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19/01/2021 | FRANCE | N°18/07014

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 19 janvier 2021, 18/07014


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRÊT DU 19 JANVIER 2021



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07014 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5N4N



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mars 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 01 - RG n° 17/00194





APPELANT



Monsieur [M] [X]

Né le [Date naissance 2] 1963 à [Localit

é 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat pl...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 19 JANVIER 2021

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07014 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5N4N

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mars 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 01 - RG n° 17/00194

APPELANT

Monsieur [M] [X]

Né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Lee TAKHEDMIT de la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Lucas HERVÉ, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉE

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Anne-laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079 substituée à l'audience par Me Nazli ERSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : R079

M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS DE LA COUR D'APPEL DE PARIS

34 Quai des Orfèvres

75053 PARIS CEDEX 01

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Novembre 2020, en audience publique devant le pôle 2 - chambre 1, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, pour Mme Nicole COCHET, première présidente empêchée.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente

Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Nicole COCHET, Première présidente et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * *

A la suite d'une condamnation par défaut prononcée par le tribunal correctionnel de Toulouse le 1er décembre 2011 à 18 mois d'emprisonnement pour escroquerie, faux et usage de faux, avec mandat d'arrêt, à l'encontre de M.[M] [X], celui-ci, interpellé en Thaïlande où il se trouvait, a été conduit le 5 avril 2012 devant le juge des libertés et de la détention de Bobigny, devant lequel il a formé opposition à ce jugement.

Après un supplément d'information ordonné le 31 mai 2012, le tribunal correctionnel de Toulouse a par jugement du 11 avril 2013 relaxé M.[X] des chefs de la poursuite.

Ayant été inscrit sur le fichier des personnes indésirables en Thaïlande du fait du mandat d'arrêt le concernant, M.[X] n'a pu regagner ce pays qu'au mois de juin 2014.

Considérant la mise en liquidation judiciaire de la SA Orient Thaï Export, qu'il dirigeait et animait en Thaïlande, imputable à cette situation d'absence prolongée, M.[X] a fait attraire l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance -aujourd'hui tribunal judiciaire - de Paris, pour voir engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, compte tenu des dysfonctionnements graves du système judiciaire, constitutifs d'une faute lourde, dont il estime avoir été ainsi victime.

Par jugement du 5 mars 2018, le tribunal saisi a rejeté la demande de M.[X] et l'a condamné à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 4 avril 2018, M.[X] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures notifiées par Rpva le 29 mars 2019, M.[X] demande à la cour

- de dire son appel recevable et bien fondé ;

- d'infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau,

- de dire l'Etat responsable de la faute lourde commise par le service public de la justice judiciaire,

- de condamner l'agent judiciaire de l'Etat à indemniser l'intégralité de ses préjudices, et en conséquence, avant dire droit, d'ordonner une expertise comptable confiée à un expert-comptable, lequel serment préalablement prêté, s'il n'en est légalement dispensé, aura pour mission notamment de :

- Fournir le maximum de renseignements sur la SA Orient Thaï Export

- Déterminer, au vu des pièces comptables et fiscales, les pertes économiques survenues à compter de l'interpellation de Monsieur [X], et celles imputables à la cessation d'activité de Monsieur [X] en excluant celles imputables à l'évolution du marché ou à l'évolution normale de la société

- Evaluer les pertes de revenus de Monsieur [X] en prenant en compte le montant des charges passées ou futures pour les années 2012 et 2013

- Déterminer, au vu des pièces comptables et fiscales, l'évolution potentielle du chiffre d'affaires de la société qui aurait pu être réalisé en l'absence de cessation d'activité, et les pertes économiques futures au regard de l'évolution du chiffre d'affaires de la société qui aura été préalablement évalué conformément au point précédent ;

- Au total, déterminer la perte de revenus de Monsieur [X] pour les années 2012 et 2013 et, éventuellement en retenant une perte de chance, pour les revenus futurs qui devaient être perçus après l'année 2013 ;

- de condamner l'agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [M] [X] la somme de 50.000 €, à titre de provision, à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

- de le condamner à verser à M. [M] [X] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Selarl Lexavoué Paris - Versailles.

Dans ses dernières écritures notifiées par Rpva le 28 juin 2019, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour

- de confirmer intégralement le jugement rendu le 5 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Y ajoutant

- de condamner M. [M] [X] à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de le condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Anne-Laure Archambault, avocat, ainsi qu'il est dit à l'article 699 du code de procédure civile .

Dans son avis notifié par Rpva le 19 février 2019, le ministère public conclut à la confirmation du jugement dont appel, rappelle que la faute lourde de peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué, or en l'espèce, aussi bien l'erreur prétendue dans l'identification de l'auteur de l'infraction, que la condamnation pénale et sa mise à exécution, qui ne peuvent constituer que des 'mal jugé', ont été réparés par le tribunal de Toulouse qui a prononcé la relaxe de M.[X].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2020.

SUR CE,

Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat

Le tribunal, pour rejeter la demande, a retenu les éléments suivants :

- Alors que M.[X] se dit installé en Thaïlande depuis 2006, il ne justifie que d'y avoir été autorisé à résider depuis le 20 juillet 2011, que de même son mariage avec son épouse thaïlandaise a eu lieu en France le 19 octobre 2012, et non en 2010 en Thaïlande comme il le soutient, enfin il ne justifie de la création de sa société Orient Thaï Export qu'au 11 mars 2011 et n'en avoir sollicité l'enregistrement que le 23 février 2012, et non en novembre 2010 comme il le soutient ; il échoue donc à rapporter la preuve de ce qu'il se trouvait en Thaïlande et non en France à la date des faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de la procédure pénale, commis entre le 1er août et le 3 septembre 2010 ;

- sa relaxe tient au doute sur sa culpabilité, celle-ci ne procédant que de sa reconnaissance par les victimes sur une photographie de mauvaise qualité alors que son frère, qui lui ressemble, s'est lui-même reconnu seul coupable des faits en question, le procès verbal de synthèse établi par la police ayant conclu à l'implication de deux individus dont l'un se serait enfui vers la Thaïlande, et l'autre vers une destination inconnue ;

- il s'abstient de produire le jugement du 1er décembre 2011 qui l'a condamné, qui aurait permis de connaître l'adresse à laquelle il avait été cité et le rôle attribué par le tribunal à chacun des deux frères ; au demeurant, l'absence de poursuite à l'encontre de [R] [X] ne prouve pas non plus un dysfonctionnement du service public de la justice, puisque tous deux étaient suspectés, et l'appelant est mal venu de reprocher aux services de police de ne pas l'avoir entendu dans le cadre de l'enquête dès lors que précisément il s'était enfui en Thaïlande.

M.[X] maintient que la faute du service public de la justice est en l'espèce patente, faisant valoir les éléments suivants :

- en Thaïlande depuis septembre 2006 où il a obtenu une carte de résident et un permis de travail, il y a fondé à la fois un foyer, par son mariage en 2010 avec une résidente thaïlandaise et une société en novembre de la même année, la société 'Orient Thaï Export', fabricant, distributeur et exportateur de textiles 'vintage', en pleine expansion au vu du triplement de son chiffre d'affaires entre l'année 2011 et l'année 2012 ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal dans la décision dont appel, sa carte consulaire fait la preuve de ce qu'il résidait bien en Thaïlande à la date des faits reprochés, et ce depuis 2006 ; il était d'ailleurs affilié au régime de protection sociale de la Caisse des français de l'étranger auprès de laquelle était enregistrée son adresse en Thaïlande depuis 2008 ;

- à la suite de sa condamnation par défaut et du mandat d'arrêt émis à son encontre, il a été transféré en France où il a fait opposition au jugement et a finalement été relaxé, mais son signalement aux autorités thaïlandaises comme un délinquant a rendu son retour impossible avant juin 2014 où il a pu obtenir son retrait du fichier des personnes interdites sur le territoire

- dans ce laps de temps, il a été coupé de son épouse et sa société, dans laquelle il avait la responsabilité de tous les contacts et de toutes les commandes, a périclité, en sorte que ses projets familiaux et professionnels se sont ainsi trouvés anéanti ;

- la faute de l'institution judiciaire à l'origine des préjudices ainsi subis est grossière, pleinement identifiée par le jugement de relaxe du 11 avril 2013 , et ne tient pas seulement au jugement de condamnation initialement rendu mais à une chaîne d'erreurs qui confinent à la faute lourde, commises tant au stade de l'enquête policière, que de l'appréciation de l'opportunité des poursuites, de la citation devant le tribunal correctionnel et de l'audience qui a conduit au jugement, dont le cumul caractérise la responsabilité fautive de l'Etat ;

- il a été à tort considéré sans domicile connu dans la procédure, comme le mentionne le jugement, avec cette conséquence qu'aucune recherche n'a été faite pour lui délivrer la citation devant le tribunal, qui a été faite à Parquet, d'où sa non comparution qui aurait pu être évitée, car aurait il reçu la citation qu'il aurait comparu devant le tribunal pour s'expliquer sur les faits qui lui étaient à tort reprochés ; bien évidemment il n'a lui-même jamais 'pris la fuite' en Thaïlande, s'y trouvant très antérieurement aux faits reprochés et pour des motifs sans aucun rapport avec ceux-ci ;

- les investigations objectives et techniques qui auraient dû avoir lieu n'ont pas été réalisées, les documents argués de falsification n'ayant jamais fait l'objet notamment d'une expertise graphologique comparative qui aurait nécessairement démontré son absence d'implication ; de même sa résidence en Thaïlande aurait pu être vérifiée par des investigations basiques, comme le contrôle de son passeport, de ses appels téléphoniques, auprès des banques, des compagnies aériennes, dans son environnement familial, ou par réquisition auprès des services consulaires ;

- son frère n'a jamais été poursuivi, alors même que l'enquête l'avait confirmé comme seul et unique auteur des infractions, en sorte que s'il ne se plaint pas de ce que son frère n'a pas été condamné, il proteste en revanche pour l'avoir lui-même été seul alors que tout convergeait pour établir la culpabilité de son frère, en ce compris les aveux circonstanciés de ce dernier ;

- sa condamnation ne résulte donc que de déductions hâtives et lacunaires liées à son nom de famille et à une prétendue ressemblance physique avec son frère, constituant une lamentable erreur sur la personne, ce que le tribunal, dans le jugement de 2013, a sèchement relevé, considérant que le seul élément à charge n'était pas une preuve et n'était pas non plus fiable, s'agissant d'une reconnaissance partielle et non concordante par certaines victimes sur une photo de qualité incertaine et ordonnant sur ce point le supplément d'information qui a conduit au jugement de relaxe ; cependant, les carences de l'enquête et la fragilité des charges à son encontre étant patentes, c'est dès la décision du 1er décembre 2011 que la plus grande prudence aurait dû être de mise à son égard ;

- le non respect des règles de l'article 562 du code de procédure pénale en matière de citation d'une personne résidant à l'étranger est une autre composante de la faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat, la condamnation par défaut avec mandat d'arrêt prononcée n'ayant pas été réparée en toutes ses conséquences par la relaxe ultérieurement obtenue sur opposition ;

- Cette succession d'erreurs grossières est la cause de son départ de Thaïlande et de ce qu'il a été déclaré indésirable dans ce pays.

En réplique, l'agent judiciaire de l'Etat, soutenu par le Ministère public, reprenant les principes déterminants de l'engagement de la responsabilité de l' Etat au titre des dispositions de l'article L 141 -1 du code de l'organisation judiciaire, et sur la ligne du jugement dont appel, maintient

- que la seule faute reprochée au service public de la justice est en fait la condamnation du 1er décembre 2011, et les actes pris pour son exécution, ce 'mal jugé' n'étant pas une faute lourde et se trouvant en toute hypothèse réparé par l'exercice de l'opposition, qui a débouché sur le jugement de relaxe ultérieur,

- que l'erreur grossière sur la personne auteur de l'infraction n'est pas établie, et qu'en toute hypothèse, comme l'ont indiqué les premiers juges, les deux frères étaient suspectés,

- que contrairement à ce que soutient M. [X], les services de la justice n'avaient pas connaissance de sa résidence en Thaïlande à la date de la procédure critiquée et M.[X] n'en rapporte pas la preuve, ni par sa carte consulaire qui ne mentionne que sa date d'expiration ni par sa carte de sécurité sociale de la Caisse des français à l'étranger,

- que l'absence de citation a été réparée par l'usage de la voie de recours que constitue l'opposition,

- que l'exécution du jugement du 1er décembre 2011, comme la décision du tribunal saisi sur opposition d'ordonner un supplément d'information, témoignent du bon fonctionnement du système judiciaire.

L'article 141-1 du code de l'organisation judiciaire oblige l'Etat à réparer le dommage résultant du fonctionnement défectueux du service public de la justice, qui suppose le constat d'une faute lourde ou d'un déni de justice, la faute lourde consistant en une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Les éléments produits devant la cour démontrent les attaches réelles de M.[X] avec la Thaïlande depuis plusieurs années avant son interpellation sur mandat d'arrêt décerné par le tribunal de Toulouse.

- Il était titulaire de la carte consulaire de la section consulaire de Bangkok attestant de son inscription auprès de ce poste consulaire, cela depuis 2006, puisque une telle carte est délivrée pour cinq ans et que la date d'expiration portée sur la sienne est le 28 décembre 2011.

- Il produit en outre sa carte d'inscription à la caisse de sécurité sociale des étrangers, émise le 30 juillet 2008.

- Il verse aussi au débat un livret de famille établissant son mariage avec [P] [E], ressortissante thaïlandaise, sur lequel les premiers juges ont relevé qu'il mentionnait sa célébration en France le 19 octobre 2012, alors que lui-même faisait état d'une célébration en 2010 en Thaïlande. Cependant, outre qu'un mariage civil en France n'est pas incompatible avec la célébration antérieure d'un mariage traditionnel en Thaïlande, il est avéré, quels qu'aient été la date et le lieu effectifs de ce mariage, que la relation des époux était très antérieure à celui-ci, , tous deux étant les parents d'une enfant née en 2005, dont la protection sociale était prise en charge par la caisse des Français de l'étranger, qui couvrait M.[X] depuis 2008.

- outre ces attaches personnelles avec la Thaïlande, M.[X] y avait créé son entreprise en mars 2011, la préparation de cette opération requérant nécessairement sa présence préalable dans le pays.

Au demeurant, il ne peut être utilement soutenu que le statut d'expatrié de M. [M] [X] était ignoré, alors que le 'compte rendu d'enquête après identification'daté du 4 avril 2011, qui le présente comme l'auteur de l'infraction, fait état de deux mis en cause, à savoir son frère [R] [X] et lui-même, en précisant à son égard une adresse au '[Adresse 3] ( Thaïlande).

M. [M] [X] était durablement installé, depuis plusieurs années avant les faits qui ont donné lieu à sa condamnation.

Certes, l'installation durable de M.[M] [X] en Thaïlande, à une adresse identifiée au cours de l'enquête, n'est pas incompatible avec sa possible présence en France au moment des faits, mais elle aurait dû, à tout le moins, constituer un obstacle dirimant à l'établissement par le ministère public, le 22 octobre 2011, d'un mandatement en vue de délivrer une citation à M. [M] [X] faisant mention de ce qu'il était sans domicile connu, d'où la délivrance de cette citation à Parquet qui ne pouvait conduire qu'à un jugement par défaut.

Par ailleurs les charges à l'encontre de M. [M] [X] étaient des plus ténues, sa mise en cause reposant sur l'implication de son frère et sur le fait tenu pour acquis que celui-ci n'avait pas agi seul, sans précisions sur les raisons de l'identification de l'appelant comme complice, sinon grâce à une reconnaissance photographique incertaine dont le tribunal statuant sur opposition a effectivement souligné qu'elle constituait l'unique élément à charge. C'est pourtant dans ce contexte peu probant que M. [M] [X] a finalement été impliqué, poursuivi, et seul condamné, sans avoir jamais été entendu, sans que la moindre tentative de confrontation avec son frère ait été effectuée, ni même que la simple question de sa présence en France au moment des faits ait fait l'objet de vérifications dont M.[X] souligne à juste titre qu'elles auraient été simples à réaliser.

L'enquête a donc été largement approximative, tout comme l'a été la décision du ministère public d'engager des poursuites sur la base de cette enquête, sans demander d'investigations complémentaires.

Le tribunal cependant, dans le jugement de défaut du 1er décembre 2011, sans vérifier les conditions de la citation et en se contentant des éléments de l'enquête, a sur la base d'une motivation elliptique sinon inexistante prononcé par défaut une condamnation à dix huit mois d'emprisonnement ferme qu'il a en outre décidé d'assortir d'un mandat d'arrêt, soit une condamnation lourde qui, compte tenu de la légèreté du dossier, ne relève pas seulement du 'mal jugé' mais d'un manque de discernement blâmable.

Contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, la chaîne d'approximations et de manquements qui caractérise ainsi de bout en bout la procédure conduite à l'encontre de M.[X] constitue manifestement une faute, dont la plus importante est d'avoir fait délivrer à M.[X] une citation à parquet alors que son domicile à l'étranger était certain et connu des services d'enquête et donc du ministère public, cette négligence ayant eu pour conséquence de le priver, faute d'application de l'article 562 du code de procédure pénale, de toute possibilité d'avoir connaissance de la citation, et donc d'être présent à la première audience du 1er décembre 2011 pour y exercer son droit fondamental à une défense qui, de manière certaine au vu de la suite de la procédure, lui aurait épargné toute condamnation.

L'exercice par M.[X] de son droit d'opposition n'en a qu'imparfaitement réparé les conséquences, dès lors que s'il lui a effectivement permis d'être rejugé et d'obtenir une relaxe, il n'a permis aucun retour en arrière sur la mise à exécution du mandat d'arrêt, d'où est résulté pour M.[X] son départ forcé de Thaïlande.

Contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges,la faute lourde de l'Etat apparaît constituée.

Sur le préjudice

M.[X] estime avoir subi un lourd préjudice économique, constitué par l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de devoir fermer son entreprise thaîlandaise, avec la perte de revenus présents et futurs qui en résulte pour lui alors même que ses perspectives de développement étaient excellentes,.

L'appréciation de ce préjudice nécessite une expertise préalable qui ne vise pas à suppléer une carence de sa part dans l'administration de la preuve, car il a produit l'intégralité des pièces comptables traduites relatives à l'activité de son entreprise, établissant à la fois la réalité de l'activité économique qu'il exerçait, son importance et ses possibilités d'expansion, ainsi que la faillite de la société dont il était le gérant et l'animateur, qui est en corrélation directe avec son absence de Thaïlande.

Elle est nécessaire pour établir de manière incontestable l'étendue du préjudice, en la confiant à un technicien disposant de connaissances spécifiques sur l'économie thaïlandaise, qui pourra, en toute transparence et au contradictoire des parties, apprécier l'étendue des pertes en lien avec la faute, en excluant celles liées à l'évolution du marché ou à l'évolution normale de la société.

La provision à hauteur de 50 000 euros qu'il demande est justifiée dans la mesure où ce montant, compte tenu du préjudice moral lié à l'impossibilité de voir son épouse pendant sa période d'interdiction du territoire thaïlandais et de la réalité du préjudice économique, ce quelle qu'en soit l'évaluation finale, n'excède nécessairement pas son droit à indemnisation.

L'agent judiciaire de l'Etat répond qu'en l'absence de faute engageant sa responsabilité, il n'y a lieu ni d'ordonner une expertise ni d'allouer une provision, et qu'en toute hypothèse la demande d'expertise constitue une atteinte manifeste aux dispositions de l'article 146 du code de procédure civile, puisque les documents produits ne fournissent qu'une information floue sur l'activité de l'entreprise, sans le moindre élément sur la situation exacte de M.[X] au sein de celle-ci ni sur les revenus qu'il pouvait à titre personnel en tirer.

En l'occurrence, le préjudice dont M.[X] demande réparation tient au fait que contraint de quitter la Thaïlande en avril 2012, avec la mise à exécution du mandat d'arrêt européen émis à son encontre, il n'a pu y retourner qu'en juin 2014, soit une absence forcée de 26 mois pendant laquelle la société Orient Thaï Export, dont il était l'administrateur et l'animateur, a périclité.

Cependant, dans le cadre de la procédure pénale, M.[X] n'a fait l'objet d'une mesure de détention provisoire que du 6 avril 2012, sur la décision du juge de libertés et de la détention de Bobigny auquel il a été présenté à son arrivée de Bangkok, au 11 mai 2012, date à laquelle le tribunal, ordonnant un supplément d'information , l'a libéré et placé sous contrôle judiciaire, lequel a fait l'objet d'une modification le 25 octobre 2012, le défaut de production de cette décision modificative interdisant d'en connaître les termes, avant la décision de relaxe prise le 11 avril 2013.

Ainsi, à compter de cette date au plus tard, il n'y avait plus, du côté de la procédure française, gérée dans cette seconde phase de manière non critiquable, d'empêchement de M.[X] à regagner la Thaïlande, et la prolongation de son absence jusqu'à juin 2014 ne relève pas de la responsabilité de l'Etat , mais tient à l'incapacité de l'Etat thaïlandais de prendre en compte plus rapidement la demande d'exclure M. [X] du registre des personnes indésirables dont la demande lui avait été transmise dès le 30 mai 2013 par l'Ambassade de France.

Or il ne résulte pas des documents comptables produits pour l'année 2012 que la société ait été, à l'issue de cet exercice, dans une situation de péril obligeant qu'il soit mis un terme à son activité à cette date :

Les conditions dans lesquelles la décision de licencier le personnel et de mettre fin à l'activité a été prise sont très imprécises. Cette indication résulte d'un document non daté, vraisemblablement établi dans le courant du premier semestre 2013, émanant de la société Santana Accounting company Ltd, société d'expertise comptable et juridique de l'entreprise de M.[X], dont il est produit deux traductions, l'une officieuse et l'autre officielle, qui est un commentaire du bilan 2012 adressé à Mme [E], compagne ou épouse de M.[X].

Tout en évoquant ' l'effondrement du chiffre d'affaires [qui] justifie le licenciement du personnel et la nécessité de mettre fin à l'activité' lié au départ de M.[X], ce document ne fait pas moins état d'un triplement du chiffre d'affaires par rapport à l'année précédente et d'une augmentation de la marge, précisant que 75 % de ce chiffre d'affaires ont été réalisés sur le 1er trimestre et qu'une poursuite de l'activité sur ce même rythme aurait permis d'atteindre et de dépasser les 25 millions de baths, au lieu des 8, 383 millions réalisés, ce dernier chiffre représentant déjà le triple de celui du premier exercice de 2011.

En l'absence de toute référence justifiée à une obligation légale de procéder à la mise en liquidation de la société, celle ci, au vu de ce document, apparaît avoir procédé d'une démarche volontaire, en lien avec la conviction apparente du non retour de M.[X] appuyé sur le constat que son permis de travail est expiré en juillet 2012, n'étant pas renouvelé et ne pouvant l'être selon le même document, mais il n'est pas justifié de la moindre démarche en vue de solliciter ce renouvellement, ni après, mais ni non plus avant le départ forcé de M.[X].

Enfin, le livret de famille des époux fait état d'un mariage le 19 octobre 2012, ce qui implique qu'au plus tard à cette date, Mme [E] et l'enfant avaient rejoint M. [X] en France.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, et alors que le dysfonctionnement du service public de la justice ne peut être tenu pour la cause de l'absence de M.[X] de Thaîlande au delà de la date du jugement de relaxe d'avril 2013, M.[X] échoue à rapporter la preuve que le préjudice économique dont il prétend obtenir réparation ait été occasionné par ce dysfonctionnement plutôt que par une décision personnelle d'organiser différemment son mode de vie par un retour en France, étant observé qu'ayant été autorisé à regagner la Thaîlande en juin 2014, il fournit aujourd'hui une adresse en France.

Faute d'un préjudice certain en relation de causalité avec la faute lourde constituée, tant la demande de provision que la demande d'expertise seront rejetées, le jugement dont appel étant confirmé par substitution de motifs.

Sur les demandes accessoires

L'équité n'appelle pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens d'appel seront supportés par M.[X].

.

PAR CES M OTIFS

La cour,

Confirme par motifs substitués le jugement dont appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne M.[X] aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile aux avocats qui en ont fait la demande.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 18/07014
Date de la décision : 19/01/2021

Références :

Cour d'appel de Paris H4, arrêt n°18/07014 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-19;18.07014 ?
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