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17/02/2021 | FRANCE | N°18/17695

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 17 février 2021, 18/17695


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 17 FÉVRIER 2021



(n°037/2021, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 18/17695 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6B55



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juin 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 17/37860





APPELANTE



SARL LEICHEM

Agissant poursuites et diligences de ses repr

ésentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [Localité 5] sous le numéro 349 960 153

[Adresse 3]

[Localité 5]



R...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 17 FÉVRIER 2021

(n°037/2021, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 18/17695 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6B55

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juin 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 17/37860

APPELANTE

SARL LEICHEM

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [Localité 5] sous le numéro 349 960 153

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018, avocat postulant

Assistée de Me Michel PONSARD de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261, avocat plaidant

INTIMÉE

Société INOVYN BELGIUM, société de droit belge

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Enregistrée sous le numéro d'entreprise 0466.279.394

[Adresse 6]

[Localité 2] (BELGIQUE)

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

Assistée de Me Jean-Daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Décembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Dominique GILLES, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, présidente de chambre

Monsieur Dominique GILLES, conseiller

Madame Sophie DEPELLEY, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE

ARRÊT :

contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Madame Marie-Laure DALLERY, présidente de chambre et par Madame Karine ABELKALON, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

***

La société de droit belge Inovyn Belgium est un producteur de polychlorure de vinyle (PVC), né en tant que l'entreprise commune annoncée en 2013 des groupes industriels Solvay et Inéos, qui étaient déjà engagés séparément dans cette activité, mais qui ont voulu unir leurs capacités pour devenir un fournisseur de premier plan. Après le retrait du groupe Solvay, la société Inovyn Belgium est passée en totalité, en 2016, sous le contrôle du groupe Inéos.

La SARL Leichem a pour activité le négoce international de produits chimiques, notamment de PVC.

Un contrat de distribution pour l'Algérie a été conclu entre la société de droit belge Solvay et la société Leichem, le 1er septembre 2002, d'une durée indéterminée et non exclusif. Ce contrat a fait l'objet d'un avenant le 1er Août 2013, qui a élargi le territoire des ventes à l'Irak, l'Iran, la Lybie, Malte, la Tunisie, le Yémen et la Turquie.

Les sociétés Solvay, Solvin et Inovyn ont successivement fourni du PVC à la société Leichem.

Par lettre du 25 janvier 2016, réitérée le 24 février 2016, la société Inovyn a notifié à la société Leichem la fin du contrat conclu en 2002, avec mise en oeuvre du préavis contractuel de 6 mois, se terminant le 31 juillet 2016.

La société Leichem considère avoir noué des relations d'affaires depuis 1988 avec la défenderesse ou les sociétés au droit desquelles elle estime que celle-ci se substitue juridiquement et donc économiquement.

La société Leichem se plaint que non seulement le préavis contractuel n'a pas été respecté par le fournisseur, mais encore que ce préavis était en lui-même insuffisant pour que la rupture ne soit pas brutale. La société Leichem a exigé en vain du fournisseur une indemnisation du préjudice résultant de son manque à gagner.

Par acte extrajudiciaire du 5 juin 2017, la société Leichem a assigné la société Inovyn Belgium devant le tribunal de commerce de Paris, aux fins d'obtenir notamment réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 12 juin 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté 'la SARL Leichem de sa demande au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies' et 'condamné la société de droit belge Inovyn Belgium à payer à la SARL Leichem la somme 737 025 euros au titre de l'exécution du préavis accordé, non exécuté',

- débouté la SARL Leichem de sa demande pour abus de position dominante,

- condamné la société de droit belge Inovyn Belgium à payer à la SARL Leichem la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société de droit belge Inovyn Belgium aux dépens.

Le 13 juillet 2018, la société Leichem a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.

Vu les dernières conclusions de la société Leichem, notifiées et déposées le 2 novembre 2020, demandant à la Cour de : 

- vu l'article L.442-6.I.5° du code de commerce ;

- infirmer le jugement entrepris ;

- dire que compte tenu de la relation commerciale établie depuis plus de 28 ans entre les parties et de sa dépendance économique, un préavis de 36 mois était nécessaire ;

- constater qu'elle n'a bénéficié dans les faits d'aucun préavis effectif de la part d'Inovyn; - constater le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies ;

- en conséquence

- condamner la société Inovyn à lui payer une somme de 25 668 000 euros en réparation de la brutalité de la rupture qu'elle a subie, 'somme à parfaire des intérêts légaux' ;

- condamner la société Inovyn au paiement de la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Inovyn aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Inovyn Belgium, notifiées et déposées le 9 novembre 2020, demandant à la cour d'appel de Paris de :

- vu l'article L. 442-6.I.5° (ancien) du code de commerce ;

- dire irrecevable et mal fondé l'appel formé par La société Leichem ;

- l'en débouter ;

- dire recevable et fondé son appel incident ;

- y faisant droit ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'elle a valablement notifié la rupture le 15 janvier 2016, oralement puis par écrit ;

- dire que la société Leichem ne démontre pas l'existence d'une relation commerciale « établie » depuis 1988, de sorte que le préavis de 6 mois effectif qu'elle lui a été accordé constitue un préavis suffisant au regard du droit positif ;

- infirmer sur ce point le jugement entrepris, en ce qu'il a retenu sans preuve que la relation litigieuse constituait une relation commerciale établie depuis le 1er septembre 2002 ;

- subsidiairement, dire qu'aucune rupture « brutale » n'est intervenue en l'espèce puisque la rupture litigieuse était prévisible et que la société Leichem a elle-même admis l'existence d'un risque de rupture avant même que celle-ci lui soit notifiée ;

- confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que le préavis accordé de 6 mois était suffisant et que la rupture des relations n'a pas été brutale ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'elle n'avait pas respecte le préavis de 6 mois ;

- dire que la société Leichem n'administre pas la preuve d'un préjudice ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 737 025 euros à la société Leichem au titre de l'exécution du préavis prétendûment partiellement non exécuté ;

- débouter la société Leichem de toutes demandes contraires ;

- en tout état de cause ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus ;

- condamner la société Leichem à lui payer une somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.

SUR CE, LA COUR

- Sur la durée des relations commerciales établies

Selon la société Leichem, ses relations commerciales avec la société Inovyn Belgium ont duré 28 ans ; sur ce point elle demande l'infirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris qui a fixé le début des relations au 1er septembre 2002, alors que selon elle, elles ont commencé en 1988. Elle précise qu'elle a démarré son activité en 1988 grâce à l'accord qu'elle a passé avec la société Solvay, pour la commercialisation de produits PVC en Lybie, et qu'il s'en est suivi un courant d'affaires régulier et croissant, sans interruption. A cet égard, la société Leichem affirme que la société Solvin a poursuivi la relation initialement nouée avec la société Solvay, puis que la société Inovyn l'a continuée également et qu'il s'est agi d'une même relation continue. Au soutien de sa prétention, elle fait valoir que les factures émises par la société Solvay puis par la société Solvin ont concerné les mêmes produits et qu'il y a eu transmission universelle de patrimoine s'inscrivant dans le cadre d'apports d'actifs aux fins de constitution de la joint-venture dont est née la société Inovyn. La société Leichem fait observer que si elle ne peut produire des factures antérieures à 1998, pour des raisons notamment liées à la prescription fiscale, elle produit toutefois une attestation de son expert-comptable et de son commissaire aux comptes.

La société Inovyn Belgium affirme au contraire que la société Leichem ne démontre pas l'existence de relations commerciales établies depuis 1988, dès lors que celle-ci ne prouve pas qu'il existait un flux d'affaires régulier stable et significatif avec ses cocontractants successifs et qu'elle ne démontre pas davantage comment reprendre un tel flux au titre de la relation commerciale litigieuse, dès lors qu'elle fait valoir n'avoir été constituée qu'en 2015.

Tout d'abord, la société Inovyn Belgium soutient que la société Leichem ne produit aucune pièce de nature à démontrer l'existence d'un flux d'affaires entre elle et ses cocontractants successifs pour la période comprise entre 1988 et 1998. Elle expose que le rapport du gérant de la société Leichem relatif à l'exercice 2018 évoque une relation commerciale de seulement '15-18 ans'. Elle ajoute que ni les attestations produites par la société Leichem ni la lettre du cabinet d'expert-comptable ne sont probantes

La société Inovyn Belgium soutient que si pour la période 1998-2015 la sociétéLeichem produit des factures, elle ne communique, pour les années 2002 et 2004, que l'extrait de son logiciel comptable qui ne précise pas les volumes, et que pour l'année 2005 aucun flux significatif ne peut être allégué. Elle ajoute que le tableau établi par la société Leichem n'est pas probant, puisque l'étude des seules factures produites par elle pour l'année 2004 démontre que les montant figurant au tableau sont inexacts.

La société Inovyn Belgium expose que les relations nouées entre la société Leichem et les sociétés Solvay puis Solvin ne peuvent pas être prises en compte, dès lors qu'elle ne leur succède pas de plein droit ; elle ajoute qu'elle n'a jamais exprimé d'intention claire de poursuivre ces relations.

La société Inovyn Belgium expose qu'aucun transfert universel de patrimoine n'est intervenu en 1999 entre la société Solvay et la société Solvin, dès lors que les trois conditions imposées par le droit belge pour ce faire ne sont pas remplies.

Ainsi, la période entre 1988 et 1999 ne doit pas être prise en compte, selon la société Inovyn Belgium.

La société Inovyn Belgium ajoute que le contrat conclu en 2002 entre la société Solvin et la société Leichem n'exprime pas la volonté de celle-là de poursuivre la relation initiale nouée par la société Leichem et la société Solvay. Ainsi, selon elle, seule la période comprise entre 2002 et juillet 2016 pourrait être intégrée, le cas échéant, dans le raisonnement.

Enfin, la société Inovyn Belgium affirme que seule la période comprise entre 2005 et juillet 2016 devrait être prise en compte dès lors que l'étude des factures produites aux débats par la société Leichem démontre que les volumes de vente étaient modestes pour la période antérieure à 2005. Elle demande par conséquent en définitive à la Cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce, qui a retenu que la signature du contrat en 2002 constituait le point de départ des relations commerciales établies.

Sur ce :

Même à supposer que les conditions soient réunies pour considérer que la société Leichem, créée en 1989, a continué par accord entre les parties des relations commerciales nouées en 1988, avant son immatriculation, il doit être retenu à cet égard que le flux d'affaires, son importance et, par conséquent, les éléments permettant de dire qu'il y aurait eu, dès cette époque, des relations commerciales établies ne sont nullement démontrés. L'attestation de l'expert comptable de la société Leichem ne rapporte aucune connaissance directe et vérifiable du praticien et n'est nullement probante pour la période 1988-1998, cette dernière date étant celle du début des séries de factures produites.

Or, sont produites en cause d'appel les factures établies à l'adresse de la société Leichem depuis 1998, y compris, en dernier lieu, celles des années 2002 et 2004, ensemble qui démontre un courant d'affaires continu important voire très important depuis 1998 entre, d'une part la société Leichem et, d'autre part et successivement : la société Solvay, la société Solvin et la société Inovyn. Les montants annuels pour les années 1998 et 1999 concernent des centaines de tonnes. En 2005, selon les factures, plusieurs centaines de tonnes de produit ont été facturés, le flux étant également significatif.

En outre, les factures démontrent que lorsque la société Solvay a été remplacée par la société Solvin, en 1999-2000, ce nouveau partenaire a expressément demandé que les paiements soit effectués sur le compte ouvert dans les livres de Fortis Banque au nom de Solvay-CICC SA n°[XXXXXXXXXX04], soit le même compte que celui qui était indiqué par Solvay (voir par exemple la facture n° 1095036810 du 10 décembre 1999 à l'en-tête de Solvay export), étant encore observé que le contact fournisseur indiqué sur les factures est le même, à savoir Mme [X] [F] ayant une adresse courriel [Courriel 1].

Certes, lorsque la société Solvin a été remplacée par la société Inovyn Belgium, à compter de 2016, la référence bancaire et le titulaire du compte de règlement ont été simultanément modifiés, puisqu'il s'agit d'un compte ouvert dans une autre banque au nom de la société Inovyn.

Néanmois, constituent des éléments de preuve suffisants de l'intention de la société Inovyn de continuer la relation commerciale antérieureurement entretenue par la société Solvin, non seulement l'identité sans changement de la personne chargée du contact, Mme [D] [J], mais surtout le propre aveu de la société Invovyn Belgium contenu dans les lettres qu'elle a adressées à la société Leichem pour mettre fin au contrat de 2002, qu'elle n'avait pas personnellement conclu, puisque c'était la société Solvay.

C'est ainsi que M. [K], au nom de la société Inovyn Belgium, a écrit en ces termes à la société Leichem une lettre datée du 25 janvier 2016, indiquant pour objet la résiliation du contrat de distribution :

'Par la présente, nous vous informons de notre décision de mettre fin au contrat qui lie nos deux sociétés et qui a été conclu le 1er septembre 2002.

En application de l'article 10 du contrat susmentionné, il est mis fin au contrat moyennant le délai contractuel de préavis de 6 mois, prenant cours le 1er février 2016 pour se terminer le 31 juillet 2016.'

Cette lettre démontre l'intention non équivoque de la société Inovyn Belgium de poursuivre avec la société Leichem la relation commerciale antérieurement entretenue avec la société Leichem par la société Solvin.

Il résulte de ces éléments que le début des relations commerciales établies ne remonte pas à 2002, ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce en fonction des pièces qui avaient été produites devant lui, mais qu'elles datent en réalité du début de l'année 1998.

En l'absence de modification substantielle des relations commerciales établies causées par le contrat de 2002, il ne peut peut-être déduit de la rédaction de ce contrat que les relations antérieures ne devraient pas être prises en considération.

- Sur la brutalité de la rupture

Selon la société Leichem, le préavis que la société Inovyn Belgium aurait dû lui accorder devait être de 36 mois pour tenir compte de la fermeture du marché de la fourniture du PVC aux distributeurs, eu égard à l'effet cumulatif des contrats de distribution avec un seul distributeur, au temps de test nécessaire pour convaincre un nouveau producteur et au temps nécessaire pour développer une activité équivalente à celle qu'elle a pu connaitre par le passé avec la société Inovyn. Elle ajoute qu'elle était dépendante économiquement de cette société, dont les produits représentaient une moyenne sur les trois dernières années, de 2013 à 2015, de 82,7% de son chiffre d'affaires total. Elle demande ainsi à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris, lequel a retenu qu'elle s'était placée elle-même dans cette situation de dépendance économique.

Concernant son état de dépendance économique, la société Leicheim affirme, en invoquant un rapport d'économiste, que sa dépendance économique envers la société Inovyn Belgium résulte de la structure du marché elle-même imposée par les fournisseurs qui obligent les distributeurs à ne travailler qu'avec un seul producteur de PVC.

Elle ajoute qu'elle a su tisser un réseau de client en Afrique du nord et en Turquie, grâce à ses seuls efforts et investissements.

La société Leichem expose que la société Inovyn Belgium a exercé régulièrement des pressions sur elle. Ainsi elle fait valoir qu'à la fin de l'année 2014, elle lui a fait acheter des quantités importantes de produits à des prix trop élevés qui ont entrainé une perte de 2,4 millions de dollars.

La société Leichem précise qu'elle ne pouvait pas se tourner vers d'autres fournisseurs tels que les sociétés Kem One ou Vynova

La société Leichem ajoute que les autres marchés, tels que les marchés algériens, iraniens et égyptiens, ne représentent pas des alternatives crédibles au marché turc.

Enfin, la société Leichem fait observer que plus de 24 mois après la notification de la fin de leurs relations par la société Inovyn, elle n'a toujours pas trouvé de partenaire équivalent pour assurer la continuité de son activité, son chiffre d'affaires ayant été divisé par deux en 2016 et par trois en 2017. Elle soutient qu'elle a pourtant multiplié les tentatives pour se retourner.

Concernant la durée du préavis, la société Leichem précise que la société Inovyn ne peut valablement s'appuyer sur la durée maximale de préavis de 18 mois dont dispose le nouvel article L.442-1 du code de commerce, alors que ces dispositions ne sont pas applicable à l'espèce.

La société Inovyn Belgium soutient au contraire que la durée du préavis, de 6 mois et demi, accordé à la société Leichem était suffisante pour que celle-ci puisse se réorganiser.

La société Inovyn Belgium affirme que l'argument avancé par la société Leichem selon lequel elle était en état de dépendance économique est mal fondé, dès lors qu'elle ne démontre pas qu'elle ne disposait d'aucune solution alternative alors même qu'elle n'était liée par aucune exclusivité et qu'elle pouvait s'orienter vers d'autres fournisseurs de PVC notamment pour le marché algérien. Elle ajoute que le résultat de la société Leichem en 2018 a progressé, ce qui démontre qu'elle a pu la substituer. Elle ajoute que si la société Leichem a été dans une situation de dépendance économique, elle s'y est placée par choix.

Elle affirme également que les pièces produites aux débats par la société Leichem ne sont pas de nature à démontrer que 36 mois constituaient un délai nécessaire pour mettre en 'uvre des solutions alternatives. Elle soutient que la société Leichem n'a jamais été tenu d'observer une obligation d'exclusivité, que le PVC est un produit de commodité qui ne présente aucune caractéristique particulière, que la société Leichem n'a jamais réalisé d'investissement propre à assurer la distribution des produits, qu'il existe de nombreux offreurs concurrents et que la société Leichem était en mesure de distribuer d'autres produits que le PVC tels que la mélanine.

La société Inovyn Belgium ajoute que les mails versés aux débats par la société Leichem pour démontrer qu'elle aurait multiplié les contacts pour trouver une solution alternative sont dénués de pertinence.

La société Inovyn Belgium produit des rapports d'économistes indiquant que plusieurs solutions alternatives d'approvisionnement s'offraient à la société Leichem telles que la société Kem One, producteur français pour lequel la Turquie constituait un marché stratégique, la société Vynova, les différents fournisseurs nord-américains, ou encore la société coréenne LG Chem LTD.

La société Inovyn Belgium affirme également qu'il existe des opportunités de développement en Algérie ou encore en Egypte, pour la société Leichem.

Elle affirme que la société Leichem a bénéficié de solutions satisfaisantes pour pallier l'effet de la rupture.

Sur ce :

La Cour considère que la notification de la résiliation ayant été faite non seulement par lettre recommandée adressée à l'adresse contractuelle de la société Leichem, sans que celle-ci oppose valablement à la société Inovyn la connaissance de son changement d'adresse, en l'absence de preuve de notification expresse par le distributeur de son changement d'adresse, mais encore et surtout par un courriel du même jour, ainsi que le prouve le jugement entrepris. Il y a donc lieu de retenir que l'écrit notifiant la fin des relations commerciales établies, ainsi que le début du préavis, date bien du 25 janvier 2016, de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.

Nonobstant la connaissance de certains risques résultant de la fusion avec le groupe Inéos ayant donné naissance à la société Inovyn, le caractère imprévisible de la rupture résulte notamment en l'espèce d'un courriel de la société Inovyn adressé à la société Leichem le 1er octobre 2015, soit seulement quelques semaines avant la notification de la rupture, lui demandant, à cause du bas niveau des prix, de maximiser les volumes vendus en Afrique du Nord en raison du niveau de prix relativement bons dans ces pays, en opposition avec la Turquie dans laquelle était subie un bas niveau des prix (pièce n°40 de la société Leichem). Alors que les données du marché étaient bien connues des parties pour cette période de la fin d'année 2015, la société Leichem s'est trouvée en situation de légitimement croire qu'elle continuerait à travailler avec la société Inovyn dans des proportions significatives en comparaison de ce qui se passait avec la société Solvin avant la fusion ayant donné naissance à la société Inovyn.

C'est donc vainement que la société Inovyn, à l'appui de son argumentation sur la connaissance par la société Leichem de la précarité de la relation commerciale, oppose : les données rapportées dans les documents sociaux de la société Leichem, la prétendue dégradation des relations entre les société Leichem et Solvin au début de 2015, la prétendue priorité donnée au marché européen par la société Solvin (ou Inovyn) ou encore les cessions d'actifs exigées par la Commission européenne lors de la création d'Inovyn.

S'agissant de l'appréciation de la durée du préavis suffisant, au regard des dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce applicables à la date des faits, il convient de se référer à la durée des relations commerciales établies déjà indiquée, soit une durée de l'ordre de 18 ans, ainsi qu'aux autres circonstances.

A cet égard il doit être souligné que malgré l'ancienneté de la relation commerciale, le contrat de distribution de 2002 a fait l'objet d'une renégociation en 2013, puisque le territoire des ventes a été significativement étendu, soit seulement environ trois années avant la rupture litigieuse, sans pour autant que les parties ne prévoient de rallonger le délai de préavis stipulé qui est resté à 6 mois.

Compte tenu des circonstances de la cause, ce fait est un indice que les parties, qui étaient en relation partenariale forte, considéraient à cette époque que la durée nécessaire pour réorienter l'activité de la société Leichem n'excédaient pas cette durée.

A cet égard, si les relations privilégiées entre la société Leichem et la société Solvin, qui ont culminé en 2014, ont reposé sur des pratiques d'achats importants avec paiement d'avance qui étaient sollicitées par le fournisseur, la Cour retient en particulier que la société Leichem n'établit pas d'exclusivité ni de réelle dépendance économique avec la société Inovyn, puisqu'il s'est agi de son choix de se fournir massivement auprès de ce fournisseur. Nulle contrainte due à la structure du marché ou aux exigences des fournisseurs n'est justifiée en l'espèce. La société Leichem n'établit pas davantage qu'elle s'est trouvée début 2016, après l'annonce de la rupture, en difficulté pour réorienter ses sources d'approvisionnement en direction d'autres fournisseurs. Curieusement, les démarches après l'annonce de la rupture dont elle fait état à cet égard datent essentiellement du mois d'avril 2016 (pièce société Leichem n°22) et apparaissent donc tardives. Dans ces conditions la diminution du chiffre d'affaires en 2016 de la société Leichem n'apparaît pas significative d'une difficulté particulière imputable à la société Inovyn pour réorienter les approvisionnements en direction d'autres fournisseurs.

Il est établi d'ailleurs, s'agissant des fournisseurs alternatifs, que la société Leichem, ainsi qu'elle l'indique dans son rapport de gestion annuel 2018, a pu avoir recours à la société Vynova et elle ne prouve pas qu'elle n'a pas pu accéder au producteur français Kem One, notamment pour le marché turc.

Il n'est pas prouvé que la société Leichem n'a pas pu bénéficier d'opportunités pour des marchés internationaux en raison d'une trop brève durée du préavis annoncé.

Il est établi également par ses rapport sociaux annuels que la société Leichem a pu intervenir sur d'autres marchés que celui du PVC, en particulier celui de la mélamine et qu'elle a su trouver des fournisseurs alternatifs de PVC aux Etats Unis.

La Cour souligne particulièrement qu'au moment de la rupture et sur la période de préavis de 36 mois visée par la société Leichem, que des événements de grande ampleur et exceptionnels se sont imposés à tous les acteurs du marché du PVC, avec effet de le fragiliser, en particulier l'instabilité particulière du prix du pétrole brut, conditionnant le coût de revient. Dans son rapport annuel de gestion 2018, la société Leichem compte également au nombre des difficultés ayant entravé son activité les tensions géoplitiques ayant affecté le négoce international avec des pays inclus dans son territoire des ventes.

Il est également démontré que si des circonstances particulières - dues notamment à la reconnaissance de la société Solvin envers la société Leichem pour lui avoir apporté de la trésorerie de fin d'année en acceptant, malgré les perspectives en réalité baissières du marché dues à la baisse des cours du pétrole, de hâter des achats avec paiements d'avance - ont conduit à de gros chiffres d'affaires en 2012, 2013 et surtout 2014, la société Leicheim était particulièrement consciente du caractère aléatoire du maintien de telles perspectives et même du risque de rupture de la relation commerciale dans le cadre de la création de la société Inovyn, le producteur Inéos étant qualifié de principal concurrent sur les marchés turc, algérien, tunisien, lybien et ceux du Moyen Orient ('nous n'avions aucune assurance de pouvoir continuer à travailler avec la nouvelle structure une fois la jont-venture en place'.) A cet égard, le tribunal de commerce a procédé à une citation pertinente du procès verbal d'assemblée générale du 26 juin 2015.

C'est pourquoi la Cour retiendra en l'espèce que, compte tenu de l'ensemble des circonstances autres que celle de la durée de la relation commerciale établie, laquelle a duré de l'ordre de 18 années, le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu'il a dit que le préavis de l'ordre de 6 mois et demi accordé par la société Inovyn jusqu'au 31 juillet 2016 a été suffisant en l'espèce.

- Sur le caractère effectif du préavis et le préjudice indemnisable de la société Leichem

La société Inovyn expose qu'elle n'était liée par aucun engagement minimum de fourniture. Elle indique que son usine française de Tavaux a été contrainte de réduire drastiquement sa production de PVC, faute d'approvisionnement en éthylène et que son usine norvégienne de Rafnes a rencontré des difficultés techniques en avril 2016. Elle ajoute qu'en parallèle les les autres producteurs européens de PVC ont également dû faire face à des difficultés de production qui ont suscité mécaniquement une hausse des prix sur le marché.

Enfin, la société Inovyn Belgium énonce qu'elle a approvisionné la société Leichem à hauteur des quantités dont elle disposait, malgré ces difficultés. Selon elle, la baisse des quantités livrées au premier semestres 2016 n'a été que 11,8% par rapport au premier semestre 2015. Elle ajoute qu'elle a réduit plus fortement les quantités qu'elle a livrées à la société Pentaplast, alors qu'elle constitue le distributeur historique de la société Ineos.

Sur ce :

La société Inovyn ne soutient pas valablement que les approvisionnements minimum garantis à hauteur de 4 500 tonnes par mois dans un courriel du 6 mars 2015 adressé par M. [M] à la société Leichem était limités à l'année 2015. Au contraire, il doit être retenu, compte tenu du rappel des ventes pour 2012 à 2014 dans le courriel, que si le plan d'exportation de 2015 devait être similaire à celui de 2014, l'engagement de fournir régulièrement la quantitié définie par mois n'était quant à lui pas limitée à 2015, seule la prévision de plan d'exportation faisant l'objet d'une restriction ( 'En réponse à ce respect des engagements de ta part, nous nous engageons de notre part à te fournir régulièrement 4500MT mensuelles définies et avons établi un plan d'exportation 2015 similaire en volume à celui de 2014(bien évidemment sujet à l'évolution des besoins /prix de chaque marché et de nos productions)...' ).

La société Inovyn échoue à démontrer que les difficultés de production qu'elle allègue ont revêtu les caractères de la force majeure et l'ont empêchée de livrer les quantités promises pendant la durée du préavis.

En réalité, c'est par des motifs pertinents auquel nul moyen valable n'est opposé et que la Cour adopte que le tribunal :

- a retenu que le préavis annoncé par écrit n'avait pas été respecté et qu'il convenait d'indemniser la société Leichem à concurrence de la différence ;

- et a calculé le montant de l'indemnisation qu'il a fixée à 737 025 euros.

Les documents comptables de la société Leichem permettent de retenir que la marge de 5% retenue par les premiers juges est réaliste et ne peut excéder ce qui a été réellement perdu. Cependant, la marge de 9,75% indiquée par la société Leichem n'est corroborée par aucun élément probant, tandis que les données trop générales de l'attestation IHS Markit ne permettent pas de limiter cette marge à 2-3%, comme demandé en appel désormais par la société Inovyn laquelle, en première instance avait cependant admis un montant nettement supérieur (4,4 à 4,8%).

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que l'indemnisation devait être fixée à la somme de 737 025 euros.

- Sur les frais et dépens

Pour le surplus, le jugement entrepris sera confirmé.

Chacune des parties, qui succombe au moins partiellement en ses demandes en appel, conservera la charge des dépens d'appel qu'elle aura exposés.

En équité, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a dit que les relations commerciales établies avaient débuté en 2002,

Statuant de nouveau sur ce point,

Dit que les relations commerciales établies ont commencé en 1998,

Pour le surplus,

Confirme le jugement entrepris,

Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/17695
Date de la décision : 17/02/2021

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°18/17695 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-02-17;18.17695 ?
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