La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/2021 | FRANCE | N°18/10748

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 24 février 2021, 18/10748


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 24 FEVRIER 2021



(n° 2021/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10748 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NSI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Août 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/05469





APPELANT



Monsieur [L] [C]

[Adresse 1]

Représenté par Me Eric ALLERIT, avo

cat au barreau de PARIS, toque : 28





INTIMEE



SNC L.HOTEL - HOTEL LUTETIA représentée par son gérant en exercice domiciliés audit siège en cette qualité.

[Adresse 2]

Représentée par...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 24 FEVRIER 2021

(n° 2021/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/10748 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NSI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Août 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/05469

APPELANT

Monsieur [L] [C]

[Adresse 1]

Représenté par Me Eric ALLERIT, avocat au barreau de PARIS, toque : 28

INTIMEE

SNC L.HOTEL - HOTEL LUTETIA représentée par son gérant en exercice domiciliés audit siège en cette qualité.

[Adresse 2]

Représentée par Me Isabelle GUERY MATHIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : J061

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [L] [C] a été embauché par la SNC HÔTEL LUTETIA par contrat à durée indéterminée en qualité de chef des cuisines à compter du 1er mars 1991 pour une rémunération équivalente à 3.506 €. En cette qualité, il était en charge de la gestion du personnel des cuisines et des coûts de fonctionnement.

M. [C] était également membre du CODIR, Comité de Direction de l'Hôtel.

En dernier lieu, sa rémunération fixe mensuelle était de 7.533,70 €.

M. [C] a été désigné délégué syndical le 26 août 2008 puis représentant syndical CFTC le 6 novembre 2008.

Estimant avoir été victime d'un blocage de sa rémunération, de la diminution, puis de la suppression d'un tiers de son salaire (la partie variable) à compter du moment où il était devenu représentant syndical, alors même que les rémunérations de l'ensemble des salariés avaient augmenté et, dans de plus fortes proportions, celles des membres du CODIR, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 7 décembre 2012.

Il demandait la condamnation de la société au versement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts, de rappels de salaire fixe et variable et pour préjudice moral, discrimination salariale du fait d'une délégation syndicale.

Dans le cadre de la fermeture de l'hôtel pour rénovation, un PSE était soumis au comité d'entreprise de l'hôtel le 13 décembre 2013 puis homologué par la DIRECTE le 2 janvier 2014.

M. [C] a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique le 9 septembre 2014, l'autorisation ayant été acceptée par l'inspection du travail le 18 septembre 2014.

Le litige prud'homal initié par M. [C] a fait l'objet de deux radiations, le 13 novembre 2014 et le 7 juin 2016.

Par jugement en date du 22 août 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a finalement débouté M. [C] de l'intégralité de ses demandes.

M. [C] a interjeté appel le 21 septembre 2018.

Aux termes de ses ultimes conclusions notifiées par RPVA le 11 décembre 2020, M. [C] présente les demandes suivantes':

- Infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- Condamner la société HÔTEL LUTETIA à lui verser :

* Au titre de la discrimination syndicale ayant entrainé l'absence d'augmentation de son salaire depuis qu'il est représentant syndical pour la période de 2009 à l'année 2014: la somme de 48 990.33 € à titre de dommages intérêts pour la période de 2009 à l'année 2014, outre :

- les intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes du 7 décembre 2012, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour les années 2009 à 2012 soit sur la somme de 15 110,67 €,

- les intérêts de droit à compter du 1er janvier 2014, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour l'année 2013 soit sur la somme de 12 076,47 €,

- les intérêts de droit à compter du 1er novembre 2014, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour la période du 1er janvier 2014 au 31 octobre 2014, soit sur la somme de 21 403,19 €.

* Au titre des rappels de primes contractuellement dues de l'année 2008 à l'année 2014, la somme de 178 685,66 €, outre :

- les intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes du 7 décembre 2012, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour les années 2008 à 2012 soit sur la somme de 124 184,90 €,

- les intérêts de droit à compter du 1er janvier 2014, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour l'année 2013 soit sur la somme de 28 846,47 €,

- les intérêts de droit à compter du 1er novembre 2014, avec application de l'anatocisme, conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil devenu article 1343-2 du même code pour la période du 1er janvier 2014 au 31 octobre 2014, soit sur la somme de 27 654,30 €

*Au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral et perte de chance d'obtenir un prêt liée à son état de santé, condamner la société HÔTEL LUTETIA à lui verser la somme de 300 000 €.

- Annuler la sanction prononcée le 20 décembre 2012 et condamner la société HÔTEL LUTETIA à lui verser la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts du fait de cette sanction abusive et du caractère injurieux et vexatoire de la lettre d'avertissement et de la lettre de confirmation de l'avertissement,

- Condamner la société HÔTEL LUTETIA à lui verser la somme de 10 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence TAZE-BERNARD conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses ultimes conclusions notifiées par RPVA le 20 octobre 2020, la SNC L. HOTEL exerçant sous l'enseigne HOTEL LUTETIA demande à la cour de :

- Constater l'absence de discrimination syndicale,

- Constater que les primes dues ont toutes été versées,

- Constater que les augmentations légales ont toutes été versées,

- Rejeter les demandes de M. [C] sur ces fondements et constater leur incohérence, qu'il s'agisse du principal ou des intérêts,

- Constater l'absence de harcèlement moral,

- Constater la validité de la sanction en date du 20 décembre 2012,

En conséquence :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en date du 22 août 2018

- Débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner M. [C] à payer 4.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [C] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2020.

MOTIFS :

1° Sur la discrimination syndicale.

Il sera observé à titre liminaire que dans le corps de ses conclusions, en page 10, M. [C] sollicite une «'compensation de la non-augmentation de son salaire'» depuis qu'il est représentant syndical, à hauteur de la somme de 48.990,33 euros pour les années 2009 à 2014, ce qui semblerait s'analyser en un rappel de salaire, alors qu'en page 16, il demande cette somme à titre de rappels de salaires et de dommages et intérêts puis dans le dispositif , il demande des «'dommages et intérêts'» de ce chef. En dépit de la confusion de l'appelant au sujet de la nature juridique de la somme qu'il réclame, il s'agit d'apprécier si celui-ci a été l'objet d'une discrimination syndicale durant la relation de travail.

Il s'agira également de préciser le champ de la discrimination alléguée car si M. [C] indique en page 16 de ses conclusions que le montant total de sa réclamation salariale ne concerne pas uniquement la discrimination syndicale mais également le paiement d'une prime annuelle (pour laquelle il formule une demande séparée à hauteur de 178.685,66 €), il fait également état du caractère arbitraire de cette prime dans ses développements relatifs à la discrimination en page 14 notamment.

En troisième lieu, M. [C] sollicite en page 18 de ses conclusions que la cour fasse application des dispositions des articles 133 et 134 du code de procédure civile et condamne avant dire droit la SNC HÔTEL LUTETIA, sous astreinte de 100 € par jour, à verser aux débats, les bulletins de paie au 31 décembre 2007 de l'ensemble des membres du CODIR, pour ceux qui sont rentrés postérieurement à 2007, puis leurs bulletins de paie au 31 décembre de l'année d'entrée au CODIR ainsi que les bulletins de paie de chacun des membres du CODIR au 31 décembre 2013 et au 31 décembre 2014 et, pour ceux qui ont quitté le CODIR avant le 31 décembre 2013, le bulletin de paie correspondant à leur dernière rémunération. Toutefois, il ne reprend pas ces demandes dans le dispositif.

L'article 1132-1 du code du travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé 'Discriminations', dans sa rédaction applicable à l'espèce, prohibe toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte à l'encontre d'un salarié, en raison de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée d'un salarié à une ethnie, une nation ou une race, ou de ses activités syndicales.

En application de l'article L 2141-5 du code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail » Cette interdiction doit être entendue de manière large : elle s'applique non seulement aux discriminations syndicales protégeant toute personne ayant une activité syndicale (délégué syndical, représentant syndical, membre de section syndicale, etc.), mais aussi aux discriminations exercées en raison d'un mandat représentatif que le salarié soit syndiqué ou non (membre du CSE, délégué du personnel, membre du CHSCT, conseiller prud'homme, etc.).

Lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il revient donc au juge d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Lorsque la discrimination alléguée repose sur une comparaison avec d'autres salariés de l'entreprise, le juge doit vérifier les conditions dans lesquelles la carrière du salarié s'est déroulée, mais, sous réserve que ses motifs ne soient pas inopérants, la constitution et la pertinence du panel de comparaison relève de son appréciation souveraine, de même que la constatation de l'existence ou de l'inexistence d'une différence de traitement dans le déroulement de la carrière du salarié.

M. [C] expose avoir fait l'objet d'une discrimination salariale du fait de sa désignation en qualité de délégué syndical puis de représentant syndical au comité d'entreprise formant selon lui une discrimination syndicale au sens de l'article L 2141-5 du code du travail et une violation des dispositions des articles L 3221-2 et L 3221-4 du code du travail. Il soutient qu'à compter de ces désignations, il n'a plus bénéficié d'élévation de son salaire de base alors que dans le même temps la plupart du personnel a bénéficié d'augmentations salariales, notamment les membres du comité d'exécutif dont il faisait pourtant partie. La société conteste pour sa part tout fait discriminatoire.

M. [C] justifie avoir été désigné en qualité de délégué syndical puis de représentant syndical au comité d'entreprise le 26 août 2008 (ses pièces n° 26 à 29), puis représentant syndical CFTC à l'Hôtel Lutetia à compter du 6 novembre 2008 (sa pièce n° 27). Sa fiche de paie du mois d'août 2008 fait apparaître un montant mensuel brut de 7 422 euros alors qu'en septembre 2014, soit six ans plus tard, il n'est que de 7 533,30 euros. Il soutient que son augmentation a été plus de dix fois inférieure à l'augmentation annuelle des autres salariés de la SNC Hôtel Lutetia (en moyenne 2 %) et à peu près 40 fois inférieure à l'augmentation des rémunérations des membres du CODIR (environ 7 %). Il produit dans sa pièce n°73 un tableau de ses rémunérations de 2008 à 2014 inclus faisant apparaître une baisse de celle-ci. Il verse également en pièce 5 un courrier recommandé adressé à son employeur en date du 3 juillet 2011 lui demandant de reconsidérer à la hausse le bonus qu'il méritait au titre de l'année 2010, suivi d'un courrier recommandé de mise en demeure de son avocat en date du 31 mai 2012 aux fins de régularisation salariale de son client (sa pièce 9). Il verse dans sa pièce n°81 un tableau de l'évolution des rémunérations des membres du CODIR (MM [T], [Y], [P] et lui-même) faisant apparaître pour les trois premiers une évolution favorable de leur pouvoir d'achat alors qu'il subissait pour sa part une baisse de 2,43%. Sa pièce n°82 fait apparaître un tableau reprenant l'évolution à la baisse de sa rémunération depuis 2008. Il se prévaut de lettres faisant état de ses qualités professionnelles (ses pièces n° 2 à 6).

Ces faits pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination et dès lors il convient d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Tout d'abord, les bulletins de paie que la SNC LUTECIA verse en pièce 3 font apparaître que les montants de salaire mensuel brut de M. [C] (sans prise en compte du 13 ème mois et de l'indemnité de nourriture) ont évolué légèrement à la hausse même après sa prise en charge des mandats syndicaux et au moins jusqu'en avril 2009. Il percevait ainsi 7.422,00 euros d'avril 2008 à mars 2009 puis sa rémunération passait à 7.496 euros jusqu'en avril 2009 et 7533,70 euros à partir de septembre 2009 jusqu'en 2014. La stabilité de la rémunération de base sur cette dernière période se trouve justifiée par l'employeur au travers de sa pièce 32 qui représente un protocole d'accord relatif à la négociation annuelle obligatoire au titre de l'année 2010 et qui ne prévoyait pas d'augmentation collective pour les cadres dirigeants dont M. [C] faisait partie. En effet, il n'existait qu'une augmentation générale de 2% pour les salaires jusqu'à hauteur de 2 885 euros bruts au 1er janvier 2010 puis une augmentation de 1% pour les salaires supérieurs à ce plafond jusqu'à 4 000 euros bruts au 1er mars 2010. La rémunération de M. [C] se situait bien au-delà de ce plafond.

S'agissant des membres du Comité Executif , il ressort des contrats de travail et bulletins de salaire versés aux débats par l'employeur (ses pièces 27 et 28) que M. [T], en sa qualité de directeur général, bénéficiait d'un salaire mensuel brut de 11 000 euros en juin 2009 qui était toujours identique en janvier 2014. M.[Y], directeur administratif et financier, percevait une rémunération mensuelle brute initiale de 7 000 euros, contractuellement portée à 7250 euros à l'issue d'un délai de six mois, demeurée inchangée en janvier 2014.

Le tableau produit par l'employeur en annexe de la réponse qu'il a adressée le 8 octobre 2015 au conseil de M. [C], suite à sa sommation de communiquer, démontre que le salaire de M. [C] était le deuxième salaire le plus important de la société.

La SNC Hôtel Lutécia fait valoir à bon droit que la pièce 81 dont se prévaut M. [C] et qui est intitulée « Evolution des rémunérations des membres du CODIR » fait état dans une colonne intitulée « 2014 » des salaires des personnes visées en les présentant comme étant la conséquence d'une augmentation obtenue cette année-là, alors que les pièces versées par l'employeur démontrent - ainsi que dit précédemment - que les rémunérations de MM [T] et [Y], notamment, n'avaient pas changé depuis plusieurs années.

Contrairement, aux dires du salarié, l'employeur a bien produit les documents chiffrés permettant d'apprécier les situations salariales de nombreux membres du personnel - dont les membres du CODIR - ainsi que l'évolution de celles-ci.

Ensuite, aux termes d'un courrier du 3 juillet 2011 versé dans sa pièce 5 , M. [C] contestait le montant de sa prime, non pas en raison d'une discrimination syndicale mais remettait en cause la méthode de calcul. Il soutenait que l'analyse budgétaire mise en 'uvre par l'employeur impactait défavorablement la grande majorité des salariés. Il s'agissait donc bien d'un désaccord sur le plan de rémunération variable affectant selon lui le personnel plutôt que d'une discrimination syndicale à son endroit. Du reste, l'employeur objectait pertinemment que si ce courrier mettait en cause le calcul des rémunérations variables et de l'intéressement, il n'était pour autant fait aucun reproche à l'hôtel au sujet d'une quelconque inégalité des traitements de base. En toute hypothèse, le tableau versé par l'employeur dans sa pièce 36 démontrait que le calcul du GOP (gross operating profit ou excédent brut d'exploitation) servant de base au calcul de la prime avait été effectué de façon identique pour tous les salariés; ce qui établissait ici encore qu'aucune discrimination ne pouvait avoir été faite sur ce point également à l'encontre de M. [C].

Il résulte plutôt de tout ce qui précède que la société LUTETIA apporte des éléments chiffrés permettant d'affirmer que les faits articulés par M. [C] sont justifiés par des'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La demande indemnitaire de ce dernier sur le fondement de la discrimination syndicale sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

2° Sur la demande de rappels de primes au titre des années 2008 à 2014

M. [C] expose que la SNC LUTETIA a imaginé un calcul de primes extrêmement sophistiqué, permettant à l'employeur, de fixer de manière totalement discrétionnaire et arbitraire les dites primes; aucun critère clair ne permettant d'en vérifier le caractère objectif. Il prétendait, contrairement à ce qu'indiquait la SNC HÔTEL LUTETIA dans ses écritures, n'avoir jamais, ni maîtrisé, ni défini ses objectifs ainsi que les documents remis par l'employeur. Il ajoute que sa lettre du 3 juillet 2011 (sa pièce n° 5) démontre que la définition de la prime d'objectifs était réalisée au bon vouloir de l'employeur et non de manière objective; ce que conteste l'employeur.

Il ressort des éléments versés aux débats, que les primes étaient fixées conformément à un plan de rémunération variable annuel remis à chaque fois au salarié et signé par ses soins ainsi qu'en attestent les documents versés en pièce n°1 de l'employeur couvrant la période de 2006 à 2012 inclus. Le plan de rémunération signé chaque année par M. [C] expliquait clairement ce qu'était le GOP ainsi que les conditions d'attribution de la prime. Les objectifs individuels étaient fixés avec le salarié ainsi qu'en attestent les échanges de courriels entre MM [C] et [T] (Pièce n°2 de l'employeur).Les rapports des commissaires aux comptes versés en pièce 59 de la SNC Hôtel LUTETIA sur la période de 2008 à 2014 certifiaient les comptes annuels et appréciaient nécessairement dans leur intégralité la régularité et la sincérité de toutes ses composantes.

Alors que ces plans de rémunération variable annuels étaient en vigueur depuis 2006, M. [C] en contestait pour la première fois la méthode de calcul dans son courrier daté du 3 juillet 2011 auquel l'employeur répondait dès le 26 août suivant.

En toute hypothèse, les fiches de paie versées aux débats démontrent qu'hormis l'année 2009 où les objectifs collectifs n'avaient pas été atteints et en 2010 où il avait été décidé de ne pas mettre en 'uvre de plan de rémunération variable en 2009 du fait de l'impact de la crise hôtelière sur les résultats de l'hôtel, le salarié avait reçu, en application des plans de rémunération variable annuels correspondants, les primes suivantes':

- mars 2008 : 10.539 euros

- mars 2011 : 5.146 euros

- mars 2012 : 11.458 euros

- 2013 : 5 288 euros (2 644 euros de prime sur objectifs conformément au plan de rémunération signé par le salarié et 2644 euros de prime exceptionnelle)

Le versement des montants précités contredit manifestement les allégations de M. [C] en page 23 de ses conclusions, selon lesquelles la SNC HÔTEL LUTETIA, qui «'ne souhaitait manifestement pas payer les primes, cherchait au contraire à les faire disparaître progressivement, et avait mis au point un système de calcul rendant impossible l'obtention d'une prime'».

Il résulte de tout ce qui précède que les demandes de ce dernier tendant à obtenir des rappels de primes pour les années 2008 à 2014 se révèlent infondées et le jugement sera confirmé de ce chef.

3° Sur le harcèlement moral.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [C] expose que, n'ayant pas reçu de réponses satisfaisantes aux questions relatives à ses primes, il s'était vu contraint de saisir le conseil de prud'hommes en décembre 2012. Il souligne, qu'à partir de cette période, sa situation se serait aggravée car il aurait subi des pressions et un harcèlement de sa hiérarchie dans le but qu'il renonce à sa procédure et qu'il accepte une somme forfaitaire très faible (de l'ordre de 20 000 €) et si possible qu'il démissionne, puisque le programme de la SNC HÔTEL LUTETIA était la fermeture de l'établissement à court terme, économisant ainsi le coût d'un licenciement. Du fait du stress créé par la pression permanente dont il était l'objet, M. [C] soutient avoir été victime d'un accident cardiaque très lourd, qui a entraîné son hospitalisation et qui a toujours aujourd'hui des conséquences graves sur son état de santé. Il se prévaut de deux arrêts maladies en date du 8 août 2014 et du 6 décembre 2014, qui font état d'une dépression nerveuse et de rapports médicaux. Ainsi, le salarié établit des faits, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur objecte néanmoins à bon droit que l'absence de versement de prime sur une année ainsi que la baisse éventuelle de sa prime d'objectif relèvent de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur. Surtout, il vient d'être démontré que M. [C] n'a nullement été évincé d'une quelconque prime.

Ensuite, la convocation à un entretien préalable en date du 22 novembre 2012 ne pouvait manifestement constituer une pression exercée en vue d'un abandon de la saisine du conseil de Prud'hommes dès lors que ce dernier n'était même pas saisi.

Les éléments médicaux précités ne permettent pas d'établir que le préjudice allégué pourrait être imputé à l'hôtel ni encore moins qu'ils seraient la conséquence d'un harcèlement commis au sein de l'hôtel antérieurement au licenciement. La cause de ces arrêts peut d'autant moins être imputée à l'hôtel Lutetia que M. [C] était déclaré apte sans aucune réserve par le médecin du travail en février 2014 (sa pièce n°26). En outre, ses problèmes de santé n'ont nullement été reconnus par la CPAM au titre d'une quelconque maladie relevant de la législation relative aux risques professionnels (pièce n°72 de l'employeur). L'employeur justifie en outre de ce que l'état de santé de M.[C] ne faisait pas obstacle à sa participation régulière à des activités professionnelles et sociales durant ses arrêts maladie successifs (pièces 40 à 50 de l'employeur).

Enfin, conformément aux recommandations de l'accord-cadre européen relatif à la lutte contre le harcèlement et les violences au travail du 26 avril 2007, une enquête interne à l'hôtel Lutecia a été réalisée par une psychologue du travail, Mme [S] [A] et 23 salariés de l'Hôtel ont été interrogés dans le cadre de cette enquête dont le rapport a été soumis au CHSCT (Pièces n°8 et 20 de l'employeur). Aucun fait de harcèlement moral n'a pu être objectivé aux termes de ce rapport. Celui-ci a été présenté au CHSCT lors de la réunion extraordinaire qui s'est tenue le 29 juillet 2013, en présence de Mme [A] et du Docteur [V], Médecin du travail et aucune attitude harcelante à l'égard de M. [C] n'a été retenue. (Pièce n°20)

Ainsi, la société démontre que les faits établis par M. [C] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sa demande indemnitaire sera rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef.

4 - Sur la demande d'annulation de la sanction prononcée le 20 décembre 2012

Par courrier recommandé du 22 novembre 2012, M. [C] a fait l'objet d'une convocation pour une éventuelle sanction et le 20 décembre 2012, il s'est vu notifier un avertissement. Il le conteste en indiquant que les faits ne sont pas établis et qu'ils participent plutôt d'une démarche vexatoire de la part de l'employeur; ce que ce dernier conteste.

En cas de contestation d'une sanction, le contrôle judiciaire du pouvoir disciplinaire s'exerce sur :

- la qualification du fait fautif qui justifie la sanction

- la proportionnalité de la sanction au fait fautif

- la régularité de la procédure.

Le juge apprécie si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur doit fournir au juge les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié, le juge forme sa propre conviction. Le juge peut ordonner, si besoin est, toutes les mesures d'instruction utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié (article L. 1333-1 du code du travail).

Le juge doit vérifier que les faits reprochés existent bien, que ces faits sont bien fautifs, et que la faute ne constitue pas un prétexte pour infliger une sanction au salarié. Au vu de l'article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction injustifiée, disproportionnée à la faute commise, ou irrégulière en la forme. Lorsque le juge annule une sanction disciplinaire, il peut, si cela lui est demandé, accorder des dommages et intérêts au salarié. Pour cela, le salarié doit établir l'existence d'un préjudice distinct qui n'est pas entièrement réparé par l'annulation. Le montant des dommages et intérêts est apprécié souverainement par les juges du fond.

En l'espèce, l'employeur justifie précisément au travers de courriels versés aux débats par plusieurs salariés du service de nuit de ce que dans la nuit du 25 au 26 octobre 2012, M. [C] s'était installé au bar de l'hôtel avec plusieurs clients, dont l'un avait allumé un cigare puis avait incité les clients des autres tables à fumer. Non seulement M. [C] n'avait pas dissuadé ce client d'agir de la sorte mais en outre, il avait participé à l'agitation ambiante, transformant le bar en un espace bruyant incompatible avec le standing de l'hôtel (Pièce n°5). En début d'année 2011, il avait pourtant été demandé aux salariés, dont faisait partie M. [C], de faire respecter la loi anti-tabac. (pièce 6). Dans ces conditions, l'avertissement du 20 décembre 2012 apparaît fondé et n'est nullement vexatoire. Il n'y a donc pas lieu de l'annuler et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes.

Il y a lieu d'allouer une somme de 2000 euros à la société Hôtel Lutetia sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du date du 22 août 2018.

CONDAMNE M. [L] [C] à verser une somme de 2000 euros à la SNC L.HÔTEL exerçant sous l'enseigne HOTEL LUTETIA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE M. [L] [C] aux dépens.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 18/10748
Date de la décision : 24/02/2021

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°18/10748 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-02-24;18.10748 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award