Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 25 MARS 2021
(no 17, 50 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 20/02404 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBM6K
Décision déférée à la Cour : Décision de l'Autorité des marchés financiers (procédure no 18/02 - décision no 17) en date du 4 décembre 2019
REQUÉRANTE :
SOCIÉTÉ MORGAN STANLEY et CO. INTERNATIONAL PLC
société de droit anglais
agissant par son conseil d'administration, lequel agit lui-même par l'un de ses membres
ayant son siège social sis [Adresse 1]
LONDRES (ANGLETERRE)
Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Stéphane BENOUVILLE, du cabinet FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007
Assistée de Me Arnaud DE LA COTARDIERE du cabinet LINKLATERS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J030
Assistée de Me Antoine GOSSET-GRAINVILLE, de l'AARPI CABINET BDGS ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0202
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
prise en la personne de son président
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par M. [S] [M], Mme [A] [K] et M. [P] [T], dûment mandatés
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 novembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente,
– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
– Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au parquet général
ARRÊT :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Vu la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 17 du 4 décembre 2019 ;
Vu la déclaration de recours contre cette décision et l'exposé des moyens déposés au greffe de la Cour les 11 et 26 février 2020 par la société Morgan Stanley et Co. International PLC ;
Vu le mémoire en intervention volontaire accessoire de M. [C] déposé au greffe de la Cour le 1er juillet 2020 et l'arrêt de la Cour en date du 15 octobre 2020 la déclarant irrecevable ;
Vu les observations déposées au greffe de la Cour le 30 juillet 2020 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le mémoire de la société Morgan Stanley et Co. International PLC déposé au greffe de la Cour le 20 octobre 2020 ;
Le ministère public ayant reçu toutes les pièces de la procédure ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 26 novembre 2020, en leurs observations orales, les conseils de la société Morgan Stanley et Co. International PLC et les représentants de l'Autorité des marchés financiers, la société Morgan Stanley et Co. International PLC ayant été mise en mesure de répliquer.
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SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE4
Présentation de la société mise en cause et de son rôle4
Le contexte boursier de l'année 2015 et les événements précédents les faits litigieux4
Les faits litigieux5
La phase administrative de la procédure6
La décision attaquée6
Le recours entrepris7
MOTIVATION8
I. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COMMISSION DES SANCTIONS CONCERNANT LES TRANSACTIONS PORTANT SUR DES OBLIGATIONS LINÉAIRES ORDINAIRES (OLO)8
II. SUR LES MOYENS D'ANNULATION TIRÉS DES ATTEINTES PORTÉES AUX DROITS DE LA DÉFENSE AU COURS DE L'ENQUÊTE
15
III. SUR LA CARACTÉRISATION DES MANIPULATIONS DE COURS20
A. Sur les manipulations de cours par fixation d'un cours à un niveau anormal ou artificiel fondées sur le 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF
20
1. Sur les principes applicables21
2. Sur la manipulation du cours du FOAT22
3. Sur la manipulation du cours des OAT32
4. Sur la manipulation du cours des OLO37
5. Sur le bénéfice de l'exception prévue par l'article 631-1 1o b) du RGAMF39
B. Sur la manipulation de cours par le recours à une tromperie ou à un artifice prévue au 2o de l'article 631-1 du RGAMF40
IV. SUR L'IMPUTABILITÉ DES MANQUEMENTS DE MANIPULATION DE COURS À LA SOCIÉTÉ MORGAN STANLEY43
V. SUR LA SANCTION45
VI. SUR LA DEMANDE D'ANONYMISATION DE LA DÉCISION À INTERVENIR EN CE QUI CONCERNE LES PERSONNES PHYSIQUES
49
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FAITS ET PROCÉDURE
Présentation de la société mise en cause et de son rôle
1.La société Morgan Stanley et Co. International PLC (ci-après la « société Morgan Stanley »), société de droit anglais ayant son siège social à Londres (Royaume-Uni), filiale du groupe bancaire et financier américain Morgan Stanley, est composée de plusieurs divisions, dont l'une comprend l'activité dite « European Liquid Flow Rates », confiée, notamment, au bureau de trading « European Government Bonds and Agencies Desk » (ci-après le « Desk »).
2.Elle intervenait, en 2015, en qualité de spécialiste en valeurs du Trésor (ci-après « SVT ») pour plusieurs obligations souveraines d'États européens (« European Government Bonds » dites « EGB »). Elle était ainsi agréée par l'Agence France Trésor (ci-après l'« AFT ») pour animer le marché secondaire des obligations françaises et garantir sa liquidité.
3.Selon les explications apportées par la société Morgan Stanley, non contestées, outre les interventions du Desk en qualité de teneur de marché, celui-ci mène également des activités de gestion de risques, incluant des opérations de couverture.
4.Dans le cadre de ces activités de gestion de risques, les traders du Desk négocient des instruments souverains dont les prix sont, à des degrés divers, corrélés et mettent en place des stratégies en fonction d'événements macro-économiques.
5.L'une d'elles, connue sous le nom de position « FIG » consiste pour le Desk à négocier simultanément des instruments français, italiens et allemands (d'où l'acronyme « FIG » pour « French Italian German ») afin d'obtenir (ou gérer) une exposition au risque souverain français par rapport au risque souverain allemand et italien.
Le contexte boursier de l'année 2015 et les événements précédents les faits litigieux
6.Comme l'indiquent les différents rapports versés aux débats par la société Morgan Stanley, non contestés sur ce point, en mars 2015, dans un contexte de baisse des émissions nettes d'obligations par les émetteurs souverains européens à l'origine d'une baisse de l'offre et donc de la liquidité sur les marchés EGB et les marchés des EGB connexes, la Banque centrale européenne (ci-après la « BCE ») a débuté un programme dit d'assouplissement quantitatif la conduisant à acheter des EGB à hauteur de 60 milliards d'euros par mois.
7.Craignant une insuffisance de vendeurs pour satisfaire le programme de la BCE, le marché s'est porté sur la détention de positions longues sur les obligations souveraines, notamment allemandes, avant que la tendance ne s'inverse par la vente des obligations allemandes en quantités assez importantes.
8.Ces ventes ont entraîné la baisse des rendements des obligations allemandes, conduisant les investisseurs à acquérir des obligations françaises.
9.En juin 2015, des préoccupations de risque de crédit sont apparues, liées à la crise grecque et au risque de sortie de la Grèce de la zone Euro. Les investisseurs ont alors recherché des obligations d'État présentant une bonne qualité de crédit, comme l'Allemagne, sans que ce mouvement en faveur des produits à plus faible risque ne profite pleinement aux instruments présentant un risque de crédit intermédiaire, comme la France et la Belgique.
10.Cette situation a entraîné un écart entre le rendement des instruments allemands et celui des instruments français ( ci-après le « spread franco-allemand »), un niveau de volatilité élevé du marché obligataire et une baisse importante de la liquidité du marché.
11.Le 15 juin 2015, soit la veille des opérations litigieuses, la société Morgan Stanley a exécuté un ordre d'achat auprès d'une banque japonaise (ci-après la « transaction BTMU ») portant sur des obligations assimilables du Trésor (ci-après les « OAT ») d'un montant de 500 millions d'euros, augmentant sa position longue concernant le risque français, et, à titre de couverture, a cédé 950 Futures ayant pour sous-jacents des obligations souveraines françaises (ci-après les « FOAT »), 1 940 Futures ayant pour sous-jacents des obligations souveraines allemandes (ici des « FGBL ») et acquis 250 millions d'euros de notionnel d'Itraxx.
12.À la fin de la journée la société Morgan Stanley affichait des pertes de 6 millions de dollars, de sorte que le management du Desk a décidé de réduire l'exposition au risque français.
Les faits litigieux
13.Le 16 juin 2015, la société Morgan Stanley a réalisé des opérations par l'intermédiaire du Desk, consistant en :
– des acquisitions entre 9h29 et 9h44 sur Eurex — marché allemand réglementé de produits dérivés — portant sur des contrats à terme, en l'espèce des FOAT et des Futures ayant pour sous-jacents des obligations souveraines allemandes (de types « FGBL » et « FGBX ») ;
– puis, des cessions à 9h44 sur les plateformes de négociation électronique MTS France, Broker Tec et MTS Belgium portant sur des obligations françaises (les OAT) et belges, appelées « Obligations Linéaires Ordinaires » (ci-après les « OLO »).
14.Le bon fonctionnement de la plateforme de négociation MTS France ayant été perturbé le même jour à 9h44, à la suite de cessions massives d'OAT, les OAT en cause ont été suspendues pendant 4 minutes, tandis que la liquidité offerte sur ce marché a été réduite pendant près d'une heure.
15.C'est dans ce contexte que, le 4 décembre 2015, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après, l' « AMF ») a décidé d'ouvrir une enquête portant sur le marché d'un certain nombre d'OAT.
16.L'AMF a également sollicité l'assistance de son homologue britannique, la « Financial Conduct Authority » (ci-après la « FCA ») en application de l'accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations, adopté en mai 2002 dans la cadre de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs dit « accord de l'OICV », en vue d'obtenir un certain nombre d'éléments en lien avec les interventions réalisées depuis Londres, objet de son enquête et l'audition de plusieurs préposés de la société Morgan Stanley.
La phase administrative de la procédure
17.Le 28 juin 2017, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à la société Morgan Stanley et à six de ses salariés des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs, ainsi que de la faculté de présenter des observations dans le délai d'un mois.
18.Les personnes précitées ont présenté des observations en réponse le 29 août 2017, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF ayant accepté de proroger le délai.
19.L'enquête a donné lieu à un rapport daté du 31 octobre 2017.
20.Le collège de l'AMF, réuni en formation plénière, a décidé, le 28 novembre 2017, de notifier des griefs à la société Morgan Stanley.
21.Aux termes de cette notification des griefs, adressée par lettre du 6 février 2018, il a été reproché à la société Morgan Stanley d'avoir :
– d'une part, fixé le cours des FGBL, FGBX, FOAT, OAT et OLO à un niveau anormal et artificiel, en méconnaissance du 1o b) de l'article 631-1 du règlement général de l'AMF (ci-après le « RGAMF ») , la poursuite estimant que « Morgan Stanley pourrait, en ayant fixé les cours des Futures FGBL, FGBX et FOAT à des niveaux anormaux ou artificiels, [ayant] pour objet, et pour effet, de fixer également les cours des OAT des OLO, instruments financiers liés, à des niveaux anormaux ou artificiels ».
– d'autre part, eu recours à une tromperie ou à un artifice, en méconnaissance du 2o de l'article 631-1 du RGAMF, la poursuite affirmant que la mise en cause aurait trompé le marché en ayant acquis des FOAT « en totale incohérence avec sa stratégie de dénouement ».
22.Le rapporteur désigné par la Commission des sanctions a déposé son rapport le 27 septembre 2019, auquel la société Morgan Stanley a répondu par observations du 21 octobre 2019.
La décision attaquée
23.Par décision du 4 décembre 2019 (la « décision attaquée »), la Commission des sanctions de l'AMF a prononcé une sanction pécuniaire de 20 millions d'euros à l'encontre de la société Morgan Stanley au titre de manquements de manipulation de cours.
24.Elle a tout d'abord retenu sa compétence sur le fondement des articles L.621-15 c) du code monétaire et financier et L.611-1 du RGAMF. Elle a ensuite estimé que les opérations effectuées le 16 juin 2015 avaient contribué à donner une image biaisée de l'état du marché d'instruments obligataires français en fixant à un niveau anormal et artificiel le cours de certains instruments financiers (FOAT, OAT et OLO), au sens de l'article 631-1, 1o b) du RGAMF et que ces agissements constituaient également une manipulation de cours par recours à une forme de tromperie ou d'artifice, au sens de l'article 631-1 2o du même règlement.
25.Elle a en revanche considéré que le grief de manipulation de cours n'était pas caractérisé concernant les FGBL et FGBX.
Le recours entrepris
26.Par son recours et aux termes de ses dernières écritures récapitulatives, la société Morgan Stanley demande à la Cour :
In limine litis,
– dire que la Commission des sanctions de l'AMF n'était pas compétente pour se prononcer sur une éventuelle manipulation du cours des OLO, annuler en conséquence la décision attaquée et dire n'y avoir lieu à sanction ;
À titre principal,
– annuler l'ensemble de la procédure d'enquête, comme étant déloyale et entachée de graves atteintes aux droits de la défense et, par voie de conséquence, la notification de griefs et la décision attaquée et dire n'y avoir lieu à sanction ;
À titre subsidiaire,
– annuler la décision attaquée en ce qu'elle a considéré qu'elle avait commis une manipulation de cours et, à tout le moins, en ce qu'elle a considéré qu'elle avait eu recours à la tromperie et dire n'y avoir lieu à sanction ;
À titre infiniment subsidiaire,
– juger qu'aucun manquement de manipulation de cours ne lui est imputable, à supposer, par extraordinaire qu'il soit jugé établi ;
À titre encore plus subsidiaire,
– réduire la sanction pécuniaire prononcée par la Commission des sanctions à de plus justes proportions ;
En tout état de cause,
– anonymiser l'arrêt à intervenir quant aux personnes physiques concernées, pour des raisons de réputation évidentes et ce d'autant qu'elles n'ont pas été poursuivies par le collège de l'Autorité des marchés financiers dans le cadre de la présente affaire.
27.L'AMF invite la Cour à rejeter le recours.
28.Sur la question de la compétence de la Commission des sanctions, la société Morgan Stanley indique renoncer à maintenir l'exception d'incompétence initialement soulevée dans l'exposé de ses moyens, déposé le 26 février 2020, en ce qui concerne les interventions réalisées sur les FGBL et FGBX qui sont définitivement jugées irréprochables, dés lors que l'AMF n'a pas formé de recours incident. Elle précise que cette renonciation vise uniquement à dispenser la Cour de statuer sur une question dépourvue d'intérêt pratique et ne saurait constituer une quelconque reconnaissance du bien fondé de la décision de la Commission des sanctions sur sa compétence ou des observations de l'AMF devant la Cour.
29.La discussion relative à la compétence de la Commission des sanctions est donc circonscrite devant la Cour aux seules transactions portant sur les OLO.
30.À l'audience, la Cour a précisé que le régime auquel se réfère la société Morgan Stanley concernant la procédure d'audition obligatoire au Royaume Uni, sans en préciser le fondement, est celui qui est prévu par le « Financial Services and Markets Act 2000 » )le « FSMA »(, de sorte que la question soulevée par la société Morgan Stanley, concernant la déloyauté des actes d'enquête, sera examinée en tenant plus particulièrement compte de la section 169 du FSMA dédiée à l'assistance aux régulateurs étrangers, ce qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, ni observation.
*
* *
MOTIVATION
I. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COMMISSION DES SANCTIONS CONCERNANT LES TRANSACTIONS PORTANT SUR DES OBLIGATIONS LINÉAIRES ORDINAIRES )OLO(
31.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions a retenu sa compétence pour connaître des manquements notifiés à la société Morgan Stanley concernant ses transactions sur les OAT, les OLO, les FOAT, les FGBL et FGBX sur le fondement des articles L.621-15 du code monétaire et financier dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 3 juillet 2016 et de l'article 611-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016. Elle a ainsi considéré, d'une part, qu'elle était compétente concernant les opérations portant sur les OAT, quel que soit leur lieu de négociation, en application des dispositions combinées des deux textes précités et, d'autre part, que les OLO, les FOAT, les FGBL et les FGBX négociés le 16 juin 2015 par le Desk étaient des instruments financiers liés à ces OAT, au sens du II c( de l'article L.621-15 du code monétaire et financier.
32.La société Morgan Stanley estime que la notion d'« instrument financier lié » visée par l'article L.621-15, II c( précité, qui fonde le pouvoir répressif de l'AMF, doit être interprétée de manière restrictive conformément au principe d'interprétation stricte de la loi pénale et ne peut désigner qu'un produit dérivé.
33.Pour retenir cette interprétation, elle se prévaut tout d'abord de l'intention du législateur et des travaux parlementaires de la loi no 2010-1249 de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010.
34.Elle estime, en toute hypothèse, que pour apprécier une question de compétence, le lien entre les instruments est nécessairement juridique et non économique.
35.Se référant aux article 313-27 et 611-1 du RGAMF et à la définition qu'ils donnent de l'instrument lié qui renvoie à la notion de dépendance, elle considère que l'article L.621-15, II, c( précité devrait se lire comme incluant exclusivement les instruments dont le prix est « étroitement dépendant des fluctuations du prix d'un autre instrument » admis sur un marché ou un système multilatéral de négociation régulé par l'AMF. Elle considère, en revanche, que cette hypothèse ne concerne pas celle où le cours de l'instrument lié régit ou conditionne celui de l'instrument admis sur le marché régulé par l'AMF, pas plus que l'hypothèse d'une simple corrélation de prix, d'une corrélation économique ou d'un simple « effet » entre l'instrument lié et l'instrument admis sur le marché régulé par l'AMF.
36.Elle soutient également qu'il n'est pas pertinent de se reporter à la directive no 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché )abus de marché( )ci-après la directive « MAD »(, dans la mesure où son article 6 § 4 a été transposé notamment à l'article L.621-18-2 du code monétaire et financier, lequel se réfère uniquement aux transactions sur actions et aux « instrument financiers qui leur sont liés », sans que la notion d'instrument financier dérivé ou de produit dérivé n'y figure. Elle relève également que dans l'article 223-23 du RGAMF, applicable à l'époque des faits, relatif aux obligations de déclarations des dirigeants visées à l'article L.621-18-2 du code monétaire et financier, la notion d'« instruments financiers liés » vise exclusivement les produits dérivés.
37.Elle relève que le règlement )UE( no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché )ci-après le « règlement MAR »( a modifié l'article L.621-15 II c( du code précité et que la nouvelle définition donnée, qui a significativement étendu le champ de compétence de la Commission des sanctions n'est pas applicable en l'espèce.
38.Elle note également que si la décision attaquée a considéré que cette nouvelle rédaction est plus sévère, en ce qu'il prévoit un champ de compétence plus large, la Commission des sanctions a néanmoins retenu sa compétence, au seul constat d'une prétendue corrélation économique et de l'effet supposé d'un instrument sur le cours d'un autre. Elle en déduit que tout en se défendant de le faire, la Commission des sanctions a ainsi appliqué le critère posé par l'article L.621-15, II c( dans sa nouvelle rédaction, en vigueur à compter du 3 juillet 2016.
39.Elle ajoute que le fait de fonder la compétence de la Commission des sanctions sur une corrélation économique est contraire au principe de sécurité juridique dès lors qu'elle peut changer à tout moment, en particulier sur un marché volatile.
40.Elle considère par ailleurs que l'argument selon lequel l'ancien texte devrait être interprété à la lumière du nouveau n'est pas sérieux. Elle considère en effet que l'AMF ne peut tout à la fois soutenir que la modification de cet article, le 3 juillet 2016, résulte d'un mouvement législatif en faveur d'une extension de compétence jugée indispensable dans les abus de marché et que cet article ne change rien à l'ancien texte. Elle fait valoir que cette modification a été jugée nécessaire, précisément parce que l'ancien texte ne prévoyait pas un tel champ de compétence. Elle estime par ailleurs que l'AMF n'est pas recevable à contredire la position de la Commission des sanctions qui a retenu que cette nouvelle rédaction ne pouvait recevoir d'application rétroactive compte tenu du fait que sa portée, manifestement élargie, n'était pas plus favorable.
41.Au cas particulier, elle soutient que :
– aucun élément constitutif du prétendu manquement de manipulation de cours portant sur les OLO n'a été commis sur le territoire français ;
– les OLO ne sont pas des instruments financiers admis aux négociations sur un marché ou sur un système multilatéral de négociation régulé par l'AMF, contrairement aux OAT ;
– les OLO ne peuvent être qualifiés d'instruments liés à « des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation régulé par l'AMF », au sens de l'article L.621-15, II, c( précité, seuls les FOAT étant des instruments liés aux OAT au sens dudit texte.
42.Sur ce dernier point, elle souligne, comme l'avait démontré le rapporteur désigné pour instruire le dossier, que rien ne permet de considérer que les OLO )pas davantage que les FGBL et FGBX( sont des « instruments liés » aux OAT au sens de cet article, dès lors que les OLO, qui ne sont pas des produits dérivés, ne sont pas étroitement dépendants des OAT )bien qu'il existe une corrélation entre eux(. Elle souligne que ce sont les FGBL qui dirigeaient et déterminaient le cours des OLO.
43.Elle ajoute que la position retenue revient à admettre la compétence de la Commission des sanctions sur la base d'un critère )la corrélation( qui peut être absent au moment où seraient commis les faits qu'elle souhaite sanctionner, l'AMF considérant qu'il suffit que cette corrélation existe à une période donnée, arbitrairement déterminée )analyse de régression linéaire réalisée sur la période du 1er janvier au 16 juin 2015(. Elle souligne également que les textes ne définissent pas le niveau statistique à partir duquel on peut considérer qu'il y a corrélation économique, de sorte que l'établissement d'une corrélation dépend, en l'état, de la seule appréciation, arbitraire, de la Commission des sanctions à un moment donné. Elle considère qu'une règle de compétence territoriale ne saurait reposer sur une statistique, eu égard aux principes de sécurité juridique et d'interprétation stricte de la loi pénale.
44.Elle dénonce également l'incohérence de la solution à laquelle aboutit la Commission des sanctions, dès lors que les OLO sont des titres de dette souveraine belge négociés sur un marché étranger.
45.Elle conclut au final que, faute d'avoir répondu à l'argumentation développée ci-avant et, en particulier, d'avoir défini la notion d'« instrument lié », la décision attaquée est entachée d'un défaut de motifs manifeste, justifiant son annulation.
46.Elle dénonce les effets extra-territoriaux illimités des pouvoirs de sanction de la Commission résultant de l'interprétation adoptée et relève enfin qu'aucun impératif de bonne administration de la justice ne justifiait que ce soit l'AMF qui s'attribue la compétence pour appréhender l'ensemble des interventions relatives aux instruments financiers en cause.
47.L'AMF, qui ne conteste pas que la notion d'instrument lié vise, au premier chef, les produits dérivés, considère cependant que cette notion ne peut être automatiquement assimilée à celle de produit dérivé dès lors que le législateur a fait le choix d'une sémantique différente. Elle relève d'ailleurs que l'article 6 § 4 de la directive MAD précitée — directive transposée par les textes réprimant les manipulations de cours dans leur version applicable à l'époque des faits — se réfère aux opérations portant sur « des instruments financiers dérivés ou d'autres instruments financiers qui leur sont liés ».
48.Elle relève que selon la définition donnée par le dictionnaire Larousse du verbe « lier » — plus pertinente que celle de « dépendance » sur laquelle se fonde la requérante — la notion renvoie au fait d' « unir quelque chose à quelque chose d'autre par un lien logique » et en déduit, à défaut de restriction, que cette formulation permet d'englober, outre lesdits produits dérivés, les instruments unis entre eux par un lien de corrélation économique. Elle ajoute que l'article L.621-15 du code monétaire et financier n'exclut pas que le lien entre instruments s'opère dans un sens comme dans l'autre, c'est-à-dire que l'instrument lié soit celui qui dépende ou celui qui a un effet sur l'instrument admis sur un marché régulé.
49.Elle invoque également le pragmatisme ayant gouverné l'action du législateur en 2010, qui a anticipé la révision de la directive MAD, en réaction à la crise financière de 2008, afin d'appréhender plus largement les abus de marché et s'adapter aux évolutions des marchés financiers. Elle rappelle que les travaux de révision de cette directive ont mené à l'adoption du règlement MAR qui l'a abrogée et que le II c( de l'article L.621-15 du code monétaire et financier a été modifié postérieurement aux faits de l'espèce, suite à l'entrée en vigueur de ce règlement, le terme « instrument financier lié » a ainsi été remplacé par « un instrument financier )…( dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d'un instrument financier )…( ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d'un instrument financier ». Elle observe qu'au cours des travaux parlementaires relatifs à la loi no2016/819 réformant le système de répression des abus de marché, qui a mis en conformité l'article L.621-15 du code monétaire et financier avec les dispositions du règlement MAR, le caractère non substantiel de la modification rédactionnelle, qui avait déjà été anticipée en droit français, a été confirmé.
50.Elle estime que la Commission des sanctions était fondée à retenir sa compétence pour connaître du manquement de manipulation de cours sur des instruments financiers qui, sans être des produits dérivés d'un instrument admis aux négociations sur un marché régulé par l'AMF, présentent un lien de corrélation économique avec un tel instrument. Elle ajoute que pour chaque instrument visé par la notification de griefs, la Commission a ensuite vérifié s'il présentait un tel lien avec les OAT, instruments financiers à l'égard desquels la compétence de la Commission n'est pas contestée.
51.S'agissant plus spécifiquement des OLO, qui sont des titres de créances admis sur le marché Euronext Brussels et qui ont été négociés par le Desk sur la plateforme de négociation MTS Belgium, régulée par l'Autorité des services et marchés financiers de Belgique, elle rappelle que le rapport d'enquête a établi que les OLO étaient fortement corrélés aux OAT et qu'ainsi tout paramètre affectant le prix des OAT comme le FOAT affectait le prix des OLO et vice-versa. Elle invoque également les écritures de la société Morgan Stanley et pièces du dossier qui confirment sans ambiguïté l'existence d'un lien de corrélation entre les OAT et les OLO.
52.Elle ajoute que la régression linéaire réalisée par les enquêteurs )annexe 3-3 du rapport d'enquête( afin d'étudier l'impact des variations des Futures OAT sur les OLO a également confirmé que les variations du cours des OLO sont étroitement corrélées au cours des OAT. Elle estime que c'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu sa compétence à l'égard des OLO, les qualifiant d'instruments financiers liés aux OAT au sens du c( de l'article L.621-15 du code monétaire et financier.
53.Enfin, l'AMF rappelle que sont en cause, en l'espèce, des transactions croisées sur des instruments financiers cotés sur plusieurs marchés, réalisées dans un même trait de temps, entre 9h29 et 9h44, par un même auteur, la société Morgan Stanley. Elle estime qu'il relève d'une bonne administration de la justice qu'une autorité unique examine l'entier dossier, dès lors que si la Commission des sanctions n'avait pas retenu sa compétence sur chacun des instruments en cause, comme elle était légitime à le faire en l'espèce, aucune des autorités française, belge ou allemande n'aurait pu appréhender le schéma de manipulations croisées mis en place par la requérante dans sa globalité et en apprécier au plus juste le caractère illicite et la gravité.. Elle ajoute que les homologues allemand et belge de l'AMF ont coopéré avec cette dernière dans le cadre de son enquête, témoignant d'une bonne coordination entre les États membres de l'Union européenne.
54.L'AMF invite en conséquence la Cour à rejeter ce moyen d'annulation .
***Sur ce, la Cour,
55.À titre liminaire, et ainsi que l'a souligné l'AMF dans ses observations orales, sans être contredite par la société Morgan Stanley sur ce point, le moyen aux termes duquel la question de la compétence de la Commission des sanctions sur ces instruments « devrait, au demeurant, être régie, non au regard de l'article L.621-15, II c(, mais conformément à l'article L.621-15, II d( du code monétaire et financier )dans sa version applicable aux faits( » n'a pas été présenté dans l'exposé des moyens du 26 février 2020. Introduit dans les écritures déposées le 20 octobre 2020, au § 80, ce moyen, tardif, est irrecevable en vertu de l'article R.626-46 du code monétaire et financier.
56.Aux termes de l'article L.621-15, II, c( du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable du 22 février 2014 au 3 juillet 2016, soit à la date des faits :
« II. – La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
)...(
c( Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L.621-14, dès lors que ces actes concernent :
– un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L.421-1 admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
– un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à l'alinéa précédent ;
– un contrat commercial relatif à des marchandises et lié à un ou plusieurs instruments mentionnés aux alinéas précédents, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
– un instrument financier négocié sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lequel une demande d'admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ;
– un indice tel que défini à l'article L.465-2-1 » )texte souligné par la Cour(.
57.Ce texte, qui n'a pas défini la notion d'« instrument lié » employée au c(, délimite le périmètre des pouvoirs de la Commission des sanctions de l'AMF, lequel est commun à plusieurs types de manquement )« opération d'initié, manipulation de cours, diffusion d'une fausse information ou tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L.621-14 du code »(.
58.Il n'est pas contesté que :
– l'intention du législateur, lors de l'adoption de la loi du 22 octobre 2010, précitée, qui a introduit la notion d'instrument lié à l'article L.621-15 du code monétaire et financier, a été d'étendre le champ de compétence de la Commission des sanctions en matière de déclaration des opérations suspectes et de sanction, en adoptant une rédaction permettant « d'englober les produits dérivés et, plus particulièrement, les dérivés sur événement de crédit )crédit default swaps dit "CDS"( », comme le confirme le contenu des travaux parlementaires versés aux débats )pièces de la société Morgan Stanley no 38 et 39( ;
– les produits dérivés sont des instruments liés, dès lors qu'un produit dérivé correspond à un instrument financier « dont la valeur fluctue en fonction de l'évolution du taux ou du prix d'un produit appelé sous-jacent, qui ne requiert aucun placement net initial ou peu significatif et dont le règlement s'effectue à une date future » )rapport au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de régulation bancaire et financière no 2165, pièce no 38 précitée(.
59.Il est également avéré que les travaux parlementaires précités ont souligné les limites de la réglementation européenne qui ne s'appliquait alors qu'aux instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé dans un État membre de l'Union européenne, tandis que sont apparues de nouvelles formes d'abus de marché « susceptibles de porter sur des instruments financiers qui, sans être eux-mêmes admis aux négociations sur un marché réglementé, sont liés à des instruments financiers qui le sont » et qu'il a alors été envisagé d'étendre aux produits dérivés le champ de compétence de la Commission des sanctions de l'AMF.
60.Pour remédier aux limites qui viennent d'être évoquées, le législateur a cependant choisi, lors de l'adoption de la loi no 2010/1249 précitée, le terme large d'« instrument financier lié » plutôt que celui de «produit dérivé ».
61.Le principe de légalité des délits et des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Il doit toutefois être rappelé, comme le souligne le Conseil constitutionnel lui-même, que sa jurisprudence est plus souple dans l'application de ce principe aux sanctions administratives qu'en matière pénale )Commentaire de la décision no 2017-634 QPC du 2 juin 2017 relative, notamment, à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans ses rédactions résultant de la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi no 2010-1249 précitée, page 15(.
62.Par suite, ce principe n'exclut pas de pouvoir interpréter la notion d'« instrument lié » en tenant compte du contexte global dans lequel elle est employée et dans un sens préservant l'effet utile d'une législation qui a pour objectif « d'assurer l'intégrité des marchés financiers communautaires et renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés », comme l'a rappelé le considérant 12 de la directive MAD précitée.
63.Il ressort de cette même directive, qui n'a été abrogée par le règlement MAR qu'avec effet au 3 juillet 2016, que les notions d'« instruments financiers dérivés » et d'« instruments financiers liés » ne sont pas totalement synonymes, comme l'illustre l'article 6 § 4 de ladite directive, qui prévoit que « les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes au sein d'un émetteur d'instruments financiers et, le cas échéant, les personnes ayant un lien étroit avec elles, communiquent au moins à l'autorité compétente l'existence des opérations effectuées pour leur compte propre et portant sur des actions dudit émetteur, ou sur des instruments financiers dérivés ou d'autres instruments financiers qui leur sont liés » et distingue ainsi différentes catégories d'instruments financiers liés, dérivés ou non.
64.Dans le silence de la loi no 2010/1249 précitée, qui n'opère aucune distinction entre les catégories d'instruments liés, rien n'autorise la Cour à restreindre le champ d'application du texte en retenant une limite qu'il ne contient pas. Il n'est pas davantage permis, pour le même motif, de retenir que le lien entre deux instruments financiers auquel se réfère l'article L.621-15 du code monétaire et financier ne peut être que juridique.
65.Il résulte par ailleurs de la directive MAD, comme du règlement MAR qui l'a abrogée, que ces textes ont entendu préserver l'effet utile des règles applicables aux abus de marché en relevant que « le développement des marchés financiers, les changements rapides et la gamme des nouveaux produits et innovations impliquent que la présente directive s'applique largement aux instruments et techniques financiers en cause, afin de garantir l'intégrité des marchés financiers communautaires » )considérant 34 de la directive MAD( et, en ce qui concerne les manipulations de marché, que « le présent règlement devrait prévoir des mesures adaptables aux nouvelles formes de négociation ou aux nouvelles stratégies potentiellement abusives.» )considérant 38 du règlement MAR(.
66.Lors des travaux parlementaires entrepris en 2010, l'importance d'adapter les textes à l'évolution des formes d'abus de marché « sans attendre la révision de la directive 2003/6/CE » )pièce no38 précitée( a également été souligné et il n'est pas contesté que, dans le même temps, la Commission européenne a lancé, en juin 2010, une consultation publique précisant l'extension voulue du champ d'application des abus de marché )« Prohibition of market manipulation would also apply to any financial instrument not admitted to trading on a regulated market or an MTF in a Member State, but which can have an impact on the value of a financial instrument admitted to trading on a regulated market or on an MTF », citation extraite des écritures de l'AMF page 15(, de sorte que le législateur français, en adoptant une terminologie permettant d'englober plusieurs types d'instruments s'inscrit dans le sens d'une réforme qu'il a devancée.
67.Contrairement à ce que prétend la société Morgan Stanley, la Commission des sanctions, qui a constaté que l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du no 2016-819 du 21 juin 2016 qui a substitué à la notion d'« instrument lié » la formule « instrument financier )...( dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d'un instrument financier )...( ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d'un instrument financier », ne peut être appliquée de manière rétroactive dès lors qu'elle ne peut être considérée comme moins sévère par rapport à la version en cause, ne s'est pas fondée sur ce nouveau texte pour fonder sa décision mais sur la lettre du texte applicable à la date des faits. Elle a ainsi retenu à juste titre qu'en l'absence de restriction apportée par le texte en vigueur à la date des faits, la notion d' « instrument lié » permet d'englober tant les produits dérivés, juridiquement liés à un autre instrument, que les instruments financiers liés entre eux par une corrélation économique.
68.En l'absence de limitation, le libellé du texte applicable à la date des faits ne permet pas davantage de restreindre sa portée en considérant que le lien entre instruments ne peut s'opérer que dans un sens, et exclurait que le cours de l'instrument lié puisse diriger celui de l'instrument admis sur le marché régulé par l'AMF, comme le soutient à tort la société Morgan Stanley.
69.Enfin, contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley, la modification rédactionnelle de l'article L.621-15 du code monétaire et financier intervenue en 2016 à la suite de l'entrée en vigueur du règlement MAR n'induit pas que l'ancien texte prévoyait un champ de compétence différent concernant la question en discussion. En effet, l'amendement dont elle est issue mentionne qu'il a eu pour objet, sur ce point précis, de « procéder à quelques améliorations rédactionnelles » pour en rapprocher les termes de ceux de la directive et du règlement européen sur les abus de marché )amendement de M. [I], rapporteur, article 1er bis, NoCOM-8 du 2 mai 2016 relatif à la proposition de loi Abus de marché, 1ère lecture, no 542, Commission des finances et rapport no 575 du 4 mai 2016 relatif à la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, page 70(.
70.C'est en conséquence, sans méconnaître les principes de légalité et de sécurité juridique que la Commission des sanctions a retenu que le II c( de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, lui donnait compétence pour connaître du manquement de manipulation de cours sur des instruments financiers qui, sans être des produits dérivés d'un instrument admis aux négociations sur un marché régulé par l'AMF, présentent un lien de corrélation économique avec un tel instrument.
71.En l'espèce, il est constant que le 16 juin 2015 la société Morgan Stanley, par l'intermédiaire du Desk, a procédé :
– entre 9h29 et 9h44, à l'acquisition sur le marché Eurex, de plusieurs contrats à long terme )ou futures( sur des obligations souveraines françaises )1 890 FOAT( et allemandes )8 912 FGBL et 371 FGBX(.
– puis, à 9h44, à une cession de 17 OAT d'une valeur de 815 millions d'euros )à hauteur de 521 millions d'euros sur le système multilatéral de négociation MTS France, de 269 millions d'euros sur la plateforme de trading Broker Tec et de 25 millions d'euros par l'intermédiaire d'un courtier( et de 8 OLO d'une valeur de 340 millions d'euros, sur le système multilatéral de négociation MTS Belgium.
72.Il n'est pas contesté que les 17 OAT précitées constituent la forme privilégiée du financement à long terme de l'État français et sont des instruments financiers à l'égard desquels s'exerce la compétence de la Commission des sanctions.
73.Il n'est pas davantage contestable que les 8 OLO en cause, qui correspondent à des emprunts d'État belges, ont été négociées par le Desk sur MTS Belgium, plateforme régulée par l'Autorité des services et marchés financiers de Belgique, et sont admises aux négociations sur le seul marché réglementé Euronext Brussels.
74.Toutefois, comme l'a relevé le rapport d'enquête, « à l'époque des faits, les OLO pouvaient être considérées comme fortement corrélées aux OAT, et donc tout paramètre affectant le prix des OAT comme le Future FOAT affectait également le prix des OLO et vice-versa ».
75.Cette corrélation est usuellement admise, ainsi qu'il ressort :
– des termes de la réponse de la société Morgan Stanley aux enquêteurs du 20 mai 2016 )annexe 2-4 au rapport d'enquête(, réitérés au § 103 des observations de la société Morgan Stanley du 14 juin 2018 en réponse à la notification de griefs )pièce no 16 Morgan Stanley( : « Le Desk négocie souvent des instruments belges de manière interchangeable avec des instruments français, car ils sont généralement fortement corrélés positivement » ;
– d'une note publiée par le Crédit agricole CIB le 12 janvier 2017 intitulée « Interest Rates Trade Idea » )annexe 5-1 au rapport d'enquête( qui mentionne également explicitement que « ]l[es OLO belges et les OAT français ont été étroitement corrélés au cours des trois dernières années au moins » )également selon la traduction libre proposée par l'AMF, non contestée(.
76.L'analyse de régression linéaire effectuée par les enquêteurs, qui établit un coefficient de corrélation positif de 0,97 )étant rappelé que plus le coefficient est proche de 1, plus la relation linéaire entre ces instruments est importante( ne constitue qu'un indice supplémentaire de cette corrélation. Par suite, la corrélation retenue par la Commission des sanctions est établie. La Cour ajoute que l'AMF a produit en pièce no 1 une fiche explicitant la méthodologie suivie pour réaliser cette régression linéaire, fiche qui n'est pas critiquée dans les dernières observations de la société Morgan Stanley.
77.Les OLO négociées le 16 juin 2015 par le Desk constituant des instruments financiers liés aux OAT, au sens de l'article L.621-15, II, c( du code monétaire et financier, et les interventions reprochées correspondant à des transactions croisées )portant sur plusieurs instruments, cotés sur plusieurs marchés, dans un bref laps de temps, par le même auteur( c'est à juste titre, sans méconnaître la nécessité de veiller à une bonne coordination entre les États membres, que la Commission des sanctions a retenu sa compétence.
78.Il s'en déduit que le moyen n'est pas fondé.
II. SUR LES MOYENS D'ANNULATION TIRÉS DES ATTEINTES PORTÉES AUX DROITS DE LA DÉFENSE AU COURS DE L'ENQUÊTE
79.La société Morgan Stanley critique la décision attaquée, en ce qu'elle a écarté plusieurs moyens d'annulation de la procédure, fondés sur l'atteinte portée, au stade de l'enquête, aux droits de la défense, au principe d'égalité des armes et au principe du contradictoire.
80.Elle fait valoir qu'afin de garantir la protection des droits de la défense, la procédure devant l'AMF doit être juste et équitable au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales )ci-après la « CSDH »( et garantir le respect des droits de la défense et ce, dès la phase d'enquête.
81.Elle invoque, en premier lieu, le droit d'être entendu avant toute mesure individuelle défavorable )comme l'envoi d'une notification de griefs( consacré par l'article 6 de la CSDH, l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que par la charte de l'enquête de l'AMF )ci-après la « Charte de l'enquête »( et reproche aux enquêteurs d'avoir refusé l'audition de ses préposés résidant à Londres, autrement que sur une base « volontaire », alors que la société Morgan Stanley avait sollicité que les informations soient collectées par la FCA selon la base « obligatoire » applicable au Royaume-Uni. Elle indique avoir reçu six requêtes distinctes des enquêteurs de l'AMF, chacune d'elle étant faite sur une base dite « obligatoire », conformément aux pouvoirs statutaires de la FCA, sans que cette base ne soit remise en cause par l'AMF.
82.Elle rappelle à cet égard les modalités de coopération internationale prévues par les articles L.632-1 et suivants du code monétaire et financier, l'article 16 de la directive MAD, l'accord de l'OICV, et plus précisément l'article 9 )d( de cet accord, tel que révisé en mai 2012.
83.Elle estime qu'en vertu de ces règles, la société Morgan Stanley et les personnes concernées n'étaient pas tenues d'accepter d'être auditionnées selon les règles de procédure françaises, tandis que les enquêteurs français étaient en revanche tenus de les auditionner, à leur demande, selon la procédure prévue par le droit anglais. Elle considère que la situation litigieuse constitue une grave irrégularité qui, si elle n'était pas sanctionnée, reviendrait à valider la possibilité, pour les enquêteurs, de choisir, au cas par cas, la forme sous laquelle s'exercent les droits de la défense, de s'affranchir des obligations qui leur incombent et ainsi de porter atteinte aux droits de la défense et aux règles de coopération internationale entre autorités de régulation.
84.Elle fait valoir que la conduite de l'enquête lui a ainsi porté atteinte à double titre : non seulement en ce qu'elle l'a empêchée de faire valoir ses propres observations, puisqu'aucun représentant légal de la personne morale n'a été interrogé au stade de l'enquête, mais également en ce qu'elle l'a privée d'une chance de voir ses préposés justifier en détail les opérations critiquées et leurs intentions respectives à l'époque des faits. Elle considère que l'enquête a ainsi été conduite comme un simple contrôle sur pièces. Elle déduit de cette situation, qu'en refusant d'auditionner ses salariés selon le droit qui leur était applicable, en considération de stratégies procédurales tenant à une éventuelle poursuite des préposés qui en définitive n'a jamais eu lieu, alors même qu'ils avaient jugé ces auditions utiles et opportunes, les enquêteurs ont mené une enquête déloyale qui a porté une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense.
85.Elle ajoute que cette déloyauté est d'autant plus manifeste que les enquêteurs ont uniquement entendu le préposé d'un concurrent direct, responsable du trading EGB à la Société Générale, dont les propos ont été érigés comme ceux d'un expert, alors qu'à l'inverse l'AFT ]sigle désignant l'Agence France Trésor[ n'a pas été entendue. Elle considère que cette situation a encore porté une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense puisque la Commission des sanctions a pris en compte ces déclarations sans avoir l'occasion d'étudier les explications des personnes physiques à l'origine des transactions, voire des experts de marché, qui auraient pu attester de la légitimité de ces opérations.
86.Elle fait valoir, en deuxième lieu, une inégalité des armes en ce que le collège de l'AMF n'a fourni aucun détail sur ses analyses économiques, alors qu'elle même a fourni à l'AMF tous les détails de sa propre analyse « lead-lag » exposée lors du rapport initial de son consultant en date du 14 juin 2018 )y compris les données sous-jacentes et le code source(. Elle considère qu'en refusant de communiquer les détails de son analyse, le collège l'a privé de la possibilité de la critiquer, avec les mêmes armes.
87.L'AMF rappelle, d'abord, s'agissant de l'absence d'audition des salariés, qu'aux termes d'une jurisprudence constante, l'article 6 de la CSDH, ne s'applique, en tant que tel, qu'à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs, non au stade de l'enquête )CEDH, 1er décembre 2005, Ilisescu et Chiforec c. Roumanie, requête no 77364/01, Com., 14 novembre 2018, pourvoi no 17-12.980, CE, 20 janvier 2016, no 374950(, celle-ci devant néanmoins être conduite de manière loyale et, d'une manière générale, se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés. Elle observe que la Commission des sanctions a fait application de cette jurisprudence.
88.Elle relève que si les enquêteurs ont sollicité l'organisation, par la FCA, de l'audition sur une base dite volontaire de six préposés de la société Morgan Stanley, ils se sont heurtés au refus de ces derniers, qui ont exprimés leur souhait d'être auditionnés sur base dite obligatoire ou « compelled ». Les enquêteurs ont en conséquence fait le choix de ne pas procéder aux auditions sur une telle base, jugée attentatoire aux droits de la défense par la Commission des sanctions, et de s'appuyer sur les nombreux éléments déjà recueillis au cours de la procédure et sur la réponse commune aux sept lettres circonstanciées envoyées à la société Morgan Stanley et à ses six préposés. Elle fait par ailleurs observer que la Charte de l'enquête invoquée par la société Morgan Stanley a été jugée, en vertu d'une jurisprudence constante, comme un « document à vocation incitative et informative, dépourvu de toute valeur normative » et de toute force obligatoire.
89.S'agissant de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux, elle souligne qu'il est inopérant en l'espèce dans la mesure où la notification de griefs est un acte préparatoire qui ne fait pas grief indépendamment de la décision de la Commission des sanctions, ainsi que l'a reconnu la cour d'appel de Paris dans un arrêt récent )CA Paris, 20 juin 2019, 19/00472, pourvoi no 19-21091pendant(
90.Elle ajoute enfin que l'atteinte alléguée tenant à l'absence d'audition des salariés par la FCA est d'autant moins susceptible d'avoir porter une atteinte irrémédiable à ses droits, dès lors que, la requérante, comme l'a relevé la Commission des sanctions, « a pu faire valoir toutes observations utiles de fait et de droit sur les griefs qui lui ont été notifiés, tant dans ses réponses écrites qu'au cours de son audition par le rapporteur et devant la Commission des sanctions ».
91.S'agissant des choix des enquêteurs concernant les auditions, elle fait valoir qu'aux termes d'une jurisprudence constante les « services d'enquête de l'AMF déterminent librement la nature et l'étendue des investigations auxquels ils décident de procéder dans le cadre de l'enquête qui leur est confiée » )notamment, CA Paris 31 mars 2016, confirmée par Com., 9 janvier 2019 , pourvoi no 16-14.727, 16-14.866 et 16-18.201(.
92.S'agissant de l'asymétrie de données statistiques, alléguée, entre celles dont disposait le collège et celles dont la société Morgan Stanley disposait concernant l'analyse réalisée par les enquêteurs, elle observe qu'elle est invoquée pour la première fois devant la Cour. Elle ajoute que, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision attaquée ne s'appuie ni sur l'analyse de « lead-lag » de la société Morgan Stanley, ni sur celle du collège de l'AMF pour conclure que les FGBL n'ont pas influencé les OAT.
93.Elle en déduit que le moyen de la société Morgan Stanley tiré de l'atteinte au principe d'égalité des armes, qui n'est pas fondé en fait, doit être écarté.
***
Sur ce, la Cour,
94.S'agissant du respect des droits de la défense, et plus spécialement du droit à être auditionné, il convient de rappeler qu'aux termes d'une jurisprudence constante, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la Commission des sanctions doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la CSDH. Toutefois, les exigences découlant de cet article s'appliquent uniquement à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs, et non à la phase préalable de l'enquête )voir, notamment, Com., 14 novembre 2018, pourvoi no 17-12.980, CE., 12 juin 2013, req. no 359245, précités, et CE., 6 novembre 2019, req. no 414659(.
95.Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article R.621-34 du code monétaire et financier, selon lequel « ]l[es enquêteurs et les contrôleurs peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations » que l'audition d'une personne constitue, non pas un droit, mais une simple faculté dont l'usage relève de l'appréciation des enquêteurs.
96.La Charte de l'enquête renvoie d'ailleurs à ce principe, en indiquant que « ]l[es enquêteurs peuvent convoquer, pour être entendue, toute personne susceptible de leur fournir des informations et dont l'audition est utile à l'avancement de l'enquête.» )1.Les droits des enquêteurs de l'AMF, page 8( et en précisant « Si l'enquêteur est libre d'entendre à tout moment toute personne dont l'audition est utile à l'avancement de l'enquête, il peut aussi utilement recevoir toute personne qui demande à être auditionnée. L'enquêteur s'impose d'entendre, ou de réentendre, en fin d'enquête, dans la mesure du possible, toute personne susceptible d'être mise en cause dans le rapport d'enquête afin qu'elle puisse apporter des explications et, éventuellement, des pièces complémentaires concernant les agissements relevés.» )partie II. Les principes de bonne conduite, A. Principes applicables aux enquêteurs, page 18, soulignement ajouté par la Cour(.
97.En l'espèce, il est établi que les enquêteurs de l'AMF ont proposé aux salariés de les entendre sur une base volontaire, ce qu'ils ont décliné dans les conditions qui seront examinées plus loin, et qu'ils ont pu exposer leurs arguments de fait et de droit en réponse à la lettre circonstanciée qui leur a été adressée le 29 août 2017.
98.Il s'ensuit que le fait que l'audition de certains salariés de la société Morgan Stanley n'ait pu avoir lieu avant la notification des griefs adressée à cette société le 6 février 2018 n'est pas, en elle-même, une circonstance justifiant l'annulation de la procédure.
99.Les services d'enquête déterminant librement la nature et l'étendue des investigations auxquels ils décident de procéder, la société Morgan Stanley n'est pas plus fondée à contester leur choix d'auditionner, en début d'enquête, un responsable du « trading » sur les obligations souveraines européennes au sein d'une structure concurrente et de ne pas entendre l'AFT. La Cour relève que la société Morgan Stanley n'a d'ailleurs fait aucune demande auprès du rapporteur pour organiser une telle audition.
100.L'audition d'un concurrent, qui constitue un élément de preuve parmi d'autres et qui a été appréciée comme tel, a eu pour objet d'appréhender les mécanismes de marché en exposant le point de vue d'un autre acteur spécialisé en la matière. La Commission des sanctions n'ayant pas érigé les termes de cette audition comme des propos d'expert, au sens de l'article L.621-9-2 du code monétaire et financier, contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley, c'est en vain que celle-ci met en cause l'impartialité de leur auteur et l'existence de conflits d'intérêts en la personne d'un concurrent direct.
101.S'agissant des conditions dans lesquelles l'enquête doit se dérouler, il est constant que la phase préalable de l'enquête doit être conduite de manière loyale et, d'une manière générale se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.
102.Il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'AMF a sollicité à partir du 18 novembre 2015 l'assistance de son homologue britannique )pièce no 19 de la société Morgan Stanley(, la FCA, pour les besoins de son enquête et, notamment, pour procéder à l'audition de six préposés de la société Morgan Stanley résidant à Londres, dans le cadre de l'accord de l'OICV.
103.L'article 9 )d( de cet accord, dans sa rédaction révisée en mai 2012, précise :
« à moins que les Autorités n'en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre du présent Accord seront rassemblés conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l'Autorité requise, par les personnes qu'elle aura désignées ».
104.Pour les besoins de l'accord OICV, l'autorité désignée par le Royaume-Uni est désormais la FCA qui a été créée par le « Financial Services and Markets Act 2000 » )ci-après le « FSMA »(. Cette autorité dispose du pouvoir d'auditionner une personne selon deux méthodes : lui demander de comparaître volontairement ou lui ordonner de comparaître impérativement en utilisant les pouvoirs conférés aux articles 171 et 172 du FSMA.
105.Comme l'exposent la société Morgan Stanley et l'AMF :
– la procédure « obligatoire » dite également « compelled » en anglais oblige la personne à se présenter et à répondre aux questions posées sous peine de poursuites pénales, sans que cela ne puisse porter atteinte aux exigences de confidentialité auxquelles celle-ci est soumise ;
– en contrepartie, les preuves fournies au cours de l'entretien ne peuvent être utilisées dans le cadre d'une procédure pénale ou d'une procédure d'abus de marché qui pourrait être ultérieurement initiée à l'encontre de la personne auditionnée.
106.Si la pratique la plus commune au Royaume-Uni met en œuvre les auditions sur une base contrainte, dite « obligatoire », elle n'exclut pas le recours aux comparutions volontaires. La Cour ajoute que le FSMA contient une Section 169 dédiée à l'assistance aux régulateurs étrangers qui conduit précisément la FCA à apprécier l'étendue des pouvoirs à déployer.
107.Le choix de privilégier, comme l'ont fait en l'espèce les enquêteurs de l'AMF, une audition volontaire à l'égard de personnes susceptibles de faire l'objet de poursuites dans le cadre d'une procédure relative à un abus de marché potentiel n'est donc pas, en lui même, un procédé irrégulier et déloyal.
108.Le choix des enquêteurs de renoncer à toutes auditions ne saurait en outre caractériser une déloyauté de leur part, dans la mesure où les préposés de la société Morgan Stanley les ont refusées.
109.À titre surabondant, la société Morgan Stanley ne démontre pas en quoi l'absence d'audition de ses représentants et préposés aurait été de nature à porter une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense ou méconnaître les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux.
110.Il convient à cet égard de relever que :
– par lettre du 20 mai 2016, la société Morgan Stanley a fourni ses explications à la FCA concernant les opérations litigieuses ;
– le 28 juin 2017, la direction des enquêtes et des contrôles a adressé à la société Morgan Stanley, ainsi qu'aux six préposés mentionnés dans la demande de coopération précitée, des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs, accompagnée d'une annexe ;
– le 29 août 2017, des observations en réponse aux lettres circonstanciées ont été déposées, développant notamment le rôle du Desk sur les marchés européens des obligations d'État et de certains produits dérivés liés, ainsi que celui de chacune des personnes physiques en cause dans les opérations litigieuses ;
– le 6 février 2018, une notification de griefs a été adressée à la seule société Morgan Stanley ;
– le 20 février 2018, cette dernière a été informée de la désignation du rapporteur, lequel lui a fait part de la possibilité d'être entendu à sa demande )cote D445( ;
– le 14 juin 2018, après avoir obtenu des délais supplémentaires successifs, la société Morgan Stanley a déposé ses observations en réponse à la notification de griefs, auquel elle a joint deux rapports venant au soutien de son argumentation ;
– le 25 juin 2019, des représentants de la société Morgan Stanley ont été entendus par le rapporteur, à la suite de quoi la société Morgan Stanley a produit une note et des documents complémentaires le 4 juillet 2019 ;
– le 21 octobre 2019, la société Morgan Stanley a déposé ses observations en réponse au rapport et, a pu faire valoir tous ses moyens et arguments en séance le 8 novembre 2019.
111.La société Morgan Stanley a ainsi pu présenter toutes les observations et produire toutes les pièces qui lui semblaient nécessaires tant au cours de l'enquête qu'aux différentes étapes de la procédure, et ce jusque devant la Cour.
112.Il n'est pas davantage établi qu'en entendant, dans le contexte précité, un concurrent de la société Morgan Stanley sans entendre ses salariés, ni de véritables experts de marché, les enquêteurs ont irrémédiablement porté atteinte à ses droits de la défense, étant constaté que la société Morgan Stanley, dans ses observations écrites et orales, comme par le biais des rapports, consultations et avis qu'elle a versés à la procédure, a fourni les éléments destinés à appréhender les mécanismes de marché en cause et justifier les choix réalisés par les personnes physiques à l'origine des transactions.
113.S'agissant de l'atteinte au principe d'égalité des armes, tenant à l'asymétrie des données statistiques détenues par le collège par rapport à celles transmises à la société Morgan Stanley, concernant les détails de l'analyse « lead-lag » et l'absence d'influence des FGBL sur les OAT, la Cour rappelle d'abord que la phase contradictoire de la procédure s'ouvre avec la notification des griefs, de sorte que la société Morgan Stanley ne peut prétendre être placée ab initio dans une situation strictement identique au collège de l'AMF, lequel décide des poursuites sur la base des éléments recueillis au cours de la phase d'enquête.
114.Il doit être relevé, ensuite, que la société Morgan Stanley, qui déplore l'absence de justification de la méthodologie suivie lors des analyses économiques réalisées, a été en mesure de réaliser ses propres analyses et verser aux débats des rapports et avis apportant la contradiction aux données économiques figurant dans le rapport d'enquête, de sorte qu'aucune atteinte à ses droits de la défense, a fortiori irrémédiable, n'est démontrée. La Cour ajoute qu'aucune demande n'a été formalisée auprès du rapporteur, identifiant précisément les éléments de calcul que la société Morgan Stanley aurait souhaité obtenir et qui lui aurait fait défaut.
115.Enfin, il convient de constater qu'elle a, en dernier lieu, été mise en mesure de contester la méthodologie de l'analyse de régression linéaire multiple réalisée par les enquêteurs qui lui a été communiquée, en pièce no 1, par l'AMF et qu'elle n'a élevé aucune critique à cet égard dans ses dernières écritures.
116.Le moyen est en conséquence rejeté.
117.Aucun des moyens présentés n'étant fondé, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée.
III. SUR LA CARACTÉRISATION DES MANIPULATIONS DE COURS
A. Sur les manipulations de cours par fixation d'un cours à un niveau anormal ou artificiel fondées sur le 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF
118.La décision attaquée a examiné les éléments constitutifs des griefs de manipulation de cours, en faisant application du 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur jusqu'au 23 septembre 2016, lequel disposait :
« Constitue une manipulation de cours :
1o Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres : […]
b) Qui fixent, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou plusieurs instruments financiers (...) à un niveau anormal ou artificiel à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné (...) ».
119.Elle a également rapproché les opérations litigieuses des indices prévus par l'article 631-2 du RGAMF, selon lequel « [s]ans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1o de l'article 631-1 : […] 5o La concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui est ensuite inversée ».
120.Après avoir examiné chacune des opérations litigieuses elle a retenu que :
– les interventions sur le FOAT échéance septembre 2015 effectuées par le Desk le 16 juin 2015 de 9h29 à 9h44 ont fixé le cours de cet instrument financier à un niveau anormal et artificiel ;
– les interventions sur les FGBL et FGBX n'avaient pas pour objet d'obtenir une certaine cotation du cours de ces deux instruments financiers en vue d'influencer le cours des OAT et n'ont donc pas pu fixer le cours des 17 OAT négociées par le Desk à un cours anormal ou artificiel, de sorte que le grief de manipulation de cours des FGBL et FGBX n'est pas caractérisé ;
– en fixant le cours du FOAT échéance septembre 2015 à un niveau anormal, le Desk a nécessairement fixé le cours des OAT à un niveau lui-même anormal et artificiel en raison de la corrélation entre ces instruments financiers. Elle a toutefois considéré que la manipulation par fixation du cours à un niveau anormal et artificiel n'était caractérisée que pour 14 des 17 OAT cédées par le Desk sur MTS France à 9h44 (listées au § 101 de la décision attaquée), le lien de causalité entre les interventions sur les FOAT et le cours de 3 OAT sur les 17 visées par la notification des griefs n'était pas établi en raison d'une variation de cours marginale, de sorte qu'elle a écarté le manquement de manipulation de cours de ces trois OAT ;
– compte tenu de l'identité de comportement entre les OAT et les OLO, elle a retenu que la manipulation de cours des FOAT a fixé le cours des 8 OLO à un niveau anormal et artificiel, pour les mêmes raisons qu'elles ont fixé le cours des 14 OAT précitées à un niveau anormal et artificiel ;
– les interventions du Desk ne s'inscrivant dans aucune des trois pratiques de marché admises, au sens du chapitre II du titre I du Livre VI du RGAMF, elles ne peuvent bénéficier de l'exception prévue au 1o de l'article 631-1 du RGAMF, qui prévoit la qualification de manipulation de cours « à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné (...) ».
1. Sur les principes applicables
121.La société Morgan Stanley relève, à titre liminaire, l'absence de définition légale ou réglementaire de la notion de cours « anormal ou artificiel ». Elle estime qu'il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission des sanctions qu'une justification rationnelle de l'opération, apportée par le participant au marché, exclut toute caractérisation d'une manipulation de cours au sens de l'article 631-1, 1o, b) du RGAMF et que le cours est qualifié d'anormal ou artificiel lorsque la personne mise en cause n'avait pas un intérêt réel à effectuer les transactions.
122.Elle estime également qu'il ressort de la jurisprudence du Conseil d'État (CE., 20 mars 2013, requête no 356476) que la preuve du caractère anormal ou artificiel nécessite la démonstration d'un élément moral, ou en d'autres termes, l'absence d'intérêt réel à la transaction critiquée. Elle soutient que l'objectif poursuivi par l'opérateur est même le critère principal en vertu duquel doit s'apprécier ce caractère, indépendamment de l'impact que l'opération produit sur le marché. Elle souligne qu'afin d'établir la légitimité d'une transaction, la Commission des sanctions doit s'attacher à prendre en compte la cohérence entre la justification de l'opération invoquée et le mode opératoire effectivement utilisé.
123.En réplique l'AMF confirme que le manquement prévu à l'article 631-1 1o b) précité est caractérisé lorsque les ordres litigieux ne manifestent pas, de la part de leur auteur, un réel intérêt vendeur ou acheteur, mais ont pour objectif d'augmenter ou de diminuer la valeur d'un titre.
124.Elle fait toutefois valoir que, depuis 2004, les dispositions relatives à ce manquement ne font plus aucune référence à un élément intentionnel, à la différence de la rédaction utilisée sous l'empire du règlement COB no 90-04 en vigueur du 20 juillet 1990 au 25 novembre 2004. Elle souligne que cet élément a disparu de l'article 631-1 du RGAMF et que la jurisprudence juge avec constance que ce manquement est dépourvu d'élément intentionnel. Elle ajoute que, sans revenir sur ce principe, il est possible, à titre surabondant, de déduire de l'élément matériel l'existence d'une intention manipulatoire lorsque l'objectif réel poursuivi a été d'obtenir, comme en l'espèce, une cotation à la hausse en vue de céder les instruments liés à de meilleures conditions.
125.Elle conclut en conséquence au rejet du moyen.
***
Sur ce, la Cour,
126.Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 631-1 1o b) du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, qui définit la manipulation de cours comme le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui fixent, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, reproduit les termes de la directive MAD déjà citée et énumère les « comportements » constitutifs de manipulations de marché. Il instaure ainsi une infraction matérielle dont l'existence procède d'un constat objectif.
127.La notion de « cours anormal ou artificiel » employée par l'article 631-1 1o b) du RGAMF n'est pas définie par la loi ou la réglementation. Toutefois, il résulte d'une jurisprudence constante, et au demeurant non critiquée, que l'élément matériel du manquement est caractérisé lorsque les ordres litigieux ne correspondent pas, de la part de leur auteur, à un réel intérêt vendeur ou acheteur. Les ordres consistent alors à obtenir une augmentation ou une diminution de la valeur d'un titre, en déclenchant une cotation de la valeur.
128.[Localité 3] est de constater que cet article ne fait aucune référence à un élément intentionnel. Comme la Cour de cassation l'a déjà jugé, la sanction du comportement visé à l'article 631-1-1o du RGAMF n'exige pas que soit rapportée la preuve que ce comportement avait pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé (Com., 10 novembre 2009, no 08-21073). Il n'est donc pas nécessaire d'établir un élément intentionnel pour caractériser ce manquement, contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley.
129.Rien n'interdit, en revanche, à la Commission des sanctions de relever, le cas échéant, qu'il se déduit de l'élément matériel une intention manipulatoire.
130.Par ailleurs, le manquement étant caractérisé lorsque les ordres litigieux ne correspondent pas, de la part de leur auteur, à un réel intérêt vendeur ou acheteur, il peut être pertinent, selon le mode opératoire utilisé, de se référer au but recherché.
131.Sous le bénéfice de ces appréciations, la Cour recherchera si l'élément matériel, qui suffit pour caractériser le manquement de manipulation de cours, est constitué pour chacune des opérations sanctionnées.
132.Des développements seront consacrés, dans la sous-partie « 5- Sur le bénéfice de l'exception prévue par l'article 631-1 1o b) du RGAMF », aux autres arguments développés par la société Morgan Stanley, qui revendique les considérations légitimes qui ont guidé ses acquisitions.
2. Sur la manipulation du cours du FOAT
133.La société Morgan Stanley fait valoir, en premier lieu, que l'acquisition des FOAT par les traders du Desk était rationnelle et légitime, en ce que :
– elle a eu pour objectif la « gestion de leurs tradings books » et le dénouement de la position FIG ;
– elle s'inscrivait dans un contexte très tendu lié à la volatilité des marchés, contexte décrit dans les rapports en production (pièces 3et 4), notamment en lien avec la crise grecque.
134.Elle rappelle la position qui avait été prise sur le risque français au regard de la conviction du Desk de sa sous-évaluation par rapport au risque allemand et de la transaction japonaise intervenue le 15 juin 2015, qui avait approximativement doublé son risque français et qu'elle avait néanmoins dû réaliser conformément à ses obligations en tant que SVT.
135.Elle invoque pour confirmer la légitimité de ses interventions, l'attestation versée aux débats de M. [A.], qui exerce les fonctions de trader au sein du Desk, la retranscription de la conversation entre M. [B] et le responsable SVT de Morgan Stanley à [Localité 4], les explications de M.[B], ainsi que l'avis rendu le 19 octobre 2020 (ci-après l'« avis du 19 octobre 2020 »), émanant d'une personne reconnue pour sa longue expérience dans le domaine des marchés obligataires et son indépendance vis-à-vis des parties (sa pièce no 48).
136.Elle relève que l'AMF n'a pour sa part fourni aucune expertise venant contredire le rapport de l'expert de marché qu'elle a produit (sa pièce no 4) et les différents rapports et notes du cabinet de consultants déposés au cours de la procédure, entre 2018 et 2020 (ses pièces no 3, 5 et 44).
137.Elle ajoute que :
– le volume de la transaction était très peu significatif, représentant tout au plus 1,8 % du volume quotidien moyen des opérations réalisées sur les FOAT en 2015 et 1,5% de la valeur notionnelle quotidienne moyenne des transactions sur les OAT en 2015 ;
– la négociation, en quinze minutes ou moins, de plus de 1 000 FOAT (soit d'une ampleur équivalente) dans une direction donnée (achat ou vente) a eu lieu 21 fois sur une période de deux ans.
138.S'agissant du nombre de FOAT acquis, elle considère, en substance, qu'il appartenait à la Commission des sanctions, soumise à l'obligation de motiver ses décisions, d'expliquer en quoi elle trouvait « peu convaincantes » ses explications.
139.S'agissant de la nature et des modalités de l'acquisition des FOAT, elle relève, principalement :
– tout d'abord, que sur les 1 890 FOAT achetés, 921 ont été acquis en vertu d'ordres non-agressifs, et que ce mode n'a rien de manipulatoire, ni de répréhensible en soi. Elle souligne que la combinaison d'ordres agressifs et passifs est fréquente et légitime ;
– ensuite, que le procédé dit « iceberg » utilisé pour la passation desdits ordres visait à réduire leur impact potentiel, ce qui exclut toute intention de manipuler le cours.
140.S'agissant de la « concentration des ordres d'acquisition de FOAT sur un bref laps de temps » retenue dans la décision attaquée , elle observe que 15 minutes constituent une durée longue pour une opération de trading où les durées se comptent en secondes. Elle ajoute que les enquêteurs de l'AMF ont admis qu'il « n'était pas envisageable » de dénouer la position FIG « petit morceau par petit morceau » en alternant l'achat de Futures allemands et la vente d'OAT, dans la mesure où cela aurait exposé le Desk à des pertes supplémentaires, compte tenu des conditions de marché « très défavorables » et elle invoque la légitimité des opérations.
141.Elle fait valoir, en second lieu, l'absence de lien de causalité entre l'acquisition des FOAT et la variation de leur cours, et se prévaut des conclusions du rapport initial communiqué (pièce no 3, pages 39 à 47) ainsi que les rapports et avis ultérieurs qui vont dans le même sens.
142.Elle souligne, tout d'abord, la cohérence entre la variation de prix et les volumes échangés. Elle dénonce ensuite l'absence de mesure correcte de la contribution des autres intervenants sur Eurex à la hausse du cours des FOAT, se prévalant notamment du graphique figurant en page 53 du rapport initial (sa pièce no 3) dont elle déduit que 61 % du volume total de ses achats de FOAT ont été effectués après que l'essentiel de la hausse du cours des FOAT se soit matérialisée (80 %), soit entre 09h39 et 09h43. Elle relève également que la variation de prix observée peut résulter d'un changement des limites de cotations entre les transactions (« bid-ask »), dont elle n'est pas responsable (rapport du 10 février 2020, sa pièce no 5, page 31)
143.Elle conteste le « price impact » effectif de la société Morgan Stanley, qu'elle évalue à 0,01 alors que l'AMF considère qu'il est de 0,02. Elle lui reproche d'additionner le résultat obtenu à celui de l'investisseur ayant réalisé la transaction précédente, méthode qui conduit à inclure l'impact d'un autre participant au marché (rapport du 19 octobre 2020, sa pièce no 44 pages 31 et 32).
144.Elle fait valoir, enfin, que le prix des FOAT a été, en l'espèce, dirigé par les FGBL, renvoyant notamment aux graphiques figurant dans le rapport de synthèse du 10 février 2020 (sa pièce no 5) aux analyses de ses pièces no 3 et 44 et à l'avis du 19 octobre 2020 précité (sa pièce no 48). Elle rappelle à cet égard que le FGBL était à ce moment là, la référence à partir de laquelle se fixait le prix des instruments financiers européens moins liquides.
145.Elle critique l'analyse « lead-lag » des enquêteurs qu'elle considère comme insuffisamment justifiée et exclut que l'étude de régression linéaire effectuée par ces derniers puisse constituer une alternative à l'analyse « lead-lag » qu'elle a réalisée.
146.En conclusion, elle considère que l'ensemble des éléments qu'elle a apportés démontre l'absence de lien de causalité entre l'acquisition des FOAT et la variation de leur cours. Elle en déduit que ses achats n'ont donc pas pu provoquer la hausse (antérieure) de prix querellée, de sorte que toute manipulation de cours des FOAT est exclue.
147.L'AMF relève, en premier lieu, que l'indicateur de manipulation de cours prévu au 5o de l'article 631-2 du RGAMF est caractérisé, ses quatre conditions étant réunies.
148.Concernant la condition relative à la « concentration des ordres émis », elle conteste principalement la pertinence de l'évaluation de la société Morgan Stanley qui se fonde sur un volume quotidien moyen de FOAT négocié en 2015, faisant totalement abstraction du contexte et de la durée d'intervention et renvoie sur ce point aux éléments retenus par la décision attaquée.
149.Elle ajoute que le volume négocié représentait une valeur notionnelle de 150 millions d'euros, soit un montant non négligeable dans le contexte tendu d'accumulation de pertes de la part du Desk.
150.Concernant la condition relative à une intervention « sur un bref laps de temps », elle estime qu'elle s'apprécie conjointement avec la première condition et relève que le Desk n'avait pas l'habitude d'échanger sur une durée si courte un tel volume net de FOAT. Elle observe en outre que 60 % de cette acquisition (1 142 FOAT) ont été réalisés en 4 minutes seulement, entre 9h39 et 9h42.
151.Concernant la condition tenant à la « variation de cours », elle considère qu'elle est admise en jurisprudence dès une variation de 4 pas de cotation et qu'en l'espèce la variation observée est de près de 60 pas de cotation durant la période d'intervention de la société Morgan Stanley. Elle relève également le caractère exceptionnel d'une telle variation puisque moins de 1 % des périodes de négociation de 15 minutes sur Eurex au cours de l'année 2015 ont connu une variation supérieure à celle-ci.
152.Concernant la dernière condition relation à une variation « qui est ensuite inversée », elle relève qu'il n'est pas contesté qu'à l'issue de la dernière intervention survenue à 9h43, le cours du FOAT a baissé rapidement atteignant 144,87 à 9h45, soit peu ou prou le cours existant avant les acquisitions de la société Morgan Stanley.
153.Elle en déduit que c'est donc à raison que la décision attaquée a retenu que l'indicateur de manipulation de cours prévu au 5o de l'article 631-2 du RGAMF était caractérisé.
154.Elle rappelle, en deuxième lieu, que la circonstance que l'achat des 1 890 FOAT ait pu s'inscrire dans une stratégie de dénouement d'une position déficitaire n'est pas exclusive de la poursuite d'un objectif de fixation du cours d'un instrument financier à un certain niveau et qu'en tout état de cause, la Commission des sanctions a justifié en quoi ces interventions étaient contraires à la stratégie invoquée, d'autant que la société Morgan Stanley gérait son exposition au risque de façon agrégée et globale.
155.S'agissant du contexte de marché, elle relève que la décision attaquée l'a pris en compte (§ 57), de sorte que le reproche manque en fait.
156.S'agissant des obligations pesant sur la société Morgan Stanley en tant que SVT, elle relève que celles-ci ne sont pas à l'origine des transactions et rappelle que l'augmentation du risque français dans les jours qui ont précédé le 16 juin 2015 est le fruit de la stratégie commerciale choisie par le Desk, comme l'établissent le rapport du 13 juin 2018 (pièce no 4 de la société Morgan Stanley page 29), ainsi que le rapport de synthèse du 10 février 2020 (pièce no 5 de la société Morgan Stanley).
157.Elle ajoute qu'il ressort également du rapport du 13 juin 2018 précité que la société Morgan Stanley, malgré sa qualité de SVT, aurait pu refuser la transaction de la BTMU « en cas de circonstances exceptionnelles » et constate que c'est d'ailleurs ce que le Desk semble avoir fait, le 16 juin 2015 au matin (c'est-à-dire après avoir décidé de réduire le risque français conformément à la demande de son management), en ne donnant pas suite à la demande de son client japonais, qui souhaitait vendre au Desk 300 millions d'euros d'obligations françaises.
158.Elle souligne également que le dénouement de la couverture en FOAT de la transaction BTMU aurait nécessité l'acquisition de 950 FOAT et non de 1 590 FOAT et que les explications fournies par la mise en cause sont peu convaincantes et crédibles au regard de la manière dont la société a dénoué le 16 juin 2015 l'acquisition d'Itraxx effectuée le 15 juin 2015.
159.S'agissant de l'objectif réel de l'acquisition des FOAT, elle considère que la décision attaquée a parfaitement justifié le fait qu'elle :
– s'inscrivait en contradiction avec l'objectif de réduire son exposition au risque français ;
– avait pour objet de fixer le cours des FOAT à un niveau supérieur à ce qu'il aurait été en l'absence de telles acquisitions, grâce à la corrélation existant entre ces instruments financiers, et ainsi d'influencer à la hausse le cours des OAT et des OLO avant de céder ces dernières de façon instantanée et massive la minute suivante.
160.Elle relève que :
– l'impact des interventions du Desk sur le cours du FOAT a été évalué avec pertinence au moyen de l'indicateur dit de « price impact » utilisé par les enquêteurs sur la base des données fournies par Eurex et selon la méthode justifiée en annexe 3-21 du rapport d'enquête (pièce 27 de la société Morgan Stanley). Les changements de limites de cotation ayant un caractère négligeable sur les résultats en cause, elle estime qu'ils n'ont pas conduit à une surévaluation de la contribution de la société Morgan Stanley ;
– l'impact correspond, avec 29 % des acquisitions de FOAT, à une contribution de la société Morgan Stanley à hauteur de 60 % à la hausse du cours du FOAT ;
– la méthode utilisée par la société Morgan Stanley, consistant à comparer le pourcentage de FOAT acquis par le Desk (exprimé par rapport au nombre total de FOAT acquis sur les 15 minutes) au pourcentage de hausse du cours (exprimé par rapport au total de la hausse sur 15 minutes), ne permet pas de prendre en compte le caractère passif ou agressif des ordres passés. Or un ordre dit « agressif » permet son exécution immédiate et sera le plus à même de faire varier rapidement le cours d'un instrument financier.
161.Elle ajoute que le fait de recourir à un ordre de type « iceberg » passé à la meilleure limite n'annule pas son caractère agressif (ou passif), dans la mesure où il trouvera instantanément sa contrepartie et entraînera une transaction immédiate. Elle précise que la Commission des sanctions a néanmoins pris en compte l'effet moindre de ce type d'ordre, puisqu'elle indique dans sa décision que les interventions du Desk sur le FOAT ont contribué à la hausse du cours de ce titre « nonobstant le recours par le Desk à des ordres de type iceberg ». Elle souligne que cela signifie que l'impact des interventions du Desk aurait pu être encore plus important en l'absence d'ordres de type iceberg. Elle ajoute, qu'en tout état de cause, la société Morgan Stanley ne fournit aucun détail concernant le fractionnement de ses ordres (nombre d'ordres concernés, fraction dissimulée, etc.), ni documents permettant d'en justifier. Elle en déduit que l'argumentation relative à l'usage de ce type d'ordre ne saurait par conséquent prospérer.
162.Elle déduit de l'ensemble de ces éléments qu'en tenant compte du caractère agressif ou passif des ordres exécutés, cet indicateur était beaucoup plus pertinent que ne l'aurait par exemple été le simple volume des transactions. De plus, en analysant chaque ordre isolément et en distinguant chaque intervenant, l'indicateur de « price impact » s'avère nettement plus précis que le graphique intitulé « Relation entre les volumes d'achats de FOAT par MSIP et ceux des autres market participants et leurs impacts respectifs sur les cours » dans lequel le consultant de la société Morgan Stanley a agrégé l'ensemble des ordres passés en une minute ainsi que l'ensemble des intervenants autres que la société Morgan Stanley.
163.Elle invoque, ensuite, la corrélation existant entre les opérations sur le FOAT et la variation de son cours, ainsi que l'écartement du spread franco-allemand constaté à la date des faits, confirmé par l'attestation du trader du Desk, ainsi que par les rapports versés aux débats (pièces no 31, 3 et 4 de la société Morgan Stanley), qui contredisent l'argumentation selon laquelle la variation du cours du FOAT est due à la hausse du cours du FGBL. Elle déduit de cet écartement qu'au moment des faits, les cours du FOAT et du FGBL n'étaient pas corrélés.
164.Elle estime par ailleurs que les cinq analyses produites par la société Morgan Stanley sont, en tout état de cause, peu convaincantes, en raison de leur imprécision (méthode d'évaluation des prix) des affirmations inexactes qu'elles comportent (relatives à l'absence de mouvement sur les FGBL) ou du caractère inopérant de leur démonstration.
165.Elle en déduit que la comparaison effectuée par la société Morgan Stanley entre volumes et prix est insuffisante pour permettre d'en tirer une quelconque conclusion et considère que deux éléments (prix et modalités de chaque transaction) ne sont pas pris en compte par la société Morgan Stanley dans son analyse.
166.Concernant l'analyse dite de « lead-lag » réalisée par le consultant de la société Morgan Stanley (pièce no 3 de la société Morgan Stanley),qui diffère de celle effectuée par le collège de l'AMF, elle estime que les différences notables entre elles justifient qu'aucune de ces deux analyses ne soit retenue. Elle observe toutefois que cela n'a aucune incidence dès lors que la Commission des sanctions ne s'est pas fondée sur ces analyses pour rendre sa décision. En tout état de cause, elle relève que l'analyse présentée par la société Morgan Stanley est inexploitable dans la mesure où elle ne précise pas à quel degré de corrélation correspond la valeur « 0,005 » atteinte par la courbe à sa hauteur maximale, de sorte qu'il pourrait s'avérer très faible et traduire une influence du FGBL sur le FOAT négligeable.
167.Elle conclut au rejet du moyen.
***
Sur ce, la Cour,
168.Le manquement de manipulation de cours de l'article 631-1 1o b) du RGAMF est caractérisé lorsque les ordres litigieux ne correspondent pas, de la part de leur auteur, à un réel intérêt vendeur ou acheteur mais consistent à déclencher une cotation de la valeur à un certain cours, entraînant une augmentation ou une diminution de la valeur d'un titre, et ainsi fixer sa cotation à un niveau anormal ou artificiel.
169.Dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, l'article 631-2 du RGAMF, qui apportait des illustrations de comportements susceptibles de constituer une manipulation illicite, précisait que « [s]ans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1o de l'article 631-1 : […] 5o La concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui est ensuite inversée ; […] ».
170.Cet indicateur de manipulation de cours, prévu au 5o de l'article 631-2 du RGAMF, appliqué par la Commission des sanctions dans la décision attaquée, est caractérisé lorsque quatre conditions sont réunies.
171.S'agissant de la première condition (concentration des ordres émis ou des opérations), les éléments de la procédure établissent que l'acquisition par le Desk de 1 890 FOAT échéance septembre 2015, sur Eurex, le 16 juin 2015, a eu lieu entre 9h29 et 9h44.
172.Sur la base des données fournies par Eurex, les enquêteurs ont établi, sans que cette analyse ne soit utilement contredite, que ces achats ont représenté 29 % des acquisitions totales de FOAT sur Eurex durant cette séquence d'intervention. À cet égard, la Cour relève qu'il n'est pas approprié de comparer, comme le fait la société Morgan Stanley, le nombre de FOAT acquis par le Desk sur cette séquence de 15 minutes et le volume moyen quotidien négocié en 2015, une telle comparaison ne permettant de tenir compte, ni de la durée limitée de la séquence d'intervention, ni du contexte de marché du 16 juin 2015.
173.Il ressort par ailleurs des éléments contenus dans le rapport du 10 février 2020 produit par la société Morgan Stanley (sa pièce no 5) que sur les 21 séquences, en deux ans, qu'elle a identifiées comme portant sur plus de 1000 FOAT en quinze minutes ou moins, seules 5 (incluant celle du 16 juin 2015 litigieuse) ont dépassé 1 700 FOAT et aucune n'a dépassé le montant net de 1 890 FOAT en cause.
174.Par suite, ces interventions, atypiques, caractérisent la première condition de concentration des ordres.
175.S'agissant de la deuxième condition (le bref laps de temps au cours duquel ces opérations sont intervenues), il est constant, comme l'a relevé la Commission des sanctions, que les 1 890 FOAT ont été acquis sur une période de quinze minutes.
176.Si, à l'échelle d'une opération de trading, une telle durée peut apparaître longue, tel n'est pas le cas dans le contexte en cause, les ordres émis portant sur un volume négocié d'une valeur de 150 millions d'euros dans un contexte de marché tendu. Le Desk n'ayant pas eu pour habitude d'échanger un tel volume net de FOAT sur une fenêtre si étroite, comme cela a été précédemment démontré, cette durée de quinze minutes constitue bien un bref laps de temps au sens de la deuxième condition posée par l'article 631-2 5o du RGAMF.
177.S'agissant de la troisième condition (la variation de cours que ces interventions ont entraînée), il est avéré, et au demeurant non contesté, que le cours du FOAT échéance septembre 2015 est passé de 144,84 à 145,41 durant la période d'intervention, soit une variation de près de 60 pas de cotation ou « ticks » (rapport d'enquête, page 43).
178.Les enquêteurs ont par ailleurs retranscrit le résultat de leurs recherches sous forme de graphiques (pages 33 et 34 et annexe 3-21) qui expliquent à suffisance les modalités de calcul de la méthode du « price impact » qui leur a permis d'évaluer la contribution de la société Morgan Stanley à la hausse du cours à hauteur de 60 %.
179.Ainsi, sur la base des données relatives aux 3 190 transactions effectuées sur la période d'intervention de la société Morgan Stanley, fournies par Eurex, et qui regroupent l'ensemble des intervenants, il a pu être attribué à chacun d'eux un « price impact », correspondant à la différence entre le prix auquel s'est effectué une transaction et celui auquel s'est effectué la transaction qui l'a précédée . Grâce aux mentions portées dans la colonne « Agressor Side » précisant la modalité de la transaction à l'achat ou à la vente (« BUY »/« SELL ») et l'indication du nom de son auteur, sous la forme du « ticker » attribué à chaque intervenant (pour la société Morgan Stanley « MGILO »), les enquêteurs ont pu calculer la somme du « price impact » réalisée par chaque intervenant.
180.Comme l'a justement relevé la Commission des sanctions, sur les 1 890 FOAT acquis par le Desk, 969 l'ont été en vertu d'ordres agressifs, c'est-à-dire passés à la meilleure limite à la vente permettant leur exécution immédiate.
181.La méthode du « price impact » rend compte des ordres agressifs qui sont les plus à même de faire varier rapidement le cours d'un instrument financier — dès lors qu'ils sont passés à un prix permettant de trouver instantanément leur contrepartie — ce que l'analyse proposée par la société Morgan Stanley ne permet pas. Elle a par ailleurs été appliquée de la même manière pour tous les intervenants, ce qui prive de portée les critiques de la société Morgan Stanley concernant les inconvénients de cette méthodologie.
182.La circonstance, relevée par la société Morgan Stanley, que la plus grande partie de ses achats de FOAT soit intervenue entre 9h39 et 9h43, soit sur une période où le cours avait déjà sensiblement augmenté, n'est pas de nature à remettre en cause le fait que, sur un marché peu liquide, la société Morgan Stanley a placé à partir de 9h29 les premiers ordres agressifs d'achat qui ont amorcé la variation du cours à la hausse, comme le confirme la lecture combinée du graphique produit par la société Morgan Stanley (sa pièce no 3, rapport initial page 53) et du tableau figurant en extrait, page 64 des conclusions de l'AMF. Il ne peut par ailleurs être tiré aucune conclusion du fait que, sur un bref instant, le prix du FOAT a pu continuer à monter alors que le volume de FOAT échangés baissait, dès lors que les variations du cours d'un instrument ne dépend pas uniquement du volume de transactions réalisées au cours de la séquence observée, mais également du prix et des modalités de chacune des transactions, notamment de leur nature agressive ou passive.
183.De même, le fait que certains ordres à l'achat ont pu être de type « iceberg », c'est-à-dire découpés en plusieurs sous-ordres apparus au fur et à mesure de leur exécution dans le carnet d'ordres central, est indifférent pour apprécier la contribution des ordres litigieux à la hausse des cours du FOAT. En effet, leur modalité d'écoulement ne modifie pas le fait qu'ils ont, par leur nature agressive, trouvé instantanément leur contrepartie en étant passés à la meilleure limite à la vente. La Cour rappelle, en outre, qu'aucun élément intentionnel n'est requis pour le manquement administratif de manipulation de cours.
184.La méthode du « price impact » étant, en l'espèce, la plus appropriée pour mesurer la contribution des ordres du Desk dans l'augmentation des cours du FOAT, la Commission des sanctions était fondée à retenir que les interventions du Desk ont contribué à hauteur de 60 % à la hausse de près de 60 pas de cotation observée sur la durée de son intervention.
185.Il importe peu, au stade de la qualification, que d'autres facteurs aient, le cas échéant, pu concourir à la variation du cours, notamment l'environnement lié au cours des FGBL, dès lors que la caractérisation d'une manipulation de cours n'exige pas que les interventions de la personne mise en cause aient été la cause exclusive de cette variation de cours. Par suite, les arguments relatifs aux analyses « lead-lag » — méthode qui consiste à calculer le coefficient de corrélation entre les variations de prix milieu de fourchette de deux contrats lorsqu'on décale d'une certaine durée en avance ou en retard l'un des deux contrats et qui permet d'identifier le contrat leader sur le marché, c'est-à-dire celui dont les variations de prix milieu de fourchette précèdent celles de l'autre contrat — réalisées de part et d'autre, sur lesquelles la Commission des sanctions ne s'est pas fondée pour rendre sa décision, sont également vains à ce stade.
186.Au surplus, la Cour relève que le « rapport d'expert de marché » du 13 juin 2018 (pièce de la société Morgan Stanley no4) constate que l'écart entre le rendement des instruments allemands et français (le spread franco-allemand) s'était fortement élargi autour des 15 et 16 juin 2015, traduisant une corrélation moins importante entre ces deux instruments. Au paragraphe 9.1 de ce rapport, il est même relevé que « le spread France/Allemand avait déjà clôturé au niveau intra journalier le plus élevé le 15 juin 2015, il s'est encore élargi à l'ouverture des marchés le 16 juin 2015. L'élargissement du spread au cours de la matinée du 16 juin 2015 était anormal en ce sens qu'il évoluait encore plus vite et sans qu'il y ait eu une importante activité de trading, dès lors que le marché venait juste d'ouvrir ». C'est donc à tort, dans ce contexte de marché particulier, que la société Morgan Stanley se prévaut de l'influence de l'évolution du cours des FGBL sur celle des FOAT pour attribuer la variation du cours des seconds à la seule variation du cours des premiers, lors de la séquence d'intervention litigieuse.
187.La Cour constate par ailleurs que la contribution de la société Morgan Stanley à la variation du cours des FOAT, et par suite le lien de causalité entre ses interventions et l'évolution du cours des FOAT, sont également confortés par la chronologie exposée dans le paragraphe qui suit, relatif à l'inversion de la variation de cours.
188.S'agissant de la quatrième condition (l'inversion de variation de cours survenue ensuite), il ressort des éléments de la procédure qu'après la séquence d'intervention du Desk, la variation du cours du FOAT échéance septembre 2015 sur Eurex s'est inversée, puisqu'il est passé de 145,53 à 9h43 à 144,87 à 9h45, soit quasiment le niveau du cours existant avant les interventions du Desk sur cet instrument financier.
189.C'est ainsi à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que la situation qui vient d'être décrite correspond à l'hypothèse envisagée au 5o de l'article 631-2 du RGAMF.
190.Concernant l'absence d'intérêt acheteur réel lors de la transaction, et comme l'a ensuite justement relevé la décision attaquée, la circonstance que l'acquisition des 1 890 FOAT s'inscrivait dans une stratégie de dénouement d'une position déficitaire n'est pas, en elle-même, exclusive d'un objectif de fixation du cours d'un instrument financier à un certain niveau, lequel peut se déduire de la nature et des modalités des transactions.
191.Il ressort des éléments de la procédure, au demeurant non contestés, que, sur la période précédant le 15 juin 2015 et dans le cadre de la stratégie FIG qu'il avait choisie — présentée au paragraphe 5 du présent arrêt, le Desk détenait une position dite longue sur les instruments obligataires français (OAT et FOAT) et belges (OLO), couverte par des positions dites courtes sur les instruments obligataires allemands et italiens. Il est également établi que le Desk estimait alors que les instruments français étaient sous-évalués et escomptait une évolution à la hausse qui ne s'est pas produite.
192.Il n'est pas non plus contesté, ce que la décision attaquée rappelle au paragraphe 57, que le 15 juin 2015, à 12h25, le Desk :
– a néanmoins acquis pour 500 millions d'euros d'OAT auprès d'une banque japonaise (opération BTMU) et ;
– à titre de couverture, a cédé 950 FOAT, 1 940 FGBL et acquis 250 millions d'euros de notionnel d'Itraxx.
193.Comme l'a constaté la décision attaquée, cette transaction a eu pour effet de doubler la position longue du Desk sur les obligations françaises, de sorte qu'à la fin de la journée du 15 juin 2015, la position FIG détenue par le Desk est devenue déficitaire à hauteur de 6 millions de dollars en raison de l'écartement de l'ordre de 6 points de base du spread franco-allemand déjà évoqué.
194.C'est dans ces circonstances que le Desk a décidé de dénouer sa position FIG, afin de ne pas dépasser le seuil de 20 millions de dollars de pertes autorisé par son management.
195.Le 16 juin 2015 au matin, dans le contexte déjà évoqué d'inquiétude concernant un éventuel défaut de paiement de la Grèce, l'accroissement du spread franco-allemand a occasionné une perte supplémentaire de 8,7 millions de dollars pour le Desk au titre de la position FIG.
196.Réduire l'exposition à l'écartement du spread franco-allemand impliquait, d'une part, de réduire l'exposition du Desk au risque souverain français en cédant les instruments obligataires français et belges qu'il détenait, et d'autre part, d'augmenter l'exposition au risque souverain allemand, en acquérant des instruments obligataires allemands. Par conséquent, le processus du dénouement de la position FIG est effectivement cohérent, comme l'a retenu la Commission des sanctions, avec :
– les acquisitions de FGBL et FGBX et les cessions d'OAT et d'OLO effectuées par le Desk le16 juin 2015 de 9h29 à 9h44 ;
– la cession, pour un montant strictement équivalent à son acquisition de la veille, de 250 millions d'euros de notionnel d'Itraxx.
197.En revanche le nombre important d'acquisitions de FOAT le 16 juin 2015 entre 9h29 et 9h44, pour une valeur notionnelle de 150 millions d'euros, cohérent pour réduire les pertes en obtenant de meilleurs prix pour la revente du sous-jacent, n'est pas en concordance avec la logique qui vient d'être exposée. Cette acquisition a en effet eu pour effet d'accroître, et non de réduire, la position longue du Desk au risque français, aucune distinction n'étant effectuée, s'agissant du risque français, quant au fait qu'il soit détenu sous la forme de FOAT ou d'OAT.
198.Elle est d'autant moins compatible avec l'objectif affiché que, dans le courant de la même journée, et postérieurement aux opérations litigieuses, la société Morgan Stanley indique elle-même qu'elle a « effectivement vendu des FOAT afin de profiter de l'amélioration de la liquidité alors disponible sur le marché des futures. En conséquence le Desk a vendu 4 469 FOAT pendant le reste de la journée, ce qui était la façon la plus efficiente de réduire son risque français résiduel » (mémoire Morgan Stanley § 47, soulignement ajouté par la Cour).
199.Si le rapport établi le 14 juin 2018 (sa pièce no 3, page 34) explique parfaitement que la société Morgan Stanley a fait ce choix parce qu'elle n'est pas parvenue à vendre 1,49 milliard d'euros en nominal d'obligations françaises et belges comme elle le souhaitait, ne parvenant à vendre que 1,165 milliards d'euros en nominal (815 millions d'euros d'OAT et 340 millions d'euros d'OLO), il n'en demeure pas moins qu'il s'évince de cette dernière opération (vente des 4 469 FOAT) que l'acquisition de 1 890 FOAT le matin même n'était pas en cohérence avec l'objectif de réduire son exposition au risque français au titre du dénouement de la position FIG.
200.Outre que les investigations et auditions réalisées tendent à démontrer que le Desk gérait la position FIG selon une logique de « risque net agrégé » par émetteur souverain et n'opérait aucune distinction ni entre les instruments financiers ni entre les transactions à l'origine de cette position — ce que la société Morgan Stanley ne conteste pas utilement, en l'absence de toute offre de preuve — force est de relever que le « débouclement » autonome de la transaction BTMU qu'elle revendique aurait, en tout état de cause, impliqué de céder des instruments obligataires français (OAT et /ou FOAT) et non d'acquérir des FOAT.
201.Les explications de la société Morgan Stanley sont d'autant moins crédibles sur ce point, qu'en suivant la logique de « débouclement » autonome invoqué, le dénouement de la couverture de la transaction BTMU alléguée (qui avait consisté à céder 950 FOAT) aurait logiquement dû conduire à appliquer les mêmes proportions, soit acheter 950 FOAT (à l'instar de la démarche suivie pour l'Itraxx) et non acquérir un montant très nettement supérieur. L'explication approximative invoquée par la société Morgan Stanley, tenant au fait qu'elle ne savait plus le nombre exact de FOAT cédés la veille à titre de couverture, n'est pas convaincante compte tenu des enjeux de réduction de la position déficitaire constatée depuis la veille qui mobilisait toute son attention, ni même compatible avec les obligations pesant sur un SVT.
202.À cet égard, s'agissant de la prise en compte des obligations pesant sur la société Morgan Stanley en raison de son statut de SVT, il convient de rappeler l'origine de la transaction BTMU, ayant conduit le Desk a acheté 500 millions en nominal d'OAT à une banque japonaise, exposée aux § 8.3 et 8.5 du rapport établi le 13 juin 2018. Le premier paragraphe rappelle que « la logique commerciale ayant prévalu dans la construction de la position FIG était de profiter d'instruments français sous-évalués ou relativement bon marché (par rapport aux instruments allemands et italiens) en anticipation de la demande des clients pour de tels instruments », le second fait état de ce que la société Morgan Stanley a mis en place une « stratégie à l'achat » pour les obligations françaises sur son desk de ventes au Japon, pour déterminer pourquoi le risque français continuait à se déprécier par rapport au risque allemand et tester sa théorie selon laquelle cela pourrait être dû à la vente de leur risque français par des clients japonais. C'est « en réponse » à cette stratégie que la banque japonaise, qui figurait parmi ses plus gros clients, a demandé au Desk de lui proposer un cours acheteur pour une valeur nominale de 500 millions d'euros.
203.Il est vain d'invoquer « la difficulté de refuser une telle demande de cotation à l'achat », relevée par l'auteur du rapport précité, ainsi que son opinion concernant le fait que « la demande était, à mon sens, raisonnable et faisait partie du rôle du Desk qui agissait en tant que teneur de marché offrant de la liquidité dans ces produits aux clients » (§ 8.13 de la pièce no4 de la société Morgan Stanley), dès lors que, d'une part, cette situation était exclusivement imputable aux stratégies commerciales décidées par le Desk, et d'autre part, il est admis en cas de circonstances exceptionnelles qu'un teneur de marché d'EGB puisse refuser une telle demande de proposition de cours acheteur (même rapport § 8.6). Les obligations de la société Morgan Stanley inhérentes à sa qualité de SVT ne peuvent donc justifier les opérations litigieuses.
204.La Cour relève d'ailleurs que :
– l'AFT a contacté le responsable des activités de marchés au sein de la société Morgan Stanley à [Localité 4], par courriel du 16 juin 2015, envoyé à 14h30, en lui indiquant « (...) nous avons eu des remontées de plusieurs SVT qui se plaignent du comportement trading de MS. Apparemment vous auriez vendu sur les plate-formes des quantités significatives de titres France et Belgique après avoir traité aussi le future, le faisant ainsi monter (...) », ce qui démontre que ses interventions ont été interprétées, au prime abord, par les professionnels du secteur, comme une tentative du Desk de fixer le cours de l'OAT à un certain niveau ; (cote R26 et annexe 2-5 du rapport d'enquête) ;
– l'AFT a suspendu le 3 août 2020 le statut de SVT de la société Morgan Stanley, pour trois mois, au motif, notamment, « que l'exécution le 16 juin 2015 de transactions ayant eu pour effet de porter gravement atteinte à la liquidité du marché des obligations souveraines françaises, en contradiction avec ses obligations de SVT », ce qui établit que ces interventions ont également été interprétées, après examen, par l'institution chargée de gérer les obligations souveraines françaises, comme contrevenant à la Charte invoquée par la société Morgan Stanley (pièce de la société Morgan Stanley no 45).
205.Il n'est pas plus fondé d'invoquer une inversion de la charge de la preuve, résultant de l'appréciation portée par la Commission des sanctions concernant l'absence de cohérence des explications fournies, alors que toute personne ayant transmis des ordres sur un marché doit être en mesure d'expliquer les raisons et les modalités de cette transmission lors d'une enquête ou d'un contrôle, et ainsi d'en justifier, ce que la société Morgan Stanley n'a pas fait en se bornant à soutenir que le Desk ne connaissait pas le nombre exact de FOAT cédés la veille à titre de couverture.
206.Il s'ensuit que les interventions de la société Morgan Stanley portant sur l'achat de 1 890 FOAT, dans le contexte qui vient d'être décrit, ne traduisent pas un réel intérêt à l'achat.
207.L'« avis sur les interventions de Morgan Stanley et Co International plc le 16 juin 2015 » du 19 octobre 2020 (pièce no 48 de la société Morgan Stanley) ne contredit pas cette analyse. En effet, se plaçant sur le terrain de la rationnalité des interventions litigieuses, sans examiner si de telles opérations révélaient un réel intérêt acheteur pour les 1 890 FOAT acquis, il admet que « cet achat a pu accroitre, pendant un instant, le risque apparent sur les taux d'intérêt et sur la France » mais le justifie par le fait que « le Desk est exposé à ce moment là à un risque d'augmentation de ses pertes », relevant également « l'impossibilité de justifier un dépassement des limites de pertes, le Desk devait dénouer les différents éléments de la position FIG, qui était la seule solution qui assurait l'arrêt des pertes ». Or, cet objectif n'est pas exclusif d'interventions illicites, encore faut-il que les pratiques soient admises pour échapper à la qualification de manipulation de cours, ce qui n'est pas le cas, comme cela sera démontré en partie « 5- Sur le bénéfice de l'exception prévue par l'article 631-1 1o b) du RGAMF ».
208.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que les interventions de la société Morgan Stanley sur le FOAT échéance septembre 2015 effectuées par le Desk le 16 juin 2015 de 9h29 à 9h44 ont fixé le cours de cet instrument financier à un niveau anormal et artificiel, caractérisant le manquement de manipulation de cours, prévu au 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF. Le moyen est rejeté.
3. Sur la manipulation du cours des OAT
209.La société Morgan Stanley fait valoir, en premier lieu, que rien ne démontre le lien de causalité entre la variation du cours des FOAT et celle des OAT. Elle expose en effet que :
– la thèse de la poursuite reposait sur le caractère combiné des manœuvres portant sur les FGBL/FGBX et les FOAT, de sorte que les études réalisées n'ont jamais envisagé le lien de causalité entre la variation du cours des OAT et celle des FOAT. Le mode opératoire était alors considéré manipulatoire « dans son ensemble » ;
– la Commission des sanctions ayant retenu que les interventions du Desk sur les Futures allemands n'étaient pas manipulatoires, celle-ci ne pouvait fonder sa décision sur des études reposant sur un postulat contraire ;
– les deux tiers de la hausse des OAT étaient intervenus à 9h39, alors que l'essentiel des achats de FOAT (1 162 sur 1 890 soit 61%) par la société Morgan Stanley est intervenu après (entre 9h39 et 9h43).
210.Elle considère que la variation du cours des OAT était imputable à celles des Futures allemands, dans le contexte de marché du 16 juin 2015. Elle invoque, en ce sens, certaines constatations des enquêteurs (rapport d'enquête, page 43) et du rapporteur (rapport, page 47), les analyses développées dans les rapports qu'elle verse aux débats (ses pièces no 3, no 4 et no 5), ainsi que les termes de l'audition de son concurrent (sa pièce no 7, annexe 1-1) et les constats du collège (sa pièce no 15 page 9) qui tous reconnaissent l'influence des Futures allemands dans la fixation des OAT.
211.Elle considère que la Commission des sanctions a retenu le lien de causalité contesté :
– au prix d'une dénaturation des termes de l'audition de son concurrent et du rapport du 13 juin 2018 (sa pièce no 4), dès lors que tous deux considèrent que le prix des OAT est principalement dirigé par les Futures allemands et non par les FOAT, et qu'il n'est scientifiquement pas possible d'isoler l'impact des FOAT sur les cours des OAT, compte tenu du rôle déterminant des FGBL ;
– en partant du principe que le prix du FOAT était la principale composante de la variation du cours des OAT, y compris dans la configuration de marché du 16 juin 2015, alors qu'une analyse de régression linéaire n'a pas pour objet de dire quel instrument détermine le prix de l'autre et que le rapport d'enquête contredit le principe précité (pages 43 et 70) ;
– de manière abstraite, en retenant que l'acquisition des FOAT a « nécessairement » fixé le cours des OAT sans rechercher l'existence d'un lien de causalité avéré.
212.Elle estime qu'il était impossible de considérer, dans le contexte de marché du 16 juin 2015, un impact spécifique de l'acquisition des FOATsur le prix des OAT ou même de considérer qu'elle aurait pu avoir un impact spécifique, indépendamment des Futures allemands.
213.Elle en déduit que dans ces conditions, il ne saurait être jugé que le cours des OAT a été porté à un niveau anormal ou artificiel par l'acquisition des FOAT.
214.L'AMF rappelle, à titre liminaire, que la Commission des sanctions a écarté la manipulation de cours s'agissant des Futures allemands parce qu'elle a estimé que « les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que les acquisitions de FGBL et FGBX ont, à elles seules [...] fait varier le cours des OAT ». En soutenant que le FGBL a fait varier à lui seul l'OAT, la société Morgan Stanley contredit donc la décision attaquée, en ce qu'elle a écarté l'un des griefs qui lui étaient reprochés, sans que ce grief ne soit aujourd'hui soumis à la Cour. Elle considère que ce seul constat justifie que l'argument de la société Morgan Stanley soit reconnu comme inopérant.
215.Elle soutient ensuite que cette position n'empêchait pas la Commission des sanctions de retenir l'existence d'un lien de corrélation entre FOAT et OAT, l'influence du premier sur le second ne nécessitant pas de démontrer l'absence d'influence du FGBL sur les OAT.
216.Elle relève les faiblesses dans le raisonnement qui sous-tend l'analyse du rapport initial concernant le fichier Excel sur lequel il se fonde (pièce de la société Morgan Stanley no 3). Elle invoque à l'inverse la forte pertinence statistique de l'analyse de régression linéaire multiple, utilisée par les enquêteurs (pièce no 1 de l'AMF) sur laquelle la Commission s'est fondée.
217.Elle estime qu'il existe donc, y compris au sein des documents fournis par la société Morgan Stanley, un nombre important d'éléments démontrant une corrélation significative entre la variation du cours du FOAT et celle du cours des OAT, à l'époque des faits, tandis qu'aucun des arguments avancés par la requérante ne remet en cause ce constat.
218.Elle ajoute que la Commission a établi que les interventions litigieuses avaient contribué à hauteur de 60 % à la hausse du cours du FOAT, laquelle avait entraîné à son tour la hausse du cours des OAT en raison de l'influence significative du FOAT sur le cours de cette obligation. Elle observe que la manipulation du FOAT et celle des OAT avaient un but commun, celui de permettre à la société Morgan Stanley de réaliser une économie de pertes significative à l'occasion du dénouement de la position FIG.
219.Elle constate que la Commission a justifié l'existence d'un lien de causalité avéré et ainsi écarté ce lien pour trois des OAT examinées. Elle invite en conséquence la Cour à rejeter le moyen.
***
Sur ce, la Cour,
220.Par des dispositions non attaquées par le recours, relatives aux manipulations des FGBL et des FGBX, la Commission des sanctions a retenu que les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que les acquisitions de FGBL et FGBX ont, à elles seules (dans l'hypothèse où le Desk n'aurait pas également acquis des FOAT) fait varier le cours des OAT, au regard notamment du contexte de marché caractérisé par l'évolution divergente des cours des instruments obligataires allemands et français. Elle a également estimé que les interventions du Desk sur les FGBL et FGBX n'avaient pas pour objet d'obtenir une certaine cotation du cours de ces deux instruments financiers en vue d'influencer le cours des OAT et n'ont donc pas pu fixer le cours des OAT négociées par le Desk à un cours anormal ou artificiel.
221.Comme il a été précédemment dit, un manquement de manipulation de cours a en revanche été caractérisé concernant les ordres d'achat des 1 890 FOAT exécutés entre 9h29 et 9h44, qui ont permis de fixer le cours des OAT à un niveau anormal ou artificiel au sens de l'article 631-1 1o b) du RGAMF.
222.La Commission des sanctions ayant retenu qu'en fixant le cours du FOAT échéance septembre 2015 à un niveau anormal et artificiel la société Morgan Stanley avait fixé le cours de certaines OAT à un niveau lui-même artificiel, en raison de la corrélation de ces instruments financiers, il convient d'examiner dans quelles conditions le cours de ces OAT a varié sur la période de référence.
223.À titre liminaire, il convient de rappeler que le FOAT est un contrat à terme sur la dette de l'État français, consistant à s'engager à acheter ou vendre une quantité déterminée d'OAT à un prix et à une date fixée à l'avance mais pour une livraison et un règlement à une date future.
224.Il n'est pas contesté que, par sa nature, ce type d'instrument financier permet de se protéger contre les risques de fluctuations à la baisse (pour le vendeur) ou à la hausse (pour l'acheteur) de la valeur de l'OAT, mais également de spéculer. Il existe en conséquence, comme le relève le rapport d'enquête « une relation quasi-mathématique entre le prix du Future OAT et le prix des obligations sous-jacentes » (cote R0040, rapport page 40).
225.Contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley, la Commission des sanctions ne s'est pas contentée de ce lien habituel, observé dans des conditions de marché normales. En effet, au travers des analyses des enquêteurs, il a été examiné, plus spécialement, quel était le lien entre le prix de ces différents instruments pour les journées des 15, 16, 17 et 18 juin 2015, c'est-à-dire dans le contexte de marché déjà évoqué. Il a ainsi été déduit des graphiques réalisés pour chacune des dix-sept obligations vendues par la société Morgan Stanley (annexes 3-1 et 3-2 du rapport d'enquête, « Étude de l'impact du cours du FOAT sur les 17 OAT entre le 15 et le 18 juin 2015 » et « Étude de l'impact du cours du FOAT sur les 17 OAT le 16 juin entre 9:29 et 9:44 »), que « c'est bien le prix du Future qui, en général, détermine majoritairement le prix de l'obligation et non l'inverse », étant plus liquide et plus rapide à incorporer les informations émanant du marché par rapport à l'obligation. Il a également été établi que les résultats étaient moins probants concernant trois OAT, de plus faible maturité, qui présentait une faible corrélation. C'est donc sur la base d'une appréciation in concreto réalisée au cours de l'enquête, qu'elle a justement fait sienne, que la Commission des sanctions s'est déterminée.
226.Par ailleurs, la lecture des termes de l'audition du concurrent de la société Morgan Stanley et du rapport du 13 juin 2018 (pièce no4 de la société Morgan Stanley) ne révèle pas la dénaturation reprochée par la société Morgan Stanley, dès lors que ces deux pièces font allusion aux éléments relevés par la Commission des sanctions au § 95 de la décision attaquée (à savoir le rôle du FOAT sur le cours des OAT aux côtés du FGBL et le fait que la question de la prédominance du FOAT ou du FGBL dépend du contexte de marché). Ainsi au § 9.15 du rapport précité, il est indiqué que « l'activité sur les FOAT peut également avoir eu un impact sur le cours des Obligations Françaises. En effet, les FOAT et les obligations françaises sont fortement corrélés (...) La détermination du point de savoir si ce sont les FOAT ou les FGBL qui ont eu un impact sur le cours des Obligations françaises le 16 juin 2015 sera fonction de la corrélation entre les instruments et le volume de marché relatif des instruments respectifs négociés en même temps ». Le procès verbal d'audition précité mentionne pour sa part, en page 5, que « Quelque chose qui est proche du Future OAT en termes de maturité, va bouger de la même façon. Une action sur le Future OAT a une action sur le cash. Il n'y a pas de cas où le Future bouge "tout seul" » ajoutant encore « Par exemple, pour pricer une OAT 20ans, on va regarder le Future OAT 10 ans, le Bund, le Buxl, la déformation des courbes France et Allemagne. On va également regarder comment le prix du titre a évolué les jours précédents et tenir compte de la position qu'on a ».
227.Il convient d'ajouter que le fait que la Commission des sanctions indique que ces personnes « s'accordent » sur certains constats, fut-il sans nuance suffisante, n'est pas de nature à affecter la décision, dès lors qu'elle ne justifie pas sa décision par référence à ces constats convergents. Elle fonde en effet sa décision sur les analyses et éléments de contexte précédemment examinés, qui l'ont conduite à retenir, à juste titre, que le FOAT détermine prioritairement le cours des OAT.
228.Aucune dénaturation ne saurait davantage résulter de l'interprétation donnée par la Commission des sanctions du passage du rapport initial (pièce no 3 de la société Morgan Stanley), qui lui même cite le rapport du 13 juin 2018 (sa pièce no 4), qui fait état de ce qu'« [a]près la vente des Obligations Françaises, […] les acheteurs de risque français revenaient sur le marché. En conséquence, le Desk pouvait désormais réduire son risque en vendant des FOAT […] sans élargir le spread, ce qui, avant la vente des Obligations françaises, n'aurait pas été possible » (soulignement ajouté par la Cour). La formulation permettait en effet à la Commission des sanctions d'en déduire que « le Desk avait reporté la cession de FOAT pour ne pas influencer à la baisse le cours des OAT qu'elle projetait de céder », même si le terme « report » n'est pas formellement utilisé dans le rapport précité.
229.Comme l'a justement relevé la Commission des sanctions, s'il pouvait être escompté que la cession de FOAT avant celle d'OAT pouvait avoir un impact négatif sur le cours de ces OAT, alors a contrario il pouvait être escompté que l'acquisition de FOAT avant de céder les OAT pouvait avoir un impact positif sur le cours de ces OAT.
230.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, précis et concordants, qu'une corrélation significative existait à la date des interventions litigieuses entre la variation du cours du FOAT et celle du cours des OAT.
231.Il doit ensuite être relevé, comme l'a fait le rapport d'enquête, en page 42, que plusieurs facteurs influent habituellement sur le prix des OAT, en particulier « les prix des OAT de maturité longue (15 ans et plus) dépendront non seulement du FOAT mais également du Future allemand de maturité 10 ans FGBL voire du Future allemand de maturité 30 ans FGBX ». Ces éléments rejoignent ainsi les analyses présentées par la société Morgan Stanley, qui font état de ce que le FGBL est habituellement considéré « comme le benchmark le plus significatif pour tous les autres instruments d'États européens », c'est-à-dire un indicateur de référence, mais admettent également l'impact possible des FOAT sur le cours des OAT du fait de leur forte corrélation (pièce no 4, page 37) et selon le contexte en cause.
232.Comme il a été dit en propos liminaire, la Commission des sanctions n'a pas suivi l'avis des enquêteurs concernant la manipulation de cours à l'égard des Futures allemands — en excluant le fait que les achats de FGBL et FGBX ont à eux seuls fait varier le cours des OAT (§ 88 de la décision attaquée) — par suite, la société Morgan Stanley ne peut soutenir que ce sont les Futures allemands qui ont influencé les OAT et non les FOAT.
233.En outre, le manquement portant sur plusieurs OAT peut être caractérisé dès lors que la variation du cours du FOAT, obtenue par manipulation de cours, a entraîné une variation du cours de l'OAT, dans les conditions mentionnées à l'article 631-1 du RGAMF, peu important que, dans une moindre mesure, d'autres facteurs aient pu concourir à cette situation.
234.À cet égard, la Cour relève la contradiction affectant la pertinence de la démonstration du rapport initial produit par la société Morgan Stanley (pièce no 3, page 64) qui soutient que l'acquisition des 1 890 FOAT « n'était pas nécessaire pour engendrer la variation de prix observée sur les OAT et les OLO [car] les transactions réalisées sur le FGBL étaient à elles seules suffisantes pour entraîner cette variation » :
– en s'appuyant sur un tableur (Fichier Excel, cote électronique 756 du dossier d'instruction), comprenant un onglet intitulé « FGBL » et un onglet « FOAT », qui applique, de manière apparente au moins, la même méthode à l'égard des deux Futures, en vue de déterminer le seuil de déclenchement de la variation de cours : l'une parvenant au résultat de 6 531 FGBL, présentés comme le nombre supposé être suffisant pour entraîner la variation de cours des OAT, l'autre au résultat de 2 123 FOAT ;
– sans qu'il soit démontré, comme le prétend le rapport de synthèse (pièce no 5 de la société Morgan Stanley, page 26), que le chiffre de 2 123 FOAT prendrait en compte l'effet des FGBL, ni davantage préciser pourquoi, si tel est le cas, le chiffre de 6 531 FGBL, obtenu selon la même méthodologie, ne prendrait pas en compte l'effet de l'achat des FOAT, alors que le postulat qui sous-tend l'analyse est « qu'il n'est scientifiquement pas possible d'isoler l'impact des FOAT sur les cours des OAT » compte tenu du rôle des FGBL, et donc, par voie de conséquence, d'isoler également celui des FGBL.
235.Le nombre de FOAT acquis (1 890 FOAT) étant proche de la projection réalisée par le consultant de la société Morgan Stanley (2 123 FOAT) c'est à juste titre que la Commission des sanctions a relevé que selon les calculs précités « l'ampleur de la variation de cours des 17 OAT négociées par le Desk est susceptible d'être obtenue aussi bien par l'acquisition de 2 123 FOAT — à comparer aux 1 890 FOAT acquis par le Desk — que par l'acquisition de 5 690 FGBL ». La société Morgan Stanley ne peut donc prétendre que le cours des OAT est uniquement déterminé par celui des FGBL.
236.Le rapport du rapporteur relevait également que « dans un contexte d'évolution divergente des instruments obligataires allemands et français, l'influence des Futures allemands (tels que le FGBL) sur le prix des OAT sera nécessairement moindre que dans une configuration de stricte corrélation entre les risques allemand et français. Or, telle est précisément la configuration du 16 juin 2015 au matin, qui est marquée par une évolution divergente du risque allemand et du risque français. Il apparaît par conséquent cohérent que dans un tel contexte de marché, le prix de l'OAT ait été influencé davantage par le FOAT que par les Futures allemands ».
237.En l'espèce, le cours des dix-sept OAT cédées par la société Morgan Stanley sur MTS France à 9h44 a varié, selon les OAT concernées, de 0,04 % à 1,13 % lors de la période d'intervention du Desk sur les Futures, de 9h29 à 9h44, ainsi que le résume le tableau figurant au paragraphe 91 de la décision attaquée, non contesté, auquel la Cour renvoie.
238.Il ressort de l'analyse de régression linéaire multiple utilisée par les enquêteurs — dont la méthodologie est parfaitement explicitée en pièce no 1 de l'AMF (« Fiche d'analyse de régression linéaire multiple ») et justifiée notamment en annexe 3-3 du rapport d'enquête — que, pour la période s'étendant du 1er janvier 2015 au 16 juin 2015, les variations journalières OAT 30 ans français peuvent s'exprimer comme une combinaison linéaire des variations journalières des taux FOAT (avec un coefficient positif de 1), des taux FGBL (coefficient positif de 0,8) et des taux FGBX (coefficient négatif de -0,8). Cette situation est également confirmée sur la période d'intervention litigieuse, comme cela ressort du graphique relatif à l'évolution des FOAT, des FGBL et FGBX entre 9h29 et 9h44 pour la journée du 16 juin 2015, reproduit en page 83 des observations de l'AMF.
239.Comme l'ont démontré les enquêteurs, sans être utilement contredits, si les Futures allemands [FGBX 30 ans et FGBL 10 ans] varient de manière similaire, alors la variation du taux 30 ans français [OAT 30 ans] sera égale à la variation du taux 10 ans français [FOAT]. C'est à cette démonstration que se réfère la Commission des sanctions lorsqu'elle retient au paragraphe 96 de la décision attaquée, qu'« en l'espèce, les cours des FGBL FGBX ont varié de façon identique à la suite des interventions du Desk sur Eurex. La configuration de marché existante au 16 juin 2015 correspond donc à l'hypothèse selon laquelle le prix du FOAT est la principale composante de la variation du cours des OAT ».
240.Le lien de corrélation entre les FOAT et les OAT, au moment des interventions litigieuses, comme l'incidence déterminante des variations des premiers sur les seconds, est en conséquence établi à suffisance par :
– les analyses réalisées par les enquêteurs, qui ne sont pas utilement contredites par les rapports versés aux débats qui se placent sur un autre terrain d'analyse ;
– la chronologie factuelle précitée, qui confirme une évolution corrélée de ces deux instruments financiers lors des interventions litigieuses.
241.Comme le relève justement l'AMF, l'impact d'un intervenant sur la variation du cours d'un instrument ne dépend pas uniquement du volume acheté ou vendu par cet intervenant, mais également de ses modalités d'intervention. Il est donc vain d'invoquer le fait que « les deux tiers de la hausse des OAT étaient intervenus à 9h39 », comme le fait la société Morgan Stanley, pour prétendre que la variation du cours du FOAT n'a pas pu déterminer celle de l'OAT, pour les motifs déjà exposés aux paragraphes 182 et suivants du présent arrêt.
242.La Cour ajoute que la quantification de l'impact de la seule variation de cours des FOAT sur le cours des OAT est, au stade de la qualification du manquement, indifférente.
243.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu qu'en fixant le cours du FOAT échéance septembre 2015 à un niveau anormal et artificiel par ses interventions sur Eurex le 16 juin 2015 entre 9h29 et 9h44, la société Morgan Stanley a nécessairement fixé le cours des OAT à un niveau lui-même anormal et artificiel, en raison de la corrélation entre ces instruments financiers, tout en précisant que trois des dix-sept OAT ayant l'échéance la plus proche (OAT 1 % 25/05/2019, OAT 3, 5 % 25/04/2020, OAT zéro coupon 25/05/2020) ont connu une variation de cours marginale entre 9h29 et 9h44 (de 0,04 % à 0,09 %), de sorte, qu'à leur égard, le lien de causalité entre les interventions du Desk sur les FOAT et le niveau de leur cours, n'est pas établi. Le moyen est rejeté.
4. Sur la manipulation du cours des OLO
244.La société Morgan Stanley fait valoir, en premier lieu, et en substance, aux paragraphes 166 à 168 de ses dernières écritures, que la définition légale du manquement de manipulation de cours prévue par l'article 631-1 du RGAMF, lui même interprété à la lumière de l'article 611-1 du RGAMF, ne trouve application que dans la mesure où un tel manquement a été commis sur le territoire français lorsque l'instrument en question est admis à la négociation sur un marché étranger. Elle estime que la Cour pourra s'interroger sur ce même point s'agissant des FOAT et renvoie aux conclusions récapitulatives aux fins d'intervention volontaire déposées le 29 septembre 2020 par un tiers (sa pièce no 49). À l'audience, elle n'a formulé aucune observation concernant la recevabilité, contestée par l'AMF, de ce moyen.
245.Elle soutient, en second lieu, et en tout état de cause, que ses explications sur l'absence de lien de causalité entre l'acquisition des FOAT et la variation de cours des OAT s'appliquent mutatis mutandis aux OLO. Elle considère ainsi que les FGBL dirigeaient et déterminaient le prix des OLO dans les conditions de marché du 16 juin 2015, à l'instar des OAT, et en déduit, dès lors que les interventions sur les FGBL n'étaient pas manipulatoires, que la variation du cours des OLO a donc résulté du jeu normal de l'offre et de la demande sur le marché et n'était pas elle-même constitutive d'une manipulation de cours.
246.L'AMF soulève, à titre liminaire, à l'audience du 26 novembre 2020, dans ses observations orales, l'irrecevabilité du premier moyen, nouveau et tardif, évoqué pour la première fois dans les conclusions déposées le 20 octobre 2020.
247.Elle rappelle ensuite que la Commission des sanctions a retenu que les interventions du Desk sur le FOAT avaient également pour objet d'entraîner indirectement la fixation du cours des OLO à un niveau anormal ou artificiel compte tenu de leur corrélation. Elle souligne qu'une analyse de régression linéaire a également établi un coefficient de corrélation positif de 0,97. Elle ajoute que les enquêteurs ont également confronté les prix des OLO à ceux des FOAT, des FGBL et des FGBX et observe que les résultats, très similaires à ceux obtenus pour les OAT, montrent que le prix des FOAT détermine en partie le prix des OLO belges (Études d'impact annexes 3-11 et 3-14 et analyse de régression linéaire multiple en annexe 3-3)
248.Elle en déduit qu'en étant le principal contributeur à la hausse du FOAT entre 9h29 et 9h44 le 16 juin 2015, la société Morgan Stanley a également participé à la hausse des OLO.
249.Comme la société Morgan Stanley, l'AMF renvoie à ses explications sur le lien de causalité entre l'acquisition des FOAT et la variation de cours des OAT considérant qu'elles s'appliquent mutatis mutandis aux OLO. Elle conclut au rejet du moyen.
***
Sur ce, la Cour,
250.À titre liminaire, ce point n'étant au demeurant pas contesté par la société Morgan Stanley, la Cour constate que le moyen exposé aux paragraphes 166 à 168 de ses dernières écritures n'a pas été développé dans l'exposé des moyens du 26 février 2020, lequel développait aux paragraphes 142 et 143 une argumentation exclusivement fondée sur l'analogie entre les situations relatives aux OAT et aux OLO concernant l'absence de lien de causalité entre l'achat des FOAT et la variation de cours reprochée. Présenté pour la première fois dans les écritures déposées le 20 octobre 2020, soit hors du délai prévu à l'article R.621-46 du code monétaire et financier, ce moyen, tardif, est irrecevable.
251.Sur le fond, comme il a été précédemment dit, un manquement de manipulation de cours a été caractérisé concernant les ordres d'achat des 1 890 FOAT exécutés entre 9h29 et 9h44, qui ont permis de fixer le cours des OAT à un niveau anormal ou artificiel au sens de l'article 631-1 1o b) du RGAMF.
252.Il a également été démontré, aux paragraphes 75 et suivants du présent arrêt, la forte corrélation entre les OLO et les OAT.
253.En outre, et comme l'a relevé la Commission des sanctions, les données issues de l'enquête (fiche explicative, pièce AMF no 1) démontrent un coefficient de corrélation positif de 0,97 au moyen des analyses de régression linéaire des variations journalières des taux belges sur celles des taux français de même échéance, analyse reproduite avec les variations des taux belges à 30 ans et taux français de même échéance, sur la période du 1er janvier 2015 au 16 juin 2015.
254.Il convient donc de déterminer, dans les conditions de marché du 16 juin 2015, s'il peut être retenu une similitude de comportement entre les OAT et les OLO permettant de déduire, comme l'a fait la Commission des sanctions, qu'en fixant le cours du FOAT échéance septembre 2015 à un niveau anormal et artificiel la société Morgan Stanley a également fixé le cours des huit OLO à un niveau lui-même artificiel.
255.En l'espèce, le cours des huit OLO cédées par le Desk à 9h44 a augmenté de 0,22 % à 1,39 %, selon la maturité des titres, pendant la période au cours de laquelle celui-ci a acquis 1 890 FOAT, soit de 9h29 à 9h44, ainsi que l'indique le tableau § 102 de la décision attaquée, dont les données ne sont pas contestées.
256.Il peut également être observé que la variation du cours des quatorze OAT impactées par la manipulation de cours des FOAT a connu une évolution similaire, ayant augmenté de 0,17 % à 1,13% selon la maturité des titres.
257.À l'instar de l'analyse réalisée pour les OAT, que la Cour juge pertinente pour les motifs déjà exposés, les enquêteurs ont calculé l'indicateur de corrélation entre les prix des FOAT, des FGBL et des FGBX et les huit OLO en cause, tout d'abord sur les journées des 15, 16, 17 et 18 juin 2015, puis au cours de la période d'intervention du Desk le 16 juin 2015. Les résultats de ces analyses (en annexes 3-11 et 3-14) qui correspondent à l'étude d'impact de l'évolution du cours du FOAT sur les huit OLO sur chacune de ces deux périodes, sont très similaires à ceux obtenus pour les OAT, établissant que le prix des FOAT détermine également en partie le prix des OLO.
258.Pour les motifs déjà exposés à l'occasion de l'examen du manquement de manipulation du cours des OAT, le manquement relatif au cours des OLO est caractérisé, dès lors que les interventions litigieuses ont déterminé de manière prépondérante la variation de son cours, dans les conditions mentionnées à l'article 631-1 du RGAMF.
259.C'est en conséquence à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que la manipulation de cours des FOAT a fixé le cours des huit OLO à un niveau anormal et artificiel, pour les mêmes raisons qu'elles ont fixé le cours des quatorze OAT précitées à un niveau anormal et artificiel.
5. Sur le bénéfice de l'exception prévue par l'article 631-1 1o b) du RGAMF
260.Le 1o de l'article 631-1 du RGAMF écarte la qualification de manipulation de cours lorsque « la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établi[t] la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ».
261.Examinant l'application de cette exception aux faits litigieux, la décision attaquée a écarté son bénéfice au profit de la société Morgan Stanley, estimant que les opérations litigieuses ne s'inscrivaient dans aucune des pratiques de marché admises, au sens de ce texte.
262.La société Morgan Stanley, qui produit de nombreux rapports et avis soulignant que les opérations litigieuses étaient conformes aux pratiques de marché, reproche à la Commission des sanctions d'avoir refusé de prendre en compte les considérations légitimes qui ont guidé ses acquisitions. Elle fait également valoir le fait que son activité de teneur de marché explique également les opérations réalisées et déduit de ces éléments qu'aucune manipulation de cours ne peut lui être reprochée.
263.Compte tenu du caractère ambigu de cette argumentation —qui s'apparente à celle qui est développée lorsque le bénéfice de l'article 631-1 1o b) du RGAMF est invoqué, sans toutefois y faire explicitement référence — et de l'interprétation qu'en fait l'AMF — considérant que ces développements sont en lien avec le bénéfice de l'exception qui a été écarté par la décision attaquée — la Cour examinera si les conditions d'application de ce texte sont réunies.
264.L'AMF rappelle que l'article 631-1 1o b) du RGAMF prévoit une exception au manquement de manipulation de cours, dont l'application nécessite la réunion de deux conditions cumulatives : d'une part, « la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres », d'autre part « leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ». Elle en déduit que la société Morgan Stanley soutient à tort que le seul intérêt légitime suffit pour écarter le manquement de manipulation de cours.
265.Elle constate, comme la Commission des sanctions, que les interventions du Desk ne s'inscrivaient dans aucune des « pratiques de marché admises », au sens du chapitre II du titre I du Livre VI du RGAMF, et en déduit que c'est à bon droit que cette dernière a décidé que cette exception n'était pas applicable, et ce sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur la légitimité de ces interventions.
***
Sur ce, la Cour,
266.Conformément à l'article 612-1 du RGAMF, « [s]ont considérées comme des "pratiques de marché admises" les pratiques susceptibles d'être mises en œuvre sur un ou plusieurs marchés financiers et acceptées par l'AMF ». L'AMF procède ainsi périodiquement au réexamen des pratiques de marché admises, en particulier pour prendre en compte les évolutions significatives dans l'environnement du marché concerné, telles que des modifications des règles de négociation ou de l'infrastructure de marché, dans les conditions prévues à l'article 612-2 de ce règlement. Elle publie ensuite sur son site, conformément à l'article 612-4 du même règlement, sa décision d'acceptation ou de refus d'une pratique de marché en l'accompagnant d'une description appropriée de celle-ci.
267.Comme l'a justement relevé la Commission des sanctions, sans que ce point ne soit contesté, à la date des faits litigieux, les pratiques admises comprenaient les contrats de liquidité obligataire, les contrats de liquidité sur actions et les acquisitions d'actions propres aux fins de conservation et de remise ultérieure dans le cadre d'opérations de croissance externe. Or, les interventions litigieuses du Desk ne s'inscrivaient dans aucune de ces pratiques, la société Morgan Stanley n'invoquant d'ailleurs que le dénouement de la position FIG pour justifier ses interventions, circonstance jugée inopérante dans les motifs précédemment exposés en partie III, A) 2) du présent arrêt. C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a décidé — l'une au moins des deux conditions faisant défaut — que ces opérations ne pouvaient bénéficier de l'exception prévue au 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF.
B. Sur la manipulation de cours par le recours à une tromperie ou à un artifice prévue au 2o de l'article 631-1 du RGAMF
268.La décision attaquée a, tout d'abord, constaté que le 2o de l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, dispose que :
« Constitue une manipulation de cours : (…)
2o Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l'état du marché ou à tout autre forme de tromperie ou d'artifice ».
269.Elle a ensuite relevé que le b) du 1o de l'article 12 du règlement MAR, qui s'est substitué au 2o de l'article 631-1 du RGAMF le 3 juillet 2016, prévoit désormais que :
« Aux fins du présent règlement, la notion de « manipulation de marché» couvre les activités suivantes : (….)
b) effectuer une transaction, passer un ordre ou effectuer toute autre activité ou adopter tout autre comportement influençant ou étant susceptible d'influencer le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers, d'un contrat au comptant sur matières premières qui leur est lié ou d'un produit mis aux enchères sur la base des quotas d'émission en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice ».
270.Elle en a déduit, ce qui n'est pas critiqué par la société Morgan Stanley, que la définition retenue à l'article 12 1o b) du règlement MAR est moins sévère que celle de l'article 631-1 2o du RGAMF dès lors qu'elle exige que soit établie, outre le caractère fictif du procédé ou le recours à toute autre forme de tromperie ou d'artifice, l'influence avérée ou potentielle de l'utilisation du procédé sur le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers. Elle a, en conséquence fait application de ce texte conformément au principe de rétroactivité de la loi plus douce.
271.Se référant aux éléments relevés lors de l'examen du premier grief (caractère artificiel de l'acquisition des 1 890 FOAT dans le but d'influencer à la hausse le cours des FOAT et donc celui des OAT, avant de céder immédiatement ces dernières) elle a retenu que cet achat a été perçu par les autres intervenants sur MTS France comme traduisant un intérêt des investisseurs pour les instruments obligataires français, alors même qu'il n'avait pour objectif que de permettre au Desk de céder des OAT à de meilleures conditions de prix. Elle a également relevé qu'il avait été démontré lors de l'examen des deux précédents griefs que cette acquisition avait eu une influence avérée sur le cours du FOAT échéance septembre 2015 sur Eurex, ainsi que sur celui des quatorze OAT négociées par la société Morgan Stanley sur MTS France, Broker Tec et par l'intermédiaire d'un courtier. Elle en a déduit que l'acquisition par le Desk de ces 1 890 FOAT sur Eurex a contribué à donner une image biaisée de l'état du marché des instruments obligataires français (FOAT et OAT) aux autres intervenants et que le manquement était caractérisé.
272.La société Morgan Stanley fait valoir qu'il appartenait à la Commission des sanctions de démontrer non seulement son intention de tromper le marché, mais également l'influence avérée ou potentielle de la prétendue tromperie commise sur le cours des instruments objet du litige.
273.Elle conteste l'analyse de la Commission des sanctions, en faisant valoir :
– d'une part, que l'acquisition litigieuse ne constituait pas une transaction fictive, mais était motivée par les considérations légitimes précédemment exposées et que l'intention de manipuler le cours des FOAT et OAT fait défaut en l'espèce dès lors qu'elle a recouru à des ordres iceberg pour limiter l'impact sur le cours et qu'eu égard aux conditions exceptionnelles de marché du 16 juin 2015, les traders du Desk n'auraient pas pu anticiper un impact potentiel de l'acquisition des FOAT, pas plus que ne le pouvait n'importe quel autre participant au marché ;
– d'autre part, que les enquêteurs de l'AMF et le collège n'ont pas démontré que l'acquisition des FOAT aurait, à elle seule, eu un impact sur le cours des FOAT, des OAT et des OLO, pour les motifs déjà exposés, la variation du cours des FGBL — à laquelle MSIP n'a pas seule contribué — suffisait en effet, selon elle, à entraîner la variation du cours des OAT et OLO.
274.Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché d'avoir incité les autres intervenants à réviser à la hausse les limites de prix de leurs ordres, ces révisions n'étant qu'un effet normal de la hausse des prix dont il a été démontré qu'elle n'était pas le fait de ses transactions sur le FOAT.
275.Elle estime par ailleurs totalement faux d'affirmer, comme l'a fait la Commission des sanctions, qu'il y aurait eu un report de la cession de FOAT au motif que celle-ci aurait eu un impact négatif sur le cours des OAT pour en déduire, a contrario, que les traders avaient conscience de l'impact positif sur le cours des OAT qu'ils allaient céder immédiatement après. Elle fait valoir qu'il avait été décidé de réduire le risque français à travers la seule cession des OAT mais que le Desk a été contraint de changer de stratégie en raison de l'impossibilité de vendre tout son risque sous la forme d'OAT plus tôt dans la journée.
276.Elle en déduit que la manipulation de cours reprochée n'est pas caractérisée.
277.L'AMF rappelle, pour les motifs déjà exposés, que c'est à raison que la Commission des sanctions a retenu que l'acquisition litigieuse de FOAT « revêtait un caractère artificiel ». Elle considère que les constats relatifs au repositionnement des autres intervenants au cours des interventions du Desk ainsi que l'analyse des retranscriptions des carnets d'ordres sur les OAT négociées sur MTS France figurant au dossier (annexe 3-8-7 du rapport d'enquête) ont permis à la Commission des sanctions de conclure comme elle l'a fait.
***
Sur ce, la Cour,
278.À titre liminaire, et comme l'a indiqué l'AMF lors de ses observations orales, en rappelant un principe que la société Morgan Stanley n'a pas contesté, « si une sanction administrative reposant sur plusieurs manquements doit être conforme au principe de proportionnalité, le principe du non bis in idem découlant du principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'une même poursuite conduisant à une même décision de sanction, plusieurs manquements distincts puissent résulter de mêmes faits » (CE., 6 novembre 2019, requête no 418463).
279.C'est à la lumière de ce principe que doit ainsi être examiné ce second manquement, dont les conditions et le périmètre se distinguent du premier, tout en reposant sur les mêmes faits.
280.En l'espèce, il résulte des éléments du dossier déjà exposés et des motifs du présent arrêt, que l'acquisition des 1 890 FOAT de 9h29 à 9h44 « a influencé le cours » des FOAT sur cette séquence d'intervention, ainsi que celui des 14 OAT vendues à 9h44, au sens des dispositions précitées.
281.C'est donc à juste titre que la Commission a retenu que la première condition, relative à l'influence avérée de l'intervention sur le cours d'un instrument financier, est remplie.
282.La seconde condition renvoie à plusieurs hypothèses alternatives, la transaction ou l'ordre litigieux nécessitant le « recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice ».
283.En l'occurrence, les éléments de la procédure établissent que cet achat était contradictoire avec la volonté du Desk de réduire son exposition au risque français, ainsi qu'avec ce qui ce serait avéré nécessaire pour réaliser le dénouement autonome de la transaction BTMU. Il a également été démontré que cette acquisition, dans le contexte de la stratégie commerciale mise en œuvre, ne pouvait être considérée comme inhérente à l'activité de teneur de marché de la société Morgan Stanley.
284.Comme l'indique le rapport d'expert de marché produit par la société Morgan Stanley, le Desk avait initialement voulu « profiter d'instruments français sous-évalués ou relativement bon marché (par rapport aux instruments allemands et italiens) en anticipation de la demande des clients pour de tels instruments » (pièce no 4, § 8.3), mais cette approche n'avait pas eu l'effet escompté, ce qui l'avait amené à mettre en œuvre une « stratégie à l'achat » pour en comprendre les raisons, laquelle a conduit à la transaction BTMU (même rapport § 8.5). Il est également constant qu'à la fin de la journée, le 15 juin 2015, « [l]e Desk avait accumulé une perte de 6 millions de dollars à la clôture de l'activité, en partie attribuable à l'élargissement du spread France/Allemagne et à la position nette cumulée en risque français du Desk » (même rapport § 8.15). C'est dans ce contexte que le management a demandé au Desk de réduire le risque français afin que ses positions déficitaires ne s'aggravent pas et n'excèdent pas 20 millions de dollars.
285.Comme l'a justement retenu la Commission des sanctions, en choisissant de procéder à l'acquisition de 1 890 FOAT, juste avant de céder un certain nombre d'OAT, pour atteindre l'objectif de réduction du risque français qui lui avait été fixé et de ne pas dépasser le niveau de pertes autorisé, le Desk a bien influencé le cours des FOAT et OAT en ayant recours « à une forme d'artifice ». En effet, cette intervention sur les FOAT, concentrée sur les quinze minutes précédant la vente des OAT, était exclusive de tout placement sur le risque français, ce que démontrent les consignes du management données la veille et les mesures exécutées en ce sens tout au long de la journée du 16 juin 2015, incluant après la vente d'OAT, la cession de 4469 FOAT pour réduire le risque français résiduel. Cette intervention a également contribué à donner une image biaisée de l'état du marché des instruments obligataires français (FOAT et OAT) aux autres intervenants, dès lors que l'acquisition de FOAT par le Desk ne correspondait pas un intérêt des investisseurs pour les instruments obligataires français, comme pouvaient l'avoir perçu les autres intervenants sur MTS France qui se sont repositionnés à la hausse dans le carnet d'ordres à la suite de ses interventions, mais n'avait pour objectif que de permettre au Desk de céder des OAT à de meilleures conditions de prix, pour réduire ses pertes.
286.Ayant établi que l'une des hypothèses prévue pour la seconde condition était remplie (le recours à une forme d'artifice), la Commission des sanctions n'était pas tenue de rechercher si les autres hypothèses, alternatives, l'étaient également (tel le recours à une « forme de tromperie ») ni d'établir l'existence d'une intention manipulatoire. Il est donc indifférent, à ce stade de la qualification, que le Desk ait eu recours à des ordres « iceberg » minimisant leurs effets sur le cours ou qu'il n'ait pas pu précisément anticiper l'impact de l'acquisition des FOAT compte tenu de la volatilité exceptionnelle du marché à cette date.
287.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'élément matériel du cas de manipulation de cours prévu au b) du 1o de l'article 12 du règlement MAR est caractérisé pour le FOAT échéance septembre 2015 et les 14 OAT précitées.
288.Le moyen est rejeté.
IV. SUR L'IMPUTABILITÉ DES MANQUEMENTS DE MANIPULATION DE COURS À LA SOCIÉTÉ MORGAN STANLEY
289.La société Morgan Stanley invoque, en premier lieu, le principe de légalité des délits et des peines. Elle relève à cette fin qu'aucun texte législatif ne prévoit un mécanisme d'imputabilité à la personne morale du manquement de manipulation de cours commis par ses préposés. Elle soutient que le fait que les textes en cause répriment les abus de marché commis par « toute personne » ne règle pas la question de l'imputabilité aux personnes morales, dès lors que ni l'article L.621-15 II c) du code monétaire et financier, ni l'article 631-1 1o et 2o du RGAMF n'envisagent qu'une manipulation de cours puisse être imputée à une personne à raison des opérations effectuées ou des ordres émis par une autre personne.
290.Elle fait valoir, en deuxième lieu, que la jurisprudence du Conseil d'État (notamment CE., 6 juin 2008, requête no 300619) et la pratique décisionnelle de l'AMF — qui instituent une présomption conduisant à retenir la responsabilité du prestataire de service d'investissement pour ne pas avoir adopté et mis en œuvre des procédures permettant de détecter les manquements professionnels de ses préposés — ne sont pas conformes au principe de responsabilité personnelle. Elle ajoute que la manipulation de cours est une faute d'action, associée à une intention coupable, tandis que la faute présumée du prestataire de service d'investissement dans le cadre de la mise en place des mesures de contrôle usuelles est une faute d'abstention, purement objective. Elle en déduit que l'application de cette jurisprudence en matière de manipulation de cours revient à la sanctionner pour le fait d'autrui.
291.Elle observe également que, là où le Conseil d'État avait relevé que « les interventions litigieuses de sa préposée ont été effectuées en pleine connaissance de son supérieur hiérarchique », la Commission des sanctions a cru qu'il lui suffisait de constater que « les ordres en cause ont été passés au nom et pour le compte de la société Morgan Stanley par ses préposés, qui agissaient dans le cadre de leurs fonctions, sous la supervision du directeur du Desk et des supérieurs hiérarchiques ». Elle considère que la notion de « supervision » ne peut s'assimiler à celle de « connaissance » du manquement incriminé.
292.Elle soutient, en troisième lieu, et en tout état de cause, dans l'hypothèse où cette pratique serait conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles, qu'il appartiendrait à la Commission des sanctions de se référer à son homologue anglais, la FCA, pour apprécier l'effectivité de ses procédures de détection et prévention des abus de marché, puisqu'elle relève de son contrôle. Elle énumère également les nombreuses procédures mises en place au sein de sa Division FID à Londres, dont l'activité « Liquid Flow Rates » fait partie et dont relève le Desk, et fait valoir que l'AMF n'a d'ailleurs pas démontré de failles dans les systèmes et contrôles.
293.L'AMF fait valoir que la référence à une obligation s'imposant à « toute personne » est, au terme d'une jurisprudence établie de longue date, suffisante pour imputer directement le manquement à la personne morale, l'article 631-1 du RGAMF s'appliquant tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Elle ajoute que ces dernières sont les principaux acteurs des marchés financiers, et rappelle que la responsabilité de ces acteurs de premier rang a été admise par la Commission des opérations de bourse avant même que la responsabilité pénale des personnes morales ne soit introduite, en 1994, dans le droit pénal français, à l'article 121-2 du code pénal. Elle souligne qu'il est par ailleurs établi de longue date que cet article est inapplicable devant la Commission des sanctions de l'AMF.
294.Elle rappelle qu'en l'espèce la société Morgan Stanley ne conteste pas que les opérations litigieuses sont intervenues dans le cadre des fonctions de ses préposés. Elle souligne en outre que cette dernière en revendique le caractère légitime, de sorte qu'il n'était pas nécessaire que soient appréciées les procédures adoptées par la requérante pour détecter et prévenir les abus de marché, la société Morgan Stanley ne pouvant se prévaloir de la cause d'exonération mentionnée dans la décision du Conseil d'État du 6 juin 2008. Elle conclut au rejet du moyen.
***
Sur ce, la Cour,
295.S'agissant du principe de légalité des délits et des peines, la Cour rappelle à nouveau, comme l'a fait le Conseil constitutionnel à de nombreuses reprises, que « [c]omparée à celle régissant la matière pénale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est plus souple dans l'application du principe de légalité aux sanctions administratives » (Commentaire de la Décision no 2017-634 QPC du 2 juin 2017 relative, notamment, à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans ses rédactions résultant de la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi no 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, page 15).
296.En l'espèce, l'article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur à l'époque des faits, prévoit que l'obligation d'abstention de procéder à une manipulation de cours s'applique à « toute personne », ce qui suffit à désigner tant les personnes physiques que les personnes morales.
297.Les personnes morales étant les principaux acteurs des marchés financiers, ce texte s'applique nécessairement aux actes réalisés par leurs préposés dans le cadre de leurs fonctions, sans qu'il soit nécessaire, pour satisfaire le principe susvisé, de prévoir explicitement que tous les manquements de nature administrative commis au nom et pour le compte de la société lui sont imputables. Toute autre interprétation priverait le texte d'effet utile.
298.S'agissant du principe relatif à la responsabilité personnelle, le régime d'imputabilité, notamment consacré par le Conseil d'État (CE., 6 juin 2008, no 300619, Société CM CIC), ne le méconnaît pas contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley puisque, lors des activités de marché qu'ils exercent dans le cadre de leurs fonctions, ces préposés sont, à défaut de preuve contraire, réputés agir au nom et pour le compte de la société qui les emploie.
299.Les illustrations fournies par la société Morgan Stanley, loin de traduire des incohérences dans l'application du régime d'imputabilité des manquements d'abus de marché dans la pratique décisionnelle de la Commission des sanctions, selon qu'il concerne un prestataire de service d'investissement ou non, révèlent simplement les contraintes spécifiques auxquelles sont soumis ces derniers.
300.En l'espèce, comme le fait valoir à juste titre l'AMF et ainsi que l'établissent les éléments de la procédure et les pièces de la société Morgan Stanley, les interventions litigieuses ont été :
– mises en œuvre par M. [B], directeur général responsable du Desk en qualité de Head of Governement bond and CDS trading for Europe (qui a notamment acquis 1 590 des 1 890 FOAT en cause), lequel était placé sous l'autorité hiérarchique de M. [C], responsable de l'activité European Liquid Flow Rates, et par M. [A], trader senior, qui exerçait en 2016 son activité sous l'autorité hiérarchique de M. [B] ;
– effectuées pour répondre aux instructions de M. [C], qui a « donné pour consigne au Desk de réduire son risque (...). Il était alors précisé qu'il n'y aurait aucune tolérance pour le Desk subisse des pertes de l'ordre de 20 millions d'USD au cours des deux jours » (mémoire de la société Morgan Stanley, § 38) ;
– et enfin qualifiées par la société Morgan Stanley de « parfaitement légitimes, en ce qu'elles faisaient parties du dénouement de la position FIG et des positions associées » (mémoire de la société Morgan Stanley, § 130).
301.Les opérations des préposés de la société Morgan Stanley, intervenues en son nom et pour son compte dans le cadre de leurs fonctions, étant reconnues comme ayant été réalisées conformément à la stratégie qu'elle avait définie, il importe peu de savoir si ses représentants ont donné des instructions spécifiques aux traders du Desk concernant les modalités précises à mettre en œuvre pour y parvenir, ni même de rechercher si la société a par ailleurs adopté des procédures permettant de détecter et prévenir les abus de marché, ces circonstances n'étant pas de nature à constituer, dans la situation précitée, une cause d'exonération.
302.C'est donc à juste titre, et sans méconnaître les principes précités, que la Commission des sanctions a retenu que les manquements en cause sont imputables à la société Morgan Stanley, sans que cette dernière ne puisse s'exonérer de sa responsabilité en indiquant avoir mis en place des mesures permettant de prévenir et détecter de tels manquements.
303.Le moyen n'est pas fondé.
V. SUR LA SANCTION
304.La société Morgan Stanley demande à la Cour de réduire significativement la sanction pécuniaire prononcée, compte tenu de :
– l'absence d'intention de manipuler le cours par les traders du Desk ;
– l'absence de démonstration de la perturbation du marché ;
– l'absence de gain réalisé (la perte globale du Desk, sur toutes les positions qu'il détenait, ayant été évaluée entre 5,5 millions d'USD et 6 millions d'USD en fin de journée) et de préjudice occasionné au marché ;
– la disproportion du quantum de la sanction par rapport à la pratique de la Commission des sanctions et aux faits en cause.
305.Elle demande également à la Cour de prendre en compte le fait que :
– les opérations sur les Futures allemands le 16 juin 2015 n'étaient pas manipulatoires et ont eu une influence prédominante sur le marché des OAT par l'intermédiaire des FOAT ;
– le manquement reproché était isolé ;
– aucune poursuite n'a été engagée contre les personnes physiques impliquées dans les transactions et ;
– elle a pleinement coopéré avec l'AMF pendant plus de quatre années, en fournissant un volume important de données et documents contemporains aux faits, ainsi que des explications détaillées sur ses actions des 15 et 16 juin 2015.
306.L'AMF rappelle tout d'abord que le montant total de l'économie de pertes réalisée par la société Morgan Stanley à l'occasion de la cession des OAT et des OLO a été évalué par le collège de l'AMF à 5 002 800 euros, intégrant l'économie de pertes réalisée sur les plateforme MTS France, Broker Tec et MTS Belgium, ainsi que celle réalisée par l'intermédiaire d'un courtier.
307.Après avoir écarté les critiques formulées par la société Morgan Stanley concernant les calculs entrepris, elle constate que la Commission des sanctions n'a pu retenir, dans la décision attaquée, l'entier montant de l'économie de pertes calculée par la poursuite, puisqu'elle a relevé que les interventions litigieuses n'ont contribué qu'à hauteur de 60 % à la hausse des FOAT et que le cours des OLO et des OAT dépend des FOAT manipulés, mais aussi des Futures allemands, de sorte que la requérante « ne peut être tenue responsable de la totalité de cette variation du cours des 14 OAT et des 8 OLO cédées ni, par conséquent, de la totalité de l'économie de pertes précitée ».
308.Elle relève ensuite que la Commission des sanctions s'est particulièrement attachée à la gravité des manquements retenus. Renvoyant aux différents motifs de la décision attaquée, elle en déduit que c'est par une décision motivée que la Commission des sanctions, faisant une juste appréciation des circonstances de l'espèce, a infligé à la société Morgan Stanley une sanction de 20 millions d'euros, proportionnée tant au regard de la gravité des manquements commis par la requérante que de ses capacités financières, et qui n'excède pas le plafond légal.
***
Sur ce, la Cour,
309.Aux termes du III c) de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa version applicable du 24 octobre 2010 au 5 décembre 2015, non modifiée sur ce point dans un sens moins sévère, les sanctions applicables sont « [p]our les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L.621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public ».
310.La sanction de 20 millions d'euros prononcée par la Commission des sanctions de l'AMF est ainsi inférieure au montant de la sanction pécuniaire encourue, qui ne pouvait excéder 100 millions d'euros ou le décuple du montant des profits éventuellement réalisés.
311.Le III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016, définit les critères qui peuvent être, notamment, pris en compte pour déterminer la sanction.
312.C'est à la lumière des critères pertinents pour les faits en cause que la Cour appréciera la proportionnalité de la sanction infligée.
313.En l'espèce, il a été établi que la société Morgan Stanley a fixé le cours du FOAT échéance septembre 2015 négociées sur Eurex, de 14 OAT cédées sur MTS France, Broker Tec et par l'intermédiaire d'un courtier, ainsi que de 8 OLO négociées sur MTS Belgium, à un niveau anormal et artificiel en méconnaissance du b) du 1o de l'article 631-1 du RGAMF et qu'elle a également eu recours à une forme d'artifice, en acquérant 1 890 FOAT échéance septembre 2015 sur Eurex, en méconnaissance du 2o de l'article 631-1 du même règlement, ces manquements ayant eu lieu le 16 juin 2015.
314.Il ressort toutefois des développements qui précèdent, relatifs à la caractérisation des manquements retenus, que les différents volets des manipulations de cours poursuivis sur le fondement de l'article 1o b) de l'article 631-1 du RGAMF s'inscrivent dans le même contexte et que le manquement poursuivi sur le fondement du 2o de l'article 631-1 du RGAMF s'appuie, pour partie, sur les mêmes faits. Ces deux manquements ne sont donc pas totalement autonomes, ce qui doit être pris en compte.
315.Concernant la gravité des manquements retenus et leurs conséquences, la Cour relève tout d'abord que, si le fait que le spread France/Allemagne ait retrouvé le niveau qu'il avait avant la période litigieuse (environ une heure après la vente des OAT) tend à établir que les interventions litigieuses n'ont pas eu de conséquences négatives durables, en revanche la société Morgan Stanley ne produit aucune pièce venant utilement contredire les éléments recueillis au cours de l'enquête (rapport d'enquête, pages 24 et 25 et annexes) établissant qu'à la suite des interventions du Desk de 9h44 :
– les contributions des SVT sur MTS France, pour les OAT en cause, ont toutes été suspendues 4 minutes en moyenne ;
– seulement 8% du volume à l'achat était de retour après 10 minutes ;
– 50 minutes (10h34) ont été nécessaires pour atteindre le même niveau d'offre à l'achat sur MTS France.
316.Il s'en déduit que les transactions de la société Morgan Stanley (portant sur la cession de 815 millions d'euros de notionnel d'OAT sur MTS France, Broker Tec et par l'intermédiaire d'un courtier) ont eu un impact sur la liquidité disponible sur le marché MTS France et ont perturbé le bon fonctionnement de cette plateforme de négociation.
317.Ces interventions caractérisent un manquement particulièrement grave, dès lors que celle-ci était agréée en qualité de SVT. Cette situation est d'ailleurs à l'origine de la décision prise par l'AFT de suspendre son statut de SVT, pour trois mois, compte tenu notamment, de ce que « que l'exécution le 16 juin 2015 de transactions [a]eu pour effet de porter gravement atteinte à la liquidité du marché des obligations souveraines françaises, en contradiction avec ses obligations de SVT » (pièce de la société Morgan Stanley no 45). Elle n'est en outre pas passée inaperçue des acteurs du marché puisque, ainsi que la Cour l'a déjà évoqué, l'AFT a été amenée à demander des explications au responsable des activités de marchés chez Morgan Stanley à [Localité 4] par courriel du 16 juin2015, envoyé à14h30, en lui indiquant avoir eu « des remontées de plusieurs SVT qui se plaignent du comportement trading » de la société Morgan Stanley (cote R26 et annexe 2-5 du rapport d'enquête).
318.Contrairement à ce que sous-entend la société Morgan Stanley, la décision attaquée a pris en compte, au paragraphe 141, le fait que le cours des OAT et des OLO dépend non seulement, à titre principal comme il a été vu, du cours du FOAT manipulé par la mise en cause, mais également, et subsidiairement dans le contexte de marché existant à la date des opérations, des cours des Futures allemands (FGBL et FGBX), qui, eux, n'ont pas été manipulés par la société Morgan Stanley, ainsi que le fait que les interventions litigieuses du Desk n'ont contribué qu'à hauteur de 60 % à la hausse du FOAT sur Eurex selon les données de l'enquête. Elle en a justement déduit que la manipulation du cours du FOAT échéance septembre 2015 par la société Morgan Stanley n'est pas susceptible d'expliquer la totalité de la hausse du cours des 14 OAT concernées et des 8 OLO, ni la totalité de l'économie de pertes réalisée à la faveur de ces interventions.
319.Elle a ainsi justement retenu que la société Morgan Stanley ne peut être tenue responsable ni de la totalité de la variation du cours des 14 OAT et des 8 OLO cédées ni, par conséquent, de la totalité de l'économie de pertes qui a pu être réalisée à l'occasion de la cession des OLO qui portait sur un montant de 340 millions d'euros.
320.Concernant les pertes ou coûts évités, il convient de rappeler qu'ils ne sont pris en compte, ainsi que le précise le III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, que « dans la mesure où ils peuvent être déterminés ».
321.La Cour constate, en l'espèce, que le montant de 1,848 millions d'euros évoqué au paragraphe 142 de la décision attaquée ne peut être retenu comme un élément pertinent pour fixer le montant de la sanction. En effet, les enquêteurs n'ont pas été en mesure d'isoler l'impact des interventions litigieuses par rapport aux autres facteurs ayant concouru à cette situation (notamment l'incidence des opérations relatives aux Futures allemands). Toutefois, la Commission des sanctions a retenu au paragraphe 143 que l'économie de pertes réalisée (comme la variation des cours en cause) ne pouvait être attribuée aux seules interventions litigieuses et a ainsi pris en compte cette circonstance. La décision attaquée ne s'étant pas appuyée sur le montant de 1,848 millions précité pour justifier la proportionnalité de la sanction de 20 millions d'euros retenue, les critiques dirigées contre la méthode de calcul de ces pertes ne sont pas de nature à justifier la réformation de la décision attaquée.
322.Concernant le préjudice subi par le marché, la Cour constate que, pour en contester l'existence, la société Morgan Stanley se borne à procéder par voie d'affirmations, hypothétiques, en prétendant que « certains intervenants du marché des OAT et des OLO auraient pu bénéficier des variations du marché ». Outre que cette allégation n'est étayée par aucune offre de preuve, il convient de relever que le fait que certains acteurs du marché aient pu le cas échéant bénéficier des variations de cours ne permet pas, en tout état de cause, de remettre en cause le fait que d'autres en ont été victimes. Il ne peut être admis que les bénéfices des uns compensent les pertes des autres, le marché n'étant pas un acteur unique mais une somme d'individualités correspondant à différents profils d'investisseurs.
323.À l'inverse, il est indiscutable qu'un préjudice a été occasionné aux intervenants qui ont acquis des OAT et des OLO auprès de la société Morgan Stanley à un niveau anormalement et artificiellement élevé, évalué dans le rapport d'enquête aux pages 49 et 50, et que la liquidité du marché des obligations souveraines françaises a été affectée dans un contexte de crise.
324.Il doit toutefois être, à nouveau, relevé, comme l'a fait la Commission des sanctions, et pour les motifs déjà exposés, que la manipulation du cours du FOAT échéance septembre 2015 par la société Morgan Stanley n'est pas susceptible d'expliquer la totalité de la hausse du cours des 14 OAT concernées et des 8 OLO compte tenu du contexte précité.
325.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions, qui a retenu l'existence de ce préjudice, sans être tenue de le chiffrer précisément, a, par ses constatations, établi qu'il pouvait être considéré comme important.
326.Concernant le mode opératoire, la Cour relève que c'est à raison que la Commission des sanctions a retenu que la gravité des manquements est renforcée par la sophistication des opérations litigieuses, impliquant des séquences d'interventions effectuées en deux temps, sur plusieurs plateformes et instruments liés (achats agressifs de FOAT, concourant à la hausse de son cours, se répercutant sur le marché des OAT/OLO du fait de leur corrélation, puis ventes d'OAT et d'OLO), ainsi que par la parfaite connaissance des marchés sur lesquels les traders de la société Morgan Stanley sont intervenus.
327.À cet égard, la Cour rappelle que la situation de marché du 16 juin 2015, caractérisée par une forte volatilité et une faible liquidité, était connue des traders du Desk et de leur hiérarchie — professionnels aguerris oeuvrant au sein d'une société agréée en qualité de spécialiste en valeurs du Trésor — contexte qui ne pouvait qu'accroître l'impact de leurs interventions sur le cours des instruments financiers négociés. Il est donc vain d'invoquer l'absence d'intention manipulatoire résultant de la passation d'ordres iceberg, compte tenu de la nature agressive des ordres écoulés et de leurs effets sur les cours, ou le fait qu'il ne pouvait être précisément anticipé les conséquences de ces interventions compte tenu de la volatilité du marché.
328.Il ne saurait enfin être déduit de l'absence de poursuite engagée à l'encontre des préposés, qui se sont conformés aux consignes de réduction des pertes de leur hiérarchie, un quelconque indice de nature à atténuer la gravité des manipulations de cours reprochés à la société qui les emploie.
329.Le fait que la société Morgan Stanley a « pleinement coopéré » avec l'AMF tout au long de la procédure n'est pas non plus un facteur susceptible d'influer, à la baisse, le montant de la sanction infligée, un tel comportement n'allant pas au-delà de ce qui est normalement attendu d'une personne mise en cause.
330.Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la Commission des sanctions a procédé à une appréciation in concreto des circonstances du manquement, contrairement à ce que soutient la société Morgan Stanley.
331.Concernant la sévérité de la sanction, considérée comme disproportionnée par la société Morgan Stanley, il est constant qu'il s'agit de la plus lourde sanction prononcée en France dans un dossier de manipulation de cours. Il doit toutefois être rappelé qu'il ne peut être utilement opéré de comparaison avec d'autres affaires, chaque espèce présentant ses particularités propres et la Commission des sanctions restant libre d'adapter le niveau des sanctions prononcées à ce qui se révèle nécessaire pour préserver l'effet utile des règles réprimant des abus de marché. Il est donc vain d'invoquer le fait que depuis 2004 les sanctions prononcées ont rarement excédé 1 million d'euros, seul important les circonstances propres à chaque affaire (contexte de marché, nature particulière des faits en cause) et les critères d'individualisation applicables à la personne poursuivie (notamment la situation et les capacité financière de la personne mise en cause).
332.Concernant la situation financière de la société Morgan Stanley, il n'est pas contesté qu'elle a réalisé un résultat net de 892 millions de dollars au 31 décembre 2018 et que l'activité du Desk a engendré un profit d'environ 200 millions de dollars, sur l'année, à l'époque des faits litigieux, de sorte que le montant de la sanction doit être suffisamment dissuasif pour préserver l'efficacité de la sanction. À cet égard, la Cour rappelle qu'il incombe à l'autorité de régulation des marchés, comme à sa juridiction de contrôle, de veiller à préserver l'effet utile de la législation en cause, qui a pour objectif d'assurer l'intégrité des marchés financiers et renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés.
333.Au regard de l'ensemble des éléments pertinents précités, tenant compte des caractéristiques des manquements en cause comme des éléments d'individualisation propres à la société Morgan Stanley, qui était agréée en qualité de SVT au moment des faits, la sanction de 20 millions est proportionnée. Le recours est rejeté.
VI. SUR LA DEMANDE D'ANONYMISATION DE LA DÉCISION À INTERVENIR EN CE QUI CONCERNE LES PERSONNES PHYSIQUES
334.La société Morgan Stanley demande l'anonymisation de l'arrêt à intervenir concernant les personnes physiques mentionnées dans la décision attaquée, pour des raisons de réputation et compte tenu du fait qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune poursuite.
335.L'AMF n'a formulé aucune observation sur cette demande.
***
Sur ce la Cour,
336.Les personnes physiques mentionnées dans la décision attaquée n'ayant pas été poursuivies par le collège de l'AMF et la publication d'une décision relative à des manipulations de cours ayant une fonction pour partie punitive, il doit être procédé à l'anonymisation de l'arrêt en ce qui les concerne.
337.La décision attaquée qui a rejeté cette demande, sans distinguer la situation de la personne morale sanctionnée et des personnes physiques qui n'ont pas été poursuivies, sera réformée, sur ce point.
*
* *
PAR CES MOTIFS
REJETTE le moyen tiré de l'incompétence de la Commission des sanctions de l'AMF pour examiner les manquements relatifs à la manipulation du cours des obligations linéaires ordinaires ;
DÉCLARE irrecevables les moyens nouveaux soulevés au paragraphe 80, ainsi qu'aux paragraphes 166 à 168 des dernières écritures de la société Morgan Stanley et Co. International PLC en date du 20 octobre 2020 ;
REJETTE les moyens fondés sur les atteintes portées aux droits de la défense de la société Morgan Stanley et Co. International PLC ;
REJETTE le recours en annulation formé contre la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 17 du 4 décembre 2019 par cette société ;
REJETTE le recours en réformation formé par la société Morgan Stanley concernant le montant de la sanction infligée par la même décision ;
Réformant cette décision, mais seulement en ce qu'elle a rejeté la demande d'anonymisation :
DIT que la publication de la décision no 17 du 4 décembre 2019 sur le site internet de l'Autorité des marchés s'effectuera sous le bénéfice de l'anonymat concernant les personnes physiques impliquées dans les opérations litigieuses mais qui n'ont pas été poursuivies par le collège de l'Autorité des marchés ;
DIT que le présent arrêt est rendu sous le bénéfice du même anonymat, limité aux personnes physiques précitées ;
LAISSE à la charge de la société Morgan Stanley et Co. International PLC les dépens de l'instance.
LA GREFFIÈRE
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE
Frédérique SCHMIDT