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28/01/2021 | FRANCE | N°18/03340

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 28 janvier 2021, 18/03340


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 28 JANVIER 2021

(n° 2021/ ,2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/03340 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5GI4



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° F16/09275



APPELANTE



Mme [O] [P]

[Adresse 3]

[Localité 6]



Assistée d

e Me Xavier SAUVIGNET, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE



ASSOCIATION DE MOYENS ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 28 JANVIER 2021

(n° 2021/ ,2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/03340 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5GI4

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° F16/09275

APPELANTE

Mme [O] [P]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Assistée de Me Xavier SAUVIGNET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

ASSOCIATION DE MOYENS ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045

PARTIE INTERVENANTE :

Syndicat FORCE OUVRIERE du Personnel des Organismes Sociaux Divers et Divers de la Région Parisienne pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Xavier SAUVIGNET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Nelly CAYOT, Conseillère

Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Frantz RONOT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée du 1er juin 1982, Mme [O] [P] a été embauchée par la société IRPVRP en qualité de rédactrice, catégorie D coefficient 155. A compter de 2008, son contrat de travail a été transféré à l'association de moyens Malakoff Mederic puis à compter de 2016, elle est devenue salariée de l'AMA et enfin, depuis le 1er janvier 2019 de l'Association de moyens assurances de personnes (AMAP). A ce jour, elle occupe un emploi de conseillère prestations sociales individuelles et collectives, classe 3, niveau C selon la classification de la convention collective nationale de constitution des retraites complémentaires applicable à la relation de travail et perçoit une rémunération mensuelle de brute de base de 2 090,72 euros outre une prime d'ancienneté de 555,57 euros pour une durée de travail mensuel de 151,67 heures.

Mme [P] exerce des fonctions syndicales et de représentation du personnel dans l'entreprise depuis 1989.

Estimant être victime d'une discrimination en raison de son activité syndicale et de son sexe, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 29 juillet 2016 afin d'obtenir son positionnement en classe 5, niveau C, des dommages-intérêts en réparation de ses préjudices financier et moral causés par la discrimination ainsi que des dommages-intérêts pour violation des accords collectifs et violation de l'obligation de sécurité. Par jugement du 29 janvier 2018 auquel il convient de se reporter pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section commerce, a condamné l'Association de moyen assurances à payer à Mme [P] la somme de 9 060 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et celle de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté la salariée du surplus de ses demandes, l'employeur de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné l'AMA aux dépens.

Mme [P] a régulièrement relevé appel du jugement le 22 février 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives numéro 2, transmises par voie électronique le 16 octobre 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [P] prie la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a écarté la discrimination,

- déclarer irrecevable la prescription invoquée par l'AMAP en cause d'appel, subsidiairement, infondée,

- juger qu'elle a été victime de discrimination en raison de son activité syndicale et de son sexe,

- ordonner son repositionnement au 1er janvier 2016 à 51'800 euros annuels hors ancienneté coefficient 5 niveau C et condamner l'AMA à lui verser les rappels de salaire correspondant, application faite des augmentations générales et individuelles de sa catégorie,

- condamner l'AMA à lui verser les sommes de :

* 401'650,11 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique pour discrimination syndicale et à raison du sexe,

* 50'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi pour discrimination syndicale et à raison du sexe,

* 10'000 euros au titre de la violation des accords collectifs,

* 50'000 euros au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

* 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner l'AMAP aux entiers dépens en ce compris les frais d'exécution éventuels.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée numéro 4 transmises par voie électronique le 28 octobre 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, l'AMAP venant aux droits de l'AMA prie la cour de :

- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a débouté Mme [P] de ses demandes au titre d'une discrimination en raison du sexe et de l'appartenance syndicale et au titre de la violation de l'obligation de sécurité de l'employeur,

- l'infirmer partiellement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [P] les sommes de 9 060 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique et 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes,

- débouter le syndicat Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne de l'ensemble de ses demandes,

- condamner solidairement Mme [P] et le syndicat force ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 16 octobre 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le syndicat Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne est intervenu volontairement à l'instance et sollicite la condamnation de l'AMAP à lui payer les sommes de :

- 5 000 euros de dommages-intérêts suite à l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession,

- 1 000 euros de dommages-intérêts pour violation de l'accord sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes,

- 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 octobre 2020.

MOTIVATION :

Sur la prescription :

Mme [P] soutient que l'AMAP est irrecevable en ce qu'elle soulève la prescription de ses demandes pour les faits antérieurs au 29 juillet 2011 aux motifs qu'elle n'a diligenté son action que le 29 juillet 2016, en faisant valoir qu'elle n'a pas soulevé ce moyen en première instance, que cette demande nouvelle est irrecevable et ne figure pas en tête des conclusions.

La cour observe qu'aucune fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de Mme [P], recevable en tout état de cause en application de l'article 123 du code de procédure civile, n'est présentée dans le dispositif des écritures de l'AMAP de sorte que la recevabilité de la demande de Mme [P] n'est pas contestée.

Sur l'existence d'une discrimination :

L'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige prohibe toute mesure discriminatoire directe ou indirecte à l'égard d'une personne en raison de ses activités syndicales ou de son sexe, notamment en matière de classification ou promotion professionnelle. En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de cet article, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [P] prétend avoir été victime d'une discrimination en raison de ses activités syndicales et de son sexe qu'elle décline tant en termes d'évolution de sa carrière qu'en termes de rémunération et présente les éléments de fait suivants :

- l'absence d'évolution de sa carrière,

- une évolution salariale faible,

- une quasi absence d'entretiens d'évaluation et de carrière,

- une situation de discrimination hommes femmes systémique dans l'entreprise,

- la comparaison avec les salariés placés dans une situation similaire à la sienne : tout en critiquant le panel communiqué par l'AMAP, Mme [P] soutient qu'il fait apparaître que les hommes bénéficient en moyenne de rémunérations plus importantes que les femmes,

- un harcèlement discriminatoire depuis 2008.

Sur l'absence d'évolution de sa carrière, Mme [P] soutient qu'elle a toujours exercé les mêmes fonctions depuis le début de sa carrière malgré les changements de dénomination de son emploi, les titres de rédactrice, correspondante sociale et finalement conseillère en prestations sociales individuelles et collectives apparaissant sur ses bulletins de salaire recouvrant les mêmes fonctions. Par ailleurs, elle soutient que les changements de classification dont elle a bénéficié, passant des niveaux D 155 à D 175 puis E 180 et enfin C 3 ne sont intervenus qu'à la faveur de changements automatiques issus de l'application d'accords collectifs ou de la convention collective.

Sur la faible évolution salariale, Mme [P] soutient que son salaire est passé de l'équivalent de 1 396,46 euros en 1982 à 2 491,67 euros en 2016 (ancienneté incluse), soit une augmentation de 1,29 % par an, ce qui ressort de la communication de son contrat de travail et de ses bulletins de salaire jusqu'au 31 décembre 2016.

Sur la quasi absence d'entretien d'évaluation, les faits sont établis par la communication de la synthèse de l'entretien du 15 novembre 2004 et du compte rendu d'entretien professionnel suivant du 31 mai 2017.

Sur la situation systémique de discrimination hommes/femmes dans l'entreprise, Mme [P] s'appuie sur le rapport annuel égalité professionnelle hommes femmes relatif à l'année 2014, celui relatif à l'année 2016 et les chiffres apportés par la direction dans le cadre des négociations annuelles obligatoires 2019 qui font apparaître selon elle :

- une surreprésentation des femmes dans la catégorie employé (84 % des effectifs en 2014, 83% en 2019 contre 16 % et 17 % pour les hommes),

- un avancement de carrière ralenti pour les femmes qui présentent en 2014 une ancienneté plus importante dans la catégorie employée (19,6 ans) que les hommes (16,9 ans),

- une forte disparité entre les salaires moyens hommes/femmes en 2016 (5 524 euros pour les hommes, 3 632 euros pour les femmes),

- une inégalité salariale à son niveau de classification 3C inférieure pour les femmes et plus encore pour elle-même (2 336 euros pour les hommes, 2 317 pour les femmes hors ancienneté, 1 953,53 pour elle-même en 2014 toujours hors ancienneté et 2 426 euros pour les hommes 2 423 pour les femmes et 2 068,34 pour elle-même en 2019.

Sur la comparaison avec les salariés placés dans une situation similaire à la sienne, Mme [P] soutient que la comparaison de sa situation avec celle des salariés figurant dans le panel produit par l'employeur, c'est-à-dire les salariés embauchés comme elle entre 1980 et 1984 ayant le même niveau de diplôme qu'elle et exerçant en région parisienne et encore présents dans les effectifs au 31 décembre 2015, fait apparaître que les hommes ont en moyenne une rémunération plus importante que les femmes, que les salaires théoriques minimum et maximum des femmes sont inférieurs à ceux des hommes et qu'en tout cas, sa rémunération annuelle est inférieure à celle de tous les hommes.

Sur le harcèlement moral discriminatoire, Mme [P] soutient enfin avoir été victime d'agissements de harcèlement discriminatoire en invoquant :

- son délaissement soudain,

- le sous-effectif constant du comité d'entreprise,

- l'absence de reconnaissance de son travail,

- sa mise sous pression accrue à partir de 2013,

- la comptabilisation erronée de ses heures de travail,

- la comptabilisation empêchée de ses congés.

La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et que l'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

La cour ne retient pas que le délaissement soudain de la salariée que celle-ci allègue est établi puisque qu'il est constant qu'elle a refusé de suivre son service lorsque l'employeur l'a installé dans de nouveaux locaux. En revanche, il ressort des écritures des parties que Mme [P] n'a plus accompli de mission dans le cadre de son activité de conseillère à compter du déménagement du service action sociales en juin 2008. Les faits sont donc retenus par la cour.

Par ailleurs, la salariée ne peut valablement invoquer le sous-effectif du comité d'établissement lequel n'est pas établi par les protocoles pré électoraux versés aux débats par l'employeur.

S'agissant de l'absence de reconnaissance de son travail, les faits ne sont pas établis par la simple volonté de l'employeur que Mme [P] exerce concrètement l'activité pour laquelle elle a été recrutée au sein de l'entreprise contrairement à ce que celle-ci avance.

S'agissant de la pression accrue subie par la salariée à partir de 2013, elle n'est pas établie par les échanges de mails qu'elle communique, ceux-ci concernant des propositions de formation, auxquelles la salariée répond plus de 2 mois après avoir les reçues, un compte rendu de formation, un compte rendu d'entretien, une éventuelle intégration au sein du CTAI et des demandes de rendez-vous particulièrement laborieuses de part et d'autre.

A l'opposé, s'agissant de la comptabilisation erronée des heures de travail, et la gestion des jours de congés, les faits sont établis ainsi que cela ressort des écritures des parties.

Pris dans leur ensemble, les faits que la cour a retenus comme étant établis permettent de présumer des agissements de harcèlement moral et il appartient donc à l'employeur de démontrer qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

S'agissant de l'absence de fourniture du travail, l'employeur fait valoir qu'à partir de 2008, après le déménagement du service, Mme [P] a refusé d'assumer ses missions contractuelles de conseillère action sociale malgré les propositions qui lui ont été faites de nature à concilier au mieux son temps d'activité professionnelle et ses mandats en s'appuyant sur les échanges de mails et de courriers produits par la salariée. Toutefois la lecture de ces pièces ( pièce 4 à 28 du bordereau de communication de Mme [P]) amènent la cour à former les observations suivantes :

- il n'est rien produit pour toute la période courant de mai 2008, date du déménagement à septembre 2011 ; de sorte que l'employeur ne justifie pas des missions qu'il a confiées à la salariée pendant cette période,

- dans ses écritures la salariée évoque une proposition en septembre 2010 tout en faisant référence à des échanges de mails de septembre 2011 lesquels n'évoquent pas de proposition particulière mais illustrent les difficultés de rencontre entre Mme [P] et le service des Ressources humaines,

- le premier mail formalisé par l'employeur qui évoque clairement l'exécution de sa prestation de travail par Mme [P] date du 4 mars 2013. Mme [Y], la supérieure hiérarchique de Mme [P] y rappelle les termes de leur entretien du même jour, lui propose de prendre en charge les dossiers EHPAD dont la gestion s'adapterait à ses disponibilités (50% de son temps à compter de septembre 2013) et de suivre une formation adaptée, dont elle lui donne les dates. La salariée ne répond à ce mail que le 16 mai 2013 plus de deux mois après,

- des rencontres sont à nouveau évoquées par l'employeur par des mails adressés en janvier 2014 puis en avril 2014 aboutissant à une rencontre en juin 2014, sans qu'il soit fait état de propositions particulières ou de demandes précises,

- le 8 juillet 2015, l'employeur propose à la salariée de reprendre sa mission contractuelle en intégrant une équipe action sociale à 30% de son temps, et réitère sa demande par courriel du 15 septembre 2015 Mme [B], évoquant des modalités d'exécution du contrat de travail à hauteur de 30% du temps pour traiter 7 dossiers par jour avec l'assurance de fournir à Mme [P] les formations nécessaires,

- celle-ci refuse cette proposition par courrier recommandé du 14 octobre 2015, sollicitant son détachement comme gestionnaire des activités sociales du comité d'établissement.

Il ressort de ces échanges que la salariée est restée comme elle le soutient sans aucune mission confiée par son employeur depuis 2008, et que celui-ci ne justifie pas l'avoir sollicitée avant mars 2013 puis finalement juillet 2015, la salariée pour sa part ayant exprimé une demande de détachement à laquelle il n'a pas été donné suite, en juillet 2015. La cour considère en conséquence qu'à compter de mars 2013, l'employeur justifie l'absence de mission confiée à la salariée par des circonstances objectives étrangères à tout agissement de harcèlement, relevant du positionnement de la salariée et sa volonté d'être détachée à plein temps au comité d'établissement. En revanche, pour la période antérieure courant du déménagement en 2008 à septembre 2013 il ne justifie pas des missions qu'il lui a confiées ou aurait tenté lui confier. La cour considère, en conséquence, que le harcèlement moral discriminatoire invoqué par la salariée est établi à défaut pour l'employeur de prouver que cette absence de fourniture de travail à la salariée pendant plusieurs années est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison des activités syndicales de Mme [P], étant rappelé qu'en la matière un seul fait suffit à caractériser le harcèlement moral allégué de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'évoquer les faits relatifs aux dysfonctionnements des systèmes de comptabilisation des absences et congés également invoqués par la salariée.

En définitive, sur la discrimination, les éléments de fait présentés par Mme [P] que la cour a retenus, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser supposer qu'elle a été victime d'agissements discriminatoires en raison de ses activités syndicales ou de son sexe de sorte qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'ils sont en réalité justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

S'agissant de l'absence d'évolution de la carrière de Mme [P] et l'absence d'entretien d'évaluation entre 2004 et 2017, l'employeur explique que depuis 2008, Mme [P] a refusé toute proposition tendant à lui faire retrouver un exercice effectif de ses fonctions ce qui est corroboré à partir de mars 2013 par les échanges de mails communiqués comme il a été vu ci dessus. En revanche, l'employeur ne justifie par aucun élément objectif des raisons pour lesquelles Mme [P] n'a fait l'objet d'aucun entretien d'évaluation après 2004, quatre ans avant le déménagement de son service et jusqu'en 2017, 11 ans après le déménagement.

S'agissant de la faible évolution du salaire de Mme [P], la cour relève que l'employeur n'est pas en mesure d'expliquer par des raisons objectives étrangères à toute discrimination pourquoi la salariée n'a bénéficié que des augmentations collectives à l'exclusion des augmentations individuelles étant rappelé qu'elle n'a bénéficié d'aucun entretien d'évaluation pour entre 2004 et 2017 comme il a été vu ci-dessus.

Sur la discrimination en raison du sexe, enfin, la cour relève que l'employeur n'apporte aucune explication objective étrangère à toute discrimination lui permettant de justifier pourquoi le salaire théorique moyen des hommes est plus élevé que celui des femmes, l'explication selon laquelle un homme a acquis un niveau de classification particulièrement élevé n'y suffisant pas d'autant qu'il ressort de ses propres tableaux que le salaire médian des femmes en 2015 (43 225,81 euros ) reste inférieur à celui des hommes (44 530,23 euros). Par ailleurs, la cour observe qu'en 2014, les données du rapport annuel égalité professionnelle hommes-femmes établit que le salaire moyen des femmes relevant de la catégorie employé 3C comme Mme [P] hors ancienneté (2 317euros) était légèrement inférieur à celui des hommes (2 336 euros) et l'employeur n'apporte aucune raison objective justifiant cette situation étant observé que le propre salaire de Mme [P] au 31 décembre 2014, s'élevait hors ancienneté à un montant de 1 938,53 euros. Si en 2016, la situation se rétablissait en faveur des femmes, en 2019, il n'en était plus de même puisque les données chiffrées résultant des documents versés pour la négociation annuelle obligatoire établissent que le salaire mensuel moyen hors ancienneté des femmes relevant de la catégorie 3C (2 384 euros) était inférieur à celui des hommes (2 418), le salaire de Mme [P] s'élevant quant à lui hors ancienneté à 2 068,34 euros.

Il résulte de ce qui précède des éléments suffisants pour retenir que Mme [P] a subi des agissements discriminatoires en raison de ses activités syndicales et de son sexe pour une période courant respectivement à compter de 2005 pour les uns et de 2014 pour les autres, les données chiffrées pour la discrimination en raison du sexe remontant à 2014.

Sur la réparation de la discrimination :

A titre liminaire, la cour rappelle que le principe de la réparation intégrale du préjudice subi en raison de la discrimination implique la prise en compte de l'ensemble de la période concernée par les agissements de discrimination sans que la prescription des faits puisse être soulevée dès lors que l'action en réparation de la discrimination est recevable. Le moyen tiré de la prescription des faits antérieurs à 2011 est donc rejeté.

En premier lieu, Mme [P] sollicite d'être reclassée au coefficient 5 niveau C avec un salaire annuel moyen de 51'800,01 euros correspondant à celui des hommes, écartant les femmes de son calcul en raison de la discrimination subie.

La cour rejette la demande de repositionnement puisque Mme [P] ne communique pas de pièces établissant qu'elle exerce concrètement des fonctions qui relèvent du niveau 5 position C de la convention collective. En revanche, compte tenu de la discrimination retenue, la cour ordonne que Mme [P] soit repositionnée à compter du 1er janvier 2016 hors prime d'ancienneté sur la base d'un salaire théorique mensuel hors prime d'ancienneté de 2 372 euros correspondant au salaire moyen des femmes de sa catégorie (supérieur à celui des hommes et à celui de Mme [P]) à compter du 1er janvier 2016 avec le bénéfice des augmentations collectives de sa catégorie.

Au titre du préjudice économique, la cour fait droit à la demande de la salariée en la limitant à la somme de 36 000 euros compte tenu de la durée de la période discriminatoire retenue depuis 2005 et d'un écart de salaire mensuel de 350 euros en 2019, suffisant à réparer son entier préjudice. L'AMAP est donc condamnée au paiement de cette somme et le jugement est infirmé de ce chef.

Au titre du préjudice moral, Mme [P] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 50'000 euros de dommages-intérêts invoquant le nécessaire préjudice qu'elle a subi du fait de la double discrimination engendrée par le comportement de l'AMAP. La cour condamne l'employeur à ce titre à lui payer une somme de 10 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur la violation de l'obligation de sécurité :

Mme [P] prétend que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité en la laissant dans une situation d'isolement ayant nécessairement eu un risque sur sa santé, dont elle demande réparation à hauteur de la somme de 50'000 euros. La cour relève que Mme [P] n'est pas restée seule dans les locaux puisqu' indépendamment du déménagement de son service, d'autres salariés restaient présents et notamment ceux du CE qu'elle a rejoints et qu'elle ne justifie en rien d'une dégradation de son état de santé, de sorte que sa demande est rejetée faute pour elle de justifier et de la faute de l'employeur et de son préjudice. Le jugement est donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la violation des accords d'entreprise :

Mme [P] reproche à l'AMAP une violation des accords d'entreprise signés par l'employeur avec les représentants du personnel relatifs à la reconnaissance de l'activité syndicale afin d'assurer aux élus du personnel le même traitement qu'aux autres salariés notamment en ce qu'ils stipulent que :

- l'exercice d'un mandat doit être compatible avec une évolution de carrière et une évolution salariale du collaborateur mandaté comparable à celle des autres collaborateurs,

- en fin d'année un bilan du temps réellement consacré à l'exercice de mandats et de l'équilibre trouvé entre le temps consacré à l'activité professionnelle et à l'exercice du mandat est réalisé,

- les salariés titulaires d'un mandat désignatif ou électif bénéficient des entretiens d'évaluation professionnels dans les mêmes conditions que l'ensemble des collaborateurs.

Elle sollicite une somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

L'AMAP s'oppose à la demande en soutenant que les manquements allégués ne sont pas établis.

La cour rappelle qu'en application de l'article L. 2262-12 du code du travail, les personnes liées par une convention ou un accord peuvent intenter toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et le cas échéants des dommages-intérêts contre les autres personnes ou les organisations ou groupements liés par la convention ou l'accord qui violeraient à leur égard ces engagements. Cependant Mme [P] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui qui a été réparé au titre de la discrimination subie de sorte qu'elle est déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Sur l'intervention volontaire du syndicat FO du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne :

Le syndicat Force ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne est intervenue volontairement à l'instance et sollicite la condamnation de l'AMAP à lui payer la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts suite à l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession. Eu égard à la solution du litige, l'AMAP est condamnée à lui payer la somme de 1 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice.

Par ailleurs, s'agissant de la violation de l'accord sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes en vigueur dont le syndicat est l'un des signataires, la cour condamne l'AMAP à payer au syndicat la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur les autres demandes :

La cour rappelle que les intérêts au taux légal portant sur les créances indemnitaires sont dus à compter de la décision qui les prononce et ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil.

L'AMAP partie perdante est condamnée aux dépens, et doit indemniser Mme [P] des frais exposés par elle tant en première instance qu'en cause d'appel et non compris dans les dépens à hauteur de la somme totale de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. S'agissant des frais d'exécution La cour rappelle qu'ils ne sont pas compris dans les dépens et que leur sort est réglé par les dispositions du code des procédures civiles exécution. La cour ne fait pas application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur du syndicat.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] [P] de ses demandes de dommages-intérêts pour violation des accords professionnels et pour violation de l'obligation de sécurité,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

ORDONNE à l'Association de moyen assurances de personnes de positionner Mme [O] [P] au 1er janvier 2016 sur la base d'un salaire mensuel théorique hors prime d'ancienneté de euros brut et la condamne à lui payer les rappels de salaire correspondant application faite des augmentations générales relatives à sa catégorie,

CONDAMNE L'Association de moyen assurances de personnes à payer à Mme [O] [P] les sommes de :

- 36'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique subi pour discrimination syndicale et à raison du sexe,

- 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

CONDAMNE L'Association de moyen assurances de personnes à payer au syndicat Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne les sommes de :

- 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession,

- 1 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour violation de l'accord collectif portant sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes,

RAPPELLE que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

DÉBOUTE Mme [O] [P] et le syndicat Force Ouvrière du personnel des organismes sociaux divers et divers de la région parisienne du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE l'Association de moyen assurances de personnes à verser à Mme [O] [P] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel et non compris dans les dépens,

CONDAMNE l'Association de moyen assurances de personnes aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 18/03340
Date de la décision : 28/01/2021

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°18/03340 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-28;18.03340 ?
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