Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 11 FEVRIER 2021
(no 10, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : RG 20/13807 - No Portalis 35L7-V-B7E-CCNAI
Décision déférée à la Cour : décision de l'Autorité des marchés financiers en date du 24 septembre 2020
REQUÉRANTE :
SOCIÉTÉ SUEZ S.A.
prise en la personne de son Directeur Général
immatriculée au RCS de Nanterre sous le no 433 466 570
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 1]
Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Jean-Daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12 et de Me Cyril BONAN de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE :
SOCIÉTÉ VEOLIA ENVIRONNEMENT-VE S.A.
prise en la personne de son président
immatriculée au RCS de Paris sous le no 403 210 032
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
Élisant domicile au cabinet de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assistée de Me Jean-Yves GARAUD et de Me Delphine MICHOT du cabinet CLEARY, GOTTLIEB, STEEN et HAMILTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J021
Assistée de Me Olivier DIAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de son Président
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Mme [V] [F], dûment mandatée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 janvier 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :
– Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre, présidente,
– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
– Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Madame Madeleine GUIDONI, avocat général
ARRÊT :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Vu la déclaration de recours contre la décision de l'Autorité des marchés financiers du 24 septembre 2020 déposée au greffe de la cour d'appel le 2 octobre 2020 par la société Suez ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire de la société Veolia environnement déposée au greffe de la cour d'appel le 12 octobre 2020 ;
Vu l'exposé des moyens de la société Suez déposé au greffe de la cour d'appel le 16 octobre 2020 ;
Vu les conclusions d'incident de la société Suez déposées le même jour au greffe de la cour d'appel et l'arrêt du 17 décembre 2020 ayant rejeté cet incident ;
Vu les conclusions en réponse au fond de la société Veolia environnement déposées au greffe de la cour d'appel le 23 novembre 2020 ;
Vu les observations de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe de la cour d'appel le 23 novembre 2020 ;
Vu le mémoire récapitulatif de la société Suez déposé au greffe de la cour d'appel le 22 décembre 2020 ;
Vu les conclusions récapitulatives de la société Veolia environnement déposées au greffe de la cour d'appel le 5 janvier 2021 ;
Vu l'avis du ministère public du 6 janvier 2021 communiqué le même jour aux parties ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 7 janvier 2021 en leurs observations les conseils de la société Suez, ceux de la société Veolia environnement, le représentant de l'Autorité des marchés financiers et le ministère public.
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FAITS ET PROCÉDURE
1.Par un communiqué de presse publié le 30 août 2020, la société Veolia environnement (ci-après « Veolia ») a annoncé avoir remis le même jour à la société Engie (ci-après « Engie ») « une offre ferme pour l'acquisition de 29,9 % des actions de Suez » que cette dernière détient, en précisant que cette offre faisait « suite à l'annonce d'Engie, le 31 juillet 2020, du lancement d'une revue stratégique incluant sa participation dans Suez ».
2.Le communiqué indique que cette offre est faite au prix de 15,50 euros par action, qu'elle est réalisable immédiatement et valable jusqu'au 30 septembre 2020, et que le prix proposé représente une prime de 50 % sur le cours de clôture du titre Suez du 30 juillet non affecté par l'annonce des intentions d'Engie.
3.Il indique également que si cette offre est acceptée par Engie, Veolia a « l'intention, à la suite de l'acquisition des 29,9 % des actions de Suez, de déposer une offre publique d'acquisition volontaire du solde des actions de Suez. Le dépôt de cette offre publique sera réalisé dès l'obtention des autorisations réglementaires nécessaires, notamment en matière de concurrence, dans les 12 à 18 mois. Veolia se réserve la possibilité de déposer l'offre publique à tout moment avant l'obtention de ces autorisations. Conformément à la réglementation boursière, les caractéristiques de l'offre publique et notamment son prix seront fixées lors de son dépôt. La fixation du prix tiendra compte du prix payé à Engie pour son bloc de 29,9 %, qui est une référence importante, et, le cas échéant, d'événements ultérieurs significatifs ayant affecté Suez. La proposition de Veolia à Engie inclut un engagement d'apport par Engie à l'offre publique de ses 1,8 % restant dans Suez ».
4.Considérant que ce communiqué marquait l'ouverture d'une préoffre en application de l'article 223-34 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après le « RGAMF »), la société Suez (ci-après « Suez ») a, par une lettre du 18 septembre 2020, demandé à l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF ») de constater que Veolia avait manqué à son obligation d'inviter cette autorité à ouvrir la préoffre le 30 août 2020 et de la déclarer ouverte depuis cette date en rappelant à Veolia les conséquences qui s'y attachent, en particulier, l'interdiction d'acheter des titres Suez.
5.Le collège de l'AMF, réuni le 24 septembre 2020, a « considéré que les termes employés par la société Veolia dans son communiqué du 30 août 2020, ainsi que la communication de cette société et de ses dirigeants depuis cette date, n'ont pas eu pour effet de porter à la connaissance du public les "caractéristiques d'un projet d'offre" au sens des dispositions précitées [article 223-34 du RGAMF], mais l'intention de déposer un projet d'offre publique dans l'hypothèse où la proposition qu'elle a adressée à la société Engie d'acquérir 29,9 % du capital de Suez serait acceptée, étant précisé que les caractéristiques du projet d'offre publique qui suivrait l'acquisition de ces titres dépendraient, notamment, de l'éventuelle acceptation, par la société Engie, de cette proposition, telle que libellée ou modifiée ». Il en a déduit qu'il n'y avait pas lieu de constater l'ouverture d'une préoffre sur les titres Suez.
6.Par une lettre du même jour (datée par erreur du 24 octobre 2020), le Président de l'AMF a informé Suez de cette décision.
7.Suez a formé un recours en annulation, et subsidiairement, en réformation de cette décision.
8.Elle a saisi la Cour d'un incident tendant à la communication, par l'AMF, de l'entier dossier soumis à son collège en vue de la délibération du 24 septembre 2020. Par un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour a rejeté cette demande.
9.Aux termes de son mémoire récapitulatif, Suez demande à la Cour de juger recevable son recours introduit contre la décision de l'AMF du 24 septembre 2020, de réformer cette décision et, statuant à nouveau, de :
– juger que le communiqué par lequel Veolia a annoncé le 30 août 2020 son intention de déposer un projet d'offre publique visant les titres Suez aurait dû donner lieu à l'ouverture immédiate d'une période de préoffre ;
– juger contraire aux dispositions d'ordre public du RGAMF toute acquisition de titres Suez par Veolia depuis cette date et jusqu'au dépôt de son offre publique, et notamment l'acquisition par Veolia de 29,9 % du capital de Suez auprès d'Engie annoncée le 5 octobre 2020.
10.À titre subsidiaire, si la Cour estime qu'il n'entre pas dans ses pouvoirs de réformer la décision de l'AMF du 24 septembre 2020, elle en prononcera l'annulation et enjoindra à l'AMF d'en tirer les conséquences qui s'imposent.
11.Aux termes de ses conclusions en réponse, Veolia demande à la Cour de :
à titre principal, de déclarer irrecevable le recours formé par Suez ;
à titre subsidiaire, de juger ce recours mal fondé et par conséquent, le rejeter ;
de condamner la société Suez à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
12.L'AMF considère que le recours de Suez est irrecevable, et sur le fond, qu'il doit être rejeté. Elle souligne, qu'à supposer que la Cour accueille ce recours, la lettre du 24 septembre 2020 ne peut être qu'annulée et non réformée.
13.Le ministère public invite la Cour à déclarer le recours recevable, et sur le fond, à le rejeter.
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MOTIVATION
I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS
14.Veolia soutient, en premier lieu, que Suez ne justifie pas d'un intérêt direct et personnel à agir faute de démontrer en quoi la réponse de l'AMF du 24 septembre 2020 emporterait des conséquences directes sur sa situation, son activité ou l'étendue de ses droits et obligations, ou encore l'affecterait dans des conditions spéciales, certaines et directes. Elle fait valoir à cet égard que les motifs avancés par Suez tenant à l'acquisition du bloc d'actions Suez détenu par Engie, sont insuffisants à caractériser un grief, la cession de titres librement négociables, l'évolution de l'actionnariat et l'entrée au capital d'un actionnaire ne constituant pas un préjudice conférant un intérêt légitime à agir. Elle souligne que l'absence d'ouverture de la préoffre n'a pas empêché Suez d'explorer d'éventuelles solutions alternatives au projet de rapprochement de Veolia.
15.Elle observe qu'au stade antérieur de la préoffre ou en préoffre, seule la personne qui prépare l'opération est concernée par la situation, et elle seule en supporte les éventuelles conséquences, dont l'interdiction qui lui est faite d'intervenir sur le marché, restriction qui ne vise ni la société cible ni les autres personnes concernées par l'offre. Elle ajoute que les dispositions de l'article 223-34 du RGAMF invoquées par Suez ne figurent pas dans la partie sur les offres publiques d'acquisition (Titre III) mais dans celle sur l'obligation d'information permanente et périodique (Titre II), de sorte que ces dispositions n'affectent que les personnes qui sont tenues par les obligations d'information ainsi prévues.
16.Elle soutient, en second lieu, que la réponse de l'AMF du 24 septembre 2020 n'est pas une décision susceptible du recours prévu à l'article L.621-30 du code monétaire et financier, l'ouverture d'une préoffre ne résultant pas d'une décision de l'AMF mais, comme le précise l'article 223-34 du RGAMF, d'une publication qui informe le marché de ce qu'un initiateur potentiel a communiqué les caractéristiques d'un projet d'offre, notamment la nature et le prix ou la parité envisagée. Elle souligne que la réponse de l'AMF est une simple mesure d'instruction qu'elle est libre de prendre comme de ne pas prendre, comme l'AMF peut décider d'une enquête ou ouvrir une procédure de sanction, qu'un tiers le lui demande ou pas. Elle considère que la demande de Suez est équivalente à celle d'un tiers, fût-il actionnaire, qui viendrait demander à l'AMF de constater qu'une société a manqué à ses obligations d'information du marché et qui serait irrecevable à contester la décision de ne pas ouvrir d'enquête ou de ne pas prononcer de sanction.
17.Elle ajoute que son communiqué du 30 août 2020 n'a pas produit d'effet, Engie n'ayant pas accepté à cette date, ni à ce prix, de vendre un bloc d'actions à hauteur de 29,9 %. Elle rappelle qu'elle a modifié les termes de sa proposition à Engie le 30 septembre 2020, en augmentant très substantiellement le prix, qu'elle l'a annoncé par voie de communiqué et que c'est seulement le 5 octobre 2020, lorsqu'elle a véritablement annoncé les caractéristiques d'un projet d'offre que l'AMF a publié un avis de période de préoffre. Elle en déduit que l'AMF n'aurait pas dû pouvoir prendre d'avis de préoffre le 5 octobre si une période de préoffre existait déjà. Or, cet avis n'a pas fait l'objet de recours de la part de Suez, de telle sorte qu'il est devenu définitif.
18.L'AMF invite la Cour à déclarer le recours irrecevable.
19.Elle observe qu'en application de l'article L.621-30 du code monétaire et financier, seule une décision au sens administratif du terme, c'est-à-dire faisant grief à la personne intéressée, est susceptible d'un recours en annulation. Elle souligne qu'en application de la réglementation boursière, le début de la période de préoffre procéde, non pas d'une décision de l'AMF, mais d'une simple publication, qui ne fait qu'acter l'engagement public d'un initiateur potentiel de déposer un projet d'offre publique en en donnant les caractéristiques, dont le prix ou la parité envisagée de l'offre. L'avis ne fait que tirer les conséquences de cette déclaration en termes d'interventions sur le marché et de déclarations des transactions sur les titres concernés, en informant le marché du début d'une période de préoffre sur les titres de la société visée. Elle en déduit que la publication informant le marché du début d'une période de préoffre au sens de l'article 223-34 de son règlement général n'est qu'une mesure administrative d'exécution dudit règlement, si bien qu'elle ne peut faire l'objet ni d'un recours en annulation au sens de l'article L.621-30 du code monétaire et financier, ni d'un recours en réformation, et qu'il en est, a fortiori, de même lorsqu'elle n'acte pas l'ouverture d'une période de préoffre.
20.Suez conclut à la recevabilité de son recours. Elle invoque la jurisprudence du Conseil d'État selon laquelle peut être déférée au juge la décision par laquelle une autorité administrative refuse de faire droit à la demande d'un tiers tendant à ce qu'elle fasse usage de ses pouvoirs. Elle fait également valoir que le refus de l'AMF d'ouvrir la période de préoffre a entraîné des conséquences considérables en ce qu'elle a permis à Veolia, son principal concurrent, de prendre le 5 octobre 2020 une participation susceptible de lui conférer un quasi contrôle de fait sur elle et que l'ouverture de la préoffre aurait à l'inverse interdit à Veolia cette acquisition. Elle en déduit que la décision de l'AMF lui fait grief.
21.Elle ajoute que la décision de l'AMF est bien une décision individuelle, laquelle a été prise par son collège et que ce dernier l'a qualifiée comme telle dans sa délibération du 24 septembre 2020, et souligne que la Cour a déjà admis la recevabilité d'un recours contre une décision de l'AMF ayant refusé de rétracter sa décision de déclarer conforme une offre publique, au motif que cette décision fait par nature grief à toute personne ayant intérêt à ce retrait. Elle soutient que la publication ou non par l'AMF de l'avis qui marque l'ouverture de la préoffre ne revêt aucun caractère d'automaticité mais résulte d'une décision qui suppose une appréciation de l'intention de l'initiateur et des caractéristiques envisagées, appréciation à laquelle le collège de l'AMF s'est en l'espèce livré pour considérer, à tort, que la publication de Veolia du 30 août 2020 ne constituait pas une préoffre. Elle expose encore que la notion de mesure administrative d'exécution du RGAMF invoquée par l'AMF dans ses observations devant la Cour ne correspond à aucune catégorie juridique.
22.Elle fait valoir que, contrairement à ce que soutient Veolia, la notion de préoffre est définie au Titre III du RGAMF sur les offres publiques d'acquisition (art.231-2 du RGAMF), irrigue tout le régime des offres publiques et affecte aussi bien l'initiateur que la société visée et les tiers. Elle expose que dès l'ouverture de la préoffre, la société visée est soumise à des restrictions d'intervention sur son propre titre (articles 231-40 et 231-41 du RGAMF), à une obligation de vigilance dans ses déclarations et à un contrôle de l'AMF sur sa communication à caractère promotionnel (article 231-36 du RGAMF) et qu'elle bénéficie par ailleurs d'une information accrue sur l'évolution de son propre capital – information cruciale en cas d'offre hostile – grâce aux obligations de transparence renforcées imposées à toute personne intervenant sur son titre (articles 231-44 et s. du RGAMF).
23.Enfin, elle soutient que sa demande ayant donné lieu à la décision objet du présent recours ne portait pas sur la qualité de l'information donnée par Veolia au marché dans son communiqué du 30 août 2020 mais sur les conséquences devant être tirées par l'AMF de cette information.
24.Le ministère public invite la Cour à déclarer le recours recevable en faisant siens les moyens et arguments développés par Suez.
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Sur ce, la Cour,
25.L'article 223-34 du RGAMF figure dans une section intitulée « Déclaration d'intention en cas d'actes préparatoires au dépôt d'une offre publique d'acquisition », elle-même figurant au titre II consacré à l'information périodique et permanente du public et du marché.
26.Ce texte dispose :
« Lorsqu'en application des articles 223-6 ou 223-33 une personne porte à la connaissance du public les caractéristiques d'un projet d'offre, notamment la nature de l'offre et le prix ou la parité envisagée, elle en informe immédiatement l'AMF ; l'AMF en informe le marché par une publication. Cette publication marque le début de la période de préoffre telle que définie à l'article 231-2 (5o).
Lorsque la personne mentionnée au premier alinéa renonce à son projet d'offre, elle en informe immédiatement l'AMF.
Dans le cas visé à l'alinéa précédent, ou lorsqu'un projet d'offre n'a pas été déposé dans le délai mentionné à l'article 223-33, l'AMF informe le marché par une publication. ».
27.L'information du public de l'intention de déposer un projet d'offre et ses caractéristiques peut résulter :
– soit de l'exécution spontanée de l'obligation d'information prévue à l'article 223-6 du RGAMF, aux termes duquel « toute personne qui prépare, pour son compte, une opération financière susceptible d'avoir une incidence significative sur le cours d'un instrument financier ou sur la situation et les droits des porteurs de cet instrument financier doit, dès que possible, porter à la connaissance du public les caractéristiques de cette opération » à moins, précise ce texte, que la confidentialité soit momentanément nécessaire à la réalisation de l'opération et qu'elle soit en mesure de préserver cette confidentialité ;
– soit de l'usage par l'AMF des pouvoirs que lui confèrent les articles 223-32 et 223-33 du RGAMF, qui mettent en œuvre le dispositif dit « anti-rumeurs » (connu sous l'expression britannique « put up or shut up »), en vertu duquel l'AMF peut demander aux personnes, dont il existe des motifs raisonnables de penser qu'elles préparent une offre publique d'acquisition, d'informer, dans un délai qu'elle fixe, le public de leurs intentions, puis en cas d'intention déclarée de déposer une telle offre, de leur demander d'en préciser les caractéristiques, dans le délai qu'elle leur fixe.
28.Ainsi, l'article 223-34 précité fait obligation à la personne qui porte à la connaissance du public son intention de déposer un projet d'offre publique d'acquisition et les caractéristiques de ce projet d'en informer immédiatement l'AMF et, à cette dernière, d'en informer le marché par une publication. Cette publication n'est donc pas une simple faculté pour l'AMF mais bien une obligation lorsqu'elle estime que l'information donnée au public entre dans les prévisons de l'article 223-34 et doit, en conséquence, donner lieu à une publication de sa part, marquant le début d'une période de préoffre.
29.À cette occasion, l'AMF vérifie que ce communiqué mentionne les deux éléments nécessaires à l'ouverture d'une période de préoffre, que sont l'intention de déposer un projet d'offre et les caractéristiques de l'offre quant sa nature et son prix ou sa parité.
30.En l'espèce, c'est à la demande de Suez, qu'elle a acceptée d'examiner, que l'AMF a considéré que le communiqué de Veolia du 30 août 2020, qui ne lui avait pas été transmis par cette dernière mais par Suez, « n'avait pas porté à la connaissance du public les "caractéristiques d'un projet d'offre" au sens des dispositions précitées ».
31.Par la publication d'un avis d'ouverture de la période de préoffre, l'AMF informe le marché non seulement du projet d'offre publique d'acquisition en cours de préparation avec ses caractéristiques, mais également de l'application du régime juridique propre à cette période.
32.Cette publication entraine en effet l'application de régles impératives, dont certaines sont également applicables en période d'offre, et qui toutes figurent au titre III du RGAMF relatif aux offres publiques d'acquisition. Certaines d'entre elles visent à encadrer les interventions sur ce titre, comme celles prévues aux articles 231-38 et 231-40 à 231-43 du RGAMF, d'autres à soumettre à déclaration les opérations sur le titre, comme celles prévues aux articles 231-44 à 231-52 du RGAMF.
33.Cette publication entraîne, en outre, l'interdiction absolue faite à l'initiateur et aux personnes agissant de concert avec lui, d'acquérir des titres visés par l'offre pendant la période de préoffre, à moins que cette acquisition ne résulte d'un accord de volontés antérieur au début de cette période. Cette interdiction, prévue au II de l'article 231-38 précité, est propre à la période de préoffre. Elle ne s'applique en période d'offre que si l'offre est assortie de l'une des conditions mentionnées aux articles 231-10 et 231-11 du RGAMF.
34.Si cette obligation d'abstention vise essentiellement à protéger le marché de toute intervention sur le titre de la part d'un opérateur susceptible de détenir des informations privilégiées sur l'opération en cours, l'initiateur n'étant pas à ce stade tenu de rendre publique toutes les composantes de son projet, elle bénéficie également à la société cible, lorsque comme en l'espèce, cette dernière désapprouve le projet. La règle de l'interdiction d'intervention sur le titre facilite en effet la préparation et la mise en œuvre par ses dirigeants de mesures visant à faire échec au projet, dans l'intérêt de la société.
35.La publication d'un avis ouvrant la période de préoffre ne constitue donc pas uniquement une mesure d'information du marché des caractéristiques d'un projet d'offre publique d'acquisition en cours de préparation, mais déclenche l'application de régles impératives dont l'une, l'interdiction d'acquérir des titres visés par l'offre, s'adresse à l'initiateur et aux personnes agissant de concert avec lui, et intéresse directement la société cible, émetteur des titres visés, tous les deux nommément désignés dans l'avis publié.
36.En l'espèce, la décision prise par l'AMF, après réunion de son collège – refusant d'accéder à la demande de publication de Suez et écartant ainsi l'application des règles précitées – fait directement grief à Suez. Cette décision est d'ailleurs à l'origine d'une situation critiquée en ce qu'elle a permis à Veolia d'acquérir, postérieurement au communiqué du 30 août 2020, un bloc non négligeable de titres dans un contexte de projet d'offre publique d'acquisition dont Suez est la cible.
37.Un tel refus de publication, qui constitue une décision de portée individuelle, est en conséquence susceptible de recours.
38.La circonstance que l'AMF ait publié, postérieurement, un avis ouvrant la période de préoffre suite à un nouveau communiqué de Veolia du 5 octobre 2020, n'est pas de nature à faire perdre à Suez son intérêt à agir pour demander l'application du régime de la préoffre dès le 30 août 2020 compte tenu de la situation qui vient d'être évoquée relative à l'acquisition d'un bloc de titres postérieurement au communiqué du 30 août 2020.
39.Le recours de Suez est donc recevable.
II. SUR LE FOND
40.Suez soutient que par son communiqué du 30 août 2020, Veolia a annoncé une offre publique sur Suez et ses caractéristiques, dès lors que par ce communiqué, Veolia a annoncé avoir proposé à Engie de lui acheter 29,9 % du capital de Suez immédiatement et son intention de déposer ultérieurement une offre publique sur Suez ayant les caractéristiques suivantes :
– l'offre serait volontaire, Veolia proposant à Engie de scinder sa participation dans Suez pour éviter de franchir le seuil de l'offre publique obligatoire (30 %) et de s'engager à lui apporter le solde de sa participation à l'occasion de l'offre publique ;
– le prix de l'offre tiendrait compte du prix payé à Engie, celui-ci étant une « référence importante », et le cas échéant d'événements ultérieurs significatifs ;
– l'offre serait une offre publique d'achat, le communiqué n'évoquant que « le prix » de l'offre à l'exclusion de toute « parité », excluant implicitement la possibilité d'une composante en titres (pièce no2.1).
41.Elle en déduit que ce communiqué du 30 août 2020 répondait aux critères fixés à l'article 223-34 du RGAMF, peu important que les caractéristiques financières annoncées soient incertaines ou conditionnelles, de sorte que ce communiqué a ouvert une période de préoffre, ce qui interdisait à Veolia de procéder à l'acquisition de ses titres auprès d'Engie.
42.Elle reproche à l'AMF d'avoir considéré le contraire, et soutient qu'une telle décision est contraire à la pratique constante de l'AMF de constater l'ouverture de la préoffre en présence d'une intention déclarée de déposer un projet d'offre publique, nonobstant les incertitudes qui en affectent le principe ou les caractéristiques et, notamment, dans des situations où il était annoncé que le prix de l'offre publique devait être déterminé ultérieurement par l'initiateur, ou dépendait de l'issue de négociations en cours sur l'acquisition préalable d'un bloc d'actions, ou encore, qu'il était susceptible d'ajustements.
43.Elle soutient que si, en introduisant dans son règlement général la notion de préoffre, l'AMF a souhaité que la seule déclaration d'intention de déposer une offre, sans aucune indication sur ses caractéristiques, ne suffise pas à ouvrir la préoffre, elle n'a en revanche jamais exigé davantage, pour ouvrir la préoffre, que de simples indications, fussent-elles incertaines, sur les caractéristiques envisagées. Elle invoque à cet égard divers avis d'ouverture de préoffre publiés par l'AMF dans des opérations où le prix annoncé dans le communiqué ne présentait pas un caractère certain.
44.Veolia répond que la seule intention de déposer une offre publique d'acquisition ne suffit pas à déclencher la période de préoffre. Encore faut-il que soient annoncées les caractéristiques, notamment financières, de cette offre. Elle observe que Suez ne cite aucun terme du communiqué du 30 août 2020 qui aurait précisé ces caractéristiques, et notamment annoncé un prix de l'offre.
45.Elle expose qu'aux termes de ce communiqué, elle a uniquement annoncé son intention de déposer une offre dans l'hypothèse où elle procèderait à l'acquisition du bloc Engie, mais n'a annoncé ni le prix, ni la nature et plus généralement les conditions de l'offre.
46.S'agissant plus particulièrement du prix de l'offre, elle souligne que l'indication selon laquelle le prix payé par Engie constituerait un valeur de référence n'est pas suffisant en l'absence de toute annonce précise de prix ou d'éléments permettant de le déterminer. Elle soutient, à cet égard, que le prix offert à Engie pour l'acquisition du bloc d'actions ne peut être assimilé, comme le soutient à tort Suez, à une communication sur le prix de l'offre publique envisagée dès lors que la publication d'un avis de préoffre sur la base de ces seules indications aurait pour effet d'interdire l'acquisition du bloc, de sorte qu'il n' y aurait plus de prix et donc de préoffre.
47.Elle ajoute que dans toutes les opérations citées par Suez ayant donné lieu à l'ouverture d'une préoffre, les communiqués avaient annoncé un prix précis tandis que le sien n'a pas fait une telle annonce, et au contraire, a précisé que « conformément à la réglementation boursière, les caractéristiques de l'offre publique et notamment son prix seront fixées lors de son dépôt ».
48.L'AMF expose qu'au sens de la réglementation boursière, les caractéristiques d'un projet d'offre, qui s'entendent notamment comme étant la nature de l'offre, et le prix ou la parité proposée, supposent que le prix de l'offre qui sera déposée soit connu et déterminé, voire déterminable.
49.Elle soutient que tel n'est pas le cas en ce qui concerne la communication faite au public par la société Veolia sur la période comprise entre le 30 août et le 24 septembre 2020 inclus, dès lors qu'au cours de cette période, le prix de 15,50 € par action Suez auquel la société Veolia était prête à acquérir un bloc de titres détenu par Engie, représentant 29,9 % du capital de la société Suez, n'était pas le prix auquel serait déposé le projet d'offre publique d'acquisition de la société Suez mais un premier prix énoncé avant toute négociation et proposé pour une éventuelle acquisition d'un bloc de titres représentant moins du tiers du capital de la société, acquisition présentée comme un préalable indispensable au lancement d'une offre publique postérieure à cette acquisition de bloc.
50.Elle en déduit que ce prix ne peut donc être considéré comme un prix d'offre déterminé, ni même déterminable au sens civil du terme, le communiqué se contentant d'indiquer qu'il pourrait le cas échéant servir de référence au prix de l'offre qui serait éventuellement lancée à la suite de cette acquisition de bloc si elle était réalisée. C'est la raison pour laquelle dans sa lettre en réponse, l'AMF a précisé que « les caractéristiques du projet d'offre qui suivrait l'acquisition de ces titres dépendraient, notamment, de l'éventuelle acceptation par la société Engie, de cette proposition, telle que libellée ou modifiée ».
51.Elle souligne que les précédents cités par Suez confirment en tous points cette analyse, contrairement à ce que cette dernière soutient.
52.Le ministère public invite la Cour à rejeter le recours en faisant siens les moyens et arguments développés par Veolia et l'AMF.
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Sur ce, la Cour,
53.Aux termes de l'article 223-34 du RGAMF, rappelés au paragraphe 26 du présent arrêt, l'ouverture d'une période de préoffre suppose qu'aient été annoncées au public les caractéristiques d'un projet d'offre publique d'acquisition, notamment, précise ce texte, « la nature de l'offre et le prix ou la parité envisagée ».
54.L'initiateur annonçant, à ce stade, une opération qui est en cours de préparation et dont tous les éléments constitutifs ne sont donc pas définitivement arrêtés, les caractéristiques, notamment financières, peuvent être conditionnelles ou dépendre de l'issue de négociations en cours. De telles caractéristiques ne font donc pas obstacle à la publication ouvrant la période de préoffre, mais doivent figurer dans le communiqué. Un communiqué qui porterait à la connaissance du public une seule déclaration d'intention de déposer un offre publique d'acquistion ne saurait donner lieu à l'ouverture d'une période de préoffre.
55.La Cour observe que les mêmes exigences sont appliquées lorsque l'AMF met en œuvre le dispositif dit « anti-rumeurs » et que les personnes concernées déclarent avoir l'intention de déposer un projet d'offre. Dans cette situation, l'AMF fixe la date à laquelle elles doivent publier un communiqué portant sur les caractéristiques de ce projet et ne publie l'avis d'ouverture de la période de préoffre qu'une fois ces caractéristiques précisées, fussent-elles conditionnelles.
56.En l'espèce, par son communiqué du 30 août 2020, Veolia a annoncé d'une part, son offre faite le même jour à Engie d'acquérir un bloc de titres Suez à hauteur de 29,9 % au prix de 15,50 euros l'action, et d'autre part, son intention, dans l'hypothèse où Engie accepterait son offre, de déposer une offre publique d'acquisition sur les titres restant.
57.Si ce communiqué annonce le projet global de Veolia de prendre le contrôle de Suez via deux opérations successives : la première, consistant à acquérir de gré à gré auprès d'Engie une partie de son bloc d'actions Suez, et la seconde, subordonnée à la réalisation de la première, consistant en une offre publique d'acquisition portant sur le solde des titres Suez, les termes mêmes de ce communiqué démontrent que la phase de négociations pour l'acquisition du bloc, venait de débuter, l'offre faite à Engie faisant suite à l'annonce par cette dernière, un mois plus tôt, du « lancement d'une revue stratégique incluant sa participation dans Suez ».
58.Il en résulte que la déclaration d'intention dépendait de la réalisation préalable de l'opération d'acquisition du bloc, laquelle dépendait de l'acceptation par Engie de l'offre qui venait de lui être faite hors marché.
59.Ensuite, force est de constater que ce communiqué ne comporte aucune indication de prix de l'offre publique envisagée mais se borne à indiquer que « Conformément à la réglementation boursière, les caractéristiques de l'offre publique et notamment son prix seront fixées lors de son dépôt. La fixation du prix tiendra compte du prix payé à Engie pour son bloc de 29,9 %, qui est une référence importante, et, le cas échéant, d'événements ultérieurs significatifs ayant affecté Suez ».
60.Il ne peut donc être déduit du libellé de ce communiqué que le prix envisagé pour le projet éventuel de l'offre publique d'acquisition était de 15,50 euros, celui-ci correspondant à une simple proposition sur laquelle les parties ne s'étaient pas accordées, énoncée au cours d'une phase de négociations en vue de l'acquisition d'un bloc de titres, représentant moins du tiers du capital de la société, qui était présentée comme un préalable indispensable au lancement d'une telle offre publique.
61.L'indication dans ce communiqué que le prix payé à Engie sera une référence importante ne suffit pas, dans un tel contexte, à considérer qu'il annonce les caractéristiques de l'offre publique d'acquisition ou permettait de les déterminer de manière suffisamment précise.
62.Il convient à cet égard de relever que la quasi totalité des avis d'ouverture de période de préoffre versés aux débats par Suez, qui ont été publiés par l'AMF à la suite d'une communication réalisée par l'initiateur, annonce expressément un prix.
63.Enfin, contrairement à ce que soutient Suez, le communiqué du 30 août 2020 diffère de celui publié par Veolia le 5 octobre 2020 qui a donné lieu à publication d'un avis de préoffre. En effet, ce communiqué fait état de l'acceptation par Engie de l'offre d'acquisition faite par Veolia à 18 euros et, confirmant l'intention de cette dernière de déposer une offre publique d'acquisition, précise que « cette offre sera au même prix que celui payé à Engie, soit 18 euros par action ».
64.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que, comme l'a à juste titre relevé le collège de l'AMF dans sa décision du 24 septembre 2020, le communiqué de Veolia du 30 août 2020 ne portait pas à la connaissance du public les caractéristiques d'un projet d'offre publique d'acquisition mais uniquement l'intention de Veolia de déposer un projet d'offre publique dans l'hypothèse où la proposition d'acquérir 29,9 % du capital de Suez qu'elle avait adressée à Engie serait acceptée, et le fait que les caractéristiques du projet d'offre publique qui suivrait l'acquisition de ces titres dépendraient, notamment, de l'éventuelle acceptation, par la société Engie, de cette proposition, telle que libellée ou modifiée.
65.Le recours, mal fondé, doit donc être rejeté.
III. SUR LES DEMANDES FAITES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
66.Suez, succombant en ses prétentions, est condamnée à payer à la socité Veolia la somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
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PAR CES MOTIFS
La Cour,
DÉCLARE recevable le recours formé par la société Suez contre la décision du collège de l'AMF du 24 septembre 2020 ;
Au fond, le rejette ;
CONDAMNE la société Suez à payer à la société Veolia Environnement la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Suez aux dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE
Brigitte BRUN-LALLEMAND