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17/12/2020 | FRANCE | N°18/03286

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 17 décembre 2020, 18/03286


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRET DU 17 DECEMBRE 2020



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03286 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5GCS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/08738







APPELANT



Monsieur [Z] [Y]

[Adresse 3]

[LocalitÃ

© 4]



Représenté par Me Florence DE SAINT-LÉGER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2348







INTIMEE



S.A.R.L. LA MAIN TENDUE

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me S...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRET DU 17 DECEMBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03286 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5GCS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 15/08738

APPELANT

Monsieur [Z] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Florence DE SAINT-LÉGER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2348

INTIMEE

S.A.R.L. LA MAIN TENDUE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Séverine HOUARD-BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0327

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES

La société La Main Tendue est une société de services à la personne, d'aide à domicile de personnes âgées ou handicapées. Les salariés ont pour mission de se rendre auprès des personnes âgées et/ou handicapées, pour leur assurer des services de ménage/ repassage et de soins également. La société compte 15 salariés. Elle applique, depuis le mois de novembre 2014, la convention collective des services à la personne.

Par contrat à durée indéterminée à temps partiel (40 heures mensuelles), M. [Z] [Y] a été engagé par la société La Main Tendue le 9 juillet 2012 pour occuper le poste d'assistant de vie, statut employé, moyennant une rémunération de 388 euros et une base horaire de 9,40 euros.

Par avenant du 1er septembre 2012, M. [Y] a été nommé coordinateur auxiliaire.

Le 1er janvier 2014, l'horaire de travail de M. [Y] a été porté à 120 heures mensuelles puis à 151,67 heures le 1er mars 2014.

Le 2 février 2015, M. [Y] a été désigné délégué du personnel.

Le 13 juillet 2015, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis par courrier du 13 octobre 2015, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, aux torts de l'employeur et a demandé, en dernier lieu, au conseil la requalification de sa prise d'acte de rupture en un licenciement nul.

Par jugement du 19 janvier 2018, le conseil, en sa formation de départage, a'dit que la prise d'acte de M. [Y] est une démission, l'a débouté de ses demandes' et a débouté la société La Main Tendue de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [Y] a interjeté appel du jugement le 20 février 2018.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 25 septembre 2020, M. [Y] demande à la cour de'réformer dans son intégralité le jugement'et statuant à nouveau, de :

- requalifier la prise d'acte de rupture du 13 octobre 2015 en licenciement nul,

En conséquence,

- condamner la société La Main Tendue à lui verser les sommes suivantes :

préavis : 4 865,74 euros et congés payés afférents : 486,58 euros,

indemnité de licenciement : 1216,43 euros,

dommages et intérêts pour licenciement nul': 22 000 euros,

indemnité pour violation du statut protecteur': 52 306,70 euros,

rappels de salaires du 01/10/2013 au 13/10/2015': 4 814,2 euros et congés payés afférents': 481,42 euros,

rappels de salaires pour les temps de déplacement : 3 601 euros,

dommages et intérêts pour travail dissimulé : 14 597,22 euros,

rappel de rémunération fixe entre le 01/10/14 et 10/2015 : 23 544,2 euros et congés payés afférents : 2 354,42 euros,

article 700 du nouveau code de procédure civile : 2000 euros,

avec capitalisation des intérêts,

- ordonner la remise des documents sociaux rectifiés et bulletins de paie rectifiés.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 29 septembre 2020 la société La Main Tendue demande à la cour de':

- confirmer le jugement déféré,

- fixer le salaire moyen à la somme de 1355,04 euros brut mensuel,

- dire que la société La Main Tendue a rempli toutes ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de travail de M. [Y],

- dire que M. [Y] est mal fondé en ses reproches et en ses demandes,

- dire que la prise d'acte du 13 octobre 2015 produit les effets d'une démission,

En conséquence,

- débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- reconventionnellement, condamner M. [Y] à payer à la société La Main Tendue la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, eu égard aux frais irrépétibles que cette procédure a entraîné pour elle,

- condamner M. [Y] aux entiers dépens,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour entendait faire droit aux demandes de M. [Y],

- réduire les demandes de M. [Y] :

indemnité compensatrice de préavis : 2 mois de salaire : 2 710,08 euros brut

indemnité compensatrice de congés payés : 271 euros brut

indemnité de licenciement : 650,42 euros

dommages et intérêts : 8.130,24 euros brut

indemnité pour violation du statut protecteur : ramener à de plus justes proportions, soit 6 mois de salaire : 8 130,24 euros.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 septembre 2020.

MOTIFS

Sur la prise d'acte

Il résulte des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail, pris ensemble, que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

La prise d'acte produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon les circonstances, si les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire, ceux d'une démission.

La prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur d'un salarié protégé doit être requalifiée en licenciement nul, dès lors que les manquements invoqués sont établis, étant rappelé qu'aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur et la lettre de prise d'acte ne fixe pas les limites du litige.

Au soutien de sa prise d'acte de la rupture, M. [Y] fait valoir qu'il a subi depuis octobre 2013, avec la reprise de l'entreprise par M. [E], de nombreuses atteintes, tant à ses fonctions de salarié qu'à son mandat de délégué du personnel. Il fait valoir les faits suivants : 'une modification unilatérale de ses fonctions et de sa rémunération, le non-paiement des temps de déplacement, le non-respect de la durée contractuelle de travail, le non-respect de l'obligation de sécurité par son employeur, l'entrave à son mandat de délégué du personnel.

- Sur la modification unilatérale des fonctions

Le salarié soutient que la société lui a supprimé unilatéralement sa qualification de coordinateur auxiliaire et qu'à compter du mois de mai 2015, elle lui a confié des tâches exclusivement ménagères, sans aucun rapport avec ses fonctions de coordinateur ni même d'auxiliaire de vie.

La société conteste la modification alléguée et explique que les tâches de coordinateur auxiliaire ne constituaient pas un poste en tant que tel mais complétaient les fonctions du salarié définies dans le contrat de travail du 9 juillet 2012, sans se substituer à elles, qu'en outre, il n'a jamais été demandé à M. [Y] de remplir le rôle de femme de ménage mais d'exécuter quelques tâches ménagères qui font partie intégrante des fonctions d'assistant de vie.

L'avenant du 1er septembre 2012 dispose que l'article 1er du contrat de travail du salarié était modifié en ce sens que celui-ci avait désormais la qualité de coordinateur auxiliaire dont les fonctions étaient de '1° en cas d'absence, remplacer les auxiliaires sur le terrain. 2° travailler en étroite collaboration avec Rénette, sous l'autorité directe de la directrice'.

Cette modification ne portait pas sur l'emploi occupé par le salarié mais lui ajoutait une 'qualité' et, postérieurement, dans les deux avenants des 1er janvier et 1er mars 2014 portant sur la durée du travail, il était précisé que le salarié gardait le poste d'assistant.

Ainsi, en mentionnant le poste d'assistant de vie du salarié dans ces avenants ou sur ses fiches de paie, il ne peut être considéré que la société lui a retiré la qualité de coordinateur auxiliaire.

Par ailleurs, le contrat de travail du 9 juillet 2012 prévoit en son article 4 sur les 'Fonctions' que M. [Y] exercera les fonctions d'assistant de vie et sera chargé, sans que cette liste soit limitative, 'des tâches d'assistance, telles que : toilettes, levers, couchers, gardes, aide aux repas, travaux ménagers' à domicile ou en établissements de soins ou de repos, de personnes âgées, malades ou handicapées'.

La convention collective des services à la personne prévoit en son annexe I, concernant la description des emplois repères, que :

'L'emploi d'assistant(e) de vie (1) s'exerce auprès d'un particulier à son domicile afin

d'accompagner une personne dans la réalisation des tâches quotidiennes, liées à l'entretien des espaces de vie et à la réalisation de repas simples. L'emploi concourt à la préservation de l'autonomie de la personne par la réalisation d'activités sociales et occupationnelles.

L'emploi consiste également à effectuer les courses pour le compte de la personne.

L'emploi d'assistant(e) de vie (1) ne comporte aucune responsabilité hiérarchique.

Activités principales de l'emploi repère :

Accompagner une personne dans la réalisation des tâches quotidiennes.

Entretenir les espaces.

Effectuer les courses.

Effectuer des tâches administratives simples.

Préparer des repas simples.

L'emploi s'exerce au domicile d'un particulier ou en tout autre lieu choisi par le bénéficiaire de la prestation.

L'emploi d'assistant(e) de vie (1) à domicile est accessible sans certification particulière'.

Ainsi, tant le contrat que la convention collective mentionnent parmi les tâches d'un assistant de vie des travaux ménagers.

Ce premier manquement invoqué et tenant aux fonctions n'est donc pas établi.

- Sur la modification unilatérale de la rémunération

Le salarié soutient qu'aux termes de l'avenant du 1er septembre 2012, sa rémunération a été portée à une partie fixe de 600 euros net, outre la rémunération des heures effectivement travaillées sur la base de 11 euros bruts de l'heure, comme indiqué sur ses bulletins de paie et qu'à l'arrivée du nouveau gérant, sa rémunération fixe de 600 euros a été supprimée, après octobre 2013. Il réclame la somme de 23 544,2 euros outre 2 354,42 euros de congés payés afférents au titre de la rémunération fixe non versée entre le 1er octobre 2013 et le 13 octobre 2015 (764,50 x 24,5 mois).

La société conteste toute modification de la rémunération et fait valoir que la somme de 600 euros nette était un minimum garanti au salarié, à une époque où il travaillait à temps partiel et dont il a toujours bénéficié.

Le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord.

L'avenant au contrat de travail du 1er septembre 2012 mentionne que 'M. [Y] percevra une rémunération mensuelle minimum de 600 euros sur la base horaire brute de 11 euros et la rémunération des heures effectuées sur le terrain'.

Il était prévu, non pas une rémunération fixe de 600 euros, en sus des heures de travail rémunérées mais, comme expressément indiqué une rémunération mensuelle 'minimum' qui s'entend d'un salaire mensuel garanti, quel que soit le nombre d'heures de travail accomplies. La circonstance que pendant plusieurs mois, les fiches de paie aient mentionné un 'salaire de base forfaitaire' de 764,50 euros, auquel s'ajoutait le paiement d'heures de travail ne saurait remettre en cause cette mention claire du contrat.

Enfin, l'examen des fiches de paie du salarié révèle, sur la période contestée, le versement chaque mois d'un salaire net au moins égal à la somme de 600 euros garantie prévue à l'avenant.

Aucun manquement de l'employeur n'est dès lors établi sur ce point et la demande en paiement d'un rappel de salaire fixe de 600 euros mensuels sera également rejetée.

- Sur la durée contractuelle de travail et les temps de déplacement

Le salarié soutient que le gérant, M. [E] n'a jamais respecté la durée contractuelle insérée dans les contrats de travail de ses salariés et qu'il prenait ainsi l'habitude d'effectuer des retenues sur salaires pour des « absences autorisées » totalement fictives, qui le privait d'une partie très importante de sa rémunération, que de même, la société a toujours refusé de rémunérer les temps de déplacement de ses salariés entre les différents clients, ce qu'il a dénoncé en sa qualité de délégué du personnel.

La société rétorque que la baisse de rémunération ou de la durée de travail résulte du propre fait du salarié qui a, de manière abusive et arbitraire, décidé de cesser d'effectuer des tâches ménagères, puis dès le mois de juin 2015, demandé à ne plus travailler après 17 heures ou encore était très régulièrement absent pour maladie, ce qui nécessitait son remplacement au pied levé, qu'enfin, il refusait de signaler son heure d'arrivée chez les clients, conformément à ses obligations. Elle ajoute que les temps de déplacement étaient bien payés.

Une des obligations essentielles de l'employeur est de donner du travail au salarié pour la durée mensuelle convenue et de le rémunérer en application des dispositions légales et conventionnelles sur les différents temps travaillés.

Le temps de trajet entre différents lieux de travail doit être considéré comme du temps de travail effectif dès lors que le salarié reste à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

La convention collective applicable à compter de novembre 2014 prévoit expressément que les temps de déplacement entre deux interventions doivent être rémunérés comme du temps de travail effectif :

'Section 2 Durée du travail

e) Temps de déplacement entre deux lieux d'intervention

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre d'un lieu d'intervention à un autre lieu d'intervention constitue du temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut retrouver son autonomie.'

Le contrat de travail initial du salarié pour un temps partiel de 40 heures mensuelles prévoit, en son article 6, intitulé « DUREE DU TRAVAIL », que «le temps de travail de M. [Y] inclut le temps de transport pour se rendre d'un client chez l'autre ». Par deux avenants, la durée du travail a été augmentée à 120 heures mensuelles à compter de janvier 2014, puis est passé à temps plein par avenant du 1er mars 2014. Le taux horaire brut était fixé à 11 euros,

Or, il ressort des pièces versées aux débats que :

- les plannings du salarié mentionnaient régulièrement un 'total des heures' inférieur à la durée contractuelle prévue de 120 heures puis de 151,67 heures mensuelles à compter du 1er mars 2014 et pour exemple, en mars 2015 : 127,50 heures, février 2015 : 114,15 heures, décembre 2014 : 126 heures, juin 2014 : 122,83 heures, étant également relevé que pour le même mois, plusieurs plannings étaient édités à des dates différentes,

- les heures mentionnées sur les plannings ne comptabilisaient que les temps d'intervention chez les clients et ne comprenaient pas les temps de déplacement d'un client à l'autre,

- sur les fiches de paie étaient mentionnées à compter de mars 2014 un salaire de base pour 151,67 euros travaillées et à plusieurs reprises des sommes déduites de ce salaire au titre 'd'heures d'absence', comme en juin 2014 pour 52,42 heures / 576 euros ou 'd'heures d'absence non rémunérées' comme en décembre 2014 pour 20h59 / 226,49 euros ou encore 'd'heures d'absence autorisée' comme en mars 2015 pour 19,67 heures / 217,15 euros.

Il en découle, d'une part, que la société, qui établit seule les plannings, ne donnait pas de travail au salarié à hauteur du temps complet prévu au contrat et, d'autre part, que seules les heures de présence chez les clients étaient décomptées et rémunérées, le temps de déplacement entre deux clients n'étant pas comptabilisé, alors que régulièrement le salarié ne disposait que de 15 minutes pour se rendre chez le client suivant, ce qui ne lui permettait pas de retrouver son autonomie et de vaquer à ses occupations personnelles.

Ainsi, les développements de la société sur le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail ou sur les temps séparant deux interventions sur un même lieu, ces derniers faisant l'objet d'une autre disposition au f) de la convention collective, sont inopérants et il est établi que les temps de déplacement n'étaient pas rémunérés.

Par ailleurs, sur la durée du travail, si la société justifie de demandes de modification de certains plannings par le salarié, comme de l'absence de respect des horaires sur les journées des 8 avril 2014 et 30 septembre 2014 ou encore d'une convocation le 18 juin 2015 pour l'entendre sur un refus le 16 juin d'effectuer des prestations de ménage, ces divers éléments sont insuffisants à établir des manquements du salarié à ses horaires de travail sur toute la période considérée.

La société produit encore divers arrêts maladie et demandes d'absences exceptionnelles de M. [Y], sur la période du 18.10.2012 au 15.09.2015, mais qui ne permettent pas plus d'expliquer les retenues ainsi opérées sur les fiches de paie. En effet, les pièces produites font état de quelques arrêts pour cause de maladie, au demeurant mentionnés sur les fiches de paie par la mention 'heures d'absence médical' ou 'heures d'absence maladie', et les congés demandés du 18 avril 2015 au 31 mai 2015 et du 14 au 24 juillet 2015 y figurent sous la mention 'heures d'absence congés payés'.

Il en découle que la société a retenu à plusieurs reprises une partie de la rémunération du salarié alors qu'il lui appartenait de le positionner sur le planning à hauteur d'un temps plein et sans qu'elle justifie d'un refus de sa part de ce temps de travail prévu par l'avenant du 1er mars 2014, étant relevé l'absence de toute mention sur les fiches de paie d'une 'absence injustifiée' et d'une quelconque sanction pour des faits de cette nature.

Enfin, le salarié justifie s'être plaint auprès de son employeur de cette situation, notamment lors de son entretien d'évaluation du 7 novembre 2014 dans lequel il a évoqué l'absence de paiement des temps de trajet et a demandé au titre des 'améliorations' que son planning soit rempli à 151 heures, comme prévu à son contrat, situation également dénoncée à l'inspection du travail le 20 octobre 2014, par lettre d'avocat le 14 janvier 2015, lors des réunions des délégués du personnel du 26 mars 2015 et du 18 juin 2015.

M. [Y] est donc fondé à solliciter un rappel de salaires au titre des retenues indûment effectuées sur son salaire, soit la somme de 4 814,2 euros outre 481,42 euros de congés payés afférents pour la période d'octobre 2013 à octobre 2015.

En revanche, il n'y a pas lieu de lui allouer, en sus, la somme réclamée au titre des heures de déplacement, puisque du fait du rappel susvisé, le salarié est rempli de ses droits à hauteur d'un temps plein contractuel.

De même, le travail dissimulé n'est pas caractérisé, puisque la société mentionnait effectivement sur les fiches de paie une durée de travail de 151,67 heures mais en déduisait, à tort, des heures d'absence qui n'étaient pas imputables à M. [Y].

Le jugement sera partiellement infirmé en ce sens.

- Sur l'obligation de sécurité

M. [Y] expose avoir subi une transplantation rénale, dont il avait informé son employeur et que pour autant il a dû réclamer à plusieurs reprises une visite médicale car il n'en avait jamais bénéficié, qu'en outre, le médecin du travail l'a déclaré apte à son poste mais avec deux réserves essentielles, à savoir des trajets mineurs et une absence d'exposition aux risques infectieux qui n'ont pas été respectées par son employeur puisqu'il lui était demandé de pratiquer des actes médicaux dangereux, et d'effectuer de nombreux trajets de plus de 40 minutes au cours d'une même journée, outre des périodes de 10 jours consécutifs sans respect du repos hebdomadaire.

La société conteste tout manquement à cette obligation.

Le 18 novembre 2014, M. [Y] a été déclaré apte au travail avec la réserve selon laquelle il doit 'éviter les milieux infectieux' puis le 25 novembre2014, à nouveau déclaré 'apte sous la réserve de travailler : localisé trajets minimes, pas de risques infectieux, c'est-à-dire personnes ayant des maladies chroniques infectieuses'.

M. [Y] produit quelques compte rendus hebdomadaires de fin 2014 et début 2015, dont il résulte qu'à quelques reprises il a effectué des massages en prévention d'escart (2), pris la tension d'un client (2), posé un patch (3) et changé une poche urinaire. Si, comme il le soutient, ces actes ne relevaient pas de ces fonctions telles que précédemment énumérées, il n'en ressort pas pour autant l'existence d'un risque consécutif pour sa santé, étant constaté que le 27 janvier 2015, le médecin du travail l'a déclaré apte au travail sans autre précision ni restriction à l'exercice de ses fonctions.

La société justifie également avoir fourni à ses salariés, y compris M. [Y], des gants, masques, surblouse, charlotte pour les cheveux et sur-chaussons.

Enfin, le salarié ne justifie pas de trajets de 40 minutes comme allégué et disposait, au vu de ses plannings du repos hebdomadaire obligatoire, le lundi en particulier n'étant pas travaillé.

Ce manquement n'est donc pas établi.

- Sur l' entrave à son mandat de délégué du personnel

M. [Y] soutient que désigné délégué du personnel le 5 février 2015, la société La Main Tendue n'a jamais respecté les règles de fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Il fait état de tentatives d'intimidation, de l'absence de bénéfice d'heures de délégation, de l'absence de prise en compte des heures passées en réunion DP, et enfin de l'absence de réponse écrite aux questions posées en réunion et de l'absence d'envoi des procès verbaux de réunion.

La société rétorque qu'à son arrivée, M. [E] a organisé les élections des délégués du personnel que l'ancienne gérante, s'était abstenue de mettre en place, et que c'est le salarié qui a empêché l'organisation de réunions, par ses absences. Elle ajoute qu'au cours de la réunion qui s'est tenue le 18 juin 2015, une liste de 6 questions a été remise à la direction à laquelle il a été répondu.

A l'appui de ce manquement, le salarié produit plusieurs pièces qui portent sur la situation d'autres salariées et ne justifie d'aucune demande à son employeur relative à ses heures de délégation. La société justifie, quant à elle, d'échanges avec la représentation du personnel pour la mise en place de la réunion mensuelle et de la réponse aux questions posées, en produisant deux compte rendus du 26 mars 2015 et du 18 juin 2015.

Ce manquement n'est donc pas établi.

Il découle de ces observations que sont établis les manquements de l'employeur portant sur la durée du travail contractuelle et sur la rémunération des temps de déplacement. Ces manquements, qui ont perduré jusqu'à la rupture du contrat, malgré les demandes du salarié et qui entraînaient une perte financière pour ce dernier, empêchaient effectivement la poursuite du contrat de travail.

La prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul, en raison de la qualité de délégué du personnel de M. [Y].

Sur les demandes pécuniaires consécutives à la rupture du contrat

Le salarié protégé dont la rupture du contrat produit les effets d'un licenciement nul a droit aux indemnités de rupture, à une indemnité pour licenciement nul au moins égale à six mois de salaire et à une indemnité pour violation du statut protecteur.

S'agissant du montant du salaire de M. [Y], celui-ci s'élevait pour un temps plein, compte tenu du taux horaire de 11 euros et des majorations diverses, à la somme de 1 683,73 euros.

M. [Y] est bien fondé à obtenir les sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis de 2 mois : 3 367,46 euros et les congés payés afférents,

- indemnité de licenciement : 808,19 euros,

- dommages et intérêts pour licenciement nul : 11 000 euros, compte tenu de son ancienneté et de son âge lors de la rupture,

- indemnité pour violation du statut protecteur : 36 200 euros, soit les salaires dus jusqu'à la fin de la période de protection, le 31 juillet 2017.

Sur les demandes accessoires

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires porteront intérêt à compter de la décision qui les ordonne. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

L'employeur devra remettre au salarié, une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte.

La société qui est condamnée, devra supporter les dépens et participer aux frais irrépétibles engagés par le salarié en cause d'appel à hauteur de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes au titre des rappels de salaires pour la rémunération fixe et les temps de déplacement et au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la prise d'acte de rupture du 13 octobre 2015 produit les effets d'un licenciement nul ;

CONDAMNE la société La Main Tendue à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

- 4 814,20 euros bruts à titre de rappels de salaires du 01/10/2013 au 13/10/2015'et 481,42 euros bruts de congés payés afférents,

- 3 367,46 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 336,74 euros bruts de congés payés afférents,

- 808,19 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 36 200 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

ORDONNE à la société de remettre au salarié une attestation Pôle emploi, un bulletin de paie récapitulatif et un certificat de travail conformes à la présente décision ;

CONDAMNE la société aux entiers dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 18/03286
Date de la décision : 17/12/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°18/03286 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-17;18.03286 ?
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