La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/12/2020 | FRANCE | N°19/06000

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 02 décembre 2020, 19/06000


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 02 DECEMBRE 2020



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06000 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RRC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/02164





APPELANTS



SARL BISSATE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 5] (MAROC)

N° SIRET : 60 085



SARL POETIQUE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 6] (MAROC)

N° SIRET : 45 933



Représentées par Me Marie-laure B...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 02 DECEMBRE 2020

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06000 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RRC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/02164

APPELANTS

SARL BISSATE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 5] (MAROC)

N° SIRET : 60 085

SARL POETIQUE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 6] (MAROC)

N° SIRET : 45 933

Représentées par Me Marie-laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936

Représentées par Me Monique CALMELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0476

INTIMEE

SAS PIERRE FREY, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 582 015 251

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Représentée par Me Stéphane-Alexandre DASSONVILLE, BMH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R216

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambreM. Dominique GILLES, Conseiller

Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Laure DALLERY dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Méghann BENEBIG

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et parM. Saoussen HAKIRI, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

La société Bissate exploite deux boutiques de vente de tissus de luxe, l'une à [Localité 5], l'autre à [Localité 7] au Maroc. Elle avait dans les années 1990 parmi ses fournisseurs la société Boussac-Fadini.

La société Pierre Frey, qui a pour activité l'édition, la fabrication, la vente et le commerce de tous tissus, tapis et tapisserie, a racheté des actifs de la société Boussac-Fadini en 2004.

La société Pierre Frey a entretenu avec la société Bissate des relations commerciales à compter de 2004 sans contrat.

La société bissate a crée en 2011 la société Poétique, pour vendre des tissus de luxe à Marrakech. Elle a obtenu de la société Pierre Frey l'exclusivité de la vente de ses tissus à Marrakech par courriel du 25 mars 2011 et a commencé à exploiter sa boutique en novembre 2011.

Le 22 février 2012, la société Pierre Frey a adressé, d'une part à la société Bissate, d'autre part à la société Poétique, une lettre leur notifiant sa volonté de rompre les relations commerciales à compter du 1er septembre 2012.

Par lettre du 4 octobre 2012, les sociétés Bissate et Poétique, faisant état d'un préavis insuffisant et non respecté, ont sollicité de la société Pierre Frey une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales.

C'est dans ces conditions que le 10 juin 2014, elles ont assigné la société Pierre Frey devant le tribunal de commerce de Paris,

Par jugement du 23 mars 2017, ce tribunal a ;

- Débouté la SARL Bissate et la SARL à associé unique Poétique de toutes leurs demandes,

- Condamné la SARL Bissate et la SARL à associé unique Poétique in solidum, à payer 7 000 euros à la SAS Pierre Frey au titre de l'article 700 du CPC déboutant pour le surplus,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement

- Dit les parties mal fondées en leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent jugement et les en a déboutées,

- Condamné la SARL Bissate et la SARL à associé unique Poétique in solidum aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 104,68 euros dont 17,23 euros de TVA.

Par déclaration du 12 mai 2017, la société Bissate et la société Poétique ont interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société Bissate et de la société Poétique, déposées et notifiées le 28 septembre 2020, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L442-6 I 5° du code de commerce, devenu l'article L442-1 II du même code,

Vu les pièces produites aux débats,

Vu le Rapport de la Société SORGEM EVALUATION et sa note complémentaire (en Pièces 11 et 15)

Vu la jurisprudence,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 mars 2017 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dire l'appel des sociétés Bissate et Poétique recevable et bien fondé,

Dire et juger que les relations commerciales étaient bien établies entre les parties au moins depuis 1993 et ce, jusqu'à la rupture de ces relations en 2012,

Dire et Juger caractérisée la brutalité de la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés appelantes et la Société Pierre Frey, rupture intervenue unilatéralement, du fait de l'intimée, par courrier du 22 février 2012,

Dire et juger que la société Pierre Frey doit être condamnée à réparer les préjudices subis de ce chef par les sociétés appelantes ;

En conséquence,

Débouter las société Pierre Frey de toutes ses demandes, fins et conclusions,

1/ Condamner la société Pierre Frey à payer à la société Bissate la somme de 158.334 euros (CENTCINQUANTE HUIT MILLE TROIS CENT TRENTE QUATRE EUROS)

2/ Condamner la société Pierre Frey à payer à la société Poétique la somme de 37.186 euro ((TRENTE SEPT MILLE CENT QUATRE-VINGT SIX EUROS)

Condamner la Société Pierre Frey au paiement à chacune des sociétés appelantes, de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Vu les dernières conclusions de la société Pierre Frey, déposées et notifiées le 24 septembre 2020, par lequelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Vu l'assignation, les conclusions et les pièces échangées,

Vu l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 2321 du Code civil,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 23 mars 2017

A. Concernant la société Bissate

A titre liminaire :

1/ Enjoindre à Bissate de fournir le détail du poste variation de stock par fournisseur de 2008 à 2011, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant.

2/Enjoindre à Bissate de communiquer les chiffres d'affaires réalisés avec les autres marques/fournisseurs de tissus sur la période 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant.

3/ Enjoindre à Bissate de communiquer les coûts de transport, les coûts de droits de douane à l'importation pour les produits PIERRE FREY de 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant.

4/Enjoindre à Bissate de communiquer ses coûts fixes de 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant.

A titre principal :

1/ Dire et juger que le préavis de 6 mois laissé à Bissate était suffisant, en ce qu'il lui a permis de se réorganiser et de développer les marques de tissus d'ameublement qu'elle distribuait déjà.

2/ Dire et juger que le préavis était réel, en ce que Pierre Frey a maintenu un courant d'affaires avec Bissate et que les griefs formulés par Bissate sont mal fondés.

En conséquence,

Dire et juger que Bissate ne saurait avoir subi de préjudice et la débouter de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 20.520 €.

3/ Constater qu'il n'existe aucune preuve du début des relations commerciales stables et continues de Bissate avec la société Boussac-Fadini, avant son rachat en 2004 par une filiale du Groupe Pierre Frey.

4/ Constater qu'il n'existe aucune dépendance économique de Bissate vis-à-vis

de Pierre Frey.

En conséquence,

Dire et juger que la rupture des relations commerciales entre Pierre Frey et Bissate n'était pas brutale.

Dire et juger que le début des relations commerciales entre Pierre Frey et Bissate doit être fixé à 2004.

Dire et juger que Bissate ne saurait avoir subi de préjudice et la débouter de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 158.334 €.

A titre subsidiaire :

Si, par extraordinaire, la Cour devait considérer que la rupture des relations commerciales

entre Pierre Frey et Bissate est « brutale » :

Dire et juger que le préjudice allégué par Bissate au moyen d'une consultation qu'elle

a commandée, n'est pas justifié.

1/ Constater que le taux de marge brute retenu par Bissate est contesté en ce qu'il ne prend pas en considération les coûts variables ainsi que les coûts fixes exposés par Bissate.

2/ Dire et juger que le calcul de marge brute tel qu'effectué par l'avis de Sorgem Evaluation est imprécis et ne saurait servir de base à l'évaluation d'un quelconque préjudice.

En conséquence,

Débouter Bissate de sa demande d'indemnisation à ce titre à hauteur de 92.294€.

3/ Dire et juger qu'aucune atteinte à l'image de Bissate n'est établie ou caractérisée en lien avec la « brutalité » de la rupture des relations commerciales avec

Pierre Frey.

En conséquence,

Débouter Bissate de sa demande d'indemnisation à ce titre à hauteur de 45.220€

A titre infiniment subsidiaire :

Si, par extraordinaire, la Cour de céans devait estimer que la rupture des relations commerciales à l'initiative de Pierre Frey était brutale et qu'un préjudice aurait été subi par Bissate, il conviendrait de retenir une durée de relation commerciale de 8 ans (de 2004

à 2012).

B. Concernant la société Poétique :

A titre principal :

1/ Constater que la relation commerciale entre les sociétés Pierre Frey et Poétique n'a duré que quelques mois et ne peut ainsi être qualifiée « d'établie ».

2/ Dire et juger que la décision de création de la société Poétique et d'ouverture de la boutique éponyme ont eu lieu, indépendamment de tout accord de la société Pierre Frey sur une exclusivité d'échantillonnage à Marrakech.

En conséquence,

Ecarter l'application de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

Rejeter toute demande d'indemnisation de la société Poétique.

A titre subsidiaire :

1/ Dire et juger que le préavis accordé par la société Pierre Frey était suffisant.

2/ En tout état de cause, dire et juger que la société Poétique n'a subi aucun préjudice du fait de la cessation de la relation commerciale avec Pierre Frey.

En conséquence,

Rejeter toute demande d'indemnisation de la société Poétique

C. En tout état de cause

Si, par extraordinaire, une condamnation pécuniaire était prononcée à l'encontre de Pierre Frey, il est demandé de l'assortir de la constitution au profit de Pierre Frey d'une garantie bancaire autonome d'un montant équivalent.

Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions des sociétés Bissate et Poétique.

Condamner in solidum les sociétés Bissate et Poétique à verser à la société Pierre Frey 22.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du CPC.

SUR CE, LA COUR,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels

Sur les relations commerciales établies entre les parties

Les sociétés Bissate et Poétique soutiennent que les relations qu'elles entretenaient avec la société Pierre Frey sont établies au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal de commerce.

La société Pierre Frey ne conteste pas le caractère établi des relations commerciales qu'elle a entretenu avec la société Bissate mais en conteste l'existence avec la société Poétique

Seule est ainsi en débat l'existence de relations commerciales établies entre la société Pierre Frey et la société Poétique.

Cette dernière fait valoir que sa relation commerciale établie avec la société Pierre Frey résulte de la relation entretenue entre Madame [I] et cette dernière société mais surtout de l'engagement d'exclusivité obtenu dans la perspective de l'ouverture d'une boutique à Marrakech en mars 2011.

***

Ainsi que le fait justement valoir la société Pierre Frey les relations commerciales entre cette dernière et la société Poétique, n'ont duré que 4 mois entre le mois de novembre 2011, date de l'ouverture de la boutique et de la première facture, et le 22 février 2012, date de la lettre informant la société Poétique de la cessation de leurs relations commerciales.

Et l'accord d'exclusivité sur l'échantillonnage donné par courriel du 25 mars 2011, postérieurement à la création et à l'immatriculation de la société Poétique ainsi qu'à la signature du bail commercial de la boutique de Marrakech, n'a pas eu d'incidence sur la création de la société et sur l'ouverture de la boutique.

Dès lors, ces relations commerciales ne revêtent pas le caractère établi, au sens de l'article l 442-6, I, 5° du code de commerce, faute de présenter un caractère suivi, stable et habituel, permettant raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Poétique de ses demandes fondées sur l'article l 442-6, I, 5° du code de commerce.

II. Sur la brutalité de la rupture des relations commerciales établies

Selon la société Bissate, la rupture de ses relations commerciales opérée par la société Pierre Frey revêt un caractère brutal en ce que le préavis de 6 mois accordé était insuffisant au regard de relations commerciales établies de près de 20 ans.

La société Bissate estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 24 mois.

A cet égard, elle invoque :

- sa croyance légitime dans la pérennité des relations, faute pour la société Pierre Frey d'avoir fait état d'un risque de rupture éventuelle ou prévisible de leurs relations et alors qu'au contraire, elle lui a accordé une augmentation de son encours autorisé en juin 2011;

- leur volonté commune de poursuivre les relations antérieures, relevant que la société Pierre Frey a repris le contrat la liant à la société Boussac-Fadini même si le plan de cession ne le mentionne pas, dès lors qu'il s'agit d'un contrat dont l'exécution représente l'activité ordinaire et qu'il est cédé en dehors de tout formalisme judiciaire, précisant que le courrier de la société Pierre Frey au mandataire judiciaire lui est inopposable, ne comportant ni date certaine, ni preuve de son envoi :

- la poursuite des relations commerciales sans interruption avec la société Boussac-Fadini, puis avec la société Boussac, portant sur les mêmes produits et aux mêmes conditions.

La société Bissate soutient encore que le préavis, qui suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, n'a pas été effectif, dès lors que les conditions commerciales ont été unilatéralement modifiées par la société Pierre Frey, laquelle a :

- réduit le crédit fournisseur de 40 000 euros à 10 000 euros ;

- refusé de lui adresser les nouvelles collections malgré un accord signé au mois de novembre 2011;

- supprimé la remise de 10% habituelle ;

- mis à sa charge le transport entre le dépôt de la société Pierre Frey et le transporteur ;

- omis de répondre à des demandes de prix.

La société Pierre Frey demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a rejeté le caractère brutal de la rupture, faisant valoir qu'elle a adressé à la société Bissate un courrier recommandé avec accusé de réception lui donnant un préavis de 6 mois, suffisant pour que l'intéressée puisse réorienter ses approvisionnements.

Elle soutient tout d'abord que la société Bissate n'était pas en situation de dépendance économique et qu'aucune exclusivité ne liait les parties.

A cet égard, elle dit que la société Bissate s'approvisionnait pour 75% auprès diverses marques, autres que Pierre Frey, puisque son activité commerciale concerne aussi bien la vente de tissus, que de meubles, d'accessoires de décoration ainsi que le conseil en aménagement intérieur. S'agissant du secteur du tissu d'ameublement, il s'agit, selon elle, d'un secteur extrêmement concurrentiel dans lequel elle n'est pas irremplaçable, contrairement à ce qu'allègue la société Bissate, soutenant que le classement produit par cette dernière n'est pas probant, dès lors qu'il ne concerne que les sociétés françaises et ne tient compte que du bilan des sociétés.

La société Pierre Frey invoque ensuite, une durée des relations commerciales avec la société Bissate de 8 ans et non de 20 ans, puisque lesdites relations ont commencé en 2004, avec la société Boussac. A cet égard, elle soutient que pour caractériser la continuation des relations commerciales concernant un partenaire à un contrat antérieur il est nécessaire de démontrer que les parties avaient la volonté commune de s'accorder sur la continuation des relations antérieures. La société Bissate devait donc, selon la société Pierre Frey, démontrer l'existence de l'intention partagée de poursuivre la relation commerciale initialement nouée avec la société Boussac-Fadini. Or, elle dit que la reprise d'actifs ne concernait pas le contrat liant la société Bissate à la société Boussac-Fadini, ce qu'elle a précisé au mandataire judiciaire et qui résulte du jugement de cession partielle d'actifs. Elle ajoute que la société Financière Pierre Frey a informé la société Bissate que son accord avec la société Boussac-Fadini n'avait pas été repris dans un courrier du 5 mai 2004.

Ainsi, selon la société Pierre Frey même si les sociétés Boussac et Bissate ont noué une relation commerciale à compter de 2004, celle-ci ne s'entend aucunement de la continuité de celle que la société Bissate entretenait avec la société Boussac-Fadini. Elle précise que les sociétés Boussac et Pierre Frey ont fusionné le 31 décembre 2007, de sorte qu'elle est devenue le partenaire de la société Bissate dans la continuité de la société Boussac.

La société Pierre Frey soutient enfin que le préavis de 6 mois accordé à la société Bissate était effectif et que les modifications alléguées par la société Bissate sont erronées ou justifiées.

Concernant la réduction du crédit fournisseur de 40 000 euros à 10 000 euros, la société Pierre Frey précise qu'elle résulte des retards récurrents de la société Bissate dans le paiement de ses factures et de l'absence de respect de ses engagements en 2011.

Concernant l'échantillonnage des collections de tissus de 2012, la société Pierre Frey affirme qu'il n'aurait pas été commercialement rentable de l'adresser à la société Bissate alors que le préavis expirait en août 2012. Elle ajoute que la société Bissate ne s'est pas manifestée et ne lui a pas commandé l'échantillonnage.

Concernant la suppression de la remise de 10% sur le tarif distributeur, la société Pierre Frey précise que la société Bissate était la seule a bénéficier d'une remise inconditionnelle de 10% du tarif distributeur, ce qui lui avait été accordé par la société Boussac-Fadini et qu'elle n'a pas été brutalement supprimée en 2012, puisqu'en 2010, elle avait subordonné cette remise à un objectif de chiffre d'affaires de 135 000 euros, ce que n'a pas atteint la société Bissate, qu'en 2011, elle a modifié à nouveau ce régime, en indiquant que la remise serait de 5% à condition de réaliser un chiffre d'affaires de 85 000 euros, les remises quantitatives continuant à s'appliquer et qu'en 2012, elle a harmonisé les conditions générales de vente pour tous ses distributeurs en ne maintenant que la remise quantitative.

Concernant l'absence de réponse aux demandes de prix formulées par la société Bissate pour un projet d'hôtel, elle précise que cela est erroné dès lors qu'elle n'a eu notamment qu'une semaine pour répondre et qu'elle a tenté de le faire avec les données partielles indiquées par la société Bissate qui ne lui a pas communiqué la quantité de tissus souhaitée.

***

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

Sur la durée des relations commerciales entre la société Bissate et la société Pierre Frey, la Cour retient que si par lettre recommandée du 5 mai 2004 (pièce 2 de l'intimée), la société Financière Pierre Frey a informé la société Bissate que son contrat avec la société Boussac-Fadini n'avait pas été cédé ou transmis à la socéiét Boussac par le jugement du tribunal de commerce du 6 avril 2004 arrêtant le plan de redressement par voie de cession des éléments d'actifs de la société Bousac-Fadini, force est de constater que cette volonté de ne pas poursuivre la relation commerciale est démentie par la continuité de celle-ci sans interruption entre la société Bissate et la société Boussac-Fadini, puis entre la société Bissate et la société Boussac, pour les mêmes produits et aux mêmes conditions, ainsi qu'il résulte des factures émises par la société Boussac-Fadini dont la dernière est en date du 7 septembre 2004 et des factures émises par la société Boussac dont la premère est en date du 9 septembre 2004 (pièces 13 et 14 de l'appelante), étant rappelé qu'en 2007 la société Pierre Frey a fusionné avec sa filiale, la société Boussac.

A cet égard, ila société Bissate bénéficiait avec la société Boussac-Fadini comme ensuite avec la société Boussac, d'une remise de 10% ainsi que le reconnaît la société Pierre Frey (pièce 10 de l'appelante).

Si la société Bissate ne justifie pas du contrat qu'elle invoque avec Boussac-Fadini conclu en 1990, elle produit cependant, des factures de 1993 à 1998 de la société Boussac, puis de 1999 à 2004 de la société Boussac Fadini (pièce 18) et entre 2004 et 2005, des factures de la société Boussac (pièce 14 de l'appelante) justifient de relations commerciales établies avec la société Pierre Frey de 19 années au jour de la lettre de rupture du 22 février 2012.

S'agissant de la dépencance économique de la société Bissate à l'égard de la société Pierre Frey, il sera relevé que :

- l'activité commerciale de la société Bissate concernait la vente de tissus, mais aussi de meubles, d'accessoires de décoration, de sorte qu'elle s'approvisionnait auprès de diverses marques,

- s'il n'existait aucune exclusivité pour le tissu d'ameublement et qu' il s'agit d'un secteur extrêmement concurrentiel, la marque Pierre Frey, de renommée internationale (pièces 26 et 27 de l'appelante), bénéficie d'une attractivité particulière.

Au vu de ces éléments,la Cour retient un état de dépendance moyenne de la société Bissate à l'égard de la société Pierre Frey.

Il résulte à suffisance de ces éléments que le préavis de six mois accordé était insuffisant pour permettre à la société Bissate de se réorganiser et que la durée du préavis aurait dû être d'une année.

En outre, il apparaît que le préavis accordé n'a pas été totalement effectif puisque la société Pierre Frey a (pièce 10 de l'appelante):

- réduit le crédit fournisseur de 40 000 euros à 10 000 euros, sans être fondée à en justifier par les retards récurrents de la société Bissate dans le paiement de ses factures et l'absence de respect de ses engagements en 2011, dès lors que le préavis doit s'effectuer aux conditions antérieures ;

- omis volontairement de lui adresser l'échantillonnage des collections de tissus de 2012 alors qu'un accord avait été signé au mois de novembre 2011 pour que lui soit adressé les nouvelles collections, peu important à cet égard la rentabilité de l'opération ;

-. a mis à la charge de Bissate le transport modifiant ainsi ses conditions générales de vente, peu important que cette modification ait affecté l'ensemble de ses distributeurs ;

- n'a pas répondu de façon satisfaisante aux demandes de prix s'agissant du projet de l'hôtel Hyatt Marrakech ainsi qu'il résulte des échanges de couriels entre les parties ( pièce 8 de l'appelante) .

- a réduit ses taux de remise, étant observé que la société Pierre Frey reconnaît avoir harmonisé les conditions générales de vente pour tous ses distributeurs en ne maintenant qu'une remise quantitative de 10% en 2010 puis de 5 % en 2011, non appliquée en 2012 ( poèce 10 de l'appelante).

Sur l'indemnisation

La société Bissate demande à la cour de condamner la société Pierre Frey à réparer les différents préjudices causés par la rupture brutale de leurs relations commerciales à hauteur de 158 334 euros en invoquant l'insuffisance du préavis ( perte de marge sur les 18 mois de préavis non accordés évaluée à 92 294 euros), la modification des conditions précédemment accordées durant le préavis ( perte de marge durant les 6 mois de préavis réels pendant lesquels, la société Pierre Frey a tout fait pour réduire ses ventes, évaluée à 20 520 euros) et le préjudice d'image.

S'agissant de ce troisième chef de préjudice, la société Bissate fait valoir que la rupture a terni l'image de sa boutique auprès de ses clients et de ses partenaires, ce d'autant que les produits de la société Pierre Frey sont une référence internationale. Ce préjudice est évalué à 45 520 euros.

Au soutien de ses demandes d'indemnisation, la société Bissate se fonde sur le rapport de la société Sorgem dont elle soutient qu'il repose sur des éléments probants comme des factures et des liasses fiscales ainsi que des comptes certifiés.

La société Pierre Frey rétorque que le préjudice allégué n'est pas justifié en ce que le rapport produit ne peut constituer une base de calcul sérieuse pour le préjudice que la société Bissate aurait subi. Elle estime subjectif l'avis de la société Sorgem qui porte des appréciations juridiques, notamment en considérant que la rupture a été brutale et en retenant une durée de plus de 20 ans de relations commerciales. Elle ajoute que l'avis est fondé sur des états financiers non certifiés. qui paraissent disproportionnés et qu'il contient de nombreuses incohérences et approximations. Ainsi, le montant des achats de la société Bissate est différent du montant de ses ventes, les comparaisons comptables ne sont pas effectuées à partir des mêmes années ce qui fausse les calculs, la fluctuation du montant des marges brutes de la société Bissate parait excessive et sa part dans les approvisionnements de la société Bissate fluctue entre 25 et 33%.

S'agissant des postes de préjudice allégués, la société Pierre Frey fait valoir que :

- sur la perte de marge pendant le préavis de 6 mois, le préavis a été effectif, que des commandes ont été passées et les produits livrés pendant cette période, n'ayant jamais refusé de vendre à la société Bissate, laquelle a tout simplement commandé moins de produits, ajoutant que le chiffre d'affaires de la société Bissate de janvier à août 2012 n'a pas été communiqué ;

- sur la perte de marge brute au-delà du délai de préavis, le calcul de la marge brute ne prend pas en compte les coûts variables et les coûts fixes d'une entreprise, relevant que la société Sorgem elle-même indique que 'les informations disponibles ne permettent pas de connaître avec précision la marge spécifique réalisée par Bissate avec des produits Pierre Frey' ;

- sur l'atteinte à l'image, celle-ci n'est pas indemnisable dès lors qu'elle résulte de la fin des relations commerciales et qu'en tout état de cause la société Bissate ne démontre pas qu'elle aurait subi une telle atteinte.

La Cour retient que :

- sur la demande liminaire de la société Pierre Frey, elle dispose d'éléments suffisants lui permettant d'évaluer les préjudices subis sans qu'il y ait lieu de faire injonction à la société Bissate de produire le détail du poste variation de stock par fournisseur de 2008 à 2011, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant, de communiquer les chiffres d'affaires réalisés avec les autres marques/fournisseurs de tissus sur la période 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant, de communiquer les coûts de transport, les coûts de droits de douane à l'importation pour les produits Pierre Frey de 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant, de communiquer ses coûts fixes de 2008 à 2013, certifiés par un expert-comptable indépendant ou un commissaire aux comptes indépendant ;

- en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, seuls sont indemnisables les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, de sorte que la demande au titre du préjudice d'image qui constitue une conséquence de la rupture ne peut qu'être rejetée ;

- le préjudice résultant de la brutalité de la rupture est évalué sur la base de la durée du préavis dont le partenaire a été privé ;

- au vu des pièces produites, notamment le rapport Sorgem, expertise privée soumise à la contradiction des parties qui constitue un élément de preuve,

dès lors que, sur les 3 années précédant la rupture (2009 à 2011) , les ventes de produirs Pierre Frey représente en moyenne 25,5% du total des ventes, soit un chiffre d'affaires annuel moyen de 1 440 k Dirham, taux en cohérence avec le taux d'achat de produits Pierre Frey par Bissate qui ressort sur les 3 années à 25,7%, soit des achats moyens annuels d'environ 85 567 euros (968 k Dirham) étant obsevé que 60% du chiffre d'affaires est réalisé de mars à août et que le taux de marge de référénce à savoir le taux de marge moyen par rapport aux ventes ressort à 47,7% :

le préjudice correspondant aux six mois de préavis manquants doit être évalué à 47,7% x 1 440 k Dirham X 6/12 = 343,44 k Dirham , soit 30 774 euros.

le préjudice causé par le manque d'effectivité du préavis, étant rappelé notamment que la société Pierre Frey n'a pas livré les nouvelles collections, sera évalué en prenant en compte la perte de marge sur coûts variables réalisé durant les six mois de ce préavis (23 février 2012 au 31 aoûit 2012) au cours duquel un chiffre d'affaires de 363 k Dirham a été réalisé sur les produits Pierre Frey pour un chifre d'affaires moyen des 3 dernières années au cours de cette même période de 864 k Dirham., soit 864 k Dirham - 383 k Dirham x 47,7% = 229 k Dirham., soit 20 520 euros.

Il sera observé à cet égard que :

- la société Pierre Frey ne démontre pas que les achats de ses produits par Bissate ne correspondent pas aux chiffres retenus par le cabinet Sorgem sur la base des factures produites, se bornant à produire un tableau comparatif sans autre élément qu'une attestation de sa directrice financière ;

- le taux moyen de marge de Bissate a été calculé à partir du taux moyen des exercices 2008 à 2011 mais les factures n'ont été analysées que pour les 3 années précédant la rupture ;

- il ne peut être dit que la perte de marge retenue ne prend pas en compte toutes les charges variables et toutes les charges fixes, alors que s'agissant d'une boutique les achats constituent les seuls vrais coûts variables et que les coûts fixes s'agissant d'une réduction d'activité ne peuvent intervenir à court ou moyen terme, outre que les coûts de transport entre 2008 et 2011 se sont élevés entre 48 euros et 627 euros.

Sur les aures demandes

La société Poétique qui succombe en ses demandes, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la société Bissate et la socité Poétique à verser à la société Pierre Frey la somme de la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, à condamner la société Pierre Frey à payer à la société Bissate la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à rejeter en équité la demande de la société Pierre frey en application de cet article, et à partager les dépens de première instance et d'appel par moitié entre la société Pierre Frey et la société Poétique.

PAR CES MOTIFS

Déboute la société Pierre Frey de sa demande de communication de pièces ;

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Poétique de ses demandes ;

L'infirme sur le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Pierre Frey à verser à la société Bissate la somme de 51 294 euros en réparation de son préjudice ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Pierre Frey ;

Partage par moitié les dépens de première instance et d'appel entre la société Poétique et la société Pierre Frey.

Condamne la société Pierre Frey à payer à la société Bissate la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/06000
Date de la décision : 02/12/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°19/06000 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-02;19.06000 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award