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02/03/2021 | FRANCE | N°18/09868

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 02 mars 2021, 18/09868


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

(Anciennement pôle 2 - chambre 1)



ARRÊT DU 02 MARS 2021



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09868 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WPJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS1 - RG n° 16/02574





APPELANTES



Madame [N] [P] veuve [M]



[Adresse 1]

[Localité 4]



ET



Madame [L] [M]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Stéphane BRUSCHINI-CHAUMET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0761





I...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

(Anciennement pôle 2 - chambre 1)

ARRÊT DU 02 MARS 2021

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/09868 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WPJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS1 - RG n° 16/02574

APPELANTES

Madame [N] [P] veuve [M]

[Adresse 1]

[Localité 4]

ET

Madame [L] [M]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphane BRUSCHINI-CHAUMET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0761

INTIMÉ

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Bernard GRELON de l'AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445 substitué par Me Marion SOUID de l'AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Décembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre, chargée du rapport et Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre,

Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * *

M. [M], époux de Mme [P] et père de Mme [M] est décédé le [Date décès 5] 1981 dans des circonstances qui ont conduit sa veuve - ci après Mme [P] - à réclamer au parquet du tribunal de grande instance - aujourd'hui tribunal judiciaire - de Chambéry, dès le 16 octobre suivant, des investigations sur ce décès.

Par courrier du 3 novembre 1981, le procureur de la République près ce tribunal a informé Mme [P] du classement sans suite de l'affaire, faute que l'enquête ait révélé une quelconque infraction.

Le 17 décembre 1981, Mme [P] a déposé plainte à l'encontre de M. [I], mari de la nièce du défunt, l'accusant de fausses déclarations quant à l'heure et aux conditions de décès de feu son mari, et elle a sollicité une autopsie du corps.

Le 30 décembre 1981, le procureur de la République a réitéré son information de classement sans suite quant au décès de M. [M].

Plusieurs procédures s'en sont suivies :

- une première information judiciaire au tribunal judiciaire de Chambéry :

Le 12 janvier 1982, Mme [P] a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction de ce tribunal pour des faits de non-assistance à personne en danger, d'homicide et de recel de cadavre.

Sur réquisitions conformes du ministère public en date du 8 février 1982, le juge d'instruction a rendu, le 15 février, une ordonnance d'incompétence au motif du lieu du décès de M. [M].

- une deuxième information judiciaire au tribunal judiciaire de Chambéry :

Le 18 janvier 1982, Mme [P] a déposé devant ce tribunal une deuxième plainte avec constitution de partie civile pour des faits de vol et d'usurpation de biens du défunt. Cette plainte a été complétée le 7 avril 1982 des faits de détournement de correspondance et de biens de mineur à l'encontre de M. [V] [M] - fils d'un premier lit du défunt- de son épouse et de M. [I].

À la suite d'investigations et notamment des auditions de M. [I] et des différents membres de la famille, le juge d'instruction de Chambéry a rendu une ordonnance de non-lieu le 30 septembre 1983, confirmé par la cour d'appel de Chambéry suivant arrêt du 15 décembre 1983.

- une procédure suivie contre Me [Z], notaire :

Le 4 septembre 2007, Mme [P] a déposé plainte pour faux à l'encontre de Me [Z], notaire. Cependant, le 17 octobre 2007, le procureur de la République de Chambéry a classé sans suite cette plainte pour absence d'infraction.

Par courrier du 8 juillet 2013, Mme [P] a informé le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Chambéry des faits délictueux reprochés au notaire, lequel magistrat a sollicité des éclaircissements le 12 juillet suivant.

Après avoir saisi la chambre interdépartementale des notaires, le procureur de la République a informé Mme [P], par courrier du 14 octobre 2014, qu'aucun manquement ne pouvait être retenu à l'encontre de Me [Z].

- une troisième information judiciaire au tribunal judiciaire de Chambéry :

Le 15 janvier 2008, Mme [P] a déposé devant ce tribunal une nouvelle plainte avec constitution de partie civile pour des faits d'homicide volontaire, de faux en écriture publique, d'usage de faux et d'escroquerie au jugement.

Après plusieurs échanges de courriers et une audition de Mme [P], le doyen des juges d'instruction de ce tribunal a rendu une ordonnance de refus d'informer partiel du chef de meurtre le 24 août 2009, le surplus des infractions faisant l'objet d'une instruction judiciaire.

Le 22 septembre 2011, le même juge a refusé d'auditionner de nouveau Mme [P], refus d'acte confirmé le 6 octobre 2011 par le président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry.

L'information judiciaire est toujours en cours.

C'est dans ce contexte que par acte du 4 novembre 2015, Mmes [P] et Mme [M], considérant la responsabilité de l'Etat engagée pour dysfonctionnement du service public de la justice au constat de ce que trente-trois années de procédure émaillées d'une succession de négligences et d'erreurs ne leur avaient toujours pas permis de connaître les circonstances exactes du décès de leur époux et père, ont fait assigner l'agent judiciaire de l'État devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de le voir condamner, principalement, à payer à Mme [P] une somme de 5.584.500 € et à Mme [M] une somme de 3.723.000 €.

Par jugement en date du 15 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Paris a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire':

-déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [P] veuve [M] et de Mme [M] relatives au décès de M. [M] ;

- déclaré recevables les demandes de Mme [P] veuve [M] et de Mme [M] relatives aux éventuels manquements commis par le service public de la justice dans le cadre de l'information judiciaire suivie au tribunal judiciaire de Chambéry du chef des infractions de faux et usage de faux et escroquerie au jugement;

-débouté Mme [P] veuve [M] et Mme [M] de leurs demandes en indemnisation ;

- condamné in solidum Mme [P] veuve [M] et Mme [M] à payer à` l'agent judiciaire de l'État une somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum Mme [P] veuve [M] et Mme [M] aux dépens

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 21 mai 2018 enregistrée le 24 mai 2018, Mme [P] veuve [M] et Mme [M] ont interjeté appel partiel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 3 août 2018, Mme [P] et Mme [M], appelantes, demandent à la cour de':

- dire et juger l'action engagée recevable, bien fondée et y faire droit,

- débouter l'Agent judiciaire de l'État de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

À titre principal':

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a

-déclaré recevables les demandes des demanderesses relatives aux éventuels manquements commis par le service public de la justice dans le cadre de l'information judiciaire suivie au tribunal de grande instance de Chambéry du chef des infractions de faux et usage de faux et escroquerie au jugement,

- ordonné l'exécution par provision du jugement,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a

- déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes des demanderesses relatives au décès de Monsieur [M],

- débouté les demanderesses de leur demande en indemnisation,

- condamné in solidum les demanderesses à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les demanderesses aux dépens

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Statuant à nouveau,

- déclarer recevable l'ensemble des demandes de Mmes A.-L. [M] et M.-F [M],

- constater la responsabilité civile de l'agent judiciaire de l'État du fait des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice,

- condamner l'Agent judiciaire de l'État à payer à Mme [N] [M] la somme de

- 6.077.250,00 € en réparation des préjudices subis, qui se décompose comme il suit:

- 2.025.750,00 € au titre du préjudice moral,

- 2.025.750,00 € au titre du préjudice financier,

- 2.025.750,00 € au titre du préjudice physique,

- condamner l'Agent judiciaire de l'État à payer à Mme M-F [M] la somme de

- 4.051.500,00 € en réparation des préjudices subis, qui se décompose comme il suit:

- 2.025.750,00 € au titre du préjudice moral,

- 2.025.750,00 € au titre du préjudice financier,

En tout état de cause :

- condamner l'agent judiciaire de l'État à payer à Mmes [N] [M] et M-F [M] la somme de 20.000,00 € chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner l'agent judiciaire de l'État aux entiers frais d'exécution, lesquels comprendront ceux de la présente décision et les sommes retenues par les dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996,

- condamner l'agent judiciaire de l'État aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 16 octobre 2018, l'agent judiciaire de l'État, intimé, demande à la cour de':

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter les appelantes de toutes leurs demandes,

Y ajoutant,

- condamner les appelantes à payer, in solidum, la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- les condamner aux entiers dépens.

Le ministère public, dans son avis du 15 janvier 2020, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

SUR CE

Sur la recevabilité de l'action

Le tribunal, au visa de l'article 1er de la loi n° 68-125 du 31 décembre 1968, a retenu

- quant aux circonstances du décès de M. [M], que le dernier fait éventuellement générateur de la responsabilité de l' Etat est intervenu le 24 août 2009 par l'ordonnance de refus d'informer du chef d'homicide volontaire rendu par le juge d'instruction du tribunal judiciaire Chambéry,

- qu'en effet l'allégation selon laquelle une information judiciaire serait toujours en cours au tribunal judiciaire de Draguignan sur la plainte avec constitution de partie civile qu'y auraient déposée les enfants du défunt le 21 avril 1987 entre les mains du doyen des juges d'instruction n'est nullement prouvée.

- qu'ainsi, la prescription quadriennale était acquise le 1er janvier 2014, et l'action introduite le 4 novembre 2015 est donc prescrite en ce qui concerne les demandes relatives au décès de M. [M].

-qu'elle ne l'est pas en revanche pour les faits relatifs aux éventuelles infractions de faux et usage de faux et escroquerie au jugement, une information judiciaire étant toujours en cours sur ces faits au tribunal judiciaire de Chambéry sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme [P] en date du 15 janvier 2008

- que les modalités et l'issue de la procédure suivie à l'encontre de Me [Z], notaire, ne faisant pas l'objet de griefs spécifiques à l'encontre de l'État, sont indifférentes à la présente instance.

Mme [P] et Mme [M], au visa de l'article 1er de la loi 68-125 du 31 décembre 1968, contestent le point de départ retenu pour l'application de la prescription quadriennale en l'espèce.

Elles considèrent que tant en raison de l'information judiciaire ouverte auprès du tribunal judiciaire de Draguignan sur la plainte des trois enfants du couple [M] [P] du 21 avril 1987, - et quoi qu'il en soit de l'ordonnance de dessaisissement prise par ce tribunal le 26 juillet 2013 - , que de la procédure qui se poursuit devant le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry sur la plainte de 15 janvier 2008, et en tout cas au moins du fait de cette seconde procédure, la justice demeure saisie des questions sur le lieu de la mort et les circonstances de l'inhumation de leur époux et père, des motifs de l'existence de trois testaments différents, et de la disparition de certains biens postérieurement au décès.

Elle en déduisent que contrairement à la décision du tribunal, leur action tendant à obtenir réparation des déni de justice et faute lourde de l'Etat demeure recevable pour l'ensemble de leurs demandes, aussi bien celles qui concernent le décès de [D] [W] [M] que l'ensemble des faits qui en découlent.

L'agent judiciaire de l'État fait d'abord remarquer que contrairement à ce que mentionnent les appelantes, le tribunal a clairement distingué la question du décès de celle d'éventuels dysfonctionnements liés à l'instruction des chefs de faux et usage et d'escroquerie, seules les demandes de ce chef étant déclarées recevables.

Il soutient qu'en ce qui concerne le décès, le point de départ de la prescription retenu par le tribunal doit être confirmé compte tenu à la fois du refus d'informer sur ce point ordonné le 24 août 2009, et de l'absence de démonstration de ce que la plainte avec constitution de partie civile des enfants [M], réputée adressée le 21 avril 1987 serait toujours en cours.

Le ministère public, se référant aux termes de l'acte introductif d'instance associant le préjudice dont il est demandé réparation au refus d'informer sur les circonstances de la mort de M. [M], en déduit pareillement que le dommage procède de l'ordonnance qui en a décidé le 24 août 2009, date qui marque donc le fait générateur du dommage, et donc le point de départ de la prescription, acquise par conséquent le 31 décembre 2014.

Pour l'application aux actions en responsabilité initiées sur le fondement de l'article 1er de la loi 68- 1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale, le point de départ à retenir se situe au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué, celui ci tenant à l'arrêt des investigations demandées par les appelantes sur les conditions du décès de [X] [M].

En ce qui concerne ce décès, après une première plainte déposée pour non assistance à personne en danger, homicide et recel de cadavre, sur laquelle le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Chambéry s'est déclaré incompétent à raison du lieu du décès, Mme [P] a déposé le 15 janvier 2008 une autre plainte devant ce même tribunal pour homicide volontaire, faux en écriture publique, usage de faux et escroquerie au jugement, sur laquelle le juge d'instruction a rendu le 24 août 2009. une ordonnance de refus d'informer partiel à l'encontre de laquelle il n'apparaît pas qu'elle ait formé un quelconque recours.

Bien que les demanderesses soutiennent qu'une information des chefs d'homicide volontaire et recel de cadavre serait toujours en cours chez un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Draguignan, à partir d'une autre plainte avec constitution de partie civile déposée le 21 avril 1987 devant le doyen des juges d'instruction de ce tribunal, les premiers juges ont constaté que faisaient défaut tant la preuve de l'ouverture effective de cette information, que celle de sa poursuite, et faute de production d'un quelconque élément nouveau en appel qui apporte cette démonstration manquante, ce constat ne peut qu' être confirmé.

Il en résulte que les investigations judiciaires relatives au décès de [X] [M] ont cessé avec l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction de Chambery a refusé toute investigation sur le chef d'homicide volontaire visé par la plainte de Mme [P].

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu la date de cette ordonnance comme celle de la réalisation du dommage fondant les demandes des appelantes contre l'Etat, et en ont tout aussi justement déduit que, le délai prévu à l'article 1er du texte susvisé étant expiré au 31 décembre 2014, l'action engagée le 4 novembre 2015, en ce qu'elle tend à critiquer la prétendue inaction et les délais excessifs du service public de la justice quant aux circonstances de la mort de [X] [M], se trouve prescrite.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a considéré recevables les demandes de Mmes [M] relatives aux griefs qui font l'objet de la partie de la plainte dont l'instruction demeure en cours, ou en tout cas l'est demeurée suffisamment pour échapper à la prescription.

Sur la responsabilité de l'État

Le tribunal a écarté toute faute lourde, en retenant que le seul grief articulé était relatif à un refus d'audition du juge d'instruction de Chambéry, confirmé par le président de la chambre de l'instruction et motivé par la nécessité d'attendre le résultat des investigations en cours, et que le grief général de ne pas avoir permis aux demanderesses d'entrer en possession des biens du défunt devait être écarté faute de preuve de l'absence de liquidation de la succession, laquelle le cas échéant serait imputable au litige entre les héritiers, et non à une carence du service public de la justice.

Il n'a pas davantage retenu l'existence d'un déni de justice, en l'absence de pièces suffisantes produites pour permettre d'analyser de manière suffisante les diligences accomplies par le juge d'instruction et les services d'enquête dans le cadre de la procédure pour faux et usage et d'escroquerie au jugement, alors qu'il s'évinçait d'un courrier du juge d'instruction que de nombreux actes avaient été accomplis et que les faits objet de l'instruction préparatoire, particulièrement anciens et ne pouvant être qualifiés de simples, appelaient des investigations complexes, d'où l'impossibilité de caractériser un délai déraisonnable .

Mmes [M] font valoir

- que depuis octobre 1981, date de la première saisine du service public de la justice, une succession de négligences et d'erreurs ont été commises, faisant que trente-trois ans après sa première plainte, elles ne sont toujours pas à même de connaître les circonstances entourant le décès de leur défunt mari et père ni de son inhumation à [Localité 7], soit un délai d'autant plus déraisonnable qu'aucune complexité particulière du dossier ne peut le justifier.

que l'ordonnance de dessaisissement du juge d'instruction de Draguignan rendue le 26 juillet 2013, après sa saisine en 1982 sur l'ordonnance d'incompétence territoriale du juge d'instruction de Chambery, des chefs de non-assistance à personne en danger, homicide et recel de cadavre, et l'accomplissement de quelques actes d'instruction, les laissent dans l'incompréhension ;

-qu'il y a lieu de s'étonner également de ce qu'aucune autopsie n'ait jamais été ordonnée alors qu'elle aurait permis de lever les doutes sur les causes de la mort de [D] [W] [M], ce qui était d'autant plus nécessaire que les circonstances de l'inhumation et la gestion de la succession sont particulièrement curieuses.

- que les diligences épisodiques et parcellaires des juges d'instruction de Chambéry et Draguignan

sont constitutives autant de la faute lourde que du déni de justice.

L'agent judiciaire de l'État réplique

- que la production de pièces réduite des requérantes ne permet pas d'apprécier si la manière dont l'information judiciaire prétendument ouverte et toujours en cours devant le tribunal de grande instance de Draguignan révèle un fonctionnement défectueux du service de la justice ;

- qu'en l'absence de démonstration de ce que le courrier de plainte avec constitution de partie civile au doyen des juges d'instruction du 21 avril 1987 lui ait été effectivement adressé, et que surtout cette plainte aurait été déclarée recevable et aurait conduit à l'ouverture d'une information judiciaire, les appelantes sont mal fondées à se plaindre d'une inaction de sa part ;

- qu'en l'occurrence, le peu de pièces produites ne permet pas de retracer la chronologie des différentes procédures, entre lesquelles les appelantes opèrent une confusion alors qu'elles ont été engagées pour des chefs d'infractions différents et devant des tribunaux différents, en sorte que le grief tenant au caractère non raisonnable de la durée de la procédure, qui ne peut procéder du seul constat de ce que la première plainte de Mme [P] remonte à l'année 1982, n'est pas démontré

- qu'en outre les appelantes ne démontrent pas davantage avoir usé des voies de droit issues de l'article 82-1 du code de procédure pénale pour obtenir, si elles l'estimaient nécessaire, une réponse plus rapide ;

- que s'agissant du grief tiré d'éventuelles fautes lourdes, les plaintes des appelantes relatives aux circonstances du décès et aux conditions de l'inhumation de [X] [M] ont fait l'objet d'abord d'un classement sans suite, puis d'une ordonnance de refus d'informer, qu'elles n'ont pas contestés, et la réalité des critiques élevées n'est pas démontrée.

Le ministère public est d'avis qu'en l'absence de tout élément nouveau apporté en appel, il n'y a pas lieu de remettre en cause le jugement rendu par le tribunal de grande instance écartant tout déni de justice ou une faute lourde du service public de la justice susceptible d'engager la responsabilité de l'État.

Constitue une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat l'acte qui révèle un erreur manifeste et grossière d'appréciation des éléments de droit ou de fait soumis et qui procède, dans le contexte lui est soumis, d'un comportement anormalement déficient du juge ou du système judiciaire.

En l'espèce, les appelantes invoquent, dans leurs écritures en appel, un certain nombre d'éléments censés caractériser tout ensemble des fautes lourdes et un déni de justice, tels: l'ordonnance de dessaisissement rendue le 26 juillet 2013 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Draguignan ; le faible nombre d'actes d'enquête et d'instruction conduits par cette juridiction ; l'absence d'autopsie du corps de [X] [M] ; les changements successifs de juge d'instruction ; l'absence de réaction de la justice pénale aux interpellations répétées qui lui ont été faites à chaque anomalie nouvelle découverte dans les circonstances de la mort et de l'inhumation de leur époux et père ; globalement, le fait que 33 années de procédure n'aient pas permis d'obtenir une réponse judiciaire à leurs interrogations ni, sur le plan successoral, d'entrer en possession des biens du défunt, placés sous séquestre depuis 1981.

Cependant, outre que l'énumération de ces faits n'est assortie d'aucun élément de preuve ni même d'explication susceptible de justifier en quoi ils caractériseraient, ensemble ou séparément, une déficience anormale du système judiciaire, les prétendus manquements auxquels ils font référence concernent essentiellement sinon exclusivement les procédures relatives au décès de [X] [M], dans le cadre duquel les demandes de réparation des appelantes sont déclarées prescrites.

En ce qui concerne la durée anormale de la procédure, qui serait éventuellement constitutive d'un déni de justice, les appelantes évoquent trente trois années de procédures improductives, persistant pour cela à se référer à l'information qui serait toujours en cours à [Localité 6], déjà vainement invoquée pour tenter de faire échec à la prescription.

Après avoir en première instance indiqué que la source de cette procédure, et des anomalies qu'elle comporte, était une plainte avec constitution de partie civile des trois enfants [M] en date du 21 avril 1987-, les appelantes précisent , dans leurs conclusions devant la cour, que cette prétendue saisine du juge d'instruction de Draguignan aurait fait suite à l'ordonnance d'incompétence rendue le 15 février 1982 par le juge d'instruction de Chambéry sur la première plainte de Mme [P], en raison du lieu du décès.

Comme déjà relevé, les éléments démontrant l'existence de cette procédure font défaut, la cour s'expliquant mal, si cette plainte de 1987 a effectivement donné lieu à l'ouverture d'une information à [Localité 6], pourquoi Mme [P] a déposé en 2008 à [Localité 4] une nouvelle plainte avec constitution de partie civile visant à nouveau le chef d'homicide volontaire.

Nonobstant ces observations et l'absence d'éléments qui permettraient, à supposer que cette procédure existe et perdure, de vérifier les diligences auxquelles elle aurait donné lieu pour en apprécier in concreto la durée éventuellement excessive, force est de constater qu'elle concerne exclusivement le décès de [X] [M], et qu'il n'y a donc plus lieu d'en discuter le déroulement qui, du fait de la prescription encourue, ne peut fonder la responsabilité de l'Etat.

La seule durée de procédure éventuellement susceptible d'établir un déni de justice à raison de son caractère anormal est donc celle de l'information toujours en cours depuis 2008 pour faux et usage et escroquerie au jugement.

A cet égard, les premiers juges ont retenu, dans la production parcellaire des demanderesses, un courrier du juge d'instruction en date du 1er décembre 2016 établissant que de nombreux actes avaient été accomplis pour former deux tomes de dossier, et relevé que de nombreuses personnes étaient concernées, que la multitude des procédures rendait les investigations complexes et que s'y mêlait en outre un élément d'extranéité, avec une commission rogatoire internationale délivrée vers le Congo.

Ils en ont conclu que ces investigations complexes excluaient la caractérisation d'un délai non raisonnable, et en l'absence d'élément nouveau qui modifierait les termes du débat sur ce point, la cour confirmera cette appréciation, qu'elle fait sienne.

Quant enfin au grief de ne pouvoir disposer des biens successoraux, le tribunal, ayant relevé qu'aucune preuve n'était fournie de ce que la succession n'aurait pas été liquidée, a observé qu'en toute hypothèse le service public de la justice ne pourrait être utilement recherché du fait de ce retard, imputable, le cas échéant, au seul litige entre les héritiers. La cour ne trouve pas davantage, dans les éléments qui lui sont soumis, identiques à ceux déjà présentés au tribunal, un quelconque motif de modifier cette pertinente conclusion.

Au résultat de ce qui précède, la décision dont appel sera confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires

L'équité justifie la condamnation in solidum des appelantes à payer à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les appelantes, en tant que parties succombantes, seront condamnées in solidum aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision dont appel en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum Mme [N] [P] veuve [M] et Mme [L] [M] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme [N] [P] veuve [M] et Mme [L] [M] aux entiers dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 18/09868
Date de la décision : 02/03/2021

Références :

Cour d'appel de Paris H4, arrêt n°18/09868 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-03-02;18.09868 ?
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