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04/02/2021 | FRANCE | N°19/04450

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 04 février 2021, 19/04450


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 04 FÉVRIER 2021



(n° 2021/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04450 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7WUW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03011





APPELANTE



SA GROUPE TSF agissant diligences et poursuite

s en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Sarra JOUGLA, avocat au barreau de ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 04 FÉVRIER 2021

(n° 2021/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/04450 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7WUW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03011

APPELANTE

SA GROUPE TSF agissant diligences et poursuites en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sarra JOUGLA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0200

INTIME

Monsieur [T] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Joséphine IMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0779

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Décembre 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Nelly CAYOT, Conseillère

Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée du 7 mai 2001, M. [T] [Z] a été engagé par la SA Groupe TSF en qualité de chef comptable, statut cadre autonome, soumis à une convention annuelle de forfait de 217 jours de travail par an. Le 1er mars 2006, il a été promu directeur comptable. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il percevait une rémunération mensuelle fixe de 8 500 euros conduisant à une moyenne de 9 876 euros calculée sur les douze derniers mois pour 218 jours de travail annuels.

M. [Z] a présenté des arrêts de travail ne relevant pas du régime des risques professionnels du 10 février au 21 mars 2017 puis à nouveau à compter du 22 mars 2017 jusqu'au 14 avril 2017. Déclaré apte lors de la visite de reprise du 19 avril 2017, il a été dispensé d'activité entre le 19 et le 30 avril 2017.

Par courrier recommandé du 2 mai 2017 lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, M. [Z] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 mai 2017, puis s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par courrier adressé sous la même forme le 14 juin 2017.

La société emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l'événement du 21 février 2008.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 22 septembre 2017 afin d'obtenir la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 27 mars 2019 auquel il convient de se reporter pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Bobigny, section encadrement, a :

- dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la SA Groupe TSF à verser à M. [Z] les sommes suivantes :

* 29 625 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 2 962,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 60 895,83 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 120 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 9 750 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces montants porteront intérêts au taux légal pour les créances salariales à compter du 4 octobre 2017, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, pour les créances indemnitaires, à compter du prononcé du jugement,

- ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes,

- ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des allocations chômage versées au salarié licencié dans la limite de 2 mois,

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Groupe TSF de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire de droit conformément à l'article R1454-28 du code du travail,

- condamné la partie défenderesse aux entiers dépens.

La société Groupe TSF a régulièrement relevé appel du jugement le 3 avril 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante récapitulatives n°4, transmises par voie électronique le 9 décembre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Groupe TSF prie la cour de ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, congés payés y afférents et des indemnités correspondant à la contrepartie obligatoire en repos pour les années 2014 à 2016,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- débouter M. [Z] de toutes ses demandes,

- le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

à titre infiniment subsidiaire,

- limiter les montants alloués au salarié aux sommes suivantes :

* 25 500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents,

* 60 895,83 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 51 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives en réponse n°3, transmises par voie électronique le 9 décembre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [Z] prie la cour de :

- dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dire que la convention annuelle de forfait est nulle,

- condamner la société Groupe TSF à lui payer les sommes de :

* 29 625 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 2 962,50 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 60 895,83 euros brut au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 168 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 19 750 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral résultant des conditions de travail et des conditions brutales liées à la procédure de licenciement,

* 145 693,25 euros brut à titre de rappel d'heures supplémentaires,

* 14 569,32 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente aux rappels d'heures supplémentaires,

* 7 877,10 euros correspondant à la contrepartie obligatoire en repos sur le rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2014,

* 27 797,70 euros correspondant à la contrepartie obligatoire en repos sur le rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2015,

* 22 580,10 euros correspondant à la contrepartie obligatoire en repos sur le rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2016,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Groupe TSF aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 décembre 2020.

MOTIVATION :

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :

« ['] Nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Les motifs à l'appui de cette décision sont les suivants :

Votre ancienneté de service et votre expérience professionnelle vous ont permis d'avoir une connaissance parfaite des contraintes de l'activité de TSF, de la culture d'entreprise, des missions confiées et du résultat attendu.

Alors que nous sommes sur un marché de plus en plus concurrentiel et dans un contexte conjoncturel de plus en plus tendu, nous étions légitimement en droit d'attendre de votre part une réelle implication et une grande rigueur professionnelle au regard de vos fonctions et de vos responsabilités. Cependant, il nous a fallu à plusieurs reprises tant en 2014 2015, avoir plusieurs échanges avec vous pour vous inciter à vous ressaisir et à vous inscrire dans une logique plus efficace, plus rationnelle et plus exemplaire en matière de management. Nous vous avions prévenu que dans ces conditions, l'année 2016 devait être déterminante pour constater les améliorations apportées, pour mesurer les efforts accomplis et s'assurer qu'il y avait une véritable volonté de répondre aux légitimes exigences de la société. Nos premiers constats au début d'année 2017 nous ont alerté et nous vous avons à nouveau fait part de notre inquiétude sur le fait qu'il y avait de votre part, une réelle persistance à ne pas être à la hauteurs desdites exigences de la société. Alors que la société aurait pu être prête à faire à nouveau preuve de patience à votre égard compte tenu de votre ancienneté de service, nous avons, au terme de différentes investigations, découvert qu'en fait votre comportement et vos agissements révélaient une totale mauvaise volonté de votre part dans l'exécution de vos tâches. Nous avons alors acquis la conviction que non seulement vous abstenir de tout effort pour redresser la situation mais qu'en fait, vous faisiez 'uvre d'une véritable provocation préjudiciable aux intérêts de la société :

- prises de décisions inopportunes et hors du périmètre de vos responsabilités définies ayant pour conséquence de mettre la société en risque. Il en va ainsi en matière de paiement des cotisations sociales (Ex : URSSAF, prévoyance,') ou nous avons constaté des paiements en retard que rien ne justifiait, ou qui, en tout état de cause, aurait relevé d'arbitrage appartenant à la seule direction.

- Refus réitéré d'être une force de proposition alors qu'il y avait un constat partagé quant à la nécessité de moderniser le processus de comptabilité, de gestion et de finance de la Société. Pendant plus de 3 ans, vous avez refusé d'exécuter les ordres en matière de mise en place d'un nouveau logiciel de suivi de trésorerie qui nous faisait défaut.

Cela nous a contraint à faire appel aux services coûteux (30 K€) d'une société d'audit afin qu'il nous préconise une solution correspondant à nos besoins. Une fois cette société mandatée par mes soins, vous avez fait preuve de mauvaise volonté à leur égard, en annulant et reportant régulièrement des réunions avec eux, en leur communiquant pas ou tardivement certaines informations utiles à leur audit de nos processus. Au final, nous avons acquis la conviction que vous avez organisée dans votre seul et unique intérêt les moyens d'être en position incontournable et indispensable dans l'entreprise en ne partageant aucune information de trésorerie avec vos principaux collaborateurs.

- Une incapacité à manager efficacement une petite équipe de collaborateurs en les contraignant à des amplitudes horaires anormales et dans le même temps ne pas donner soi-même l'exemple (cf. arrivée quasi systématiquement tardive le matin, voire en fin de matinée). Ce type de manquements est d'autant plus grave qu'il constitue pour la société une violation de son obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses collaborateurs. Votre position de directeur comptable impliquait le management opérationnel de votre équipe comptable qui se trouvait, de fait, dépourvue de manager chaque matinée et qui plus est, aggravée par vos horaires de déjeuner, eux-mêmes décalés. Enfin et par voie de conséquence, vos envois de mails à des tiers extérieurs en pleine soirée et sans aucune justification au niveau de l'urgence ont contribué à donner à notre entreprise l'image d'une société désorganisée.

- À cela s'ajoute un comportement léger et inconséquent en ne permettant pas aux collaborateurs concernés d'avoir accès à certains éléments bilan ciel pendant une absence de plusieurs semaines. Cette non transmission d'informations a été préjudiciable à la société et lui a fait perdre inutilement beaucoup de temps en pleine période de clôture des comptes. Cette retenue d'information ou de transmission trop succincte m'avait conduit, toutes ces dernières années, à vous en faire régulièrement le reproche. En découvrant que dans la pratique vous persistiez dans une telle attitude en dépit de nos observations et mises en garde, vous vous êtes délibérément inscrit dans une logique de provocation et vous faites courir à l'entreprise le risque d'une réaction tardive.

Au total, nous considérons que votre mauvaise foi est avérée et qu'en tout état de cause, vos agissements et comportements sont de nature à rendre impossible votre maintien au sein de la société. C'est pourquoi, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave privative du préavis et de l'indemnité de licenciement. ['] ».

La faute grave est celle qui rend impossible la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve repose sur l'employeur qui l'invoque.

La société groupe TSF soutient que les faits sont établis, non prescrits, suffisamment graves pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et sollicite l'infirmation du jugement qui a retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

De son côté, M. [Z] sollicite la confirmation du jugement et fait valoir que la décision de licenciement a été prise avant l'engagement de la procédure, que le véritable motif du licenciement est d'ordre économique, que la longueur de la procédure est incompatible avec la faute grave, que la lettre de licenciement n'est pas suffisamment motivée, que les faits sont prescrits, non établis et relèveraient s'ils l'étaient, de l'insuffisance professionnelle.

Sur l'engagement de la procédure de licenciement :

M. [Z] soutient que la décision de le licencier a été prise avant même l'engagement de la procédure puisque la direction a annoncé à ses collaborateurs qu'il était licencié le jour de son retour de maladie, lors d'une réunion qui s'est tenue le 22 mars 2017 alors que la procédure de licenciement n'a été engagée que le 2 mai 2017 par l'envoi de la convocation à l'entretien préalable. Pour justifier ses allégations, il verse aux débats l'attestation d'un salarié, M. [D] qui explique avoir échangé le 22 mars 2017 avec l'équipe comptable pour demander des nouvelles de M. [Z] et avoir été informé qu'une réunion s'était tenue quelque jours auparavant au cours de laquelle il avait été indiqué aux collaborateurs de M. [Z], alors en arrêt maladie, qu'il ne reviendrait pas dans l'entreprise. Cette attestation est cependant insuffisante pour justifier que la décision de licenciement a été prise avant l'engagement de la procédure dès lors que M. [D] se contente de se faire l'écho d'une rumeur dans des termes imprécis quant à l'annonce d'un éventuel licenciement et des motifs du non retour de M. [Z];

La cour ne retient donc pas que la décision de licenciement a été prise avant l'engagement de la procédure.

Sur le véritable motif du licenciement :

M. [Z] soutient que la cause réelle de licenciement tient à la volonté de la direction de réduire les charges salariales de la société, obligée de fermer plusieurs sites en province en raison d'une situation économique fortement dégradée et les comptes consolidés du groupe de 2011 à juillet 2016 révélant une perte estimée à 315'000 euros.

La société Groupe TSF conteste ces allégations en produisant le rapport d'audit du commissaire aux comptes sur les comptes consolidés au 31 décembre 2017 faisant apparaître un résultat net d'exploitation de 2 503 euros au 31 décembre 2016 et 3 124 euros au 31 décembre 2017, un chiffre d'affaires comparable (32'858 euros au 31 décembre 2016 et 33'393 euros au 31 décembre 2017) et un effectif comparable 148 salariés au 31 décembre 2016 et 153 au 31 décembre 2017.

Au vu de ces éléments, la cour ne retient pas que le véritable motif du licenciement était d'ordre économique.

Sur les griefs :

En premier lieu, l'employeur reproche à M. [Z] des prises de décisions inopportunes et hors du périmètre de ses responsabilités définies, notamment en matière de paiement des cotisations sociales URSSAF et prévoyance. Dans ses écritures, la société groupe TSF indique avoir découvert fin mars et en avril 2017 deux manquements affectant l'établissement des comptes de la société mère et de ses filiales et consistant en :

- l'omission sur les années 2014 2015 et 2016 de procéder à des refacturations entre la société groupent TSF et ses filiales dont TSF studios d'Épinay,

- l'imputation en compte courant de la trésorerie prélevée par la société groupe TSF sur les profits de TSF studios alors qu'il aurait suffi de procéder à un versement de dividendes au profit de la société mère.

Elle reproche également au salarié le non-paiement dans les délais des cotisations dues à l'organisme de prévoyance Audiens sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2016.

Ce grief est énoncé de façon précise puisque matériellement vérifiable le défaut de paiement des cotisations sociales étant expressément visé dans la lettre de licenciement.

S'agissant de la prescription, les faits datant de plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, c'est à l'employeur d'établir la date à laquelle il en a eu connaissance. La société Groupe TSF soutient que les faits ont été découverts en mars et avril 2017 et s'appuie sur l'attestation de M. [S] (C 19, établie le 4 janvier 2019) expliquant avoir été impliqué en mars 2017 sur la clôture des comptes 2016 du groupe TSF lors de l'absence de M [Z] et avoir pu constater ainsi les erreurs et oublis dénoncés par l'employeur, ce qui ne suffit pas à justifier de la date exacte à laquelle l'employeur a eu connaissance des faits dès lors que :

- M. [S] est lui -même placé sous la subordination de l'employeur,

- les comptes relatifs aux années 2014 et 2015 ont été soumis à l'employeur et aux organismes de contrôle comptable,

- le dirigeant de la société, M. [G] était informé du non-paiement des cotisations sociales dès le 20 septembre 2016 puisqu'il indique dans un mail de ce jour avoir été destinataire de significations de contrainte de l'URSSAF,

- l'employeur était également avisé des retards de paiement s'agissant de la prévoyance puisque dès le 15 février 2016 M. [G] signait un courrier adressé à cet organisme reprenant tous les retards sur la période 2012/2015. L'employeur dont le dirigeant a signé ce document et en avait donc connaissance ne peut valablement se prévaloir de ce que la société Audiens soutient n'avoir pas reçu ce document. Pour la période postérieure, la cour en déduit comme le soutient M. [Z], que l'employeur était informé des pratiques de son directeur pour pallier les difficultés de trésorerie que la société rencontrait.

La cour considère en conséquence que les faits sont prescrits en raison de leur ancienneté ou non établis et ne les retient pas.

En second lieu, l'employeur reproche à M. [Z] son refus réitéré d'être force de proposition alors qu'il était nécessaire de moderniser le processus de comptabilité de gestion et de finances de la société et d'avoir refusé d'exécuter les ordres en matière de mise en place d'un nouveau logiciel depuis 3 ans.

Contrairement à ce que soutient M. [Z], malgré leur ancienneté les faits ne sont pas prescrits puisque le refus allégué s'est prolongé tout au long des 3 années visées par l'employeur et jusqu'à la mise en place de l'audit dont le rapport a été déposé le 12 janvier 2017 sans qu'aucune date de compte rendu n'ait été fixée par M. [Z] jusqu'à la suspension du contrat de travail à la suite de son arrêt maladie. En revanche, l'employeur n'établit pas le refus du salarié d'être force de proposition, ni son refus d'exécuter les ordres en matière de mise en place d'un nouveau logiciel de suivi de trésorerie, ceux-ci n'étant pas justifiés, ni de ce que ce refus a contraint l'entreprise à faire procéder à un audit. La cour retient que seule l'absence de réunion de compte rendu de l'audit est établie.

En troisième lieu, l'employeur reproche au salarié son incapacité à manager efficacement sa petite équipe en lui imposant des amplitudes horaires anormales sans lui-même donner l'exemple, arrivant tard au travail le matin et se décalant pour déjeuner.

La cour relève que l'employeur ne justifie pas avoir pris connaissance de cette situation dans les 2 mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement ni qu'ils se sont poursuivis après, pas plus des horaires tardifs et décalés de M. [Z] de sorte que les faits ne sont pas retenus.

S'agissant enfin du comportement léger et inconséquent de M. [Z] qui n'a pas permis aux collaborateurs d'avoir accès à certains éléments bilantiels pendant son absence, la cour relève en premier lieu que l'employeur ne justifie pas avoir déjà adressé des reproches en ce sens au salarié contrairement à ce qu'il affirme et d'autre part qu'il ne justifie pas de la rétention alléguée alors que M. [Z] indique quant à lui que son assistante disposait d'un double de l'ensemble des clés et des codes d'accès à son ordinateur.

En définitive, la cour considère que les faits qu'elle retient comme établis à l'encontre du salarié ne sont pas de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail de M. [Z] et ne constituent pas davantage une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié présent dans l'entreprise depuis 16 ans et toujours accrédité de primes exceptionnelles de sorte que le jugement est confirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement :

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la société TSF à payer à M. [Z] la somme de 29'625 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 2 962,5 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, dont les montants ont été évalués sur la base du délai congé de 3 mois prévus par l'article 8 de son contrat de travail et du montant de la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait travaillé durant cette période

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :

Sur la base d'un salaire de référence de 9 875 euros sur lequel les parties s'accordent, et d'une ancienneté remontant au 7 mai 2001 et incluant le préavis, l'indemnité de licenciement due en application de l'article 4. 1. 3 de la convention collective s'évalue à la somme de 60'895,83 euros et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Employé depuis plus de 2 ans dans une entreprise comprenant au moins 11 salariés, M. [Z] doit être indemnisé en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur d'une somme qui ne peut être inférieure à ses salaires des six derniers mois en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017 applicable au litige. Eu égard à son ancienneté dans l'entreprise (16 ans), son âge au moment du licenciement (né en 1969), au montant des salaires des 6 derniers mois, à ce qu'il justifie de sa situation postérieure au licenciement, aux circonstances du licenciement, la société groupe TSF est condamnée à lui payer la somme de 130'000 euros suffisant à réparer son entier préjudice et le jugement est infirmé de ce chef.

Sur le préjudice moral :

M. [Z] sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 19'750 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral en invoquant ses conditions de travail difficiles ainsi que le caractère brutal du licenciement et l'infirmation du jugement quant au quantum de la somme allouée, tandis que la société groupe TSF conclut à l'infirmation du jugement et au débouté.

M. [Z] reproche au dirigeant de la société, M. [G] un comportement de plus en plus irrespectueux à son égard en s'appuyant sur un mail de ce dernier en date du 12 juin 2015 ainsi que sur l'attestation de M. [B] ancien directeur lumière du groupe.

La cour considère que ces pièces sont insuffisantes pour caractériser la difficulté des conditions de travail de M. [Z] étant observé que le mail critiqué de M. [G] remontant à deux ans avant le licenciement ne caractérise aucune pression insupportable, se contentant de réclamer à son subordonné avec agacement mais sans agressivité un document que celui-ci ne lui transmet pas, l'avisant qu'il entend exercer ses prérogatives patronales s'agissant des arbitrages et l'avertissant que la prochaine fois il se fâcherait. D'autre part M. [B] dans son attestation se contente d'évoquer dans des termes généraux et non circonstanciés la « brutalité », « l'injustice » « l'irrespect » dont ferait preuve M. [G] à l'égard de M. [Z] de sorte qu'elle est dépourvue à cet égard de toute valeur probatoire.

En revanche, la cour retient le caractère brutal du licenciement avec une mise à l'écart de l'entreprise et une mise à pied conservatoire qui ne s'imposait en rien puisque l'employeur avait mis à profit l'absence du salarié pour contrôler l'état de son service de sorte qu'elle fait droit à la demande de dommages-intérêts présentée par M. [Z] mais dans la limite de 3 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est donc infirmé sur ce point.

Sur l'exécution du contrat de travail :

M. [Z] soutenant que sa convention de forfait est nulle sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer des rappels d'heures supplémentaires, ainsi que les indemnités au titre de la contrepartie obligatoire en repos et l'infirmation du jugement qui l'a débouté de ses demandes financières.

La société groupe TSF soutient que la convention de forfait est valide, et s'oppose à la demande.

Sur la demande de nullité de la convention de forfait :

L'article 5. 6. 3 de la convention collective prévoit que « le forfait en jours s'accompagne pour chaque salarié d'un contrôle du nombre de jours ou demi-journées travaillés, au moyen d'un document mensuel de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que la qualification des jours non travaillés en repos hebdomadaire congés payés, jours de repos au titre de la réduction du temps de travail. Chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours bénéficie une fois par an, à sa demande, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoqués l'organisation du travail, la charge de travail qui en résultent l'amplitude des journées ».

Il est constant qu'en l'espèce, aucun document mensuel de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées conformément à l'article ci-dessus reproduit n'a été établi et il n'est pas non plus justifié d'un entretien annuel portant sur l'organisation et la charge de travail et l'amplitude des journées. Par ailleurs, c'est en vain que la société groupe TSF invoque l'accord d'aménagement et de réduction du temps de travail du 27 décembre 1999 puisqu'il n'est pas justifié du respect de cet accord quant au suivi de la charge de travail et au décompte du nombre de journées de travail.

La cour fait droit à la demande d'annulation de la convention annuelle de forfait de M. [Z].

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires :

La conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours illicite ne justifie pas par elle-même l'accomplissement d'heures supplémentaires dont l'existence doit être établie conformément à l'article L. 3171-4 du code du travail

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [Z] soutient avoir travaillé bien au-delà des 35 heures hebdomadaires, tard le soir et durant les congés de fin de semaine . Il verse aux débats des mails adressés à des heures tardives entre le 25 janvier 2017 et le 10 février 2017 ainsi qu'un mail du 16 février 2013 écrit en pleine nuit. Il communique également des SMS, des attestations et des tableaux récapitulatifs faisant état année après année du nombre d'heures effectuées.

Il communique ainsi à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées pour permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments.

L'employeur souligne que les tableaux récapitulatifs établis ne comprennent mention d'aucun horaire et se contentent d'invoquer avec une régularité quasi parfaite trois heures supplémentaires par jour tous les jours de l'année durant trois ans mais sans aucune précision de l'heure de début ou de fin de la journée de travail, ni mention des pauses ou des heures de déjeuner. Les attestations communiquées sont écrites dans des termes généraux, ne font état d'aucun horaire particulier et n'apportent aucun élément précis sur le début de la journée de travail alors que de son côté lui-même produit une attestation évoquant des horaires décalés. Enfin, il fait valoir que les échanges de SMS communiqués ne justifient pas de la réalité du travail alléguée, s'agissant essentiellement de prises de rendez vous.

Au vu des éléments produits par les deux parties la cour considère que M. [Z] qui disposait d'une totale autonomie dans l'organisation de son temps de travail n'a pas accompli d'heures supplémentaires et, confirmant le jugement, le déboute de sa demande en paiement de rappel de salaire à ce titre et de toutes les demandes en découlant.

Sur les autres demandes :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a fait application de l'article L. 1235- 4 du code du travail dans la limite de 2 mois d'indemnités.

La société Groupe TSF partie perdante est condamnée aux dépens et devra indemniser M. [Z] des frais exposés par lui et non compris dans les dépens tant en première instance que devant la cour à hauteur de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande en ce sens étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement sauf sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour préjudice moral distinct et de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

PRONONCE la nullité de la convention annuelle de forfait-jours,

CONDAMNE la société Groupe TSF à verser à M. [T] [Z] les sommes de :

- 130 '000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral distinct,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Groupe TSF de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Groupe TSF aux dépens.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/04450
Date de la décision : 04/02/2021

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°19/04450 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-02-04;19.04450 ?
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