet des moyens déposé le même jour par ces sociétés au greffe ;
Vu leur mémoire aux fins de production forcée de pièces, déposé au greffe le 23 novembre 2020 ;
Vu les observations sur l'incident, déposées au greffe par l'Autorité des marchés financiers le 11 janvier 2021 ;
Vu le mémoire en réplique sur l'incident, déposé au greffe par les sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited le 16 février 2021 ;
Vu la décision de la Cour, du 11 mars 2021, de joindre au fond l'incident aux fins de production forcée de pièces, après avoir entendu à l'audience publique du 1er juillet 2021, le conseil des sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited, le représentant de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que le ministère public, le conseil desdites sociétés ayant eu la parole en dernier et été en mesure de répliquer ;
Vu les observations déposées au greffe par l'Autorité des marchés financiers le 9 mars 2021 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe par les sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited le 1er juin 2021 ;
Vu l'avis du ministère public du 24 juin 2021, communiqué le même jour aux sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited et à l'Autorité des marchés financiers ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 1er juillet 2021, le conseil des sociétés Elliott Capital Advisors L.P. et Elliott Advisors (UK) Limited, le représentant de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que le ministère public, le conseil desdites sociétés ayant eu la parole en dernier et été en mesure de répliquer.
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SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE4
MOTIVATION7
I. SUR LA PROCÉDURE7
A. SUR LE MOYEN PRIS DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LOYAUTÉ ET DES DROITS DE LA DÉFENSE LORS DE L'ENQUÊTE7
B. SUR LE MOYEN PRIS DE LA MÉCONNAISSANCE, PAR LE PRÉSIDENT DE L'AMF ET LA RAPPORTEURE, DES EXIGENCES DE LOYAUTÉ, D'IMPARTIALITÉ ET DU PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE14
C. SUR LE MOYEN PRIS DU DÉFAUT DE MOTIVATION ET DE BASE LÉGALE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE16
II. SUR LE FOND16
A. SUR LE MANQUEMENT DE DÉCLARATIONS INEXACTES PORTANT SUR LA NATURE DES INSTRUMENTS DÉRIVÉS ACQUIS
16
1. Sur l'étendue des obligations déclaratives applicables16
a) La déclaration de franchissement de seuil (article L.233-7 du code de commerce)19
b) La déclaration des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique (article 231-46 du RGAMF)22
c) La déclaration d'intention dans le cadre d'une offre publique (article 231-47 du RGAMF)25
2. Sur la nature des instruments dérivés acquis et déclarés26
B. SUR LE MANQUEMENT DE DÉCLARATION TARDIVE 31
C. SUR LE MANQUEMENT D'ENTRAVE À L'ENQUÊTE37
III. SUR LES SANCTIONS46
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
1.La société Norbert Dentressangle (ci-après « NDSA ») est une société de droit français, spécialisée dans la logistique et le transport, cotée sur les marchés Euronext Paris et Euronext Londres.
2.Au début de l'année 2015, la société XPO Logistics Inc. (ci-après « XPO »), société de droit américain, cotée à la bourse de New-York, exerçant la même activité, a approché les actionnaires familiaux de NDSA en vue de l'acquisition d'une participation majoritaire dans le capital de cette société.
3.Le 28 avril 2015, XPO a annoncé avoir conclu un contrat de cession d'actions portant sur 66,71 % du capital de NDSA, ainsi qu'un accord relatif à une offre publique d'achat simplifiée (ci-après « OPAS ») portant sur les actions restantes au prix de 217,50 euros par action. À cette occasion, elle a précisé avoir l'intention de procéder à un retrait obligatoire de NDSA au cas où, à l'issue de la clôture de l'offre, elle parvenait à acquérir plus de 95% du capital de cette société.
4.Le lendemain, soit le 29 avril 2015, l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF ») en a informé le marché par une publication marquant le début de la période de pré-offre.
5.Après avoir acquis, le 8 juin 2015, 66,71 % du capital de NDSA (et 68,38 % des droits de vote, annexe 6-23 du rapport d'enquête), XPO a déposé le projet d'OPAS le 11 juin suivant.
6.Par une décision du 23 juin 2015, l'AMF a déclaré ce projet d'offre conforme, laquelle a été ouverte le 26 juin, puis clôturée le 17 juillet de la même année.
7.Parallèlement, entre le 8 mai et le 21 juillet 2015, la société de droit anglais Elliott Advisors UK Limited (ci-après « EAUK ») ? qui exerce notamment une activité de conseil et de gestion, en qualité de sous-conseiller en investissement (discretionary sub-advisor), en vertu d'une délégation de pouvoir consentie par Elliott Management Corporation (ci-après « EMC »), des participations européennes détenues par les fonds d'investissement du groupe Elliott (à savoir le fonds basé aux îles Caïman, Elliott International L.P., le fond américain Elliott Associates L. P. et le fonds bermudien The Liverpool Limited Partnership, détenu à 100% par le fonds américain, ci-après « les fonds Elliott ») ? a acquis, pour le compte de ces fonds, des actions et des instruments dérivés portant sur les titres NDSA.
8.Entre le 15 mai et le 23 juillet 2015, la société de droit américain Elliott Capital Advisors L.P. (ci-après « ECA »), agissant également pour le compte des fonds Elliott dont il assure le conseil et la gestion d'une partie des actifs (en qualité de general partner et d'investment manager), a déclaré à l'AMF l'ensemble de ces acquisitions, au fur et à mesure de leur réalisation, et procédé à plusieurs déclarations de franchissement de seuils et d'intention (annexe 3-2 du rapport d'enquête).
9.Ainsi, le 15 mai 2015, ECA a déclaré, d'une part, détenir 100 actions NDSA, représentant autant de droits de vote, ainsi que 234 635 contrats financiers avec paiement d'un différentiel (contracts for difference, ci-après « CFD »), à règlement en espèces, portant sur autant d'actions NDSA et, d'autre part, avoir l'intention de « poursuivre [ses] acquisitions d'actions [NDSA] et/ou d'instruments dérivés relatifs aux actions [NDSA] en fonction des conditions de marché » (annexe 3-2 du rapport d'enquête, pages 3 et 4).
10.Le 24 juin 2015, ECA a déclaré avoir franchi, le 18 juin précédent, les seuils de 5% du capital et des droits de vote de NDSA et détenir 530 538 CFD, soit 39% du capital et 5,37 % des droits de vote (annexe 3-2 du rapport d'enquête).
11.Le même jour, ECA a déclaré qu'elle « envisage de déboucler sa position en CFD et de la remplacer par une détention physique dans NDSA » et que « si [elle] prend et met en oeuvre une telle décision, qui dépendra des conditions du marché, les notifications requises seront effectuées en conséquence » (annexe 6-22 du rapport d'enquête, formulaire de déclaration de franchissement de seuil, page 3, sous la rubrique « autres informations »).
12.Ayant, le 2 juillet 2015, dénoué l'intégralité des instruments dérivés détenus par les fonds Elliott et racheté les actions NDSA que sa contrepartie (Bank of America, ci-après « BoA ») avait acquis en couverture, détenant ainsi 743 186 actions NDSA représentant autant de droits de vote, soit 7,56% du capital et 7,52 % des droits de vote de NDSA, ECA a, les 6 et 7 juillet suivants, respectivement déclaré ces opérations et le franchissement de seuil correspondant (annexe 3-2 du rapport d'enquête).
13.Dans la nuit du 9 au 10 juillet 2015, ECA a déclaré son intention « de poursuivre les acquisitions d'actions [NDSA] et/ou d'instruments dérivés relatifs aux actions [NDSA] » et de ne pas « apporter les actions acquises à l'offre ». Cette déclaration a été publiée par l'AMF le 10 juillet (annexe 3-2 du rapport d'enquête).
14.À la clôture de l'offre, intervenue le 17 juillet 2015, XPO détenait 86,25% du capital de NDSA et les fonds Elliott 9,18% du capital et 9,076% des droits de vote. Ces informations ont été publiées par l'AMF le 21 juillet 2015. N'étant pas parvenue à détenir 95% du capital de NDSA, XPO n'a pas pu mettre en oeuvre le retrait obligatoire initialement envisagé.
15.Le 21 septembre 2015, le secrétaire général de l'AMF a décidé d'ouvrir une enquête sur l'information financière et le marché du titre NDSA, ainsi que sur tout instrument financier qui lui serait lié, à compter du 1er janvier de la même année.
16.Le 8 août 2018, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à EAUK et ECA des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs et de la faculté de présenter des observations dans un certain délai. Seule EAUK a présenté des observations en réponse, le 30 octobre 2018.
17.La direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a établi son rapport le 29 novembre 2018.
18.Au vu de ce rapport, une commission spécialisée du collège de l'AMF a décidé, le 13 décembre 2018, de notifier des griefs à EAUK et ECA. Trois griefs leur ont été respectivement notifiées par lettres du 1er février 2019.
19.Il leur a été reproché :
– en premier lieu, d'avoir, les 18 mai et 24 juin 2015, produit des déclarations inexactes sur la nature des instruments financiers acquis par les fonds Elliott, dans le cadre de leur investissement dans NDSA, ECA ayant déclaré intervenir sur des CFD à dénouement en espèces, et non sur des equity swaps, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L.233-7 du code de commerce et des articles 231-46 et 231-47 du règlement général de l'AMF (ci-après « RGAMF ») ;
– en deuxième lieu, d'avoir publié tardivement leur intention de ne pas apporter leurs titres NDSA à l'OPAS, en méconnaissance des dispositions de l'article 231-47 du RGAMF ;
– en troisième lieu, d'avoir communiqué de manière tardive ou incomplète les éléments demandés par les enquêteurs et d'avoir ainsi commis un manquement d'entrave, en méconnaissance des dispositions de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier.
20.Le 10 avril 2019, EAUK et ECA ont présenté des observations en réponse aux notifications de griefs. Elles en ont fait de même le 23 janvier 2020, en réponse au rapport de la rapporteure, lequel a été déposé le 20 décembre 2019.
21.Par une décision no 3 du 17 avril 2020 (ci-après « la décision attaquée »), la commission des sanctions de l'AMF (ci-après « la Commission des sanctions ») a retenu que les deux griefs de déclaration inexacte et tardive étaient caractérisés à l'encontre d'EAUK et d'ECA et que celui d'entrave à l'enquête n'était caractérisé qu'à l'encontre d'EAUK, ECA étant mise hors de cause de ce chef. À ce titre, elle a prononcé une sanction de quinze millions d'euros à l'encontre d'EAUK et de cinq millions d'euros à l'encontre d'ECA. Elle a en outre ordonné la publication de cette décision sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans, à compter de la date de celle-ci, la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.
22.EAUK et ECA ont formé ensemble un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation contre cette décision.
23.Aux termes de leur exposé des moyens, elles demandent, en substance, à la Cour :
– à titre principal, de juger que la procédure est entachée de diverses irrégularités et, en conséquence, d'annuler celle-ci, ainsi que la décision attaquée, et d'ordonner à l'AMF de leur communiquer des pièces ;
– à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée, en ce qu'elle a retenu que les griefs de déclarations inexactes et tardives étaient caractérisés à leur égard et que celui d'entrave à l'enquête était également caractérisé en ce qui concerne l'une d'entre elles (EAUK) et, en conséquence, de les mettre hors de cause et de juger qu'il n'y a pas lieu à sanction ;
– à titre très subsidiaire et infiniment subsidiaire, de réformer la décision attaquée, en ce qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire à leur encontre et, en conséquence, de juger qu'il n'y pas lieu à sanction ou, à défaut, de ramener celle-ci à de plus justes proportions ;
– en tout état de cause, de condamner l'AMF aux dépens et d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir.
24.À la suite de la décision de la Cour de joindre au fond leur incident aux fins de production forcée de pièces, EAUK et ECA, dans leur mémoire en réplique, ont modifié l'ordre de leurs demandes, en formulant « avant-dire droit » leur demande de communication de pièces, et demandé la communication de pièces supplémentaires.
25.L'AMF et le ministère public invitent la Cour à rejeter le recours.
*
* *
MOTIVATION
I. SUR LA PROCÉDURE
A. SUR LE MOYEN PRIS DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LOYAUTÉ ET DES DROITS DE LA DÉFENSE LORS DE L'ENQUÊTE
26.Par un moyen composé de plusieurs branches, EAUK et ECA soutiennent que l'enquête est entachée de diverses irrégularités, au regard du principe de loyauté et des droits de la défense, en ce que :
– en premier lieu, l'enquête a été ouverte à peine deux mois après l'envoi de plusieurs lettres adressées à l'AMF par les conseils de l'initiateur de l'offre (XPO), qui auraient cherché à instrumentaliser l'AMF en lui présentant une vision partiale et biaisée des faits et qui auraient continué à agir ainsi en lui envoyant d'autres lettres du même type après l'ouverture de l'enquête ;
– en deuxième lieu, les enquêteurs n'auraient pas versé au dossier l'ensemble des consultations juridiques (rédigées par un professeur de droit), transmises par les conseils de XPO en annexe à certaines desdites lettres ;
– en troisième lieu, les enquêteurs auraient omis de mentionner dans leur rapport des éléments à décharge, dont les intéressés n'auraient eu connaissance qu'une fois les griefs notifiés ; sont invoqués en particulier, d'une part, un courriel interne à un fonds tiers, dont il ressortirait que son changement de stratégie d'investissement lors de l'offre sur NDSA ne reposait pas, contrairement à ce qu'a indiqué le rapport d'enquête, sur la déclaration d'intention d'Elliott de ne pas apporter ses actions à l'offre et, d'autre part, le fait que la déclaration d'intention ultérieure d'Elliott lors d'une autre offre publique, nonobstant la détention par celui-ci de produits dérivés à dénouement en espèce, avait été réalisée à la demande de l'AMF et non spontanément, contrairement à ce que laisse entendre la publication de cette déclaration en l'absence de précision sur ce point ;
– en quatrième lieu, les enquêteurs auraient refusé de communiquer à Elliott des pièces visées en annexe des lettres circonstanciées (concernant des opérations effectuées par d'autres fonds d'investissement lors de l'offre sur NDSA), qui auraient été présentées comme à charge par les enquêteurs alors qu'elles seraient au contraire à décharge ;
– en cinquième lieu, Elliott n'aurait été averti d'une possible application cumulative des règles procédurales de l'AMF et de ses homologues américain et anglais et du risque d'entrave en découlant que lors de la réception des lettres circonstanciées.
27.Dans son mémoire en réplique, EAUK et ECA indiquent que la Cour dispose de suffisamment d'éléments pour annuler à la fois la procédure devant l'AMF et la décision attaquée, mais qu'elle pourrait s'estimer insuffisamment renseignée sur les irrégularités précédemment invoquées et ordonner en conséquence, avant-dire-droit, la communication par l'AMF d'une série de documents, à savoir la copie :
– premièrement, de toute la correspondance directe ou indirecte entre, d'une part, l'AMF et, d'autre part, XPO et ses filiales en France et en Europe et/ou leurs conseils, faisant explicitement ou implicitement référence à l'une des entités du groupe Elliott entre le 8 mai 2015 et le 30 avril 2020 ;
– deuxièmement, de toute consultation juridique rédigée par un professeur de droit ou spécialiste, sollicitée et/ou reçue par l'AMF, en lien avec les problématiques juridiques et factuelles soulevées dans le cadre de la procédure ayant conduit à la décision attaquée, notamment les consultations jointes aux courriers adressés par le conseils de XPO à l'AMF qui n'ont pas été versées au dossier d'enquête ;
– troisièmement, du dossier présenté au collège de l'AMF, des notes internes et du procès-verbal de la séance du 13 décembre 2018 ayant décidé de notifier les griefs.
28.En réponse, l'AMF observe :
– en premier lieu, que la décision du secrétaire général de l'AMF d'ouvrir une enquête relève de son appréciation discrétionnaire et que, dans le cadre d'une enquête portant sur une OPA, le fait pour les enquêteurs d'échanger avec l'initiateur de l'offre relève de leur travail habituel d'investigation, conformément aux prérogatives que leur confère l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, et ne peut donc, en tant que tel, constituer une déloyauté, d'autant plus qu'en l'espèce les contacts entre XPO et les enquêteurs n'ont nullement été dissimulés ;
– en deuxième lieu, que les enquêteurs peuvent décider du sort des actes effectués et des pièces examinées dans le cadre de l'enquête, pour autant que les éléments écartés du débat contradictoire ne soient pas à décharge et que leur versement serait de nature à influencer la décision de la Commission des sanctions ou de la juridiction de recours dans un sens favorable aux mises en cause ; que le fait que certains éléments recueillis par les enquêteurs n'aient pas été versés au dossier ne constitue pas, en soi, une déloyauté à l'égard des requérants et qu'en tout état de cause, une telle déloyauté ne serait susceptible de porter atteinte à la régularité de la procédure qu'en cas d'atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, les enquêteurs n'ayant fondé leur raisonnement sur aucune des consultations juridiques envoyées par XPO, auxquelles le rapport d'enquête ne fait nullement référence, celles-ci ne contenant aucun élément qui ne serait pas déjà dans le débat, de même que le rapporteur et la Commission des sanctions se sont fondés uniquement sur des éléments versés au dossier, dont EAUK et ECA ont a été en mesure de débattre à tous les stades de la procédure ;
– en troisième lieu, que l'attribution du changement de stratégie d'un fonds tiers, à la déclaration d'intention d'ECA de ne pas apporter ses titres à l'offre sur NDSA, déduite par les enquêteurs de la chronologie des événements (sans omettre le courriel interne à ce fonds, annexé au rapport d'enquête et communiqué à EAUK et ECA dès l'ouverture de la phase contradictoire de la procédure), n'a été retenue ni par la rapporteure, ni par la Commission des sanctions, de sorte que la prétendue omission par les enquêteurs dudit courriel à décharge ne saurait, en tout état de cause, fonder une atteinte irrémédiable aux droits de la défense d'EAUK et ECA ; qu'il en va de même de la prétendue omission par les enquêteurs de la précision selon laquelle la déclaration d'intention ultérieure d'ECA lors d'une autre offre publique avait été réalisée à la demande de l'AMF, dès lors que la comparaison opérée par les enquêteurs entre le comportement d'Elliott lors de cette offre et celui adopté lors de l'offre en cause, n'a été reprise ni par la rapporteure, ni par la Commission des sanctions ;
– en quatrième lieu, qu'EAUK et ECA ont eu accès, dès les notifications de griefs, à l'ensemble du dossier d'enquête, notamment aux éléments (visés en annexe des lettres circonstanciées) concernant des opérations effectuées par d'autres fonds d'investissement lors de l'offre sur NDSA, et qu'elles ont pu utilement débattre de ces éléments, lesquels n'ont pas été retenus contre elles par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, ce qui exclut la caractérisation d'une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ;
– en cinquième lieu, que, sous couvert d'un moyen de procédure, pris d'une violation du principe de loyauté dans la conduite de l'enquête menée par l'AMF en coopération avec ses homologues américain et anglais, EAUK ne tend qu'à remettre en cause, sur le fond, la caractérisation du manquement d'entrave.
29.Sur la demande d'EAUK et d'ECA de production forcée de pièces, l'AMF fait valoir, à titre principal, que cette demande est irrecevable pour être formée sur le fondement des articles 11 et 138 du code de procédure civile, dont elle conteste l'application eu égard à son absence de qualité de tiers à la procédure et à la nature spécifique du contentieux de la Commission des sanctions. À titre subsidiaire, elle observe qu'aucun des documents sur lesquels porte la demande de production forcée n'a fait l'objet d'une demande de communication préalable au cours de la procédure devant la Commission des sanctions et estime que ces documents sont dépourvus d'incidence sur l'appréciation de la régularité de la procédure et la caractérisation des griefs.
30.Le ministère public développe une argumentation semblable.
***
Sur ce, la Cour,
31.En premier lieu, la décision du secrétaire général de l'AMF d'ouvrir une enquête pouvant découler tant des constatations effectuées dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés que de plaintes ou signalement adressés à l'AMF, et relevant, au surplus, de son appréciation discrétionnaire, c'est en vain qu'EAUK et ECA lui reprochent d'avoir ouvert une enquête portant sur l'information financière et le marché du titre NDSA et sur tout instrument qui lui serait lié, et ce postérieurement à la réception de plusieurs lettres qui lui avaient été adressées par les conseils de XPO. Il en va d'autant plus ainsi qu'il est établi que ces lettres ont été adressées à l'AMF les 8, 10 et 15 juillet 2015, soit pendant une période où l'offre sur le titre NDSA, initiée par XPO, était en cours et, partant, qu'il appartenait à cette autorité de s'assurer, précisément pendant cette période, du bon déroulement de cette offre et de la bonne information du marché. Il est tout aussi vain de reprocher aux enquêteurs de s'être fait communiquer par les conseils de XPO des documents (figurant en annexe de plusieurs lettres qui leur ont été adressées) qui ont été recueillis et produits par cette société dans le cadre de procédures qu'elle avait engagées à l'encontre d'Elliott (respectivement devant une juridiction américaine et le tribunal de commerce de Paris). En effet, les enquêteurs tiennent de l'article L.621-10 du code monétaire et financier la faculté de se faire communiquer, pour les nécessités de l'enquête, tous documents.
32.En deuxième lieu, il convient de rappeler que, si, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la Commission des sanctions doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH »), il n'en demeure pas moins que les exigences du procès équitable en découlant, telles que le principe de la contradiction, ne s'appliquent qu'à compter de la notification des griefs, ouvrant la procédure de sanction, et non à la phase préalable d'enquête, laquelle doit néanmoins être loyale afin de ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense.
33.En l'espèce, il est établi que, dès que les notifications de griefs leur ont été respectivement adressées, EAUK et ECA ont eu accès aux éléments qu'elles estiment à décharge, annexés au rapport d'enquête (annexes 5-3, 5-4, 5-12, 5-14), portant sur la stratégie d'investissement et les opérations réalisées par d'autres fonds sur l'offre NDSA, et ont ainsi été en mesure de faire valoir ces éléments, à tous les stades ultérieurs de la procédure, pour remettre en cause l'appréciation des enquêteurs selon laquelle elles auraient trompé le marché en manquant à leurs obligations déclaratives. Elles ont également été en mesure de contester, pendant toute cette phase contradictoire de la procédure, le prétendu manque de cohérence relevé par le rapport d'enquête entre leur comportement lors de l'offre sur NDSA et celui adopté ultérieurement lors d'une offre portant sur un autre titre. Au surplus et en tout état de cause, aucun de ces éléments n'a été retenu contre EAUK et ECA, ni dans le rapport de la rapporteure, ni dans la décision attaquée. Aucune atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense n'est donc établie.
34.En troisième lieu, il importe également de rappeler que, comme l'a précisé la Cour de cassation (Com. 19 décembre 2006, pourvoi no 05.18-919 et Com. 20 septembre 2011, pourvois no 10-13.591, 10-13.878, 10-13.911), dans le même sens que la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après la « CEDH », arrêt du 30 juin 2011, Messier c. France, req. no 25041/07), la circonstance que l'AMF ait procédé à une sélection des pièces du dossier finalement soumises à la Commission des sanctions n'est pas, en soi, de nature à vicier la procédure, à moins qu'il ne soit démontré que, manquant à son devoir de loyauté, elle n'ait distrait des éléments de nature à influer sur l'appréciation par la Commission des sanctions, puis le cas échéant par la juridiction de recours, du bien-fondé des griefs retenus.
35.En l'espèce, il est constant que quatre consultations juridiques d'un professeur d'université ont été transmises à l'AMF par XPO, en date des 5 et 15 juillet 2015, 8 juillet 2016 et 24 mai 2017. Il ressort du dossier que seules la première et la dernière ont été versées au dossier d'enquête de l'AMF, après avoir été communiquées par XPO à ECA, ainsi qu'aux fonds Elliott, dans le cadre d'un litige les opposant devant le tribunal de commerce de Paris (voir fichier « DOC ELEC », cote D 196, rubrique « Conclusions et pièces XPO 29.05.2017 », pièces no 18 et 75). Quant aux deux autres consultations, qui n'ont pas été versées au dossier d'enquête de l'AMF, EAUK et ECA précisent ne pas en avoir reçu communication dans le cadre du litige commercial précité.
36.ECA et EAUK ne prétendent pas que ces deuxième et troisième consultations ? dont elles critiquent l'absence de versement au dossier d'enquête ? sont susceptibles de comporter des éléments à décharge, mais se bornent à alléguer que ces consultations, dont elles connaissaient simplement l'existence, étaient nécessairement à charge puisqu'elles avaient été adressées par une partie en litige (XPO étant opposé à ECA devant le tribunal de commerce de Paris) et que, n'ayant pas pu prendre connaissance de leur contenu, elles ont été privées de la possibilité d'en débattre au stade de leur réponse aux lettres circonstanciées puis aux notifications des griefs et enfin lors de l'instruction.
37.Toutefois, comme cela sera expliqué ultérieurement, il ressort du dossier que toutes ces consultations portaient sur les mêmes questions : obligation de déclaration immédiate d'intention (article 231-47 du RGAMF) ; obligation d'informer le public en cas de préparation d'une opération financière (article 223-6 du RGAMF) ; principes directeurs du droit des offres publiques. La quatrième consultation examine une question supplémentaire, celle de la fraude. Or, force est de constater que, parmi ces différentes questions, seule celle relative à l'obligation de déclaration immédiate d'intention rentre dans le champ du rapport d'enquête, des lettres circonstanciées, des notifications des griefs et du rapport de la rapporteure. Il s'ensuit que les consultations non versées au dossier (les deuxième et troisième), n'étaient susceptibles d'intéresser ECA et EAUK qu'en ce qui concerne le grief de déclarative tardive d'intention. Or, sur ce point, la quatrième consultation est nettement plus développée que la première (quatre pages, au lieu de la moitié d'une page). Il est donc manifeste que les deux consultations intermédiaires (non versées au dossier d'enquête) n'apportent pas en la matière d'autres éléments que ceux qui figurent dans la dernière consultation (versée au dossier d'enquête et dont ECA et EAUK ont été en mesure de débattre).
38.En outre et surtout, à supposer même, comme le prétendent EAUK et ECA, que ces consultations intermédiaires, indépendamment de la dernière, aient eu une incidence sur l'analyse développée dans le rapport d'enquête, lequel est intervenu postérieurement à toutes ces consultations, il reste que les sociétés en cause étaient parfaitement en mesure de critiquer cette analyse lors de leurs observations en réponse aux notifications des griefs (auxquelles était joint le rapport d'enquête), ce qu'elles ont d'ailleurs fait au moyen de développements substantiels. Au demeurant, à supposer même que ces consultations aient également eu une incidence préalable sur la teneur des lettres circonstanciées, les sociétés en cause, contrairement à ce qu'elles allèguent, ont été pleinement en mesure d'en débattre lors d'observations en réponse à celles-ci, EAUK ayant d'ailleurs fait ce choix.
39.Au surplus, la Cour observe qu'ECA et EAUK ont transmis à l'AMF, à divers stades de la procédure, plusieurs consultations de professeurs de droit et d'un cabinet d'expertise. Parmi les consultations juridiques transmises, deux d'entre elles (du 16 juillet 2015 et du 24 septembre 2017, annexes 6-1 et 6-2 du rapport d'enquête), produites dans le cadre du litige opposant ECA à XPO devant le tribunal de commerce de Paris, ont été jointes en annexe à leur réponse au questionnaire envoyé par l'AMF (annexes 5-10 et 6-40 du rapport d'enquête), et portaient sur une série de questions (principes directeurs du droit des offres publiques, droit de retrait obligatoire, obligation d'informer le public en cas de préparation d'une opération financière, fraude), recoupant largement celles examinées dans les consultations juridiques envoyées par XPO à l'AMF. Par la suite, le 1er février 2019, EAUK et ECA ont transmis à l'AMF, en annexe à leurs observations en réponse aux notifications des griefs, une consultation juridique supplémentaire, émanant d'un autre professeur d'université (CD ROM, chemise 16), laquelle examine de manière détaillée (sur plus de quinze pages) la question de la déclaration tardive d'intention. Ainsi, les sociétés en cause ont été mises en mesure de faire valoir devant l'AMF, tant avant qu'après le dépôt du rapport d'enquête, leur point de vue, de manière approfondie, sur l'intégralité des questions examinées dans les consultations transmises par XPO à L'AMF.
40.À titre surabondant, la Cour relève qu'une fois qu'elles ont eu accès au dossier de l'enquête, à la suite des notifications de griefs, il leur était loisible, pour les besoins de leur défense, de demander à l'AMF la communication de ces deuxième et troisième consultations, dès lors que l'existence et l'objet de celles-ci résultaient clairement des pièces figurant audit dossier (voir fichier « DOC ELEC », cote D 196, rubrique « lettres à l'AMF »).
41.En effet, la transmission de la deuxième consultation (du 15 juillet 2015) à l'AMF est attestée par une lettre qui lui a été adressée le même jour par le conseil d'XPO. Cette lettre, versée au dossier d'enquête (voir références précitées), fait état de ladite consultation dans les termes suivants :
« Une opinion complémentaire du Professeur (?) [X] confirmant (i) les violations des règles expresses de transparence par Elliott et BoA dès les premiers jours, (ii) au vu des événements récents (comme la déclaration tardive d'intention d'Elliott après l'annonce des procédures engagées par XPO et le dénouement en titres d'instruments dérivés censés être en numéraire ainsi que la mise en oeuvre par Elliott d'une offre rampante à un prix – caché – très légèrement supérieur à celui de l'offre de XPO) sa conclusion précédente sur la violation des principes directeurs des offres publiques (?) » (souligné par la Cour).
42.Cette présentation circonstanciée de l'objet et du sens de cette deuxième consultation, qui complète la première figurant au dossier d'enquête (du 5 juillet 2015), mettait EAUK et ECA pleinement en mesure d'apprécier globalement l'intérêt d'avoir accès à cette deuxième consultation pour leur défense, en ce qui concerne le grief de déclaration tardive d'intention, et d'en demander en conséquence la communication à l'AMF.
43.De même, la transmission de la troisième consultation (du 8 juillet 2016) est attestée par une lettre adressée le même jour à l'AMF par le conseil d'XPO. Cette lettre, versée au dossier d'enquête (voir références précitées), fait état de cette consultation dans les termes suivants :
« (?) une nouvelle consultation de Monsieur le Professeur (?) [X], selon laquelle Elliott a contrevenu aux dispositions des articles 223-6 et 231-47 du règlement général de l'AMF et violé les principes directeurs des offres publiques » (souligné par la Cour).
44.Cette présentation de l'objet et du sens de cette troisième consultation, qui complète la deuxième, mettait également EAUK et ECA pleinement en mesure d'apprécier l'intérêt d'avoir accès à cette consultation pour leur défense, en ce qui concerne le grief de déclaration tardive d'intention (en violation de l'article 231-47 du RGAMF, expressément visé dans la lettre précitée), et d'en demander en conséquence la communication à L'AMF.
45.Il en va d'autant plus ainsi qu'elles ont eu la possibilité de confronter ces lettres de présentation des deux consultations intermédiaires au contenu de la dernière d'entre elles, laquelle, comme cela a déjà été indiqué, contient des développements substantiels sur la question de la déclaration tardive d'intention.
46.Or, ni EAUK, ni ECA Elliott n'ont jugé utile de demander à l'AMF la communication de ces consultations intermédiaires, notamment lors de leurs observations en réponse aux notifications des griefs puis au rapport de la rapporteure. Ayant ainsi choisi de ne pas soumettre de demande en ce sens à l'AMF, et ce en toute connaissance de cause et de manière durable (pendant environ un an), elles ne sauraient ensuite valablement tirer argument, pour la première fois au stade du recours contre la décision attaquée, de l'absence de versement au dossier d'enquête de ces deux consultations, pour en déduire une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.
47.La circonstance qu'elles aient demandé à la Cour, dans leur exposé des moyens, puis dans leur mémoire distinct aux fins de production forcée de pièces, d'ordonner à l'AMF de leur communiquer notamment ces deux consultations, et a adressé à celle-ci, dans l'intervalle (le 9 novembre 2020), une sommation de les communiquer, n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse.
48.Il résulte de l'ensemble de ces développements qu'ECA et EAUK sont mal fondées à soutenir qu'en ne versant pas au dossier d'enquête certaines des consultations juridiques qui lui avaient été transmises par XPO, l'AMF a porté irrémédiablement atteinte à leurs droits de la défense.
49.En quatrième lieu, c'est également en vain qu'elles reprochent aux enquêteurs de ne pas les avoir averties, préalablement aux lettres circonstanciées (du 8 août 2018), du risque de se voir reprocher par l'AMF un manquement d'entrave à l'enquête, en application du droit français, à la suite des demandes d'informations qui leur ont été adressées par l'intermédiaire de ses homologues des États-Unis d'Amérique (la Securities and Exchange Commission, ci-après « la SEC ») et du Royaume-Uni (la Financial Conduct Authority, ci-après « la FCA »).
50.Force est de constater que cette critique est inopérante en ce qui concerne ECA (la société de droit américain), cette dernière ayant été mise hors de cause, par la Commission des sanctions, du chef d'entrave à l'enquête.
51.Elle est, par ailleurs, mal fondée s'agissant d'EAUK (la société de droit anglais).
52.En effet, dès la première fois où elle a été sollicitée par la FCA, pour communiquer des informations concernant les transactions relatives au titre NDSA, le 18 janvier 2017, soit bien avant la lettre circonstanciée du 8 août 2018, EAUK a été clairement avisée de ce que cette autorité agissait sur requête de l'AMF (pièce factuelle no 41 produite par cette société, intitulée « Overseas request for information ») : il est indiqué que la FCA a reçu une demande d'assistance d'une autorité de régulation étrangère, à savoir l'AMF, et il est fait état de la série d'informations recherchées. Dans sa lettre en réponse à la FCA, du 25 janvier suivant, également intitulée « overseas request for information », EAUK rappelle que la demande d'informations qui lui a été adressée par la FCA est en lien avec une requête reçue par cette dernière de l'AMF (annexe 5-5 du rapport d'enquête). Elle était donc parfaitement informée que cette demande d'informations de la FCA s'inscrivait dans le cadre d'une procédure engagée en France. En outre, eu égard au caractère précis et détaillé de la série d'informations sollicitées, EAUK pouvait raisonnablement en déduire qu'une enquête avait déjà été ouverte par l'AMF, avant même d'en être précisément informée le 27 juin 2017 (pièce factuelle no 44 produite par Elliott), et que cette enquête bénéficiait du régime français applicable en cas d'entrave à l'enquête.
53.Dès lors, il lui appartenait, en tant que professionnel averti du monde de la finance, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant de conseils éclairés, le risque de voir sa responsabilité recherchée ou engagée pour entrave à l'enquête, au sens de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, selon le comportement qu'elle choisissait d'adopter face aux demandes de communication d'informations qui lui étaient ainsi adressées par l'AMF, via la FCA.
54.La circonstance que la FCA, en application du droit anglais, a toujours sollicité EAUK (dès le 18 janvier 2017) sur une base volontaire et refusé d'exercer ses pouvoirs réglementaires (statutory powers) alors qu'EAUK le lui avait demandé, n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse.
55.En effet, l'article 9, d), du Multilateral Memorendum of Understanding (ci-après le « MmoU ») portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations de l'organisation internationale des commissions des valeurs mobilières (en anglais, la International Organization of Securities Commissions (ci-après « IOSCO »), de mai 2002, tel que révisé en mai 2012, applicable dans les relations entre l'AMF et la FCA et visé par les demandes d'assistance en cause, indique :
« À moins que les Autorités n'en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre du présent Accord sont recueillis conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l'Autorité requise (?) ».
56.Il résulte de ces dispositions que, comme l'a précisé la jurisprudence (CA Paris, 2 octobre 2014, RG no 2012/20580, et 15 décembre 2016, RG no 16/05249, Com. 1er mars 2017, pourvois no 14-26.225, 14-26.892 et 15-12.362, et Com. 14 novembre 2018, pourvoi no 17-12.980), la régularité des actes accomplis, dans le cadre d'une demande d'assistance, par un homologue étranger, en vertu dudit MMoU, s'apprécie au regard des règles de procédure de l'autorité requise, sauf décision contraire des autorités concernées (requérante et requise). Ces dispositions se bornent ainsi à déterminer la loi applicable aux modalités procédurales de réalisation des actes accomplis par un homologue étranger, telles que des auditions ou des demandes de communication de documents. Elles ne s'opposent nullement à l'application, à la personne visée par la demande d'assistance, de la loi de l'État de l'autorité requérante, portant sur la régularité du comportement de la personne visée par la demande d'assistance.
57.Ainsi, en l'espèce, si les demandes de renseignements ont été transmises par la FCA à EAUK sur une base volontaire, conformément au droit procédural anglais (applicable en vertu des dispositions précitées du MMoU, en l'absence de décision contraire des autorités concernées), cette circonstance n'est pas de nature à écarter l'application de la loi française en matière d'entrave à l'enquête.
58.Il en va de la même de la circonstance, également invoquée par EAUK, selon laquelle la FCA a été pendant un an et demi son unique interlocuteur (avant que l'AMF ne lui adresse directement la lettre circonstanciée). Le fait que la FCA demeure, dans le cadre de la coopération internationale, l'interlocuteur naturel et privilégié d'EAUK, pour l'exécution de la demande d'assistance émise par l'AMF, n'a nullement pour effet d'exclure l'application du droit français en matière d'entrave à l'enquête, celle-ci ayant été ouverte par l'AMF.
59.EAUK ne saurait davantage tirer argument de ce qu'elle n'a pas été avertie, avant l'envoi de la lettre circonstanciée, que l'AMF éprouvait des difficultés particulières face à son comportement vis-à-vis des demandes d'informations qui lui ont été adressées via la FCA. En effet, aucune disposition du code monétaire et financier n'impose aux enquêteurs de délivrer un tel avertissement préalablement à la mise en oeuvre des prérogatives qu'ils tiennent de l'article L.621-9, I, du code monétaire et financier.
60.Au surplus et en tout état de cause, EAUK ne démontre pas en quoi cette absence d'avertissement préalable de l'AMF était de nature à porter une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense, cette société ayant été en mesure, dès ses observations en réponse aux lettres circonstanciées, de contester l'application à son égard de la loi française en matière d'entrave à l'enquête, ainsi que la caractérisation dudit manquement.
61.Il résulte de l'ensemble de ces développements qu'il convient d'écarter le moyen, en chacune de ses branches.
62.La Cour s'estime ainsi suffisamment renseignée sur les irrégularités alléguées, qu'elle juge non justifiées. Dès lors, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande d'Elliott en production forcée de pièces.
B. SUR LE MOYEN PRIS DE LA MÉCONNAISSANCE, PAR LE PRÉSIDENT DE L'AMF ET LA RAPPORTEURE, DES EXIGENCES DE LOYAUTÉ, D'IMPARTIALITÉ ET DU PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
63.Par un moyen se décomposant en deux branches, EAUK et ECA soutiennent que la phase de la procédure postérieure aux notifications des griefs est irrégulière, au regard des exigences de loyauté, d'impartialité et du principe de la présomption d'innocence, découlant de l'article 6 de la CSDH, en ce que :
– d'une part, le président de l'AMF aurait communiqué au président du tribunal de commerce de Paris, dans le cadre de la procédure en cours l'opposant à XPO devant ce tribunal, des informations confidentielles et inexactes sur les griefs notifiés à son encontre, lesquelles auraient été ensuite relayées dans la presse, et aurait stigmatisé les sociétés en cause (en dépit de la présente procédure en cours) dans sa contribution aux réflexions sur l'activisme en bourse, diffusée sur le site internet de l'AMF, et ce en faisant état d'une précédente condamnation de plusieurs sociétés du groupe Elliott par une décision définitive de la Commission des sanctions ;
– d'autre part, la rapporteure, tout d'abord, aurait dénaturé un document de doctrine de l'AMF (le guide dit RDT, dans sa rédaction révisée le 16 janvier 2012, sur les modalités de déclaration des transactions via le système de reporting direct des transactions), en tronquant une note de bas de page sur la définition des CFD (constituant selon EAUK et ECA un élément à leur décharge), et, en outre, n'aurait pas sollicité le Collège afin que le grief de déclaration tardive d'intention qui leur a été notifié (le 2ème grief) le soit également à un autre fonds d'investissement.
64.Dans ses observations en réponse, l'AMF fait valoir, en premier lieu, que l'exigence d'impartialité n'est pas applicable au président de l'AMF, étant membre du Collège (organe de poursuite) et non de la Commission des sanctions (organe de jugement). S'agissant de la présomption d'innocence, elle estime que, si celle-ci doit bien être respectée au cours de la procédure aboutissant à la saisine de la Commission des sanctions, elle n'a aucunement été méconnue en l'espèce, dès lors que le président de l'AMF s'est borné, d'une part, dans sa lettre en réponse à la demande du président du tribunal de commerce de Paris, à faire état de certains des griefs notifiés, sans indiquer celui d'entrave à l'enquête (lequel n'entrait pas dans le champ de ladite demande), ni formuler d'observations sur ce point, et d'autre part, dans sa contribution aux réflexions sur l'activisme en bourse, à mentionner une affaire passée, ayant donné lieu au prononcé d'une sanction contre plusieurs sociétés du groupe Elliott, par une décision de la Commission des sanctions devenue définitive, sans évoquer la présente affaire en cours. Quant à l'article de presse faisant également état de certains des griefs notifiés, elle estime que sa publication ne saurait être imputée au président de l'AMF et observe que la lettre de ce dernier, en réponse à celle du président du tribunal de commerce de Paris, a été rendue accessible aux tiers dans le cadre de la procédure opposant XPO à ECA et les fonds Elliott.
65.En deuxième lieu, l'AMF observe, d'une part, qu'EAUK et ECA ont été en mesure, dans leurs observations en réponse au rapport de la rapporteure, de relever la coquille figurant dans le rapport sur la définition de CFD et d'y remédier en se prévalant de l'élément involontairement omis et, d'autre part, qu'elles n'ont pas demandé au rapporteur, au cours de l'instruction, que ce dernier saisisse le Collège, sur le fondement de l'article R.621-39 du code monétaire et financier, d'une demande tendant à ce que le deuxième grief qui leur a été notifié le soit également à un autre fonds d'investissement.
***
Sur ce, la Cour,
66.En premier lieu, il convient de rappeler qu'en vertu de la jurisprudence de la CEDH, un organe de poursuite n'est pas soumis à l'exigence d'impartialité que l'article 6 de la CSDH impose à un organe de jugement, seul ce dernier étant appelé à statuer sur le bien-fondé d'une accusation (voir, notamment, arrêt du 18 octobre 2018, Thiam c. France, req. no 80018/12, §71). Il s'ensuit que le président de l'AMF, en tant que membre du Collège, n'est pas soumis à cette exigence, qui s'impose à la Commission des sanctions. À cet égard, la critique est donc inopérante.
67.En deuxième lieu, si le respect du principe de la présomption d'innocence, qui découle de l'article 6 de la CSDH, s'impose au président de l'AMF, la lettre que ce dernier a adressé au président du tribunal de commerce, en réponse à sa demande (formulée sur le fondement de l'article L.621-20 du code monétaire et financier), se borne (après avoir indiqué la date d'ouverture de l'enquête et celle des notifications des griefs) à reprendre le libellé des lettres de notification des griefs, portant sur les seuls griefs de manquement aux obligations déclaratives, dont l'énoncé est introduit par une formule neutre (« il est reproché à (?) »). Le président de l'AMF a, en outre, pris le soin d'indiquer ne pas être « en mesure de formuler des observations sur des faits dont l'examen relève actuellement de la Commission des sanctions, cet organe étant seul compétent pour se prononcer sur la caractérisation des griefs notifiés et décider d'une éventuelle sanction administrative ». Par ailleurs, s'il est mentionné, dans une brève note en bas de page, en lien avec le premier grief, que les equity swaps sont des « contrats d'échanges en actions », au lieu d'indiquer « contrats d'échanges relatifs à des actions », cette mention n'emporte, ni ne suggère, aucun pré-jugement sur le bien-fondé du premier grief. C'est donc en vain qu'EAUK et ECA soutiennent que le président de l'AMF a, par cette lettre, méconnu le principe du droit au respect de la présomption d'innocence. Ces sociétés ne sauraient pas davantage lui reprocher d'avoir relayé l'information sur certains griefs notifiés auprès d'un organe de presse, alors qu'elles n'avancent aucun élément pour démontrer que la diffusion de cette information lui serait imputable. De même, elles sont mal fondées à critiquer la contribution du président de l'AMF aux réflexions sur l'activisme en bourse, figurant sur le site internet de l'AMF, cette contribution ne faisant nullement référence à la présente affaire et se bornant à mentionner le prononcé d'une sanction à l'encontre de certaines sociétés du groupe Elliott, par une décision de la Commission des sanctions devenue définitive, dans une précédente affaire de manquement d'initié.
68.En troisième lieu, force est de constater que l'omission, dans le rapport, de la citation de la note de bas de page du guide RDT de l'AMF, portant sur la définition des CFD, n'a pas empêché EAUK et ECA d'en débattre et de faire valoir cet élément en leur faveur, lors de leurs observations en réponse au rapport, pour les besoins de leur défense devant la Commission des sanctions.
69.En quatrième lieu, l'absence de saisine du Collège par le rapporteur en vue de faire notifier un grief à une personne autre que celle mise en cause, ne saurait vicier la procédure menée à l'égard de cette dernière. En effet, une personne déjà mise en cause ne peut échapper à sa responsabilité au motif que d'autres personnes, dont la responsabilité aurait pu être engagée, n'ont pas été mises en cause.
70.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.
C. SUR LE MOYEN PRIS DU DÉFAUT DE MOTIVATION ET DE BASE LÉGALE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE
71.EAUK et ECA soutiennent que la décision attaquée est nulle en raison :
– d'une part, d'un défaut de motivation et de réponse à leurs arguments juridiques et factuels, développés notamment dans divers rapports, avis et consultations qu'elles ont produits ;
– d'autre part, d'un défaut de base légale, résultant d'une violation du principe de légalité des délits et des peines, en ce qui concerne chacun des griefs.
72.Dans ses observations en réponse, l'AMF estime que la décision attaquée est suffisamment motivée et que le moyen pris d'un défaut tant de motivation que de base légale est un moyen de fond et non de procédure, qu'il convient à ce titre d'écarter.
***
Sur ce, la Cour,
73.Comme le relève à juste titre l'AMF, sous couvert d'un moyen de procédure, ce moyen ne tend qu'à remettre en cause, sur le fond, la décision de la Commission des sanctions, quant au bien-fondé des griefs et des sanctions, que la Cour appréciera ultérieurement.
II. SUR LE FOND
A. SUR LE MANQUEMENT DE DÉCLARATIONS INEXACTES PORTANT SUR LA NATURE DES INSTRUMENTS DÉRIVÉS ACQUIS
1. Sur l'étendue des obligations déclaratives applicables
74.Aux paragraphes 18 à 25 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a déduit des articles L.233-7 et L.233-9 du code de commerce, ainsi que des articles 223-11, 231-46, 231-47 et 231-44, alinéa 3, du RGAMF, que les instruments dérivés, tels que les CFD ou les equity swaps, sont assimilés aux actions, pour l'application tant de l'article L.233-7 du code de commerce que des articles 231-46 et 231-47 du RGAMF, de sorte que ceux-ci ou leur détention doivent être déclarés lorsque les seuils visés par ces articles sont franchis. Elle a ensuite déduit de la combinaison des articles L.233-7 et 231-46, précités, de l'article 223-14, VI du RGAMF et des modèles-types de déclaration figurant en annexe de deux instructions de l'AMF (no 2008-02 et no 2009-08), que les déclarations réalisées en application des articles précités, doivent préciser la nature de l'instrument dérivé acquis et notamment s'il s'agit d'un CFD ou d'un equity swap.
75.ECA et EAUK contestent être tenues de déclarer la nature desdits instruments. Plus précisément, elles soutiennent :
– en premier lieu, que ni l'article L.233-7 du code de commerce, ni les articles 231-46 et 231-47 du RGAMF, ne leur imposaient de préciser la nature des instruments dérivés acquis, dans les déclarations du 15 mai et du 24 juin 2015, seules étant requises la déclaration quotidienne des acquisitions et des ventes d'actions ou d'instruments financiers ayant « un effet similaire » à la possession des actions (article 231-46 précité), ainsi que celle relative aux instruments financiers réglés en espèce ayant « un effet économique similaire » à la possession des actions (article L.233-7 précité, lu en combinaison avec l'article L.233-9 précité) ;
– en deuxième lieu, que les modèles-types de déclarations figurant en annexe des instructions précitées de l'AMF, qui seuls évoquent la nature de l'instrument dérivé à déclarer, ne peuvent servir de fondement à l'obligation dont le manquement est reproché, dans la mesure où, d'une part, ces instructions vont au-delà du rôle d'interprétation des dispositions du RGAMF qui leur est assigné par l'article L.621-6, alinéa 2, du code monétaire et financier (les instructions de l'AMF étant par nature dépourvues de toute valeur réglementaire) et, d'autre part, lesdits modèles-types contiennent uniquement des prescriptions de forme sans emporter d'obligation de fond dont la violation pourrait être sanctionnée. À cet égard, EAUK et ECA font valoir qu'en tout état de cause, ces modèles-types invitent les déclarants à préciser uniquement « les caractéristiques » ou « le type des instruments dérivés » acquis et se bornent à énumérer, dans une simple note de bas de page, à vocation uniquement illustrative, des exemples d'instruments dérivés, tels que des equity swaps et des CFD, sans pour autant en donner de définition.
76.Elles en déduisent que la Commission des sanctions a méconnu le principe de sécurité juridique, ainsi que les exigences de prévisibilité et de clarté de la loi, en retenant que les déclarations réalisées en application de l'article L.233-7 du code de commerce, ainsi que des articles 231-46 et 231-47 du RGAMF, doivent préciser la nature de l'instrument dérivé acquis.
77.Au surplus, en réponse aux observations de l'AMF se prévalant d'un avis de la CEDH, du 29 mai 2020, ayant admis la possibilité de recourir à la technique de la législation dite par référence, EAUK et ECA font valoir, d'une part, que cette technique est difficilement transposable en l'espèce, notamment en l'absence de valeur normative des modèles-types et, d'autre part, que le recours à ladite technique n'a été admise, dans l'avis précité, eu égard aux exigences du principe de légalité des délits et des peines, que sous réserve, notamment, que les normes auxquelles il est fait référence n'étendent pas la portée de l'incrimination définie par la norme référente, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, les modèles-types étendant les obligations édictées par les articles du code de commerce et du RGAMF précités. Elles contestent également la pertinence en l'espèce des éléments de jurisprudence constitutionnelle, administrative et judiciaire, invoqués par l'AMF.
78.Dans ses observations en réponse, l'AMF fait valoir que les articles 223-14 et 231-46 du RGAM, en renvoyant à des instructions pour préciser les modalités des déclarations imposées par l'article L.233-7 du code de commerce et l'article 231-46 du RGAMF, confèrent aux instructions prises à cette fin une valeur impérative. Il en va ainsi, selon elle, des instructions AMF no 2008-02 et no 2009-08 précitées, comportant des modèles de déclaration, respectivement de franchissement de seuil de participation et d'opérations sur les titres concernés par une offre publique. À cet égard, elle rappelle que, dans son avis du 29 mai 2020, la CEDH a précisé que la technique de la législation par référence est conforme au principe de légalité des délits et des peines, tel que garanti par l'article 7 de la CSDH, pour autant que, lues conjointement, la norme référente et la norme référée permettent à la personne concernée de déterminer, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, quel comportement est propre à engager sa responsabilité. Elle estime que plusieurs décisions, en particulier du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, s'inscrivent en ce sens.
79.En outre, l'AMF observe que le guide sur les déclarations réglementaires en France réalisé par un cabinet d'avocats anglo-saxon, présenté par EAUK et ECA comme une base de données servant de référence au plan international, mentionne l'existence d'un formulaire standard de déclaration devant être utilisé et renvoie, par un lien hypertexte, à l'instruction AMF no 2008-02, précitée. Elle en déduit que les praticiens avaient bien intégré que les déclarations devaient mentionner l'ensemble des informations contenues dans ce formulaire. En l'espèce, elle relève que, dans les déclarations en cause, le déclarant ne s'est pas borné à mentionner qu'il détenait des instruments dérivés à dénouement en espèce, mais a pris le soin de préciser qu'il s'agissait de CFD. Au surplus, elle estime que l'obligation consistant à déclarer la nature des instruments dérivés acquis participe de la bonne information du marché.
80.Le ministère public développe une argumentation comparable et rappelle que, selon la jurisprudence européenne, le caractère inédit d'une question juridique posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité de la loi dès lors que la solution retenue fait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles.
***
Sur ce, la Cour,
81.À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de légalité des délits et des peines, tel que garanti notamment par l'article 7, paragraphe 1, de la CSDH, s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, ce qui recouvre les sanctions pécuniaires prononcées par la Commission des sanctions.
82.Ce principe, qui constitue le corollaire du principe de sécurité juridique, implique que la loi pénale, lorsqu'elle définit une infraction, réponde à certaines exigences d'accessibilité et de prévisibilité. Les éléments constitutifs de l'infraction doivent ainsi être définis de manière suffisamment claire et précise. Il ressort de la jurisprudence de la CEDH (voir, notamment, arrêts du 15 novembre 1996, Cantoni c. France, §29, du 12 février 2008, Kafkaris c. Chypre, req. no 21906/04, §140, et du 18 mars 2014, Öcalan c. Turquie, req. no 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07, § 174) que cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, ainsi que, au besoin, à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les juridictions et de conseils éclairés, quels actes ou omissions sont susceptibles d'engager sa responsabilité pénale.
83.À cet égard, la CEDH a précisé (voir, notamment, l'arrêt Cantoni c. France, précité, § 35, l'arrêt du 20 octobre 2015, Vasiliauskas c. Lituanie, req. no 35343/05, §157, et l'avis du 29 mai 2020, demande no P 16-2019-001, §61) qu'une loi peut satisfaire à l'exigence de prévisibilité même si la personne concernée doit recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé, et qu'il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier, de sorte que l'on peut attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte. La CEDH a également précisé (voir, notamment, arrêts du 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, §§ 41-43, série A no 335-B, C.R. c. Royaume-Uni, §§ 39-41, série A no 335-C, du 12 juillet 2007, Jorgic c. Allemagne, req. no 74613/01, §§ 106-109, CEDH 2007-III, et du 1er septembre 2016, X et Y c. France, req. no 48158/11, §56) que l'article 7 de la CSDH ne s'oppose pas à une clarification, graduelle ou pour la première fois, des règles de la responsabilité pénale par la voie de l'interprétation judiciaire, à condition que le résultat de celle-ci soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible.
84.Dans son avis du 29 mai 2020, précité, la CEDH, transposant cette jurisprudence à la technique de la législation par référence, a indiqué que la norme référée faisant partie intégrante de la définition de l'infraction, cette norme, ainsi que la norme référente, lues conjointement, doivent permettre aux personnes concernées de prévoir, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, quel comportement peut engager leur responsabilité pénale (§72).
85.À cet égard, elle a précisé que « la manière la plus efficace de garantir la clarté et la prévisibilité d'une incrimination conçue sur ce modèle est de faire en sorte que la référence soit explicite et que la norme référente définisse les éléments constitutifs de l'infraction » et qu' « [e]n outre, les normes référées ne doivent pas étendre la portée de l'incrimination telle qu'elle est définie par la norme référente » (§ 73).
86.En l'espèce, il convient d'examiner si, eu égard au principe de légalité des délits et des peines, les textes applicables, premièrement, à la déclaration de franchissement de seuil, deuxièmement, à la déclaration d'opérations dans le cadre d'une offre publique et, troisièmement, à la déclaration d'intention dans le même cadre, étaient suffisamment précis, accessibles et prévisibles dans leur application, pour permettre à EAUK et ECA de prévoir, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, que leur responsabilité était susceptible d'être engagée en cas de déclarations inexactes quant à la nature des instruments concernés. Les textes applicables respectivement à ces trois types de déclarations, qui composent le premier grief de déclaration inexacte, seront examinés successivement.
a) La déclaration de franchissement de seuil (article L.233-7 du code de commerce)
87.L'article L.233-7 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse, énonce :
« I. Lorsque les actions d'une société ayant son siège sur le territoire de la République sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen (?), toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, qui vient à posséder un nombre d'actions représentant plus du vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote informe la société dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, à compter du franchissement de seuil de participation, du nombre total d'actions ou de droits de vote qu'elle possède.
(?)
II. La personne tenue à l'information mentionnée au I informe également l'Autorité des marchés financiers, dans un délai et selon des modalités fixées par son règlement général, à compter du franchissement de seuil de participation, lorsque les actions de la société sont admises aux négociations sur un marché réglementé (?). Cette information est portée à la connaissance du public dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers.
Le règlement général précise également les modalités de calcul des seuils de participation » (souligné par la Cour).
88.Le RGAMF, auquel renvoient les dispositions précitées, apporte, en son article 223-14 (dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse), les précisions suivantes :
« I. Les personnes tenues à l'information mentionnée au I de l'article L.133-7 du code de commerce déposent leur déclaration auprès de l'AMF, avant la clôture des négociations, au plus tard le quatrième jour de négociation suivant le franchissement de seuil.
(?).
II. L'information mentionnée au I comprend notamment :
1o L'identité du déclarant ;
(?)
3o La date du franchissement de seuil de participation ;
4o L'origine du franchissement de seuil ;
5o La situation qui résulte de l'opération en termes d'actions et de droits de vote ;
6o Le cas échéant, la nature de l'assimilation aux actions ou aux droits de vote possédés par le déclarant résultant de l'article L.233-9 du code de commerce, ainsi que, s'il y a lieu, les principales caractéristiques des instruments financiers et des accords mentionnés aux 4o et 4obis du I de l'article L.233-9 dudit code.
(?)
V. Lorsque le 4obis du I de l'article L.233-9 du code de commerce est applicable, la déclaration comporte en outre une description de chaque type d'accord ou d'instrument financier réglé en espèces, précisant notamment :
3o Les principales caractéristiques de l'instrument ou de l'accord, notamment, le nombre maximal d'actions sur lesquelles il est indexé ou référencé, sans compensation avec le nombre d'actions sur lesquelles la personne tenue à l'obligation de déclaration détient une position courte en vertu de tout accord ou instrument financier réglé en espèces ;
(?)
VI. La déclaration prend la forme du modèle type de déclaration prévu dans une instruction de l'AMF. Elle est déposée à l'AMF selon les modalités prévues par une instruction de l'AMF. Elle est portée à la connaissance du public par l'AMF dans un délai de trois jours de négociation suivant la réception de la déclaration complète (?) » (souligné par la Cour).
89.L'article L.233-9, I, du code de commerce (dans sa rédaction en vigueur du 28 juillet 2013 au 5 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse), auquel renvoient les dispositions précitées, énonce :
« Sont assimilées aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L.233-7 :
(?)
4o bis Les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier mentionné à l'article L.211-1 du code monétaire et financier réglé en espèces et ayant pour cette personne ou l'une des personnes mentionnées aux 1o et 3o un effet économique similaire à la possession desdites actions. Il en va de même pour les droits de vote sur lesquels porte, dans les mêmes conditions, tout accord ou instrument financier.
(?)
Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions d'application des 4o et 4obis, en particulier les conditions dans lesquelles un accord ou instrument financier est considéré comme ayant un effet économique similaire à la possession d'actions (?) ».
90.Ainsi, l'article 223-11 du RGAMF (dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse), précise :
« (?) Pour l'application du 4obis du I de l'article L.233-9 du code de commerce, la personne tenue à l'information mentionnée au I prend en compte les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier réglé en espèces et ayant pour elle un effet économique similaire à la possession desdites actions.
Sont considérés comme tels les instruments ou accords :
a) Indexés sur, référencés ou relatifs aux actions d'un émetteur ;
b) Procurant une position longue sur les actions à la personne tenue à l'obligation de déclaration.
Il en va ainsi notamment des contrats financiers avec paiement d'un différentiel, des contrats d'échange relatifs à des actions ou de tout instrument financier exposé à un panier ou à un indice d'actions de plusieurs émetteurs sauf s'ils sont suffisamment diversifiés » (souligné par la Cour).
91.Le modèle-type de déclaration de franchissement de seuil de participation (ci-après « modèle-type de déclaration no 1 »), auquel renvoie l'article 223-14, VI, du RGAMF, précité, figure en annexe de l'instruction AMF no 2008-02. Ledit modèle, dans sa rédaction modifiée le 7 février 2013, applicable à la situation litigieuse, comporte une partie « E » intitulée « Origine (s) et franchissement de seuil (s) », dont la seconde sous-partie dénommée « Actions et droits de vote assimilés », contient une rubrique e), rédigée selon les termes suivants :
« Actions déjà émises - ou droits de vote y attachés - sur lesquelles portent un accord ou un instrument financier à dénouement physique ou en espèces et ayant pour le déclarant un effet économique similaire à la possession desdites actions ou desdits droits de vote.
Précisez (cf. Io et Jo) » (souligné par la Cour).
92.Les parties Io et Jo auxquelles renvoient les dispositions précitées contiennent une série de rubriques à remplir concernant les « caractéristiques des accords et instruments financiers », que ces derniers soient à dénouement physique (partie Io) ou en espèces (partie Jo). Parmi ces rubriques, l'une d'elle, applicable à ces deux modes de dénouement, porte sur le « [n]ombre et [la] désignation des accords ou instruments financiers » (souligné par la Cour).
93.L'ensemble des textes applicables à la déclaration de franchissement de seuil étant rappelés, il convient d'en déduire les éléments qui suivent.
94.Tout d'abord, il résulte clairement du libellé de l'article L.233-7, II, du code de commerce, précité que cette déclaration doit être effectuée selon les modalités fixées par le RGAMF, à l'application duquel il est expressément renvoyé.
95.Ensuite, il ressort clairement et précisément du libellé des articles 223-11 et 223-14 du RGAMF, précité, en lien avec l'article L.233-9, I, 4o bis, du code de commerce, auquel ces deux premiers textes font explicitement référence, que, pour les accords et instruments financiers réglés en espèces et ayant à l'égard du déclarant un effet économique similaire à la possession d'actions, tels que les contrats financiers avec paiement d'un différentiel (CFD) et les contrats d'échange relatifs à des actions, ladite déclaration doit comporter « une description de chaque type d'accord ou d'instrument financier » et préciser par conséquent ses « principales caractéristiques ». Il s'agit là d'une obligation de fond, dont la méconnaissance est susceptible d'être sanctionnée, afin de garantir l'effet utile de la déclaration de franchissement de seuil au regard de l'objectif, poursuivi par ces dispositions, de bonne information du marché.
96.Enfin, il résulte clairement et précisément du libellé du modèle-type de déclaration no1, figurant en annexe à l'instruction AMF no 2008-02, précitée, à laquelle renvoie l'article 223-14, VI, du RGAMF, précité, ce qui confère à ladite instruction un caractère impératif, que la déclaration doit comporter, notamment, la désignation des accords ou instruments financiers concernés, outre ? entre autres caractéristiques ? leur date d'échéance ou d'expiration, leur date ou la période à laquelle ceux-ci pourront être dénoués ou exercés, ainsi que le nombre maximal d'actions ou de droits de vote sur lesquels ils portent.
97.Ce faisant, ce modèle-type précise la portée de l'obligation de fond prescrite par l'article 223-14, V, 3o, du RGAMF, consistant (comme le rappelle la note en bas de page no XXXV à laquelle renvoie expressément la partie Jo de l'annexe précitée) à fournir dans la déclaration « une description de chaque type d'accord ou d'instrument financier », en indiquant ses « principales caractéristiques ». En effet, la description de chaque type d'accord ou d'instrument financier, sur la base de ses principales caractéristiques, vise nécessairement à en déterminer la nature et partant à la désigner.
98.Ainsi, loin d'être autonome ou détachable de la description requise par le RGAMF, la rubrique figurant dans le modèle-type no1, relative à la désignation des accords ou instruments financiers, s'y rattache au contraire par un lien étroit, et ce de manière claire et précise comme en atteste la note de bas de page précitée.
99.En outre, contrairement à ce que soutiennent EAUK et ECA, en insérant cette rubrique, qui se borne à préciser la portée de l'obligation de fond précitée, ladite instruction ne va pas au-delà de l'interprétation du RGAMF, mais y procède à juste titre, dans le respect des limites qui sont assignées à ce type de mesure par l'article L.621-6 du code monétaire et financier. Cette rubrique du modèle-type no 1 ne revient donc pas à étendre la portée ni de l'obligation déclarative de franchissement de seuil, ni du manquement susceptible de découler de la méconnaissance de celle-ci.
100.Cette analyse ne saurait être remise en cause par les dispositions du VI du même article, aux termes duquel « [l]a déclaration prend la forme du modèle-type de déclaration prévu dans une instruction de l'AMF ». En effet, si, par définition, l'instauration d'un modèle- type de déclaration vise à uniformiser la formalisation d'une déclaration, cela ne s'oppose nullement à ce que l'AMF, ainsi que le prévoit l'article L.621-6 du code monétaire et financier, précité, précise l'interprétation du RGAMF, par voie d'instruction (le cas échéant, au moyen d'un modèle-type annexé à celle-ci), afin d'éclairer au mieux le sens et la portée d'une obligation déclarative et d'informer ainsi utilement l'ensemble des acteurs du marché des modalités concrètes de sa mise en oeuvre.
101.Au surplus, il ressort du dossier que les praticiens avaient compris en ce sens le modèle-type no1. En effet, le guide sur les déclarations réglementaires en France réalisé par un cabinet d'avocats anglo-saxon, invoqué par EAUK et ECA comme une référence internationale en la matière, renvoie, par un lien hypertexte, à ce modèle-type, en le présentant comme un formulaire standard devant être utilisé et complété correctement en recourant à des conseils avisés.
102.Dans de telles circonstances, la caractérisation d'un manquement en cas de déclaration inexacte portant sur la nature de l'accord ou de l'instrument financier était raisonnablement prévisible et, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative de franchissement de seuil, eu égard à l'objectif de bonne information du marché, poursuivi par l'instauration de cette obligation déclarative.
103.Il s'ensuit qu'EAUK et ECA, en tant que professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle-type no1, lu conjointement avec l'article 223-14, V, 3o, du RGAMF (auquel ce document fait expressément référence), ainsi qu'avec l'article L.233-7, II, du code de commerce (sur la base duquel se fonde ledit article du RGAMF), d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte de franchissement de seuil, quant à la nature de l'accord ou de l'instrument financier concerné.
104.Par conséquent, la combinaison des dispositions du modèle-type no 1 (annexé à l'instruction AMF no 2008-02) et de l'article 223-14, V, 3o, du RGAMF, constitue une base juridique suffisante, au regard du principe de légalité des délits et des peines, pour retenir un manquement aux dispositions de l'article L.233-7, II, du code de commerce, en cas de déclaration inexacte sur la nature de l'accord ou de l'instrument financier concerné.
105.Dès lors, c'est à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphe 25), a retenu que les déclarations réalisées en application de l'article L.233-7 du code de commerce doivent préciser la nature de l'instrument dérivé acquis.
b) La déclaration des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique (article 231-46 du RGAMF)
106.L'article 231-46 du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 12 juillet 2012, applicable à la date des faits, énonce :
« I. - Les personnes ou entités suivantes doivent déclarer chaque jour à l'AMF les opérations qu'elles ont effectuées ayant pour effet ou susceptibles d'avoir pour effet de transférer la propriété des titres ou des droits de vote visés par l'offre, y compris les opérations sur les instruments financiers ou les accords ayant un effet économique similaire à la possession desdits titres :
1.Les personnes concernées par l'offre ;
2.Les personnes ou entités détenant seules ou de concert au moins 5 % du capital ou des droits de vote de la société visée ;
3.Les personnes ou entités détenant seules ou de concert au moins 5 % des titres visés par l'offre, autres que des actions
4.Les membres des organes d'administration, de surveillance ou de direction des personnes concernées par l'offre ;
5.Les personnes ou entités qui, seules ou de concert, depuis le début de la période d'offre ou, le cas échéant, de la période de pré-offre, ont accru leur détention d'au moins 1 % du capital de la société visée, ou d'au moins 1 % du total des titres visés autres que des actions, tant qu'elles détiennent cette quantité de titres.
Les opérations qui doivent être déclarées incluent notamment :
1.L'achat, la vente, la souscription, le prêt et l'emprunt des titres visés par l'offre ;
2.L'achat, la vente de tout instrument financier ou la conclusion de tout accord ayant un effet économique similaire à la possession des titres visés par l'offre, quel que soit son mode de dénouement ;
3.L'exercice du droit à l'attribution d'actions attaché auxdits instruments financiers ou l'exécution desdits accords.
II. - Les déclarations doivent préciser :
1.L'identité du déclarant et de la personne ou de l'entité qui le contrôle au sens
des dispositions qui lui sont applicables ;
2.La date de l'opération ;
3.Le lieu d'exécution de l'opération ;
4.Le nombre de titres traités et le prix auquel l'opération a été réalisée ;
5.Le nombre de titres et de droits de vote possédés à l'issue de l'opération par le déclarant, seul ou de concert.
Les déclarations doivent être transmises à l'AMF au plus tard le jour de négociation suivant l'opération concernée et prendre la forme du modèle-type défini dans une instruction de l'AMF. L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire.
III. - Dans le cas d'une offre publique comportant une remise de titres de l'initiateur, doivent être déclarées, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, les opérations portant sur les titres de l'initiateur et ceux de la société visée.
La personne ou entité soumise à l'obligation déclarative relative à l'une ou l'autre de ces sociétés déclare ses opérations sur les titres des deux sociétés » (souligné par la Cour).
107.Le modèle-type de déclaration, auquel ces dispositions renvoient, figure en annexe de l'instruction AMF no 2009-08. Ce modèle-type (ci-après : « le modèle-type de déclaration no 2 »), dans sa rédaction en vigueur le 1er octobre 2009, applicable à la situation litigieuse, fait explicitement référence, dans son intitulé, à l'article 231-46 du RGAMF, et contient une partie 4, dénommée « [o]pérations sur des instruments dérivés sans composante optionnelle (quel que soit leur mode de dénouement), ou sur des accords équivalents ». Cette partie comporte une série de rubriques, dont l'une porte sur le « [t]ype d'instrument dérivé à dénouement en espèces », laquelle renvoie à une note de bas de page no 3 faisant référence aux « contrats futures ou forward, equity swap, contract-for-difference (CFD), ? ».
108.L'ensemble des dispositions applicables aux déclarations d'opérations dans le cadre d'une offre publique étant ainsi rappelé, il convient d'en déduire les éléments suivants.
109.Tout d'abord, il résulte clairement du libellé de l'article 231-46 du même RGAM, précité, que ces déclarations, à l'instar des déclarations de franchissement de seuil, doivent prendre la forme d'un modèle-type défini dans une instruction de l'AMF, ce qui confère à cette dernière un caractère impératif.
110.En outre, il résulte clairement et précisément du libellé du modèle-type de déclaration no 2 que cette déclaration doit indiquer, notamment, le « type d'instrument dérivé à dénouement en espèces », en précisant s'il s'agit, par exemple, de contrats futures ou forward, d'equity swap ou encore de CFD.
111.Cette rubrique, portant sur le type d'instrument concerné, se borne ainsi à préciser la portée de l'obligation déclarative prescrite par l'article 231-46 du RGAMF, auquel ladite rubrique fait expressément référence, et ce sans aller au-delà de l'interprétation du RGAMF et donc dans le respect de l'article L.621-6 du code monétaire et financier. Ladite rubrique ne revient donc pas à étendre la portée ni de l'obligation déclarative des opérations réalisées dans le cadre d'une OPA, ni du manquement susceptible de découler de la méconnaissance de celle-ci.
112.Pour les mêmes motifs que ceux déjà indiqués (paragraphe 100 du présent arrêt), cette analyse ne saurait être remise en cause par les dispositions de l'article 231-46, II, in fine, du RGAMF, précité, aux termes duquel « [l]es déclarations doivent (?) prendre la forme du modèle-type défini dans une instruction de l'AMF ».
113.Cette analyse ne saurait pas davantage être remise en cause par les autres dispositions du II du même article. En effet, si celles-ci n'incluent pas expressément la nature ou la description de l'accord ou de l'instrument financier dans la liste des éléments devant être précisés dans la déclaration, il n'en demeure pas moins que cette exigence découle implicitement mais nécessairement de l'objet et du périmètre de cette obligation déclarative. Il en va ainsi dès lors que cette obligation déclarative porte sur des opérations réalisées dans le cadre d'une OPA, ce qui implique, comme le requièrent les dispositions précitées, d'indiquer, notamment, le nombre de titres traités, ainsi que le nombre de titres possédés à l'issue de l'opération. Cela rend ainsi nécessaire, pour les besoins de ce décompte (eu égard à l'objectif de bonne information du marché), d'individualiser chaque titre concerné en précisant sa nature et par conséquent le type d'instrument dérivé à dénouement en espèces, comme le prévoit clairement le modèle-type de déclaration no 2, dans le prolongement des termes figurant dans l'annexe à l'instruction AMF no 2008-02, précitée.
114.D'ailleurs, il résulte de la série de déclarations effectuées en application de l'article 231-46 du RGAM, figurant à l'annexe 3-2 du rapport d'enquête, que tous les déclarants, notamment ECA, ont mentionné dans leur déclaration le type d'instrument dérivé à dénouement en espèces concerné, à savoir, soit des CFD, soit des equity swaps.
115.Dans ce contexte, la caractérisation d'un manquement à l'article 231-46 du RGAMF, en cas de déclaration inexacte portant sur le type d'instrument dérivé à dénouement en espèces, était raisonnablement prévisible et, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative prescrite par ce texte, eu égard à l'importance de l'objectif de bonne information du marché dans le cadre d'une OPA.
116.Il s'ensuit qu'EAUK et ECA, en tant que professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle-type no 2, lequel se réfère expressément à l'article 231-46 du RGAMF, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte du type d'instrument dérivé à dénouement en espèces concerné par des opérations réalisées dans le cadre d'une OPA.
117.Par conséquent, la combinaison des dispositions du modèle-type no 2 et de l'article 223-14, V, 3o, du RGAMF, constitue une base juridique suffisante, au regard du principe de légalité des délits et des peines, pour retenir un manquement aux dispositions de l'article L.233-7, II, du code de commerce, en cas de déclaration inexacte sur la nature de l'accord ou de l'instrument financier concerné par une opération réalisée dans le cadre d'une OPA.
118.Dès lors, c'est à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphe 25), a retenu que les déclarations réalisées en application de l'article 231-46 du RGAMF doivent préciser la nature de l'instrument dérivé acquis.
c) La déclaration d'intention dans le cadre d'une offre publique (article 231-47 du RGAMF)
119.L'article 231-47 du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 30 juin 2014, applicable à la date des faits (laquelle complète la rédaction antérieure sur la fixation du seuil), énonce :
« Sans préjudice des articles L.233-7 et suivants du code de commerce, toute personne ou entité, à l'exception de l'initiateur de l'offre, qui vient à accroître, seule ou de concert, depuis le début de la période d'offre ou, le cas échéant, de la période de pré-offre, le nombre d'actions qu'elle possède d'au moins 2 % du capital de la société visée, ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5 % du capital ou des droits de vote, est tenue de déclarer immédiatement à l'AMF les objectifs qu'elle a l'intention de poursuivre au regard de l'offre en cours. En cas de changement d'intention, une nouvelle déclaration est établie et communiquée sans délai à l'AMF.
Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également aux titres visés par l'offre, autres que des actions.
La déclaration précise :
1.Si la personne ou l'entité qui vient à accroître sa participation agit seule ou de concert ;
2.Les objectifs poursuivis par cette personne ou entité au regard de l'offre, notamment si elle a l'intention de poursuivre ses acquisitions et, si l'offre a été déposée, d'apporter les titres acquis à l'offre.
L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire » (souligné par la Cour).
120.Le modèle-type de déclaration d'intention, annexé à l'instruction AMF no 2009-08, au visa de l'article 231-47 du RGAMF, dans la partie 6 de ladite annexe (ci-après « le modèle-type de déclaration no3 »), rappelle ces exigences quant au contenu de la déclaration.
121.Il résulte clairement du libellé de l'article 231-47 du RGAMF que la déclaration doit préciser uniquement si la personne ou l'entité qui vient à accroître sa participation agit seule ou de concert, ainsi que les objectifs poursuivis par celle-ci au regard de l'offre en cours, notamment, si elle a l'intention de poursuivre ses acquisitions et, si l'offre a été déposée, d'apporter les titres acquis à l'offre. Si le déclarant est ainsi tenu d'indiquer s'il a l'intention de poursuivre à l'avenir ses acquisitions, force est de constater qu'il n'est soumis à aucune obligation consistant à préciser la nature des instruments dérivés déjà acquis.
122.Au demeurant, le modèle-type de déclaration no 3 se borne à rappeler en substance les dispositions de l'article 231-47 du RGAMF, sans apporter aucune précision sur l'interprétation de ce texte, qui ne renvoie d'ailleurs pas à une instruction de l'AMF pour ce faire.
123.La circonstance que ce modèle-type de déclaration no 3 figure à la suite du modèle-type no 2, dans la même annexe, est indifférente. En effet, si le modèle type de déclaration no 2, pris en application de l'article 231-46 du RGAMF, comporte, comme cela a déjà été indiqué, une rubrique portant sur le « [t]ype d'instrument dérivé à dénouement en espèces », et fait à cet égard référence aux « contrats futures ou forward, equity swap, contract-for-difference (CFD) », il n'en demeure pas moins que ces éléments, qui sont propres à la déclaration des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique, ne figurent pas dans le modèle-type no 3 afférent à la déclaration d'intention prévue à l'article 231-47 du RGAMF. L'intitulé de l'annexe à l'instruction précitée prend d'ailleurs le soin de distinguer clairement ces deux modèles-types (no 2 et no 3), en les désignant respectivement et en faisant référence à l'un et l'autre texte.
124.Il s'ensuit que les déclarations réalisées en application de l'article 231-47 du RGAMF, contrairement à celles effectuées au titre de l'article 231-46 du RGAMF et de l'article L.233-7 du code de commerce, n'ont pas à préciser la nature de l'instrument dérivé acquis.
125.Il en va ainsi nonobstant le fait que, comme cela sera expliqué ultérieurement lors de l'examen du deuxième grief, les CFD comme les equity swaps sont assimilés aux actions pour l'application de l'article 231-47 du RGAMF, de sorte que ces instruments dérivés doivent être pris en compte pour calculer les franchissements de seuils auxquels est subordonné le déclenchement de l'obligation déclarative prévue par ce texte.
126.Dès lors, c'est à tort que la Commission des sanctions a interprété les dispositions de l'article 231-47 du RGAMF comme elle l'a fait (au paragraphe 25 de sa décision). Il y a donc lieu de réformer la décision sur ce point.
2. Sur la nature des instruments dérivés acquis et déclarés
127.Aux paragraphes 26 à 41 de la décision attaquée, la Commission des sanctions, après avoir procédé à une présentation générale des CFD et des equity swaps (définitions, points communs et spécificités), a estimé qu'en l'espèce les instruments dérivés acquis présentaient plusieurs caractéristiques des equity swaps qui faisaient obstacle à la qualification de CFD, et que d'autres éléments du dossier confortaient cette analyse. Aux paragraphes 42 à 46 de ladite décision, elle en a déduit qu'en déclarant, le 15 mai et le 24 juin 2015, des CFD au lieu d'equity swaps, ECA avait effectué des déclarations inexactes, manquant ainsi à ses obligations déclaratives, en violation des articles L.233-7, 231-46 et 231-47, précités. Elle a également retenu ce manquement à l'encontre d'EAUK.
128.ECA et EAUK contestent l'existence d'une différence objective entre les CFD et les equity swaps.
129.À cet égard, elles soutiennent que la presse et la doctrine spécialisées, les autorités de régulation américaines (la SEC, la Commodities Futures Trading Commission, dite CFTC) et du Royaume-Uni (la Financial Services Authority, dite FSA, devenue la FCA), l'association internationale des swaps et dérivés (International Swaps Derivatives Association, dite ISDA), ainsi que le guide élaboré par un cabinet d'avocats anglo-saxon sur les déclarations réglementaires en France (déjà évoqué), assimilent les CFD et les equity swaps. Elles se prévalent également en ce sens du guide de l'AMF, du 16 janvier 2012, sur les modalités de déclaration des transactions via le système de reporting direct (dit guide RDT), ainsi que de la publication par l'AMF de déclarations (émanant d'autres opérateurs) assimilant expressément les CFD et les equity swaps.
130.Au surplus, elles estiment que la méthode d'analyse suivie par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est impropre à établir une différence de nature entre ces deux instruments dérivés, en ce qu'elle repose exclusivement sur des modalités d'exécution technique des contrats (l'existence d'un terme, le paiement d'une marge, le recours à un contrat-type, la compensation des obligations). Elles font valoir que ces éléments ne constituent pas des critères certains et absolus de distinction entre les CFD et les equity swaps, et sont, de surcroît, sans intérêt au regard de l'objectif de transparence du marché dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, le mode de dénouement est connu (dénouement en numéraire et non en actions). Elles avancent que seul l'objet des obligations caractéristiques des parties aux contrats pourrait a priori fonder une différence de nature entre CFD et equity swaps, ce qui à l'examen ne serait pas le cas en raison de l'identité d'objet desdites obligations (l'échange d'un flux monétaire correspondant à la différence de valeur de l'actif sous-jacent), comme de l'intention des parties (pour le débiteur, se couvrir de l'évolution de la valeur de l'actif sous-jacent et, pour le créancier, s'exposer à l'évolution du cours du sous-jacent).
131.Par ailleurs, ECA et EAUK contestent la pertinence de l'argument retenu à leur encontre par la Commission des sanctions (décision attaquée, paragraphe 39), selon lequel la banque contrepartie (BoA) a mentionné des equity swaps, et non des CFD, dans ses déclarations à l'AMF, ainsi que dans la notice d'opérations sur les titres NDSA que ladite banque a transmise à EMC. Elles font valoir que cet argument présume l'existence de différences entre les CFD et les equity swaps, alors que, selon elles, ces instruments sont interchangeables, ce que confirmerait l'absence totale de réaction du marché. À cet égard, elles avancent qu'il était évident, pour tous les observateurs, que les instruments dérivés déclarés par ECA et BoA le 26 juin 2015, pour un même niveau d'exposition économique sur NDSA (613 509 CFD pour Elliott et 676 404 equity swaps pour BoA) et une même date d'échéance (le 29 janvier 2016), portaient sur les mêmes instruments, ce qui excluait l'existence d'une prétendue stratégie de leur part consistant à dissimuler leurs intentions réelles sur le marché afin de tromper celui-ci.
132.Elles contestent également la pertinence de l'argument selon lequel, en mai 2015, elles ont acquis, sur la base de la même documentation contractuelle que celle utilisée en l'espèce, des instruments dérivés (portant respectivement sur les titres Alcatel Lucent et Nokia) qui ont été qualifiés d'equity swaps et non de CFD, alors que ces instruments présentaient les mêmes caractéristiques que ceux existant en l'espèce (décision attaquée, paragraphe 40). Sur ce point, elles indiquent utiliser indistinctement les termes CFD et equity swaps, comme en attesterait un document, communiqué à la SEC le 15 janvier 2016, recensant l'ensemble des transactions réalisées entre mai et juillet 2015 concernant les titres NDSA. Elles soutiennent, au surplus, que les dérivés auxquels la décision attaquée fait référence ont été acquis auprès d'une autre banque que la BoA et sur la base d'une documentation contractuelle distincte.
133.Enfin, ECA et EAUK soutiennent qu'il leur est reproché un manquement purement formel, excluant la prise en considération de l'intention réelle ou des effets des déclarations en cause, alors qu'en vertu des dispositions combinées des articles L.621-14, II et L.621-15, II, du code monétaire et financier, il était nécessaire de démontrer que le manquement reproché était de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement des marchés, ce qui ferait défaut en l'espèce.
134.Dans ses observations, l'AMF répond que, si le code monétaire et financier ne donne pas de définition des CFD et des equity swaps, l'article 223-11 du RGAMF les distingue néanmoins clairement en faisant référence tant aux « contrats financiers avec paiement d'un différentiel », dont relèvent les CFD, qu'aux « contrats d'échange relatifs à des actions », dont relèvent les equity swaps. Elle indique que le guide RDT, précité, définit distinctement les CFD et les equity swaps, nonobstant la note en bas de page selon laquelle « les CFD sont également appelés "contrats d'échange de rendement total" par certains acteurs du marché », cette précision ne signifiant nullement que l'AMF assimile les CFD aux equity swaps. Elle estime que ni la CFTC, ni la SEC, ni l'ISDA ne les présentent comme interchangeables, mais en donnent une définition distincte, seuls leurs effets économiques pouvant être considérés comme comparables. Elle observe que les consultations produites par ECA et EAUK ne remettent pas en cause les définitions dégagées dans le guide RDT ainsi que dans la décision attaquée. Elle considère que s'il n'est pas possible de retenir des définitions absolues de ces instruments s'agissant de contrats dont les paramètres peuvent être modifiés, ce constat ne signifie pas pour autant que les deux termes de CFD et d'equity swaps seraient interchangeables.
135.Avant de reprendre ensuite dans le détail chacun des critères de qualification retenus par la Commission des sanctions dans la décision attaquée, pour écarter les objections invoquées à leur encontre, elle fait valoir qu'au stade de la qualification des instruments dérivés, l'objectif n'est pas de déterminer si le marché a pu être trompé par les déclarations d'Elliott, mais uniquement de savoir si ce dernier a respecté ses obligations déclaratives, particulièrement précises en période d'OPA.
136.En l'espèce, l'AMF observe que, dans le cadre de l'OPA de XPO sur NDSA, ECA a systématiquement déclaré des CFD, et non des equity swaps ou des CFD/equity swaps.
137.En outre, elle précise qu'il résulte de la documentation contractuelle versée au dossier que les instruments financiers en cause ont été acquis en application notamment du Swap Master Confirmation Agreement du 24 décembre 2012, lequel a été conclu (avec une filiale de la BoA) sur le fondement du contrat-cadre dénommé ISDA Master Agreement et désigne expressément toute opération réalisée en application du présent contrat (Swap Master Confirmation Agreement) comme une « swap transaction », ce qui constituerait une première indication de ce que lesdits instruments seraient des equity swaps. Elle déduit de ladite documentation d'autres indications en ce sens : échange de deux flux financiers ; dates d'évaluation et d'expiration ; dates fixes de paiements intermédiaires pour chacune des parties.
138.Par ailleurs, elle rappelle le constat de la Commission des sanctions (décision attaquée, paragraphe 39) selon lequel les déclarations effectuées à l'AMF par BoA et la notice transmise par cette dernière à EMC mentionnaient des transactions portant sur des equity swaps.
139.Au surplus, elle observe que si les échanges électroniques internes à EAUK ou en relation avec BoA ou un fond d'investissement tiers révèlent un emploi à la fois des termes CFD et equity swaps, il n'en demeure pas moins qu'un courriel adressé en interne le 28 juin 2015 indiquait « on enregistre des swaps et on communiquera notre position en CFD », ce qui atteste que les mises en cause estimaient elles -mêmes que les transactions portaient sur des equity swaps, mais qu'elles ont fait le choix de déclarer des CFD.
140.Enfin, l'AMF fait valoir qu'il n'est pas nécessaire de démontrer une atteinte à la protection des investissements ou au bon fonctionnement des marchés pour caractériser un manquement entrant dans les prévisions des articles L.621-14, II et L.621-15, II, du code monétaire et financier.
141.Le ministère public développe une argumentation comparable.
***
Sur ce, la Cour,
142.Il ressort du dossier que les instruments dérivés ayant fait l'objet des déclarations en cause ont été acquis sur la base de plusieurs documents, à savoir :
– premièrement, l'ISDA Master Agreement (contrat-cadre ISDA) du 13 février 1998, tel que modifié par plusieurs avenants, le dernier étant du 23 février 2012 (annexe 6-5 du rapport d'enquête) ;
– deuxièmement, le Swap Master Confirmation Agreement (Confirmation-cadre de Swap), du 24 décembre 2012 (annexe 6-5 du rapport d'enquête) et ;
– troisièmement, des Supplemental Confirmations, dits Basket Supplemental Confirmations (Confirmations supplémentaires du panier), du 29 janvier 2015 (annexes 9-16 et 9-17 du rapport d'enquête et pièce factuelle no 77 produite par les mises en cause).
143.Ces divers documents mentionnent, d'un côté, le fonds d'investissement américain ou des îles Caïman (Elliott Associates L. P. ou Elliott International L.P) et, de l'autre, BoA ou l'une de ses filiales (Merrill Lynch International).
144.Il ressort également du dossier que les Swap Activity Reports (rapports d'activités sur les swaps) émis par BoA entre mai et juillet 2015, lesquels répertorient les opérations de swap que la banque a réalisées durant cette période, pour le compte de ces deux fonds, renvoient expressément aux Supplemental Confirmations, précitées (annexes 9-18 à 9-23 du rapport d'enquête).
145.Or, il résulte du Swap Master Confirmation Agreement, précité (page 3, paragraphe 1, 1ère phrase) que chaque opération réalisée en application de ce contrat-cadre - ce qui est le cas en l'espèce, comme l'attestent les Swap Activity Reports - constitue une « swap transaction » au sens de la documentation de l'ISDA.
146.Par ailleurs, il résulte des déclarations effectuées par BoA auprès de l'AMF (annexe 3-2 du rapport d'enquête), portant sur les opérations réalisées quasi quotidiennement sur le titre NDSA entre le 17 juin et le 2 juillet 2015, que les instruments dérivés, tant acquis que vendus par ladite banque, sont désignés comme étant des equity swaps. Or, il ressort de la confrontation de ces déclarations avec celles effectuées par ECA (annexe 3-2 du rapport d'enquête), portant sur les opérations réalisées pendant la même période, que le nombre d'instruments achetés pour le compte des fonds Elliott (déclarés comme étant des CFD, à règlement en espèces et arrivant à échéance le 29 janvier 2016) est proche de celui des instruments vendus le jour même par la banque (déclarés comme étant des equity swaps, à règlement en espèces et arrivant à la même date d'échéance).
147.De surcroît, il est établi que le 26 juin et le 1er juillet 2015, BoA a transmis à EMC, ECA et EAUK des notices d'opérations sur les titres NDSA faisant état de transactions en equity swaps (annexes 6-34 et 7-14 du rapport d'enquête). Il est également établi que la banque a ensuite adressé à EAUK, à sa demande, un courriel dressant une synthèse des opérations réalisées en equity swaps sur les titres NDSA (annexe 6-29 du rapport d'enquête). Ce courriel du 15 février 2016 indique, notamment, qu'entre le 5 mai et le 2 juillet 2015, la banque a conclu un certain nombre d'equity swaps avec les fonds Elliott et que tous ces equity swaps sont soumis à l'ISDA Master Agreement et au Swap Master Confirmation Agreement, précités
148.Au surplus, un courriel du 28 juin 2015, interne à EAUK, versé au dossier (annexe 7-20 du rapport d'enquête), indique : « comme pour GDN [NDSA], on enregistre des swaps et on communique notre position en CFD »). Il ressort de ce message qu'EAUK, qui avait déjà connaissance de la qualification d'equity swaps retenue par la banque (dans les premières déclarations de celle-ci à l'AMF, comme dans sa première notice d'opérations, précitées, intervenues le 26 juin 2015), avait nécessairement conscience de réaliser des transactions en equity swaps sur le titre NDSA, tout en indiquant, en toute connaissance de cause, que ces transactions seraient déclarées à l'AMF comme étant des CFD.
149.D'ailleurs, le contenu de la documentation précitée conforte la qualification d'equity swaps : dates d'expiration ou d'échéance des instruments (voir Supplemental Confirmations et Swap Activity Reports) ; obligation périodique pour chacune des parties de payer à l'autre, sauf compensation, une somme calculée sur la base du taux Euribor en fonction de l'évolution du cours de l'action sous-jacente selon l'évolution du panier (voir Swap Master Confirmation Agreement et Supplemental Confirmations) ; dates fixes de paiements intermédiaires pour chacune des parties (voir Supplemental Confirmations).
150.S'il peut arriver que des transactions en CFD comportent certaines de ces caractéristiques, il n'en demeure pas moins que la réunion de l'ensemble de celles-ci conforte la qualification d'equity swap au sens de la documentation ISDA.
151.Au surplus, s'il n'existe pas en droit français de définition des equity swaps et des CFD, force est de constater que, loin d'être présentés comme interchangeables, tant le code monétaire et financier (article D 211-1 A), que le RGAMF (article 223-11, dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, applicable à la date des faits), ainsi que le modèle-type de déclaration no 2 les désignent de manière distincte. Il en va de même du guide RDT, précité, peu important que, dans une note de bas de page afférente aux CFD, l'AMF ait pris le soin d'indiquer que « les CFD sont également appelés » contrats de rendement total « par certains acteurs du marché », cette précision se bornant à faire état de la position de ces derniers, tiers à l'AMF.
152.Dans le même sens, la directive 2013/50/UE (directive du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant la directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation et la directive 2007/14/CE de la Commission portant modalités d'exécution de certaines dispositions de la directive 2004/109/CE), distingue clairement (dans ses dispositions modificatives de l'article 13 de la directive 2004/109) les « contrats d'échange » (swaps) des « contrats financiers pour différences » (CFD).
153.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphes 41 à 44), a retenu que les instruments dérivés acquis en l'espèce doivent être qualifiés d'equity swaps et en a déduit que les déclarations du 15 mai et du 24 juin 2015 étaient inexactes, en ce qu'elles indiquent des CFD au lieu d'equity swaps.
154.C'est également à juste titre qu'elle a estimé que ces déclarations inexactes caractérisaient un manquement aux dispositions tant de l'article L.233-7 du code de commerce que de l'article 231-46 du RGAMF.
155.La démonstration d'effets concrets sur le marché résultant des déclarations inexactes n'étant pas requise pour caractériser le manquement, c'est en vain qu'ECA et EAUK invoquent l'absence d'incidence de leurs déclarations, étant précisé que le prononcé d'une sanction à ce titre est possible, en vertu des dispositions combinées des articles L.621-14, II et L.621-15, II, du code monétaire et financier, dès lors que le manquement reproché est de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés, sans qu'il soit besoin de caractériser un quelconque effet réel de ces manquements sur le marché.
156.EAUK ne contestant pas sa responsabilité dans la production des déclarations en cause, en tant que discretionary sub-advisor et gestionnaire des participations européennes des fonds, la Cour retient que celle-ci a violé, à l'instar d'ECA, les dispositions des articles L.233-7 du code de commerce et 231-46 du RGAMF.
157.En revanche, comme cela a déjà été indiqué, la Cour ayant retenu que les déclarations réalisées en application de l'article 231-47 du RGAMF n'avaient pas à préciser la nature de l'instrument dérivé acquis, il convient de mettre ECA et EAUK hors de cause de ce chef.
158.En conclusion, la Cour retient que le manquement de déclaration inexacte est établi en ce qui concerne uniquement la déclaration de franchissement de seuil (du 24 juin 2015) et la déclaration des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique (du 15 juin 2015), à l'exclusion de la déclaration d'intention (du même jour, le 15 juin 2015). Il y a donc lieu de réformer la décision attaquée (paragraphe 46), en ce qu'elle a retenu que le manquement de déclaration inexacte était caractérisé en ce qui concerne la déclaration d'intention du 15 mai 2015, et de mettre lesdites sociétés hors de cause de ce chef.
B. SUR LE MANQUEMENT DE DÉCLARATION TARDIVE
159.Aux paragraphes 52 à 55 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a déduit de la combinaison des articles 231-44 et 231-47 du RGAMF que les equity swaps sont assimilés aux actions pour l'application dudit article 231-47 et que ce dernier texte fait obligation à toute personne qui vient à détenir au moins 2% du capital de la cible d'une offre publique ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5%, directement ou par assimilation, de déclarer son intention d'apporter les titres acquis à l'offre lorsque celle-ci a été déposée, et ce immédiatement c'est-à-dire sans délai à compter du franchissement des seuils visés, cette obligation n'étant subordonnée ni à la certitude de pouvoir effectivement acquérir les titres concernés, ni à une détermination ferme de cette intention. Ayant constaté qu'en l'espèce (paragraphes 56 et 57 de ladite décision) l'offre avait été déposée le 11 juin 2015 et qu'ECA n'avait déclaré son intention de ne « pas apporter les actions acquises à l'offre » que le 10 juillet 2015, à la demande expresse de l'AMF, alors qu'il avait atteint par assimilation, au sens de l'article L.233-9 du code de commerce, le seuil de 2% du capital de NDSA dès le 14 mai de la même année et avait franchi le seuil de détention de 5% le 18 juin suivant, la Commission des sanctions en a déduit (paragraphe 58) que cette déclaration était tardive et qu'ECA et EAUK avaient ainsi violé l'article 231-47 du RGAMF.
160.ECA et EAUK contestent, en premier lieu, cette interprétation combinée des articles 231-44 et 231-47 du RGAMF. Elles soutiennent que le principe d'assimilation des instruments dérivés aux actions, prévu par le premier texte précité, ne peut être pris en compte que pour apprécier le déclenchement des seuils d'applicabilité du second texte précité (comme de l'article 231-46 du RGAMF), et non pour déterminer l'objet des obligations déclaratives déclenchées par le dépassement de ces seuils. Dans le même sens, elles prétendent que le libellé du second texte (article 231-47 du RGAMF) s'oppose à l'extension de l'objet de la déclaration d'intention à de simples instruments dérivés à dénouement en espèces dès lors que ce texte ne vise que l'intention « d'apporter les titres acquis à l'offre », ce qui implique, selon elles, que seuls les investisseurs détenant déjà ces titres soient tenus de déclarer ladite intention, d'autant plus que de simples instruments dérivés à dénouement en numéraire ne sont pas concernés par l'offre dès lors qu'ils ne peuvent y être apportés. Elles observent en outre, que ledit article 231-47, contrairement audit article 231-46, ne fait aucunement référence aux instruments ou accords ayant un effet économique similaire à la possession des titres visés par l'offre. Elles en déduisent que l'interprétation retenue par la Commission des sanctions, revenant à totalement assimiler les instruments dérivés aux actions pour l'application de l'article 231-47 du RGAMF, est contraire aux principes de légalité des délits et des peines, de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et de la prévisibilité du droit. Elles estiment que le caractère imprévisible de cette interprétation se trouve conforté par la pratique suivie en la matière par l'AMF jusqu'en 2015.
161.En deuxième lieu, les mises en cause s'interrogent sur ce qui aurait dû être exactement déclaré en l'espèce et sur l'utilité, au regard de l'objectif d'information du marché, d'une déclaration qui aurait consisté à indiquer que, si des actions NDSA étaient acquises pour le compte des fonds (ces derniers n'en possédant à ce stade quasiment aucune), leur intention était de ne pas les apporter à l'offre, sauf changement d'avis à la suite d'événements boursiers ou macro-économiques. Elles soutiennent qu'en tout état de cause l'existence d'une intention implique une prise de décision préalable, même si celle-ci n'est pas définitive.
162.ECA et EAUK contestent, en troisième lieu, le caractère tardif de la déclaration d'intention de ne pas apporter les actions NDSA à l'offre. Elles expliquent que, jusqu'au 2 juillet 2015, les fonds ne détenaient qu'un nombre marginal d'actions NDSA en propre (100 actions), leur exposition étant jusqu'à cette date presque exclusivement économique, et qu'ils n'étaient pas ainsi en mesure de former une quelconque intention d'apporter ou non à l'offre des actions qu'ils ne détenaient pas. Elles soutiennent que, si, ce jour-là, les instruments dérivés ont été dénoués et a été séparément acquis la couverture constituée par BoA, il n'était pas possible, avant le 9 juillet 2015, de déclarer l'intention des fonds de ne pas apporter à l'offre les titres ainsi acquis dès lors que, selon leurs explications, cette intention n'avait pas été arrêtée, une hésitation demeurant entre différentes options stratégiques, en raison des incertitudes sur les marchés européens liées au risque de Grexit et au risque en découlant de réduction significative du cours de l'action NDSA. Elles expliquent que la confiance des marchés financiers n'est revenue qu'entre le 6 et le 9 juillet 2015 et que la décision de ne pas apporter les actions NDSA à l'offre n'a été prise en conséquence que le 9 juillet en fin de journée et a donné lieu, de leur propre initiative, dans la nuit du 9 au 10 juillet (une fois le risque de Grexit passé), à une déclaration d'intention à l'AMF, laquelle l'a publiée le 10 juillet. Elles font valoir que la publication de cette intention n'a pas impacté le fonctionnement du marché.
163.Dans ses observations, l'AMF répond, en premier lieu, que la thèse des mises en cause, selon laquelle le principe d'assimilation ne permettrait pas de compter les instruments dérivés au nombre des « titres acquis » pour les besoins de la déclaration d'intention prévue par l'article 231-47 du RGAMF, mais seulement d'apprécier le déclenchement des seuils d'applicabilité de ce texte (ainsi que de l'article 231-46 du même règlement), repose sur une distinction qui n'existe pas dans les textes, à savoir ni aux articles précités, ni à l'article 231-44 du RGAMF, ni à l'article L.233-9 du code de commerce (auquel ledit article 231-44 renvoie). Elle estime qu'au contraire la lettre de ces textes, comme leur esprit, implique que les instruments dérivés soient assimilés aux actions pour l'application ? dans son ensemble ? dudit article 231-47. Elle se prévaut en ce sens des travaux préparatoires ayant abouti à la modification de l'article L.233-9 du code de commerce, et du considérant 9 de la directive 2013/50/UE du 22 octobre 2013 (dite « transparence II »), et rappelle que ceux-ci poursuivent un objectif général de transparence et de bonne information du marché. Elle en déduit que toute personne qui vient à détenir au moins 2% du capital de la cible d'une offre publique ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5%, directement ou par assimilation, est tenue de déclarer son intention d'apporter les titres acquis à l'offre lorsque celle-ci a été déposée, peu important qu'elle ne détienne pas effectivement d'actions au moment de sa déclaration. À cet égard, elle fait valoir que si, en l'espèce, la Commission des sanctions a ainsi appliqué pour la première fois l'article 231-47 du RGAMF, il résulte néanmoins de la jurisprudence de la CEDH (voir, notamment, arrêt X et Y c. France, précité, § 62) que le caractère inédit de la question posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles. Elle estime qu'il en va ainsi de la solution retenue dans la présente affaire, nonobstant les éléments tirés par ECA et EAUK de la pratique antérieure de l'AMF, ces éléments étant insuffisants, par leur nombre et leur nature, à rendre imprévisible ladite solution, eu égard notamment au libellé de l'article 231-47 du RGAMF.
164.L'AMF répond, en deuxième lieu, qu'une déclaration d'intention n'est pas subordonnée à une prise de décision définitive, ladite déclaration n'étant pas nécessairement la dernière, mais pouvant être suivie d'une nouvelle déclaration en cas de changement d'intention. À cet égard, elle fait que si les investisseurs n'étaient tenus de déclarer leur intention qu'une fois tout aléa supprimé, en particulier l'aléa tenant aux conditions de marché, cette information interviendrait en général peu de temps avant la réalisation effective de leur projet et ne permettrait pas ainsi d'assurer la visibilité et la transparence recherchée. Elle relève que les déclarants apportent, en revanche, régulièrement des réserves à leur intention.
165.L'AMF rappelle, en troisième lieu, que la déclaration d'intention effectuée par ECA le 15 mai 2015, en période de pré-offre, faisait uniquement état de l'intention des fonds Elliott de poursuivre leurs acquisitions d'actions et/ou d'instruments dérivés relatifs aux actions NDSA, sans préciser leur intention d'apporter ou non les titres à l'offre, cette précision n'ayant été apportée que lors de la déclaration du 10 juillet 2015, en période d'offre. Elle estime que le caractère tardif de cette déclaration du 10 juillet était délibéré dès lors qu'ECA et EAUK avaient, dès mai 2015, mis en oeuvre une stratégie de « hold out », visant à bloquer le retrait de la cote recherché par l'initiateur de l'offre (XPO), en vue d'une intégration fiscale de NDSA, qui aurait été créatrice de valeur pour celui-ci.
166.Le ministère public développe une argumentation comparable.***
Sur ce, la Cour,
167.En premier lieu, la Cour rappelle que l'article 231-47 du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 30 juin 2014, applicable à la date des faits, énonce :
« Sans préjudice des articles L.233-7 et suivants du code de commerce, toute personne ou entité, à l'exception de l'initiateur de l'offre, qui vient à accroître, seule ou de concert, depuis le début de la période d'offre ou, le cas échéant, de la période de pré-offre, le nombre d'actions qu'elle possède d'au moins 2 % du capital de la société visée, ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5 % du capital ou des droits de vote, est tenue de déclarer immédiatement à l'AMF les objectifs qu'elle a l'intention de poursuivre au regard de l'offre en cours. En cas de changement d'intention, une nouvelle déclaration est établie et communiquée sans délai à l'AMF.
(?)
La déclaration précise :
1.Si la personne ou l'entité qui vient à accroître sa participation agit seule ou de concert ;
2.Les objectifs poursuivis par cette personne ou entité au regard de l'offre, notamment si elle a l'intention de poursuivre ses acquisitions et, si l'offre a été déposée, d'apporter les titres acquis à l'offre.
L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire » (souligné par la Cour).
168.Par ailleurs, l'article 231-44, alinéa 3, du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2012, précise :
« Les fractions de 1%, 2% et 5% visées dans la présente section [intitulée » contrôle des opérations d'offre publique », dont relève notamment l'article 231-47] sont déterminées conformément aux modalités d'assimilation prévues à l'article L.233-9 du code de commerce (?) » (souligné par la Cour).
169.En outre, l'article L.233-9, I, du code de commerce (dans sa rédaction en vigueur du 28 juillet 2013 au 5 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse), auquel renvoient les dispositions précitées (article 231-44 du RGAMF), énonce :
« Sont assimilées aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L.233-7 [du code de commerce] :
(?)
4o bis Les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier mentionné à l'article L.211-1 du code monétaire et financier réglé en espèces et ayant (?) un effet économique similaire à la possession desdites actions. Il en va de même pour les droits de vote sur lesquels porte, dans les mêmes conditions, tout accord ou instrument financier.
(?)
Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions d'application des 4o et 4obis, en particulier les conditions dans lesquelles un accord ou instrument financier est considéré comme ayant un effet économique similaire à la possession d'actions (?) ».
170.Ainsi, pour mémoire, l'article 223-11 du RGAMF (dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, applicable à la situation litigieuse), précise :
« (?) Pour l'application du 4obis du I de l'article L.233-9 du code de commerce, la personne tenue à l'information mentionnée au I prend en compte les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier réglé en espèces et ayant pour elle un effet économique similaire à la possession desdites actions.
Sont considérés comme tels les instruments ou accords :
a)Indexés sur, référencés ou relatifs aux actions d'un émetteur ;
b)Procurant une position longue sur les actions à la personne tenue à l'obligation de déclaration.
Il en va ainsi notamment des contrats financiers avec paiement d'un différentiel, des contrats d'échange relatifs à des actions ou de tout instrument financier exposé à un panier ou à un indice d'actions de plusieurs émetteurs sauf s'ils sont suffisamment diversifiés » (souligné par la Cour).
171.Enfin, l'article L.211-1 du code monétaire et financiers précise, premièrement, que « les instruments financiers sont les titres financiers et les contrats financiers », deuxièmement, qu'au rang des titres financiers figurent « les titres de capital émis par les sociétés par actions », c'est-à-dire les actions et, troisièmement, que « les contrats financiers, également dénommés instruments financiers à terme sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret ». Cette liste, qui figure à l'article D.211-1 A du même code, mentionne notamment « les contrats d'échange (?) relatifs à des instruments financiers (?) qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces » (sous 1), ainsi que « les contrats financiers avec paiement d'un différentiel » (sous 6).
172.Il résulte clairement de la combinaison de l'ensemble de ces dispositions que les equity swaps réglés en espèces (c'est-à-dire à dénouement en numéraire), dès lors qu'ils ont pour leur titulaire des effets économiques similaires à la possession des actions sous-jacentes, sont assimilés auxdites actions pour l'application de l'article 231-47 du RGAMF.
173.Il s'ensuit que ces equity swaps doivent être pris en compte pour calculer les franchissements de seuils fixés à l'alinéa 1er dudit article, dont la caractérisation a pour effet de déclencher l'obligation pour leur titulaire de « déclarer immédiatement à l'AMF les objectifs qu'(?) [il] a l'intention de poursuivre au regard de l'offre en cours ». Aux termes de l'alinéa 3 du même article, le déclarant est ainsi tenu de préciser dans sa déclaration, notamment, s'il a « l'intention de poursuivre ses acquisitions » et « d'apporter les titres acquis à l'offre » (lorsque cette dernière a été déposée).
174.Il résulte ainsi clairement de la combinaison de ces dispositions de l'article 231-47 du RGAMF que le déclarant doit préciser s'il a l'intention de poursuivre les acquisitions lui ayant permis de franchir les seuils susvisés, que ces acquisitions portent sur des actions visées par l'offre ou sur des equity swaps à dénouement en numéraire et ayant ces actions pour sous-jacent.
175.Il ressort tout aussi clairement de la combinaison de ces dispositions que le déclarant doit, en outre, préciser s'il a l'intention d'apporter à l'offre préalablement déposée, non seulement, les actions qu'il a déjà acquises à ce jour, mais aussi, en cohérence avec sa déclaration d'intention de poursuivre ses acquisitions, les actions qu'il est susceptible d'acquérir pendant la période d'offre. Il en va ainsi des actions que l'intéressé serait amené à acquérir à la suite du dénouement de ses equity swaps, grâce au rachat des actions préalablement acquises en couverture par la banque contrepartie.
176.Loin d'être dénuée de toute valeur informative pour le marché, l'intention déclarée d'apporter ou non à l'offre les actions susceptibles d'être acquises pendant la période d'offre constitue une indication digne d'intérêt, nonobstant la possibilité d'un changement d'intention nécessitant la réalisation sans délai d'une nouvelle déclaration et les incertitudes entourant la réalisation de l'opération d'acquisition desdites actions et l'évolution du marché. En effet, cette précision d'intention, qui complète celle relative à la poursuite ou non des acquisitions, ainsi que les données portant sur les opérations réalisées chaque jour (visées à l'article 231-46 du RGAMF), contribue à assurer une bonne information du marché et à faciliter la prévisibilité de l'issue de l'offre.
177.Si la question du périmètre de la déclaration d'intention prévue à l'article 231-47 du RGAMF revêt un caractère inédit, du fait de l'introduction récente (à la date des faits reprochés) du principe d'assimilation des instruments dérivés aux actions, il n'en demeure pas moins que cette interprétation dudit article 231-47 faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles, au regard de son libellé (combiné à celui des articles 231-44 et 223-11 du RGAMF et de l'article L.233-9 du code de commerce), et était, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative prescrite par ledit article, eu égard à l'importance de l'objectif de bonne information du marché dans le cadre d'une OPA.
178.Il s'ensuit qu'ECA et EAUK, en tant que professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article 231-47 du RGAMF, lu conjointement avec les articles précités, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration tardive d'intention d'apporter ou non à l'offre les actions déjà acquises ou susceptibles d'être acquises pendant la période d'offre.
179.La circonstance qu'entre juin 2013 et mai 2015, soit avant la date des faits reprochés, l'AMF ait publié plusieurs déclarations (réalisées au titre dudit article 231-47, par d'autres opérateurs qu'Elliott) qui ne comportaient pas cette précision d'intention, n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse. Cet élément, qui est sans incidence sur la caractérisation du manquement, pourra néanmoins être pris en compte au stade de la fixation du montant de la sanction.
180.C'est donc en vain qu'ECA et EAUK allèguent une violation du principe de légalité des délits et des peines, ainsi que du principe de prévisibilité du droit.
181.C'est également en vain qu'elles invoquent le principe de non-rétroactivité de la loi pénale dès lors que l'article 231-47 du RGAMF a été appliqué dans sa rédaction en vigueur à la date des faits.
182.En deuxième lieu, la Cour rappelle qu'en l'espèce ECA n'a déclaré l'intention des fonds Elliott de ne pas apporter les actions acquises à l'offre que dans la nuit du 9 au 10 juillet 2015, laquelle a été publiée par l'AMF le 10 juillet. Aucune déclaration préalable ne précise l'intention des fonds d'apporter ou non des titres à l'offre. En effet, la déclaration d'ECA du 15 mai 2015, formulée sur le fondement de l'article 231-47 du RGAMF et publiée par l'AMF le 18 mai suivant, se borne à indiquer, notamment, que les fonds Elliott « envisagent de poursuivre leurs acquisitions d'actions NDSA et/ou d'instruments dérivés relatifs auxdites actions, en fonction des conditions du marché ». Cette déclaration d'intention n'a pas été complétée par une précision sur l'intention d'apporter ou non à l'offre une fois celle-ci déposée, mais a été simplement confirmée par un courriel du 25 juin 2015, envoyé à l'AMF par un conseil d'ECA, faisant état d'une absence de changement d'intention, depuis la déclaration du 15 mai précitée, en ce qui concerne la poursuite des acquisitions (annexe 2-8 du rapport d'enquête).
183.Or, il est constant que, le 18 juin 2015, soit quelques jours après le dépôt de l'offre (intervenu le 11 juin), les fonds Elliott ont accru leur participation au-delà de 5% du capital et des droits de vote de NDSA, entrant ainsi dans les prévisions de l'article 231-47 du RGAMF, de sorte qu'à compter de ce jour (18 juin), aurait dû être déclaré, sans délai, leur intention d'apporter ou non à l'offre, non seulement, les 100 actions NDSA qu'ils avaient déjà acquises et déclarées dès le 15 mai 2015, mais aussi, celles qu'ils étaient susceptibles d'acquérir pendant la période d'offre à la suite du dénouement de leurs equity swaps ayant pour sous-jacents des actions NDSA (inexactement déclarés comme étant des CFD).
184.La circonstance que le débouclage de l'intégralité des equity swaps détenus par les fonds Elliott et le rachat séparé à la banque contrepartie des actions NDSA (que celle-ci avait préalablement acquises en couverture) n'aient eu lieu que le 2 juillet 2015 n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse.
185.En effet, cette circonstance n'avait pas pour effet de faire obstacle ni à la formation, ni à la déclaration, avant le 2 juillet 2015, de l'intention des fonds d'apporter ou non à l'offre les actions susceptibles d'être ainsi acquises.
186.À cet égard, il importe de rappeler que, par définition, une intention est une disposition d'esprit par laquelle on envisage délibérément un objectif. Il s'agit d'un simple projet, d'un dessein, dont la conception repose sur l'appréciation d'une certaine situation, laquelle peut être évolutive, ce qui peut justifier l'émission de réserves lors de la déclaration d'intention ou la réalisation d'une nouvelle déclaration en cas de changement d'intention. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent ECA et EAUK, ni la naissance d'une intention, ni sa déclaration à l'AMF, ne sont subordonnées à une quelconque prise de décision préalable. Admettre le contraire reviendrait à retarder indûment la déclaration d'intention, au plus près de la réalisation effective d'un projet, contrairement à l'objectif poursuivi par l'obligation déclarative, consistant à assurer en temps utile une bonne information du marché et à faciliter en conséquence la prévisibilité de l'issue de l'offre.
187.En l'espèce, il ressort du dossier qu'avant le 2 juillet 2015, il était déjà possible, en l'état des instruments financiers dont les fonds Elliott étaient titulaires, de déterminer leur intention d'apporter des titres à l'offre.
188.En effet, outre que les fonds Elliott détenaient déjà 100 actions NDSA depuis le mois de mai 2015, il était envisagé, dès le 19 juin 2015, qu'ils n'apportent pas de titres à l'offre, sous réserve de l'évolution du marché, comme en atteste un courriel du même jour faisant état de la teneur d'une conversation téléphonique entre un responsable d'EAUK et plusieurs responsables de l'établissement bancaire présentateur de l'offre (annexe 6-20 du rapport d'enquête, traduction libre produite par EAUK et ECA: « Nous prendrons notre décision plus tard, mais a priori nous n'apporterons pas les actions, à moins que le marché ne s'effondre à cause de la Grèce »). Il était donc possible, dès le 19 juin 2015, de déclarer à l'AMF l'intention des fonds de ne pas apporter à l'offre, non seulement, les 100 actions NDSA qu'ils avaient déjà acquises, mais aussi et surtout (leur exposition étant essentiellement économique) celles qu'ils étaient susceptibles d'acquérir pendant la période d'offre à la suite du dénouement de leurs equity swaps (prétendus CFD), quitte à assortir, le cas échéant, cette déclaration d'intention d'une réserve d'usage tenant à l'évolution du marché.
189.La déclaration d'intention effectuée par ECA auprès de l'AMF le 24 juin 2015 conforte cette appréciation de la situation au 19 juin 2015. En effet, le 24 juin 2015, ECA a déclaré à l'AMF, non seulement, l'accroissement de la participation des fonds au-delà du seuil de 5%, conforment à l'article L.233-7, II, du code de commerce, mais aussi (estimant sans doute entrer également dans les prévisions du VII du même article) qu'elle envisageait, en sa qualité de conseil et gestionnaire de portefeuille des fonds, de dénouer leur position en prétendu CFD pour la remplacer par une détention physique des titres NDSA (annexe 6-22 du rapport d'enquête). Il en résulte qu'ECA avait déjà dégagé cette intention, de manière suffisamment précise pour être déclarée à l'AMF, plusieurs jours avant que cette opération ne soit réalisée le 2 juillet 2015. Cet élément conforte l'idée que, le 19 juin 2015, lorsque EAUK a fait part à ses interlocuteurs de la banque présentatrice de l'offre de l'intention des fonds de ne pas apporter à l'offre, elle n'avait pas seulement à l'esprit les 100 actions NDSA qu'ils détenaient déjà, mais aussi et surtout celles qu'ils envisageaient précisément d'acquérir grâce à ladite opération.
190.Au surplus, il ressort du dossier que, dès le mois de mai 2015, EAUK avait projeté d'atteindre un niveau de détention dans le capital de NDSA lui permettant d'empêcher le retrait obligatoire de l'offre, dont la mise en oeuvre était ouvertement envisagée par XPO dans sa déclaration à l'AMF du 28 avril 2015.
191.En effet, par un courriel du 11 mai 2015 (annexe 7-21 du rapport d'enquête), le dirigeant d'EAUK a validé une proposition qui lui avait été préalablement soumise en interne le 8 mai, laquelle indiquait : « Notre objectif est d'atteindre un niveau de détention de 5% (106m) pour empêcher le retrait obligatoire et essayer d'obtenir une augmentation du prix de l'offre pour nos actions » (annexes 7-5 et 7-7 du rapport d'enquête, traduction libre). La définition de cet objectif est confirmée par un courriel interne à EAUK, du 26 mai 2015 : « La stratégie de trading est de construire une position de "hold out" avec les actions restantes (?) » (annexe 7-10 du rapport d'enquête, traduction libre).
192.Or, l'objectif consistant à empêcher le retrait obligatoire (« hold out ») a logiquement pour corollaire l'intention de ne pas apporter à l'offre. Cette perspective étant nécessairement présente à l'esprit d'EAUK et d'ECA dès le mois de mai 2015, il était parfaitement possible, à compter du 18 juin 2015, de déclarer l'intention des fonds Elliott de ne pas apporter à l'offre, non seulement, les actions déjà acquises, mais aussi, celles qu'ils étaient susceptibles d'acquérir pendant la période d'offre, à la suite du dénouement en numéraire de leurs equity swaps, quitte à assortir cette déclaration d'intention de toutes les réserves utiles.
193.Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'EAUK et ECA ne sauraient valablement exciper de ce que la décision de ne pas apporter à l'offre les actions des fonds n'aurait été prise que le 9 juillet 2015, pour s'exonérer de l'obligation de déclarer l'intention des fonds en la matière, laquelle était requise sans délai à compter du 18 juin 2015 et pouvait, le cas échéant, être assortie de réserves.
194.En outre, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au paragraphe 155 du présent arrêt, c'est en vain qu'ECA et EAUK font valoir l'absence d'incidence sur le marché de la déclaration tardive qui leur est reprochée.
195.Dès lors, EAUK ne contestant pas sa responsabilité dans la production de la déclaration tardive en cause (en tant que discretionary sub-advisor et gestionnaire des participations européennes des fonds), la Cour retient, comme l'a retenu la Commission des sanctions dans la décision attaquée (paragraphe 58), que cette société a violé, à l'instar d'ECA, les dispositions de l'article 231-47 du RGAMF.
C. SUR LE MANQUEMENT D'ENTRAVE À L'ENQUÊTE
196.Aux paragraphes 69 et 79 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a retenu qu'il résulte de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier qu'est susceptible de constituer un manquement d'entrave tout refus opposé aux demandes de communication des enquêteurs, que ce refus soit exprès ou qu'il résulte d'une absence de réponse à ces demandes, sans qu'il soit nécessaire de caractériser l'intention de faire obstacle au bon déroulement de l'enquête s'agissant d'un manquement objectif. Après avoir rappelé la chronologie et la teneur des échanges entre l'AMF, la FCA et EAUK (paragraphes 70 à 75 de la décision), elle en a déduit que cette dernière a mis plus d'un an et neuf mois, malgré les demandes réitérées de l'AMF, pour communiquer les éléments qui lui avaient été demandés, tout en observant que la demande de l'AMF était suffisamment claire et précise pour permettre d'identifier les documents demandés, au demeurant peu nombreux (paragraphes 76 et 77).
197.En outre, elle a relevé qu'EAUK avait cancellé les éléments relatifs aux autres transactions que celles relatives au titre NDSA dans les Swap Activity Reports, alors que les demandes des enquêteurs n'étaient pas limitées à ce titre. À cet égard, elle a précisé que, le 21 juillet 2015, EAUK avait déclaré à l'AMF l'achat d'equity swaps ayant pour sous-jacent les actions Alcatel Lucent et Nokia et en a déduit que la communication des éléments cancellés aurait permis aux enquêteurs, compte tenu de la période concernée et du type d'instrument traité, de comparer les transactions relatives à NDSA – et la façon dont elles ont été déclarées – aux autres transactions réalisées au cours de cette période, de sorte que ces éléments, qui ne sont toujours pas produits, étaient pertinents dans le cadre de l'enquête (paragraphe 78 de la décision).
198.La Commission des sanctions a déduit de l'ensemble de ces éléments que la privation, pendant près de deux ans, de la faculté pour les enquêteurs de pouvoir appréhender les conditions et modalités d'acquisition d'instruments financiers portant sur la valeur NDSA, jointe à la limitation des documents finalement fournis, ne peut s'analyser qu'en un refus de communiquer les informations demandées, sans qu'il soit besoin de démontrer son caractère intentionnel, s'agissant d'un manquement objectif, de sorte que le manquement d'entrave reproché à EAUK est caractérisé (paragraphes 79 et 80). Elle a, en revanche, mis ECA hors de cause de ce chef (paragraphes 81 à 90).
199.EAUK conteste la définition du manquement d'entrave retenue par la décision attaquée, ainsi que sa caractérisation en l'espèce.
200.S'agissant de la définition du manquement, elle soutient que celui-ci requiert, non seulement, un élément matériel, mais aussi, un élément intentionnel, ce qui implique un refus volontaire ou délibéré de communiquer les documents ou informations demandés, de nature à caractériser un manquement autonome, au-delà de la prise en compte de la coopération avec l'AMF dans la détermination de la sanction du manquement principal. Elle en tire la conséquence qu'en écartant l'exigence d'un élément intentionnel et en élargissant l'élément matériel à une absence de réponse ou à une réponse tardive aux demandes de communication des enquêteurs, la Commission des sanctions a violé les principes de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte de la loi pénale et de prévisibilité du droit. Elle en tire également la conséquence que le manquement d'entrave à l'enquête, au sens du droit français, ne peut être retenu qu'à la condition que le mis en cause ait été préalablement informé, dans le cadre de demandes directes de l'AMF, de l'existence d'une enquête, de la Charte de l'enquête et du risque que son refus de coopérer puisse constituer ledit manquement. Selon elle, il est nécessaire de démontrer que la personne en cause avait conscience qu'une enquête était en cours et a délibérément tenté d'y faire obstacle. En outre, elle avance qu'il ressort des MMoU adoptés dans le cadre de l'organisation internationale des commissions des valeurs mobilières (OICV ou en anglais IOSCO) et de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou en anglais ESMA), applicables dans les relations entre l'AMF et ses homologues étrangers (tels que la FCA), que la personne susceptible d'être mise en cause dans le cadre d'une enquête réalisée à l'étranger n'a d'obligation qu'à l'égard de son propre régulateur national, ce dernier étant son unique interlocuteur, en tant qu'autorité requise. Il en déduit que seule ladite autorité requise peut, en cas de manquement, sanctionner cette personne selon les règles locales, à moins que l'AMF, en tant qu'autorité requérante, ne se substitue à son homologue étranger en instaurant des contacts directs avec ladite personne. Dans le même sens, il soutient que l'article L.621-15, II, f) du code monétaire et financier, siège du manquement d'entrave, n'est pas applicable dans le cadre d'enquêtes déléguées à une autorité étrangère puisque ledit manquement constitue le corollaire du droit de communication, prévu à l'article L.621-10 du même code, et d'une demande directe de l'AMF, effectuée en application de l'article L.621-9 du même code, auquel le premier texte renvoie.
201.En l'espèce, EAUK en tire la conséquence qu'aucun manquement d'entrave ne peut lui être reproché pour la période antérieure à la lettre circonstanciée du 8 août 2018, par laquelle l'AMF l'a informé, sans aucune démarche préalable, de l'application du droit français et du risque d'entrave résultant de son prétendu manque de coopération. Elle soutient en outre, qu'à l'instar d'ECA, elle a effectivement coopéré avec les autorités compétentes et n'a pas entravé l'enquête. Rappelant la chronologie de ses échanges avec les régulateurs, elle estime avoir répondu systématiquement, rapidement et complètement aux demandes des autorités dès lors qu'EMC a communiqué les Swap Activity Reports dès le 15 janvier 2016 (à la SEC), que la cancellation (dans ces documents) des informations concernant d'autres opérations que celles ayant pour sous-jacent les actions NDSA était légitime et, que les Basket Supplemental Confirmations n'ont été clairement demandés par l'AMF que dans la lettre circonstanciée.
202.Au stade de son mémoire en réplique, EAUK se prévaut de la récente décision no2021-892 QPC du Conseil constitutionnel, du 26 mars 2021, ayant déclaré contraires à la Constitution les dispositions du code de commerce réprimant l'obstruction à l'enquête de l'Autorité de la concurrence, pour soutenir que cette décision est transposable aux dispositions équivalentes de l'article L.621-15 du code monétaire et financier.
203.De son côté, l'AMF considère, en premier lieu, que tant le libellé que l'esprit de l'article L.621-15 du code monétaire et financier s'opposent à la nécessité de caractériser un refus exprès, en l'absence de précision sur ce point et à la volonté du législateur de lutter contre un manque de coopération pouvant se manifester par une inertie dilatoire. À cet égard, elle estime qu'une absence de réponse, même temporaire, à une demande de communication peut caractériser un manquement d'entrave, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un élément intentionnel.
204.Elle indique, en deuxième lieu, que ni la « notification d'une enquête », ni la remise de la charte de l'enquête, ne constituent des préalables nécessaires aux demandes que peuvent formuler les enquêteurs en application de l'article L.621-10 du code monétaire et financier puis, le cas échéant, à la mise en oeuvre de l'article L.621-15, II, f), du même code. Elle observe que ni l'un, ni l'autre de ces textes n'opèrent de distinction selon la nationalité ou la localisation de la personne sollicitée par les enquêteurs et pas davantage selon que les demandes de l'AMF sont formulées par elle-même ou par l'intermédiaire d'un autre régulateur agissant dans le cadre de la coopération internationale.
205.Elle fait valoir, en troisième lieu, que la coopération internationale ne fait pas obstacle à la caractérisation d'un manquement d'entrave. À cet égard, elle précise que le MMoU de l'OICV, régissant les relations entre l'AMF et la FCA, se borne, en son article 9, à désigner les règles procédurales de l'autorité requise comme applicables uniquement pour déterminer le mode de collecte des éléments demandés et apprécier la régularité des actes accomplis, sans limiter pour autant la compétence de l'autorité requérante en ce qui concerne le manquement d'entrave. Quant au MMoU de l'ESMA, également applicable entre l'AMF et la FCA, elle indique que son article 6, paragraphe 1, concerne uniquement l'hypothèse où l'autorité requise ouvre une enquête ou mène une inspection sur place et ne limite en rien les pouvoirs de sanction de l'autorité requérante. Elle observe qu'en l'espèce, EAUK est intervenue sur les marchés français, s'étant ainsi soumise à la réglementation française, qu'elle n'était pas censée ignorer, d'autant que la FCA, dès son premier courriel du 18 janvier 2017, lui a indiqué que les demandes en cause lui étaient adressées dans le cadre d'une procédure ouverte par l'AMF.
206.Elle rappelle, en quatrième lieu, la chronologie et la teneur de ses échanges avec EAUK, seul sanctionnée au titre du manquement d'entrave. Elle précise que les Basket Supplemental Confirmations étaient couverts par la demande transmise par la FCA à EAUK dès le 18 janvier 2017, ces documents faisant partie de l'ensemble contractuel ayant permis aux fonds Elliott d'acquérir les instruments dérivés en cause. En outre, elle indique que seuls les Swap Activity Reports permettaient de rattacher les acquisitions, par lesdits fonds, d'instruments dérivés portant sur les titres NDSA aux contrats conclus avec BoA et que ces documents, ainsi que les Basket Supplemental Confirmations, n'ont été communiqués par EAUK que le 3 octobre 2018, lors de sa réponse à la lettre circonstanciée. S'agissant des Swap Activity Reports, elle précise qu'ils n'ont été communiqués que de manière cancellée, laissant apparaître uniquement les opérations réalisées sur NDSA, à l'exclusion des éléments concernant les opérations contemporaines, et n'ont finalement été transmis dans leur version complète qu'à l'occasion du présent recours, alors qu'il n'appartenait pas à EAUK d'apprécier la pertinence des demandes de communication.
207.Le ministère public développe une argumentation comparable.
***
Sur ce, la Cour,
208.L'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée dans un sens moins sévère sur ce point, énonce que « la commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre de (?) toute personne qui, dans le cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L.621-9, sur demande des enquêteurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ».
209.Il résulte clairement du libellé de ces dispositions que la caractérisation du manquement d'entrave, notamment en cas de refus de communiquer des informations aux enquêteurs, n'est pas subordonné à la preuve de l'intention de faire obstacle au bon déroulement de l'enquête et peut ainsi résulter de simples actes de négligence. Il s'agit d'un manquement à caractère objectif, assorti d'une sanction administrative, dont la caractérisation diffère de celle du délit prévu et réprimé par l'article L.642-2 du code monétaire et financier, consistant à « mettre obstacle à une mission (?) d'enquête de l'Autorité des marchés financiers » ou à « lui communiquer des renseignements inexacts », ce délit comportant nécessairement un élément intentionnel, en vertu du principe posé par l'article 121-3 du code pénal, selon lequel, sauf disposition législative contraire, il n'existe point de délit sans intention de le commettre.
210.De même, il résulte clairement du libellé de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, que le refus de communiquer des informations aux enquêteurs ne se limite pas à un refus exprès, mais peut revêtir un caractère implicite, découlant d'un ensemble de circonstances, de nature à établir un défaut de coopération de la personne en cause et à justifier le prononcé à son encontre d'une sanction pécuniaire pour entrave à l'enquête.
211.Il résulte tout aussi clairement du libellé de cet article que s'il est fait référence au « cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L.621-9 du même code », lequel prévoit qu'« afin d'assurer l'exécution de sa mission, l'AMF effectue des contrôles et des enquêtes », cette référence se borne à indiquer le cadre général dans lequel le comportement reproché s'insère. Cela n'exclut pas la possibilité de caractériser un manquement d'entrave lorsque l'AMF sollicite, en vertu d'un mécanisme de coopération internationale, l'assistance d'un homologue étranger pour la réalisation de certains actes d'investigation hors du territoire français, dès lors que ces actes s'inscrivent dans le cadre d'une enquête ouverte et conduite par l'AMF conformément à l'article L.621-9, I, du code monétaire et financier et correspondent aux prérogatives qui lui sont reconnues par l'article L.621-10 du même code.
212.Si la question de la portée du manquement d'entrave, au sens de l'article L.621-15, II, f), précité, revêtait, pendant la période des faits reprochés, un caractère relativement inédit, du fait de l'introduction récente de ce manquement en droit interne, il n'en demeure pas moins que cette interprétation dudit article faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles, au regard de son libellé, et était, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement, eu égard à la sanction administrative qui lui est attachée et à l'objectif d'assurer l'effet utile de ces dispositions, en vue de garantir le bon déroulement des enquêtes, en particulier lorsque celles-ci nécessitent de recourir à la coopération internationale.
213.Il s'ensuit qu'EAUK, en tant que professionnel averti du monde de la finance, était pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en fonction des suites qu'elle envisageait de réserver aux demandes de communication qui lui avaient été adressées par la FCA sur requête de l'AMF.
214.Dès lors, le moyen pris de la violation du principe de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte de la loi pénale et de prévisibilité du droit n'est pas fondé.
215.La circonstance que l'AMF n'ait pas directement adressé à EAUK ses demandes de communication, ces dernières lui ayant été transmises par l'intermédiaire de la FCA, et ne l'ait pas en outre directement et expressément prévenu du risque encouru - au regard du droit français - selon les suites qu'il réserverait à ces demandes, ne suffit pas à remettre en cause cette analyse, ni à écarter la possibilité de retenir le manquement reproché comme étant caractérisé en l'espèce.
216.En effet, comme cela a déjà été constaté au paragraphe 52 du présent arrêt, les demandes adressées à l'EAUK par la FCA font explicitement état du fait qu'elles donnent suite à une demande de l'AMF. Ainsi, dès la première sollicitation de la FCA, le 18 janvier 2017 (soit bien avant la lettre circonstanciée du 8 août 2018), EAUK a été informée de ce que cette autorité agissait sur requête de l'AMF, ce qu'elle avait parfaitement compris comme en atteste sa lettre en réponse à la FCA du 25 janvier 2017. Eu égard au caractère précis et détaillé de la série d'informations sollicitées, EAUK pouvait raisonnablement en déduire qu'une enquête avait déjà été ouverte par l'AMF, avant même d'en être précisément informée par la FCA quelques mois plus tard, par une lettre du 27 juin 2017. Au surplus, EAUK ne pouvait ignorer qu'une enquête ouverte en France par l'AMF bénéficiait des dispositions du droit français réprimant les comportements d'entrave à enquête.
217.En effet, contrairement à ce qu'elle prétend, loin de remettre en cause l'applicabilité du droit français en matière d'entrave à l'enquête, cette lettre de la FCA du 27 juin 2017, qui lui a été adressée, visait uniquement à organiser l'audition de plusieurs responsables de ladite société, dont la réalisation avait été sollicitée par l'AMF dans le cadre de sa demande d'assistance, soumise à la FCA en application du mécanisme de coopération international organisé par les MMoU précités.
218.À cet égard, il convient de rappeler (voir paragraphe 56 du présent arrêt) que, s'il est de jurisprudence constante que la régularité de tels actes s'apprécie, selon l'article 9 du MMoU de l'IOSCO (de 2002, tel que révisé en 2012), au regard des règles de procédure de l'autorité requise (sauf décision contraire des autorités concernées, requise et requérante, ce qui n'est pas le cas en l'espèce), ce principe de détermination de la loi de procédure applicable ne s'étend clairement pas aux règles de fond en matière d'entrave à l'enquête et ne remet nullement en cause la compétence de l'AMF, en tant qu'autorité requérante, pour sanctionner toute personne de ce chef, sur le fondement du droit français applicable. L'article 6, paragraphe 1, du MMoU de l'ESMA (de 2014) ne remet pas davantage en cause, ni cette répartition des compétences entre autorités, ni l'applicabilité de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier aux faits de l'espèce.
219.En tant que professionnel averti du monde de la finance, EAUK ne pouvait ainsi ignorer en l'espèce ni l'applicabilité du droit français, ni la compétence de l'AMF et donc de la Commission des sanctions, tant en matière d'obligations déclaratives, dès lors qu'il est intervenu sur les marchés français (cette compétence découlant de la combinaison des articles L.621-15, II, c), 4o et L.621-14, II, premier alinéa, du code monétaire et financier), qu'en matière d'entrave à l'enquête, puisque l'enquête dont il faisait l'objet visait précisément à vérifier le respect de ses obligations déclaratives.
220.Par ailleurs, comme cela vient d'être indiqué, ayant par nature un caractère objectif, le manquement d'entrave, au sens de l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, peut être retenu sans qu'il soit nécessaire de démontrer que la personne concernée avait délibérément cherché, en toute connaissance de cause, à faire obstacle à une enquête ouverte par l'AMF.
221.Dès lors, en l'espèce, en l'absence de poursuites pénales préalables sur le fondement de l'article L.642-2 du code monétaire et financier, qui seraient de nature à écarter l'application de l'article L.621-15, II, f), du même code (en vertu de la décision no 2021-965 QPC, du Conseil constitutionnel, du 28 janvier 2022), il y a lieu de faire application de ce dernier texte et, partant, d'examiner si le manquement d'entrave reproché à EAUK sur ce fondement est caractérisé.
222.Plus précisément, il est reproché à EAUK d'avoir communiqué tardivement et de manière incomplète des documents et informations, en dépit de demandes répétées de l'AMF, et d'avoir ainsi adopté un comportement équivalent à un refus de communiquer.
223.Pour examiner si ce reproche est fondé, il convient de rappeler la chronologie et la teneur des échanges entre l'AMF, la FCA et EAUK, tels qu'ils ressortent du dossier.
224.Ces échanges ont pour origine une lettre de l'AMF, adressée à la FCA le 14 septembre 2016, par laquelle la première a sollicité l'assistance de la seconde afin d'obtenir d'EAUK des informations concernant les transactions relatives au titre NDSA, notamment « la copie de tous les contrats liés à Norbert Dentressangle (tels que les CDS, SWAP, etc?) signés avec toute autre entité financière entre le 1er avril et le 31 juillet 2015 » (traduction libre de la pièce factuelle no 38 produite par Elliott).
225.Le 18 janvier 2017, la FCA a adressé à EAUK une lettre relayant cette demande (pièce factuelle no 41 produite par Elliott).
226.EAUK y a répondu par une lettre du 25 janvier 2017, aux termes de laquelle elle indiquait que l'AMF disposait déjà des informations et documents demandés, celle-ci ayant formulé les mêmes demandes dans une requête adressée à la SEC le 24 novembre 2015, lesquelles ont été relayées auprès d'EMC, qui y a donné suite, le 15 janvier 2016, en transmettant à la SEC la même documentation que celle qu'elle avait transmise à XPO dans le cadre d'une procédure américaine de discovery engagée par celui-ci pour les besoins du litige les opposant devant le tribunal de commerce de Paris. Cette documentation a ensuite été remise par la SEC à l'AMF (annexe 5-5 du rapport d'enquête). En conséquence, EAUK a demandé à la FCA de vérifier auprès de l'AMF si cette dernière entendait toujours solliciter ces informations, qui ne pourraient être qu'une duplication de celles qui lui avaient déjà été transmises par l'intermédiaire de la SEC.
227.Par une lettre du 27 juin 2017 adressée au conseil d'EAUK, la FCA a tout d'abord rappelé que l'AMF avait requis son assistance ? dans le cadre de son enquête ? pour l'organisation d'une audition de plusieurs responsables d'EAUK. Elle a ensuite indiqué avoir décidé de ne pas soumettre cette audition à la procédure contraignante de « statutory powers », contrairement au souhait exprimé par lesdits responsables, et a demandé si ces derniers accepteraient une audition volontaire selon le droit anglais ou, s'ils le préféraient, selon le droit français (pièce factuelle no 44, produite par Elliott).
228.Par une lettre du 31 août 2017, adressée à la FCA, l'AMF a rappelé qu'elle avait requis l'assistance de la FCA le 7 mars 2017 pour organiser ladite audition, et que ces derniers, dans une lettre du 10 juillet 2017, avaient indiqué à la FCA préférer répondre à un questionnaire écrit. En conséquence, elle a requis à nouveau son assistance, afin d'obtenir rapidement des réponses écrites à un questionnaire destiné au directeur de EAUK (annexe 5-9 du rapport d'enquête). Parmi les questions posées, figure au point 1.4 une question rédigée dans les termes suivants : « [EAUK] pourrait-il identifier et transmettre les divers documents spécifiquement envoyés à et/ou signés avec [BoA] ou sa filiale Merrill Lynch (contrats, courriels, confirmations etc?) sur lesquels étaient basés les achats de dérivés correspondant aux déclarations faites à l'AMF ? » (traduction libre).
229.Par lettre du 16 octobre 2017, la FCA a envoyé ce questionnaire au conseil d'EAUK en sollicitant une réponse d'ici le 30 octobre 2017 (pièce factuelle no47 produite par Elliott).
230.Par lettre du 22 janvier 2018, adressée à la FCA, EAUK y a répondu tout en estimant que ce questionnaire était rédigé dans des termes impliquant que l'AMF pouvait s'être forgée un pré-jugement sur les questions posées, sous l'influence indue de XPO et que cela justifiait la reformulation de certaines d'entre elles (annexe 5-10 du rapport d'enquête).
231.S'agissant plus précisément de la question 1.4, dont il a modifié la formulation en supprimant la référence aux « contrats, courriels, confirmations etc », EAUK y a répondu dans les termes suivants : « Les fonds Elliott ont conclu un Contrat-Cadre ISDA et une Confirmation-cadre de Swap avec BoA (pièce jointe 5). Le Contrat-Cadre ISDA et la Confirmation-cadre de Swap énoncent les conditions contractuelles des accords d'instruments dérivés conclus entre le fonds Elliott et [BoA] et sur lesquelles les déclarations faites à l'AMF et relatives à NDSA étaient basées » (traduction libre). L'annexe 5 comprenant le contrat-cadre ISDA et la Confirmation-cadre de Swap est intitulée « documents envoyés à ou signés avec [BoA] » (traduction libre).
232.Le 8 août 2018, l'AMF a adressé une lettre circonstanciée à EAUK relevant, notamment, que lors de sa réponse du 22 janvier 2018, celle-ci s'était limitée à transmettre l'ISDA Master Agreement et le Swap Master Confirmation Agreement, déjà communiqués, sans joindre ni les Basket Supplemental Confirmations, ni les Swap Activité Reports, et sans davantage s'expliquer sur l'absence de réponse sur ce point, et en se bornant à supprimer la référence – dans la formulation de la question 1.4 – aux courriels et confirmations de transactions engagées entre Elliott et BoA-ML (page 17 de la lettre circonstanciée, annexe 9-1 du rapport d'enquête). Il en est déduit que « les difficultés répétées rencontrées par les enquêteurs pour obtenir les documents sollicités pourraient être analysés comme relevant du manquement d'entrave, tel que défini à l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier » (page 18 de la lettre circonstanciée).
233.Le 3 octobre 2018, EAUK a transmis à l'AMF, en annexes de sa réponse à la lettre circonstanciée, d'une part, les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 et, d'autre part, les Swap Activité Reports émis par BoA entre mai et juillet 2015, dans une version cancellée, faisant apparaître uniquement les transactions relatives au titre NDSA (annexe 9-3 du rapport d'enquête).
234.Ayant constaté, dans le prolongement du rapport d'enquête (page 93, cotée R0093) et de la notification des griefs (chemise 12, page 13), que lesdits Basket Supplemental Confirmations portaient sur des paniers composés uniquement d'actions Melia Hôtel International, et non d'actions NDSA, le rapporteur a demandé au directeur d'EAUK, lors de son audition le 2 octobre 2019, s'il existait des documents similaires mentionnant spécifiquement les actions NDSA en tant que sous-jacent et, si tel était le cas, d'en transmettre une copie. De premiers éléments de réponse ont été apportés à cette question : « quand on veut changer la composition d'un panier, cela se fait oralement ou électroniquement entre le bureau de trading d'Elliott et la banque en indiquant les références du titre sous-jacent au dérivé CFD ou swap, puis intervient une confirmation des transactions entre les deux institutions. (?) En 2015, les ordres étaient passés oralement, la confirmation est postée sur le site web de BoA » (chemise 22, pages 3 et 4).
235.Ayant également relevé, dans le prolongement du rapport d'enquête (page 93, cotée R0093) et de la notification des griefs (chemise 12, page 13), que l'un des Basket Supplemental Confirmations indiquait un taux Euribor de trois mois alors que les equity swaps relatifs à NDSA figurant dans les Swaps Activity Reports avaient un taux Euribor d'un mois, le rapporteur, dans son rapport du 20 décembre 2019, en a déduit que d'autres échanges que ceux qui ont été remis aux enquêteurs ont sans doute eu lieu avec Merrill Lynch (chemise 29, page 42).
236.Le 23 janvier 2020, en réponse au rapport, EAUK a expliqué que la mention, dans l'un des Basket Supplemental Confirmations, d'un taux Euribor trois mois, au lieu d'un mois, procédait d'une erreur matérielle et a versé à l'appui de cette explication un échange de courriels avec BoA (chemise 34, paragraphe 177 et annexe 4).
237.Il résulte de l'ensemble de ces éléments, en premier lieu, qu'EAUK n'a consenti à communiquer l'ensemble des documents sur lesquels étaient fondés les achats de dérivés correspondant aux déclarations effectuées auprès de l'AMF qu'après y avoir été invitée à maintes reprises par la FCA ou l'AMF.
238.C'est en vain qu'EAUK fait valoir devant la Cour que la plupart de ces documents (et non plus tous comme cela était suggéré dans sa lettre du 25 janvier 2017 à la FCA) avait déjà été transmise par EMC à la SEC et avait été ensuite remise par la SEC à l'AMF.
239.En effet, il ressort du dossier que les éléments transmis par EMC à la SEC figuraient dans un DVD comprenant 37.053 documents, ne faisant l'objet d'aucun index ou classement (lettre circonstanciée, page 18). Vu le nombre et la présentation non ordonnée de ces documents, il appartenait à EAUK, comme cela ressortait de la question 1.4 précitée, premièrement, d'identifier précisément, en lien avec EMC, ceux ? peu nombreux? qui étaient spécifiquement demandés pour les besoins de l'enquête, deuxièmement, de les transmettre à nouveau, pour éviter tout malentendu sur leur identification dans le DVD et, troisièmement, d'apporter toutes les explications utiles pour permettre à l'AMF via la FCA de s'assurer de leur pertinence et de leur complétude.
240.Or, force est de constater qu'EAUK n'a effectué aucune diligence de la sorte dans ses relations avec la FCA. En effet, dans sa première réponse (du 25 janvier 2017), elle s'est bornée à renvoyer d'une manière générale au DVD qui avait été constitué dans le cadre de la procédure américaine de discovery pour les besoins du litige commercial opposant Elliott à XPA, ce qui ne correspondait pas à la réponse ciblée nécessairement attendue. Et, dans sa seconde réponse (du 22 janvier 2018), elle s'est limitée à reformuler la question qui lui avait été précisément adressée sur les documents sollicités (en supprimant la référence aux « contrats, courriels, confirmations etc ») et à transmettre seulement une partie des documents sollicités (l'ISDA Master Agreement et le Swap Master Confirmation Agreement, et non les Basket Supplemental Confirmations et les Swap Activité Reports), et ce sans apporter aucune explication sur cette transmission partielle.
241.Ainsi, ce n'est que, le 3 octobre 2018, en réponse à la lettre circonstanciée qui lui a été adressée par l'AMF, qu'EAUK a transmis, d'une part, les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 et, d'autre part, les Swap Activity Reports émis par BoA entre mai et juillet 2015 (dans une version cancellée).
242.En outre, ce n'est que lors de son audition par le rapporteur de la Commission des sanctions de l'AMF (le 2 octobre 2019), puis dans ses observations en réponse au rapport (du 23 janvier 2020, soit quelques jours seulement avant la séance de ladite Commission), qu'EAUK a apporté des précisions sur la composition des paniers figurant dans les Basket Supplemental Confirmations et sur la divergence de taux Euribor mentionné dans l'un de ces documents par rapport à ceux figurant dans les Swaps Activity Reports, alors que ces précisions étaient utiles pour s'assurer de la pertinence et de l'exhaustivité des documents communiqués.
243.Au surplus, ce n'est que dans le cadre de la présente procédure devant la Cour qu'Elliott a produit une attestation de son conseil américain (qui était chargé de répondre aux demandes de la SEC), prenant le soin d'identifier, parmi les nombreux documents contenus dans le DVD, ceux qui correspondaient, mais finalement seulement en partie, aux sollicitations de l'AMF, les Basket Supplemental Confirmations n'y étant pas mentionnés (pièce factuelle no 68).
244.À cet égard, c'est également en vain qu'EAUK fait valoir, pour expliquer a posteriori la transmission tardive des Basket Supplemental Confirmations, que ces derniers n'ont été clairement sollicités que lors de la lettre circonstanciée et qu'ils n'étaient en outre pas en sa possession s'agissant de documents émis par la banque, et non de contrats conclus et signés avec EAUK.
245.En effet, ces caractéristiques étant communes aux Basket Supplemental Confirmations et aux Swaps Activity Reports, il est difficile de comprendre, de prime abord, en quoi ces caractéristiques pourraient être de nature à justifier la transmission tardive des Basket Supplemental Confirmations, alors qu'il a toujours été soutenu par EAUK que les Swaps Activity Reports faisaient partie des documents transmis dès l'origine à la SEC.
246.En outre, si la requête initiale de l'AMF à la FCA (du 14 septembre 2016), reprise en substance dans la demande adressée par celle-ci à EAUK, faisait référence aux « contrats en lien avec NDSA (?) entre le 1er avril et le 31 juillet 2015 », ce qui pouvait a priori susciter des interrogations sur le point de savoir si les Basket Supplemental Confirmations, en raison de leur date (29 janvier 2015), étaient visés par cette demande, ces éventuelles interrogations, dont il n'est pas établi ni allégué qu'elles aient donné lieu à une quelconque demande d'éclaircissement de la part d'EAUK, n'avaient, en tout état de cause, plus lieu d'être à la lecture de la requête ultérieurement adressée par l'AMF à la FCA (du 31 août 2017) et relayée à EAUK (le 16 octobre 2017).
247.En effet, cette requête ne se focalisait plus ni sur cette période (du 1er avril au 31 juillet 2015), ni sur des contrats, puisqu'étaient désormais visés -plus largement – les différents documents sur lesquels étaient basés les achats de dérivés correspondant aux déclarations faites à l'AMF, tels que les contrats, mais aussi précisément les « confirmations », outre les courriels. Il s'ensuit que les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 étaient clairement couverts par cette demande, au même titre que l'ISDA Master Agreement, le Swap Master Confirmation Agreement et les Swaps Activity Reports.
248.D'ailleurs, il ressort précisément des Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 que tous les documents précités formaient un ensemble indissociable (« This Supplemental Confirmations supplement form part of, and is subject to the Swap Master Confirmation dated december 24, 2012 (the "Master Confirmation" which togheter with the Supplemental Confirmation hereafter referred to as the "Swap Master Confirmation Transaction Documentation") and the Swap Master Confirmation Transaction Documentation constitutes a "Confirmation" as referred to in the ISDA Master Agreement specified in the Master Confirmation », pièce factuelle no 77 produite par les mises en cause).
249.Ainsi, il est établi que la communication des Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 a été clairement sollicitée auprès d'EAUK bien avant que ne lui soit adressé, le 8 août 2018, la lettre circonstanciée, à la suite de laquelle, le 3 octobre 2018, il a finalement consenti à leur transmission, sans pour autant prendre le soin d'apporter des explications, ni sur la composition du panier, ni sur le décalage entre l'un de ces documents et les Swaps Activity Reports quant au taux Euribor, ce qui a rendu nécessaire des clarifications successives qui n'ont pu aboutir que peu de temps avant la séance de la Commission des sanctions.
250.En deuxième lieu, il est établi que les Swaps Activity Reports n'ont pas été transmis à l'AMF dans une version intégrale, mais uniquement dans une version cancellée, ce qui n'a pas permis aux enquêteurs, comme le relève le rapport d'enquête (page 93), de confronter les transactions en cause, relatives à NDSA, à celles réalisées par les fonds Elliott au cours de la période juin/juillet 2015. En l'état des documents transmis, il n'a donc pas pu être vérifié si ces dernières transactions avaient également été effectuées en application des Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015, sachant qu'EAUK a déclaré à l'AMF, le 21 juillet 2015, l'achat d'equity swaps ayant pour sous-jacent d'autres actions que NDSA (Alcatel Lucent et Nokia).
251.Force est de constater que les Swaps Activity Reports n'ont été transmis dans une version intégrale qu'à l'occasion du présent recours. S'il en ressort que les transactions relatives à Alcatel Lucent et Nokia n'y figurent pas, ayant été réalisées, selon les explications d'EAUK devant la Cour, avec une autre banque que BoA-ML, il n'en demeure pas moins que cette circonstance, loin de remettre en cause la pertinence de la demande de communication de la version intégrale de ces documents par les enquêteurs, la conforte au contraire, comme le suggère d'ailleurs EAUK (mémoire en réplique, paragraphe 562) en indiquant que ces documents n'étaient pas à charge et qu'elle n'avait donc pas de raison de ne pas les transmettre. Au demeurant, comme le relève à juste titre l'AMF et comme l'admet explicitement EAUK (mémoire en réplique, paragraphe 579) il n'appartient pas aux personnes sollicitées d'apprécier elles-mêmes la pertinence des demandes qui leur sont adressées, les enquêteurs étant les mieux placés pour se livrer à cette appréciation au regard des besoins de l'enquête.
252.Il résulte de l'ensemble de ces développements qu'EAUK a opposé un refus persistant aux demandes de communication de documents et d'informations qui lui ont été adressées au cours de l'enquête, n'ayant consenti à communiquer et à apporter des explications sur l'ensemble des documents requis qu'après y avoir été invité à maintes reprises par la FCA ou l'AMF et n'ayant jamais satisfait à la demande de transmission à l'AMF de la version intégrale des Swaps Activity Reports.
253.Dès lors, c'est à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, a retenu que le manquement d'entrave, prévu à l'article L.621-15, II, f), du code monétaire et financier, est caractérisé à l'encontre d'EAUK.
III. SUR LES SANCTIONS
254.Au paragraphe 93 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a estimé, tout d'abord, que les deux manquements aux obligations déclaratives sont de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs et en a tiré la conséquence qu'ils sont susceptibles de donner lieu, sur le fondement de l'article L.621-14 et L.621-15 du code monétaire et financier, au prononcé d'une sanction pécuniaire, peu important, selon elle, qu'une appréciation in concreto des circonstances de fait conduise à considérer que les acteurs du marché n'ont pas été trompés en l'espèce.
255.Après avoir rappelé la période de réalisation de chacun des manquements retenus, ainsi que les éléments recueillis au cours de l'enquête, et relevé notamment que les mises en cause ont cherché à valoriser la destruction de valeur résultant de l'impossibilité pour XPO de procéder à l'intégration fiscale de NDSA, la Commission des sanctions en a déduit que les déclarations inexactes et le caractère tardif de la déclaration d'intention ont eu pour objet de dissimuler le plus longtemps possible au marché la stratégie consistant à bloquer l'offre de retrait afin de négocier auprès de XPO une revalorisation du prix de l'offre (paragraphe 109).
256.Elle a, en outre, précisé que, s'il n'est pas établi que les manquements tenant à l'inexactitude et à la tardiveté des déclarations des mises en cause ont effectivement trompé les acteurs du marché, ni conduit certains d'entre eux à modifier leur stratégie, il reste que, selon elle, l'opacité créée par les manquements était de nature à leur faire croire que les fonds Elliott poursuivaient une stratégie de simple exposition économique et non de prise de participation à hauteur de 5% du capital de NDSA afin de bloquer le retrait obligatoire envisagé par XPO (paragraphe 110).
257.La Commission des sanctions a ensuite estimé que les manquements reprochés à EAUK et ECA, commis par des professionnels dans le contexte d'une offre publique, revêtaient une particulière gravité, dès lors que les textes sciemment méconnus visent à garantir la transparence du marché et la protection des investisseurs, que le bon déroulement de l'enquête de l'AMF a été compromis, et que lesdits manquements sont à fois multiples et de nature distincte (paragraphes 111 et 112). Elle a en outre rappelé avoir déjà sanctionné EAUK, le 24 avril 2014, pour manquement d'initié à hauteur de 8 000 000 d'euros (paragraphe 113).
258.Par ailleurs, elle a fait état de données relatives à la situation financière d'EAUK et des fonds Elliott, une partie des actifs desdits fonds étant gérée par ECA, et du montant de la plus-value réalisée par eux en cédant à XPO l'ensemble des actions NDSA qu'ils détenaient depuis le mois de juillet 2015, tout en relevant que cette plus-value ne résulte pas directement des manquements (paragraphes 114 à 116).
259.La Commission des sanctions a déduit de l'ensemble de ces éléments la fixation d'une sanction pécuniaire de 15 000 000 d'euros à l'encontre d'EAUK et de 5 000 000 d'euros à l'encontre d'ECA (paragraphe 117).
260.EAUK et ECA contestent ces sanctions, qu'elles estiment infondées en droit comme en fait et, en tout état de cause, disproportionnées et relevant au surplus de considérations morales.
261.Elles soutiennent, en premier lieu, qu'aucun des critères énumérés à l'article L.621-15, III ter, du code monétaire et financier, à prendre en compte pour fixer le montant des sanctions pécuniaires, n'est de nature à justifier en l'espèce le prononcé de sanctions, a fortiori pour des montants aussi élevés, dès lors que, selon elles, premièrement, les manquements en cause ne revêtent aucune gravité (en l'absence notamment d'impact sur le marché et les investisseurs), deuxièmement, aucun gain n'a été réalisé par elles et aucun tiers n'a subi de pertes à raison de ces manquements, troisièmement, ECA n'a jamais été sanctionnée auparavant par l'AMF et EAUK l'a été mais pour un manquement différent. Elles estiment que rien ne justifiait le montant des sanctions prononcées à leur encontre, sauf leur capacité financière, ce qui ne saurait constituer à lui seul un facteur pertinent ou un motif d'aggravation de la sanction. Elles font valoir que la liste des critères figurant audit article n'étant pas limitative, il est parfaitement possible de prendre en compte le fait que les textes appliqués, pour caractériser les deux premiers griefs, l'étaient pour la première fois.
262.Elles prétendent, en deuxième lieu, que la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de motivation et d'individualisation des sanctions, en particulier en ce qui concerne la gravité des manquements reprochés.
263.Elles allèguent, en troisième lieu, que les sanctions prononcées reposent sur une dénaturation du droit et des faits, en raison, de l'absence de distinction entre les CFD et les equity swaps par l'ensemble de l'industrie financière, de l'absence de fixation d'une stratégie de « hold out » avant le 9 juillet 2015, de l'impossibilité juridique d'obtenir une revalorisation de l'offre s'agissant d'une OPAS, de l'absence d'opacité des transactions réalisées et de dissimulation de leur intention comme de leur intérêt à essayer d'y procéder.
264.Elles estiment, en quatrième lieu, que les sanctions en cause sont disproportionnées, au regard, tout d'abord, du montant des sanctions prononcées par la Commission des sanctions entre 2004 et 2018 en cas de manquements à des obligations déclaratives, ensuite, d'exemples de décisions ayant fixé des montants moins élevés pour sanctionner des manquements plus graves et, en fin, de l'absence de prise en compte des circonstances atténuantes habituellement retenues en cas de manquements à des obligations déclaratives (absence de conséquence sur le marché et sur le déroulement de l'offre ; absence d'intention de dissimulation et de réalisation de profits ; sanction pour la première fois d'un manquement à une obligation ; manquement par simple retard, et non omission).
265.À cet égard, elles invoquent le bénéfice de plusieurs circonstances atténuantes pour chacun des deux premiers manquements : pour le premier, une simple inexactitude dans l'intitulé des instruments dérivés acquis (et non dans leurs caractéristiques), une première tentative du régulateur de distinguer les CFD et les equity swaps, et seules deux déclarations en cause ; pour le second, un simple retard dans la déclaration d'intention (et non omission de celle-ci),une instabilité importante du marché en raison du risque de Grexit, une première interprétation de l'article 231-47 du RGAMF.
266.S'agissant du troisième manquement, d'entrave à l'enquête, retenu uniquement contre EAUK, il est soutenu que ce manquement ne saurait en aucun cas justifier une augmentation du montant de la sanction de 10 millions d'euros (eu égard au montant des sanctions prononcées pour entrave dans deux précédentes affaires et au reproche en l'espèce d'un simple retard dans la communication de certains documents non pertinents), étant rappelé que la précédente sanction prononcée contre EAUK pour manquement d'initié ne pouvait avoir une quelconque incidence s'agissant d'un manquement de nature différente.
267.EAUK et ECA avancent, en cinquième lieu, que la détermination du montant des sanctions prononcées est inspirée par des considérations essentiellement morales, qui ne devraient pas être prises en compte (plus-value réalisée par les fonds et destruction de valeur résultant de l'impossibilité pour XPO de procéder à l'intégration fiscale de NDSA), ainsi que par la stratégie active et néanmoins licite d'Elliott (activisme actionnarial).
268.En réponse, l'AMF observe, à titre liminaire, que la multiplicité des critères de détermination de la sanction, énumérés à l'article L.621-15 du code monétaire et financier, en vue de l'individualisation de chaque sanction au regard des faits et de la situation propre à chaque mis en cause, rend l'argument historique – sur le montant des sanctions généralement prononcées en cas de manquements déclaratifs – inopérant pour contester la proportionnalité de celles prononcées en l'espèce. Elle précise en outre que le code monétaire et financier n'impose nullement à la Commission des sanctions de ventiler le montant des sanctions prononcées entre chaque manquement. Elle estime par ailleurs que les textes sur le fondement desquels les mises en cause ont été sanctionnées étaient prévisibles et que cela fait obstacle à un allégement de la sanction en raison de leur première application. Elle revient ensuite sur les différents critères sur lesquels la Commission des sanctions s'est fondée en l'espèce pour déterminer le montant des sanctions prononcées.
269.S'agissant, en premier lieu, du critère de la gravité des manquements retenus, l'AMF rappelle que la Commission des sanctions a pris en compte la qualité de professionnels des mises en cause, la multiplicité et la diversité desdits manquements (déclarations inexactes et tardive au cours d'une période brève d'offre publique où l'information donnée au public est particulièrement réglementée ; entrave à l'enquête) et la circonstance que celles-ci ont sciemment déclaré des CFD au lieu d'equity swaps et tardé à déclarer leur intention en vue de dissimuler le plus longtemps possible au marché leur stratégie, dégagée dès le mois de mai 2015, consistant à bloquer l'offre de retrait afin de négocier auprès de XPO une revalorisation du prix de l'offre. À cet égard, l'AMF explique que, si une augmentation du prix de rachat des titres d'Elliott ne pouvait être obtenue par le biais d'un relèvement du prix de l'offre, il reste que d'autres modalités étaient envisageables pour obtenir cette augmentation de prix, comme le démontre l'accord finalement conclu avec XPO. Elle précise en outre que, si la stratégie d'Elliott a été découverte ou du moins suspectée par des journalistes spécialisés (articles de presse du 16 juin et du 1er juillet 2015), de sorte que le marché n'a pas pu être trompé par la stratégie des mises en cause, cette circonstance ne remet pas en cause l'existence de cette stratégie et le caractère délibéré des déclarations inexactes et tardive.
270.S'agissant, en deuxième lieu, du critère relatif aux manquements commis précédemment (par EAUK), l'AMF soutient que la formulation générale de ce critère à l'article L.621-15 du code monétaire et financier permet de prendre en compte tout manquement sanctionné par l'AMF, peu important que les manquements précédemment commis aient concerné des règles ou obligations distinctes. Elle relève qu'au demeurant le contexte de l'intervention d'EAUK sur le marché français dans cette précédente affaire était proche de celui de la présente affaire.
271.S'agissant, en troisième lieu, du critère de la situation financière et patrimoniale des mises en cause, l'AMF observe que celles-ci ne contestent pas que les sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre seraient disproportionnées au regard de leur situation et n'apportent aucun élément nouveau et actualisé qui permettrait à la Cour de l'apprécier plus précisément. Elle relève néanmoins qu'il ressort du site internet du groupe Elliott que ses actifs sous gestion représentent plus de 34 milliards d'euros. En outre, elle fait valoir que la plus-value réalisée par les fonds Elliott lors de la vente de leurs actions NDSA (aux termes d'un accord conclu avec XPO le 22 novembre 2019), mentionnée dans la décision attaquée comme ne résultant pas directement des manquements, donne un aperçu complémentaire de la situation financière et patrimoniale des mises en cause (dès lors que cette plus-value a nécessairement donné lieu à l'octroi à leur profit de commissions de gestion) et reflète l'importance de cette opération pour celles-ci.
272.En quatrième lieu, l'AMF fait valoir que la Commission des sanctions a tenu compte de l'absence d'influence des manquements sur le comportement des autres acteurs du marché et que cette circonstance est favorable aux mises en cause.
273.Elle déduit de l'ensemble de ces développements que les sanctions pécuniaires prononcées contre ECA et EAUK étaient individualisées, motivées et proportionnées.
274.Le ministre public développe un argumentaire comparable et indique que, contrairement à ce que prétendent EAUK et ECA, ce n'est pas leur activisme actionnarial qui a été sanctionné par la Commission des sanctions mais uniquement le caractère inexact et tardif de leurs déclarations, outre l'entrave portée par EAUK à l'enquête.
***
Sur ce, la Cour,
275.L'article L.621-15, II, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 4 décembre 2015, non modifié sur ce point dans un sens moins sévère, énonce :
« La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
(?)
c)Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I [devenu le II] de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :
– un instrument financier (?) admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
(?)
f) Toute personne qui, dans le cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L.621-9, sur demande des enquêteurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels » (souligné par la Cour).
276.L'article L.621-14, I (devenu II), du même code, dans sa rédaction également en vigueur du 22 février 2014 au 4 décembre 2015, non modifié sur ce point dans un sens moins sévère (auquel les dispositions précitées renvoient), mentionne « les manquements aux obligations résultant des règlements européens, des dispositions législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché » (souligné par la Cour).
277.En l'espèce, la Cour rappelle, qu'après réformation de la décision attaquée, il est retenu tant contre ECA que contre EAUK deux manquements à leurs obligations déclaratives, à savoir :
– d'une part, un manquement de déclaration inexacte, en violation des articles L.233-7 du code de commerce et 231-46 du RGAMF (déclaration de franchissement de seuil et déclaration des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique) ;
– d'autre part, un manquement de déclaration tardive d'intention, en violation de l'article 231-47 du RGAMF.
278.Force est de constater que chacun de ces manquements déclaratifs est de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché, sans qu'il soit besoin, comme cela a déjà été indiqué au paragraphe 155 du présent arrêt, d'établir un effet réel de ces manquements sur le marché.
279.Dès lors, c'est à juste titre que la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphe 93), a retenu que ces manquements sont susceptibles de donner lieu, sur le fondement des articles L.621-14 et L.621-15 du code monétaire et financier précités, au prononcé d'une sanction pécuniaire, peu important à cet égard qu'une appréciation in concreto des circonstances de fait conduise à considérer que les acteurs du marché n'ont pas été trompés en l'espèce.
280.Force est également de constater qu'en vertu dudit article L.621-15, le manquement d'entrave à l'enquête, retenu uniquement contre EAUK, est susceptible de donner lieu au prononcé d'une sanction pécuniaire.
281.Par ailleurs, le même article, sous III ter, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, dont l'application à l'ensemble des manquements n'est pas contestée en l'espèce, précise les critères à prendre en compte pour déterminer le montant de la sanction, selon les termes suivants :
« Dans la mise en oeuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :
– de la gravité et de la durée du manquement ;
– de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
– de la situation et de la capacité financières de la personne en cause au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
– de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
– des pertes subies par les tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
– du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
– des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
– de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter la réitération du manquement ».
282.La loi encadre ainsi la mise en oeuvre des sanctions, en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer à la fois leur individualisation et leur proportionnalité.
283.Il convient donc d'examiner si le montant des sanctions pécuniaires prononcées respectivement contre ECA et EAUK est concrètement proportionné eu égard aux critères énumérés audit article et, le cas échéant, à d'autres critères pertinents.
284.En premier lieu, la Cour estime, comme la Commission des sanctions, que loin d'être dépourvus de toute gravité comme le prétendent à tort EAUK et ECA, les manquements retenus à leur encontre revêtent une particulière gravité.
285.C'est le cas des manquements déclaratifs, en raison tant de leur pluralité et de leur diversité, que de leur commission par des professionnels avertis du monde de la finance, dans le contexte d'une offre publique, selon un plan d'ensemble visant à dissimuler le plus longtemps possible au marché leur stratégie, contrairement à l'objectif de bonne information de celui-ci, poursuivi par les obligations déclaratives prévues aux articles 233-7 du code de commerce et 231-46 et 231-47 du RGAMF.
286.En effet, il ressort du paragraphe 148 du présent arrêt qu'ECA comme EAUK ont sciemment déclaré des CFD au lieu d'equity swaps, non seulement, le 15 mai 2015, lors de leur déclaration d'opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique, mais aussi, le 24 juin 2015, lors de leur déclaration de franchissement de seuil.
287.De même, il ressort des paragraphes 188 à 192 du présent arrêt, que les sociétés en cause ont sciemment tardé à déclarer leur intention d'apporter leurs titres à l'offre – alors qu'elles étaient en mesure de le faire dès le 19 juin 2015, sans attendre la nuit du 9 au 10 juillet 2015 – et ce afin de dissimuler le plus longtemps possible au marché leur stratégie.
288.La circonstance qu'aucune des déclarations en cause n'ait eu finalement pour effet de tromper les acteurs du marché n'est pas de nature à remettre en cause cette appréciation de la gravité des manquements déclaratifs.
289.Le manquement d'entrave à l'enquête – retenu uniquement à l'encontre d'EAUK– revêt également une particulière gravité, non seulement en raison de la qualité de professionnel de celle-ci, mais aussi de la durée et du caractère délibéré de son comportement. En effet, comme cela a déjà été indiqué, cette société a opposé un refus persistant aux demandes de communication de documents et d'informations qui lui ont été adressées au cours de l'enquête, n'ayant consenti à communiquer et à apporter des explications sur l'ensemble des documents requis qu'après y avoir été invitée à maintes reprises par la FCA ou l'AMF et n'ayant jamais satisfait à la demande de transmission à l'AMF de la version intégrale des Swaps Activity Reports. Ainsi, contrairement à ce qu'elle prétend, son comportement ne se limitait pas à un simple retard dans la communication de certains documents ou d'informations, mais comportait aussi une omission de transmettre la version intégrale de plusieurs d'entre eux, dont il ne lui appartenait pas d'apprécier la pertinence de la demande de communication.
290.En revanche, la Cour estime, contrairement à la Commission des sanctions, qu'il convient de tenir compte du caractère inédit de l'interprétation de l'article 231-47 du RGAMF selon laquelle le déclarant doit préciser s'il a l'intention d'apporter à l'offre préalablement déposée, non seulement, les titres déjà acquis, mais aussi, en cohérence avec sa déclaration d'intention de poursuivre ses acquisitions, les actions qu'il est susceptible d'acquérir pendant la période d'offre. En effet, si, comme cela a déjà été indiqué, cette interprétation faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles et était cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative prescrite par cet article, il n'en demeure pas moins que le comportement des mises en cause ne devrait pas être jugé avec la même sévérité que la violation délibérée d'une obligation établie et sanctionnée de longue date (voir, en ce sens, CEDH, arrêt du 1er septembre 2016, précité, affaire X et Y c. France, §64) .
291.Il convient, en conséquence, de réformer les sanctions prononcées contre ECA et EAUK en ce sens.
292.En deuxième lieu, ECA et EAUK ne peuvent utilement se prévaloir du montant des sanctions prononcées dans le cadre d'autres affaires, en procédant à des comparaisons, pour soutenir que les sanctions en cause sont disproportionnées, dès lors que le montant des sanctions est défini au cas par cas, selon les circonstances et situations propres à chaque affaire, en suivant la méthode d'individualisation retenue par l'article L.621-15, sous III ter, précité, du code monétaire et financier.
293.En troisième lieu, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a tenu compte de ce qu'EAUK avait déjà été sanctionnée, par une décision du 24 avril 2014, devenue définitive à la suite du rejet des recours formés par elle devant la présente Cour (CA Paris, 14 janvier 2016, RG no 2014/13986) puis la Cour de cassation (Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi no 16-17.186), pour un manquement d'initié, dans un contexte similaire d'offre publique, cette précédente décision de sanction établissant la propension de cette société à s'affranchir de la réglementation boursière applicable.
294.En quatrième lieu, la Cour constate que ni EAUK, ni ECA ne soutiennent que le montant de la sanction prononcée contre chacune d'elles serait disproportionné par rapport à leurs facultés contributives.
295.Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la Cour estime qu'il y a lieu de fixer le montant des sanctions prononcées à l'encontre d'EAUK à quatorze millions d'euros et à l'encontre d'ECA à quatre millions cinq cent mille euros.
*
* *
PAR CES MOTIFS
REJETTE la demande d'annulation de la décision de la Commission des sanctions no 3 du 17 avril 2020 ;
RÉFORME cette décision en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par Elliott Advisors UK Limited et Elliott Capital Advisors L. P, en application de l'article 231-47 du RGAMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis ;
Statuant à nouveau de ce chef, met ces derniers hors de cause ;
RÉFORME également cette décision en ce qu'elle a prononcé à l'encontre d'Elliott Advisors UK Limited une sanction de quinze millions d'euros et à l'encontre d'Elliott Capital Advisors L.P. une sanction de cinq millions d'euros ;
Statuant à nouveau,
PRONONCE à l'encontre de la première une sanction de quatorze millions d'euros et à l'encontre de la seconde une sanction de quatre millions cinq cent mille euros ;
LES CONDAMNE aux dépens
LA GREFFIERE
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE
[I] [H]