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12/01/2021 | FRANCE | N°18/04888

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 12 janvier 2021, 18/04888


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 12 JANVIER 2021



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/04888 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5G3D



Décision déférée à la cour : jugement du 02 février 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS





APPELANT



Monsieur [P] [I]

[Adresse 1]

[Localité 7]

né le [Dat

e naissance 5] 1974 à [Localité 8] ([Localité 8])



représenté par et ayant pour avocat plaidant Me François MICHELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0962







INTIMEES



Madame [J] [L...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 12 JANVIER 2021

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/04888 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5G3D

Décision déférée à la cour : jugement du 02 février 2018 - Tribunal de Grande Instance de PARIS

APPELANT

Monsieur [P] [I]

[Adresse 1]

[Localité 7]

né le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 8] ([Localité 8])

représenté par et ayant pour avocat plaidant Me François MICHELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0962

INTIMEES

Madame [J] [L]

[Adresse 4]

[Localité 7]

née le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 9] (POLOGNE)

représentée par Me Patrick ATLAN de la SCP PATRICK ATLAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0006

SCI [C]

[Adresse 4]

[Localité 7]

N° SIRET : D 4 82 323 458

ET

SCI [S]

[Adresse 4]

[Localité 7]

N° SIRET : D 4 83 912 101

défaillantes

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 20 octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée en double rapporteur de :

Mme Nicole COCHET, première présidente, chargée du rapport

Mme Estelle MOREAU, Conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première Présidente

Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA

ARRÊT :

- par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et par Djamila DJAMA, Greffier présent lors du prononcé.

*****

M. [I] et Mme [L], qui ont vécu ensemble de 2004 à 2007, ont constitué deux sociétés civiles immobilières, dont Mme [L] a été désignée gérante :

- La Sci [C], au capital social de 300 euros divisé en 100 parts réparties par moitié entre les deux associés, constituée en vue de l'acquisition d'un appartement [Adresse 6]. Cet immeuble, acquis par acte du 21 juillet 2005, a été revendu sur décision de l'assemblée générale le 4 avril 2006, la société rachetant suivant acte du 13 juillet 2006 un autre bien, à savoir un appartement de 45 m² environ au [Adresse 4], cette acquisition étant financée pour partie au moyen de prêts bancaires souscrits auprès du Crédit industriel et commercial solidairement cautionnés par Mme [L] et M. [I] à hauteur de la somme de 216 720 euros.

- La Sci [S], créée le 28 août 2005, au capital social de 200 euros divisé en 100 parts réparties par moitié entre les deux associés, qui suivant acte notarié du 20 octobre 2005 a acquis un appartement de 15m² avec une cave à la même adresse du [Adresse 4], au prix de 30 000 euros financé par un concours bancaire du même établissement d'un montant total de 48 000 euros en principal.

Le couple a vécu jusqu'à sa séparation en 2007 dans l'appartement propriété de la Sci [C], occupé depuis par Mme [L] seule.

Par acte en date du 20 février 2014, M.[I] a fait attraire Mme [L] et les deux sociétés [C] et [S] devant le tribunal de grande instance de Paris, aujourd'hui tribunal judiciaire, aux fins de la voir révoquer de ses fonctions de gérante et de voir prononcer la dissolution des deux sociétés.

Par jugement réputé contradictoire du 2 février 2018, le tribunal

- a débouté M.[I] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [L],

- l' a débouté de ses demandes de dissolution des deux Sci [C] et [S],

- a dit n'y avoir lieu de déclarer le jugement opposable aux deux sociétés,

- a débouté Mme [L] de sa demande reconventionnelle,

- a condamné M.[I] à payer à Mme [L] la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de s a décision.

Par déclaration reçue au greffe le 6 mars 2018, M. [I] a interjeté appel de cette décision. La déclaration d'appel et les conclusions d'appelant de M. [I] ont été signifiées à la Sci [C] et la Sci [S] par acte d'huissier du 8 janvier 2020, en l'étude dudit huissier.

Mme [L] seule ayant comparu, le présent arrêt sera rendu par défaut par application des articles 749 et 474 du code de procédure civile, l'opposition n'étant ouverte qu'à la SCI [C] et à la SCI [S], qui n'ont pas été citées à personne au sens de l'article 654 du code de procédure civile, ce conformément à l'article 571 du même code.

Dans ses dernières écritures signifiées par RPVA le 18 septembre 2020, M. [I] demande à la cour

- d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

- d'ordonner la révocation de Mme [J] [L] de ses fonctions de gérante tant de la Sci [C] que de la Sci [S],

- de prononcer la dissolution de la Sci [C] et de la Sci [S],

- d'ordonner leur liquidation conformément aux dispositions de l'article 1844-8 du code civil,

- de désigner tel liquidateur qu'il plaira au tribunal pour procéder aux opérations de liquidation des deux sociétés conformément aux dispositions des statuts et des articles 1844-8 et 1844-9 du code civil, et à la clôture des opérations de liquidation, sous un délai de 12 mois,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au BODACC,

- de dire et juger que l'arrêt à intervenir sera commun et opposable aux Sci [C] et [S],

- de débouter Mme [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner à lui payer une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de la condamner entiers dépens, étant jugé que les dépens pourront être directement recouvrés par Me François Michelet conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 16 juillet 2020, Mme [L] demande quant à elle à la cour

- de confirmer le jugement du tribunal de grande nstance de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation au titre de la procédure abusive,

- de débouter M. [I] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de le condamner à régler à Mme [L] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- de le condamner à lui régler la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de le condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2020.

SUR CE,

Pour rejeter les demandes de dissolution de la société et de révocation de la gérante, le jugement dont appel a retenu

- l'absence de faute suffisante de la gérante pour justifier la demande tendant à sa révocation, M. [I] recevant annuellement l'imprimé relatif à la répartition fiscale du résultat entre associés, ayant parfaitement accès aux comptes sociaux, et n'ayant jamais fait les démarches prévues par les statuts pour exiger une délibération sociale, ces éléments permettant de ne pas retenir les griefs de défaut de convocation aux assemblées générales et de production des comptes sociaux ;

- la conformité de l'occupation par Mme [L] du local appartenant à la Sci [C], dès lors que sans payer de loyer, elle assume néanmoins personnellement l'ensemble des charges de la société ;

- la non caractérisation de la mésentente entre associés alléguée par M. [I] ;

- le défaut de démonstration d'une paralysie du fonctionnement de la société ;

- enfin l'absence d'abus de procédure de la part de M.[I], d'où le rejet de la demande de dommages-intérêts formée par Mme [L] .

Invoquant les dispositions de l'article 1844-7-5 du code civil, M. [I] excipe d'une mésentente ancienne et durable entre associés, liée à la rupture de leurs relations, qui a donné lieu à plusieurs procédures, Mme [L] ayant notamment été condamnée en référé, le 21 mars 2013, à lui rembourser une somme de 15 523 euros correspondant à des prêts qu'il lui avait consentis, décision qu'elle refuse d'exécuter, les saisies tentées en 2015 étant restées infructueuses.

Il fait état de la paralysie durable de la vie sociale qui en résulte, toute décision collective étant impossible, les assemblées générales n'ayant, depuis l'origine, jamais été convoquées ni réunies, en infraction tant avec les dispositions de l'article 1856 du code civil qu'avec les prévisions statutaires, la gérante ne répondant pas aux courriers qui lui demandent d'y procéder ou de communiquer les comptes sociaux, et considérant d'ailleurs ne pas avoir à le faire.

Il souligne que Mme [L] n'a contacté qu'en 2015, pour la première fois, un expert comptable qui a rétabli rétroactivement 10 années de comptabilité sociale, ces comptes n'ayant pas davantage été soumis à l'approbation des associés, et que s'il en a obtenu communication, c'est seulement dans le cadre de la présente instance, les comptes 2016 à 2019 de la Sci [C] et les comptes 2014 à 2019 de la Sci [S] ne lui ayant toujours pas été transmis.

Les comptes de la Sci [C] produits révèlent, entre autres points négatifs, que si Mme [L] prétend justifier la gratuité de son occupation de l'appartement appartenant à la Sci [C] par le fait qu'elle règle les mensualités d'emprunts, son compte courant d'associé se retrouve crédité des montants correspondant à ses versements, en sorte que son occupation reste sans contrepartie, la société [C], privée de toute rentrée d'argent, ayant accumulé jusqu'à 2015 des pertes inquiétantes.

La situation de la société [S] n'est pas meilleure, le dernier bilan connu faisant ressortir un compte 'débiteurs divers' de 11335 euros.

Il a lui-même reçu plusieurs mises en demeure de payer relatives à des dettes de la société [C], émanant soit de la banque , au titre de son engagement de caution, soit du Trésor public, au titre des taxes foncières non payées, tandis que les parts de Mme [L] dans la Sci [C] ont fait l'objet d'une nantissement judiciaire au bénéfice de la Société Générale pour garantie d'une créance de 507 000 euros.

Il déduit de ces éléments que se trouvent réunies toutes les conditions d'une dissolution anticipée des sociétés et de la révocation de leur gérante, le fonctionnement social étant bloqué et l'affectio societatis totalement absent, tandis que le comportement de Mme [L] fournit la cause légitime de sa révocation exigée par l'article 1851 du code civil.

En réponse, Mme [L] soutient

- d'une manière générale, que M. [I] s'est désintéressé au moins jusqu'en 2011 de la vie des sociétés, tant pour ce qui concerne la tenue des assemblées et les comptes sociaux que pour en assumer les charges, et que s'il s'en inquiète aujourd'hui, c'est seulement dans la crainte de voir sa caution appelée, sans que pour autant ses demandes soient fondées ;

- qu'après les années de vie commune où quelques libertés ont été effectivement prises avec les obligations sociales, notamment celle de réunir annuellement l'assemblée générale, elle n'a pu le faire après la séparation, ne sachant où convoquer M. [I] qui refusait de lui faire connaître son adresse ;

- que compte tenu de la nature de leurs relations, il avait évidemment accès aux comptes sociaux qui ont toujours été tenus, les obligations formelles de l'article L 621-1 du code de commerce , au demeurant, ne s'imposant pas pour les sociétés qui, comme [C] et [S], ne dépassent pas les seuils prévus à l'artilce R 621-1 du même code ;

- qu'après la séparation, il a été convenu entre eux qu'elle resterait occuper les lieux, ce qu'elle fait en en assumant seule toutes les charges et en gérant les deux sociétés bénévolement sans contrepartie ;

- que toutes les difficultés financières qu'elle a pu rencontrer sont aujourd'hui régularisées ;

- que M.[I] n'a jamais actionné les dispositions des articles 25 et 29 des statuts pour venir au siège consulter les comptes, ou provoquer une délibération sur une question déterminée, ni n'a davantage jugé utile de demander par voie judiciaire des informations qui lui auraient manqué, ce qui démontre son absence totale d'inquiétude sur le fonctionnement social et l'exercice de la gérance ;

- qu'au demeurant les deux sociétés fonctionnent parfaitement bien, et la paralysie alléguée est inexistante ;

- que les causes de mésentente qu'invoque M.[I] sont personnelles, sans lien avec la vie sociale, et ne peuvent donc constituer une cause légitime de révocation, mais caractérisent un abus de procédure qui justifient son appel incident sur les dommages intérêts à tort refusés par les premiers juges.

Sur la révocation de la gérante

L'article 1851 du code civil prévoit que

'Sauf disposition contraire des statuts, le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.

Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.

Sauf clause contraire, la révocation d'un gérant, qu'il soit associé ou non, n'entraîne pas la dissolution de la société. Si le gérant révoqué est un associé, il peut, à moins qu'il n'en soit autrement convenu dans les statuts, ou que les autres associés ne décident la dissolution anticipée de la société, se retirer de celle-ci dans les conditions prévues à l'article1869 (2ème alinéa).

La cause légitime susceptible de justifier une révocation judiciaire consiste en une faute commise par le gérant dans l'exercice de ses fonctions qui cause un dommage à la société en compromettant son fonctionnement, ce qui s'apprécie notamment au regard de l'objet social défini par les statuts.

Chargé, selon l'article 1848 du code civil, d'accomplir dans les rapports entre associés tous les actes de gestion que demande l'intérêt de la société, le gérant a pour premier devoir de remplir les obligations légales de sa mission, à savoir, au minimum, de tenir une comptabilité et de rendre compte de sa gestion.

En ce qui concerne la tenue de la comptabilité, bien que l'article 31 des statuts prévoit, pour l'une et l'autre, l'établissement annuel d'un compte d'exploitation générale, d'un compte de profits et pertes et d'un bilan, il peut être à la rigueur admis que Mme [L] excipe de la taille des deux sociétés, très en-deça pour l'une comme pour l'autre du seuil fixé par l'article R612-1 du code de commerce, pour s'estimer dispensée de la tenue de la comptabilité d'engagements prévue à l'article L 612-1 du code de commerce. Cependant elle ne peut s'affranchir de la tenue d'une comptabilité minimale, de caisse, établissant pour chacune des deux sociétés une balance des dépenses et des recettes.

Or même cette obligation minimale n'est pas respectée par Mme [L], qui se prévaut, pour justifier son abstention, de la proximité des deux associés, et se plaint même d'avoir dû faire reconstituer a posteriori la comptabilité 2005 à 2015 par un cabinet comptable. Cependant, l'excuse de la proximité ayant disparu depuis 2007, la reconstitution opérée pour les besoins de la procédure ne fait que confirmer qu'aucune comptabilité n'avait été tenue pendant la période considérée. Mme [L] en outre persiste dans cette attitude, dont rien dans ses écritures ne laisse supposer de sa part une quelconque intention d'en changer : à nouveau, aucune comptabilité n'est produite pour les années postérieures à 2015 et sa production de pièces afférentes tient en quelques documents épars visant à prouver que les dettes fiscales et les emprunts sont réglés, et que la banque préteuse a renoncé à se prévaloir de la déchéance du terme.

Cependant, il ne lui est pas demandé de rassurer les craintes de M. [I], mais bien de satisfaire à une obligation légale qui, contrairement au point de vue des premiers juges, ne peut être considérée comme remplie par l'envoi de l'imprimé relatif à la répartition fiscale du résultat entre associés auquel se limite sa communication annuelle sur la comptabilité sociale.

Quant à rendre compte de sa gestion, si l'article 1856 du code de procédure civile prévoit que

'les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de comptes doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.', Mme [L] manifeste à l'égard de cette obligation du code civil la même désinvolture, justifiant sa totale abstention par le désintérêt de M. [I] pour la vie sociale, démontrée par le fait qu'il n'a jamais mis en oeuvre les dispositions statutaires qui lui auraient permis de solliciter des informations -article 29 des statuts - ou de provoquer des délibérations - article 25.

C'est cependant en conformité avec la loi que doivent se lire les statuts, dont d'ailleurs l'article 31 reprend pour l'une comme pour l'autre des deux sociétés les obligations légales sus énoncées. Ce n'est donc qu'en méconnaissance des dispositions tant légales que statutaires s'imposant à Mme [L], et en créant à la charge de M. [I] une obligation d'aller rechercher des informations sur la vie sociale qui devaient être mises spontanément à sa disposition, que les premiers juges ont cru pouvoir retenir le non usage par l'appelantes possibilités offertes par les articles 22 et 29 des statuts pour écarter les griefs de défaut de convocation aux assemblées générales et de production des comptes sociaux.

Ici non plus, le désintérêt allégué de M.[I] pour la vie sociale ne peut servir d'excuse à l'inertie de la gérante, d'autant que tout en limitant elle-même ce désintérêt à la période allant jusqu'à 2011, elle ne justifie ni même n'allègue avoir pris depuis cette date quelque disposition que ce soit pour remédier à cette absence d'information, que ce soit avant ou depuis la présente procédure.

Enfin, en ce qui concerne le fonctionnement des sociétés,

Contrairement encore à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'occupation par Mme [L] de l'appartement dont la Sci [C] est propriétaire n'apparaît conforme ni aux statuts, ni à l'intérêt social.

Au regard de l'objet social, l'article 2 donne pour objet à la société 'l'acquisition et la vente de tous biens immobiliers, la gestion de participation dans d'autres sociétés, la gestion et l'administration, l'exploitation par bail, location ou autrement et la mise en valeur de tous biens et droits immobiliers' , les premiers juges ayant retenu de la formule 'ou autrement' que l'occupation sans bail de Mme [L] était conforme à l'objet social.

Cependant l'article 2, en évoquant 'l'exploitation' par bail, location ou autrement, sous-entend l'idée d'une opération qui, quelle qu'elle soit, génère un profit pour la société. Or tel n'est pas le cas de l'occupation par Mme [L] qui, si elle règle l'emprunt et les charges de l'immeuble, reporte les montants qu'elle acquitte sur son compte courant, ce qui en fait une dette de la société à son égard.

Par ailleurs, s'il n'est pas contesté qu'au moment de la séparation du couple, il a pu être convenu entre M. [I] et Mme [L] que celle-ci restait occuper l'immeuble, cet accord, remis en cause par M. [I] depuis au moins l'origine de la procédure, ne peut suffire à justifier sans le moindre débat entre associés la pérennisation de cette occupation.

En décidant sans consultation ni délibération des associés d'alimenter son compte courant et de se maintenir dans les lieux, Mme [L] a manifestement pris deux décisions qui, douteuses sur le plan de leur conformité aux statuts de la Sci, ne correspondent en tout cas qu'à son intérêt personnel et non à celui de la Sci [C], puisqu'elle s'assure ainsi, moyennant le paiement de l'emprunt, l'augmentation de ses droits sociaux et la disposition gratuite de l'appartement.

En ce qui concerne la Sci [S], si le dommage résultant des décisions prises unilatéralement par la gérance est moins avéré, le fonctionnement de la vie sociale n'en est pas moins rendu défectueux par le comportement de la gérante, qui en maintient l'associé non gérant totalement à l'écart, en sorte qu'il doit se contenter d'apprendre, au détour de la procédure, que l'appartement dont l'exploitation constitue l'objet social est loué, et le remboursement d'emprunt couvert par le loyer, sans autre information sur l'identité du locataire et les modalités de la location, alors qu'en tant qu'associé, il est juridiquement engagé au remboursement du prêt souscrit pour l'acquérir dans les mêmes conditions que Mme [L], et fondé à être non seulement informé de la situation, mais associé à son évolution.

Il résulte ainsi de l'ensemble des éléments sus exposés que le comportement de Mme [L] dans sa gérance, caractérisé non seulement par l'inexécution des obligations de sa fonction mais par son déni d'avoir à les accomplir, ne correspond pas à l'intérêt social et compromet le fonctionnement de l'une comme de l'autre des deux sociétés .

Par infirmation du jugement dont appel sur ce point, la révocation de Mme [L] en tant que gérante tant de la Sci [C] quela Sci [S] sera donc prononcée.

Sur la dissolution des sociétés

Aux termes de l'article 1844-7 5° du code civil, il peut être mis fin à la société par sa dissolution anticipée prononcée par le tribunal pour justes motifs notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

La méconnaissance de ses obligations de gérante par Mme [L] caractérise aussi ses manquements en tant qu'associée, ses décisions unilatérales traduisant le mépris des droits de M. [I] et le refus de toute discussion ou concertation avec celui-ci, tandis que son abstention persévérante à convoquer une assemblée générale annuelle bloque le fonctionnement de cet organe social, qui ne peut donc remplir sa fonction d'information et de contrôle ni prendre la moindre décision.

C'est de manière erronée que les premiers juges ont cru pouvoir déduire de l'absence d'éléments sur les relations entre associés du 2005 et 2011, et de ce que les inquiétudes exprimées par M. [I] étaient en lien avec son engagement de caution, que la mésentente entre les associés n'était pas établie. Au cas d'espèce, tant l'éloignement volontaire de M.[I] à l'origine, qu'ensuite et maintenant le refus de Mme [L] d'aborder avec lui, depuis qu'il entend s'y intéresser, les sujets qui mettent en cause sa gestion, font la preuve d'une incapacité totale de communiquer qui caractérise cette mésentente, même à défaut de désaccords exprès, dont la manifestation supposerait des échanges entre les deux associés, en l'occurrence inexistants.

C'est encore à tort qu'adoptant la position de Mme [L], pour qui la bonne marche des sociétés serait démontrée du fait que les appartements de l'une et l'autre des sociétés au [Adresse 4] sont occupés ou loués, les impôts et charges payés, et les remboursements d'emprunts couverts, les premiers juges ont considéré qu'aucun élément ne venait établir une paralysie de la vie sociale des deux sociétés, en excluant de leur appréciation de cette vie sociale ses aspects institutionnels, à savoir l'existence d'un affectio sociétatis se manifestant dans des réunions et discussions régulières entre les associés, puis des décisions collectives, prises au vu d'une documentation fiable, complète et régulièrement communiquée en toute transparence. Or il est largement établi par ce qui précède que de tels débats n'ont jamais eu lieu au sein des Sci [C] et [S]. S'y tiendraient-ils d'ailleurs conformément à la loi et aux statuts que compte tenu de la mauvaise relation entre associés, mais aussi de leur participation égalitaire à l'une et l'autre des sociétés, les mésentente et paralysie passives issues du dysfonctionnement institutionnel actuel muteraient en des désaccords systématiques tout aussi irrémédiables.

Dans la situation de blocage ainsi consommée pour l'une et l'autre des deux sociétés, il y a lieu d'infirmer également la décision des premiers juges sur ce point et de prononcer la dissolution tant de la SCI [C] que de la Sci [S], régulièrement attraites à la procédure et auxquelles la décision est de ce fait opposable.

En conséquence de la liquidation ordonnée, Me [G], membre de la SCP BTSG, mandataire judiciaire à Paris, sera désigné en qualité de liquidateur pour procéder aux opérations de liquidation des deux sociétés conformément aux dispositions des statuts et des articles 1844-8 et 1844-9 du code civil, et à la clôture des opérations de liquidation, sous un délai de 18 mois.

La publication du présent arrêt au BODAC sera en outre ordonnée.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu du sens de la décision, le rejet de la demande de dommages intérêts présentée par Mme [L] à l'encontre de M.[I] sera confirmé.

L'équité commande la condamnation de Mme [L] à payer à M.[I] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant par défaut

Infirme le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de dommages-intérêts contre M.[I],

Statuant à nouveau,

- Ordonne la révocation de Mme [J] [L] de ses fonctions de gérante de la Sci [C] et de la Sci [S],

- Prononce la dissolution de la Sci [C] et de la Sci [S],

- Ordonne leur liquidation conformément aux dispositions de l'article 1844-8 du code civil,

- Désigne Me Stephane Gorrias, membre de la SCP BTSG, mandataire judiciaire, [Adresse 3], en qualité de liquidateur de l'une et l'autre des deux sociétés afin de mener les opérations de dissolution de celles-ci conformément aux dispositions des statuts de la société et des articles 1844-8 et 1844-9 du code civil,

- Autorise à cette fin Me Stephane Gorrias

- à gérer et administrer les Sci [I] et [S] dans le but de leur liquidation,

- à effectuer tous actes d'administration, de représentation de la Sci [I] et de la Sci [S] vis-à-vis des tiers, à délivrer tout document, à réaliser tous les actifs sociaux y compris en procédant à la vente au prix du marché des immeubles appartenant à l'une et l'autre desdeux sociétés au [Adresse 4], et plus généralement à faire tout ce qui est nécessaire en vue de la liquidation complète de la société et de la répartition du solde de la liquidation aux associés, sans restrictions ni réserves, en effectuant toute formalités légales de publicité, prescrites par les textes en vigueur,

- Dit qu'en cas d'empêchement du liquidateur désigné, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue par le président de cette chambre sur requéte de la partie la plus diligente,

- Dit que la rémunération et les frais inhérents à son intervention seront à la charge des deux sociétés,

- Fixe à 18 mois, courant à compter de sa saisine, le délai pour mener à bien les opérations de liquidation,

- Ordonne la publication de l'arrêt à intervenir au BODACC, à la diligence du greffe,

- Dit le présent arrêt commun et opposable aux Sci [C] et [S],

- Condamne Mme [L] à payer à M. [I] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamne aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés par les avocats qui en ont fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 18/04888
Date de la décision : 12/01/2021

Références :

Cour d'appel de Paris H4, arrêt n°18/04888 : Statue à nouveau en faisant droit à la demande en tout ou partie


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-12;18.04888 ?
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