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02/12/2020 | FRANCE | N°18/03091

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 02 décembre 2020, 18/03091


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 02 DECEMBRE 2020

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03091 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5FIP



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Janvier 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 15/14150





APPELANTE



Madame [Y] [G] [U] [C]

[Adresse 2]

[Localité 5

]



Représentée par Me Maud BENRAIS PERSON, avocat au barreau de PARIS, toque : D2164





INTIMEE



SAS AXIS ALTERNATIVES

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Cathe...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 02 DECEMBRE 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03091 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5FIP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Janvier 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 15/14150

APPELANTE

Madame [Y] [G] [U] [C]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Maud BENRAIS PERSON, avocat au barreau de PARIS, toque : D2164

INTIMEE

SAS AXIS ALTERNATIVES

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Catheline MODAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R115

PARTIE INTERVENANTE

Organisme POLE EMPLOI

[Adresse 7]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 3

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Graziella HAUDUIN, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Graziella HAUDUIN, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 10 janvier 2018 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris, statuant dans le litige opposant Mme [Y] [U] [C] à la société Axis Alternatives, a :

- Condamné la société Axis Alternatives à payer à la salariée 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamné la société Axis Alternatives à la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné le remboursement à pôle emploi des allocations perçues par la salariée dans la limite de 15 jours,

- Débouté Mme [U] [C] du surplus de ses demandes et la société Axis Alternatives de sa demande reconventionnelle,

- Condamné la société Axis Alternatives aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 15 février 2018 par Mme [Y] [U] [C] de cette décision.

Vu les conclusions des parties auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel .

Aux termes de conclusions transmises le 7 septembre 2020 par voie électronique, Mme [U] [C] demande à la cour de:

- Déclarer Mme [U] [C] recevable et bien fondé en son appel et, en conséquence, réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau:

- Constater que Mme [U] [C] a subi une sanction disciplinaire injustifiée;

- Annuler, par conséquent, la sanction prononcée le 6 octobre 2015;

- Constater que Mme [U] [C] a fait l'objet de discriminations de la part de son employeur;

- Constater que Mme [U] [C] a fait l'objet de harcèlement moral de la part de son employeur ayant donné lieu à une dégradation de ses conditions de travail;

- Constater que la société Axis Alternatives n'a pas respecté le régime de protection dont bénéficiait Mme [U] [C] au titre de sa grossesse;

- Constater que la société Axis Alternatives a décidé de licencier Mme [U] [C] en conséquence de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail;

- Déclarer nul le licenciement de Mme [U] [C];

- Constater que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat;

- Constater que Mme [U] [C] a été contrainte de travailler selon une convention de forfait jours illicite;

- Annuler, par conséquent, la convention de forfait jours;

En conséquence :

Constater que le salaire moyen de Mme [U] [C] s'élève à 7 503 euros bruts (moyenne des trois derniers mois);

Constater la nullité du licenciement de Mme [U] [C] et, en conséquence, condamner la société Axis Alternatives à verser à Mme [U] [C]:

- 135 054 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul;

- 360 144 euros au titre de l'indemnité correspondant à la rémunération que Mme [U] [C] aurait dû percevoir pour la période intervenue entre le licenciement nul et la décision de la cour d'appel de Paris à parfaire;

- 22 509 euros au titre de son préavis;

- 2 250 euros au titre des congés payés sur préavis;

Subsidiairement, sur le licenciement,

- Constater le caractère sans cause réel et sérieuse du licenciement de Mme [U] [C], et en conséquence, condamner la société Axis Alternatives à lui verser:

- 135 054 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 22 509 euros au titre de son préavis,

2 250 euros au titre des congés payés sur préavis.

En tout état de cause :

- Constater l'illicéité de la convention de forfait jour et, en conséquence, Condamner

la société Axis Alternatives à verser à Mme [U] [C] la somme de 197 437 euros au titre de rappel des heures supplémentaires et de 25 000 euros de dommages et intérêts pour non respect du repos obligatoire;

- Constater la nullité de la sanction prononcée à l'encontre de Mme [U] [C], et le traitement discriminatoire dont elle a fait l'objet, et condamner la société Axis Alternatives à lui verser :

- 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de la discrimination

- 20 000 euros au titre de l'indemnité pour non-respect de l'obligation de sécurité par l'employeur;

- Condamner la société Axis Alternatives à verser à Mme [U] [C] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Assortir sa décision des intérêts au taux légal et capitalisation.

Aux termes de conclusions transmises le 7 septembre 2020 par voie électronique, la société Axis Alternatives demande à la cour de:

«'Sur le bien-fondé de la rupture amiable du contrat de travail de Mme [U] [C] pour motif économique'»:

- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a considéré le licenciement de Mme [U] [C] dépourvu de cause réelle et sérieuse;

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a constaté que la Société avait recherché des possibilités de reclassement pour Mme [U] [C];

Et jugeant à nouveau:

- Dire et juger le licenciement de Mme [U] [C] parfaitement justifié par une cause réelle et sérieuse;

«'Sur la validité de la rupture amiable du contrat de travail de Mme [U] [C]'»

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de sa demande en annulation de son licenciement pour motif discriminatoire lié à son état de grossesse;

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de sa demande en annulation de son licenciement pour motif lié à son action en justice;

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de ses demandes indemnitaires au titre de son prétendu licenciement nul.

«'Sur le rejet des demandes indemnitaires formulées par Mme [U] [C] au titre de la rupture de son contrat de travail'»:

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la prétendue nullité de son licenciement;

- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Axis Alternatives à verser à Mme [U] [C] 50 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les faits discriminatoires reprochés à la société Axis Alternatives:

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a constaté l'absence de toute discrimination à l'encontre de Mme [U] [C] ;

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de sa demande indemnitaire au titre des prétendus faits de discrimination subis;

Sur le rejet des demandes de Mme [U] [C] en matière de durée du travail:

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [U] [C] de ses demandes au titre du temps de travail;

Et jugeant à nouveau,

- Dire et juger la convention individuelle de forfait en jour de Mme [U] [C] régulière;

- Débouter Mme [U] [C] de sa demande au titre du prétendu non-respect de son obligation de sécurité par la société Axis Alternatives;

- Débouter Mme [U] [C] de sa demande au titre des prétendues heures supplémentaires et non-respect du repos obligatoire;

En tout état de cause

- Débouter Mme [U] [C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner Mme [U] [C] à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Mme [U] [C] aux entiers dépens.

Aux termes de conclusions transmises le 11 septembre 2018 par voie électronique, Pôle Emploi, intervenant volontaire, demande à la cour de:

-Dire et juger Pôle Emploi recevable et bien fondée en sa demande,

-Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-Condamner la société à lui verser la somme de 1 895,13 euros en remboursement des allocations chômage versées au salarié.

-Condamner la société à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

-Condamner la société aux entiers dépens.

Vu la clôture du 7 septembre 2020 et la fixation de l'affaire à l'audience du 7 octobre 2020.

SUR CE, LA COUR :

Mme [Y] [U] [C] a été embauchée par la société Axis Alternatives à compter du 4 octobre 2010 en qualité de «'consultante senior'» puis le 1er février 2011 promue «'manager'» et le 1er juillet 2013 «'manager confirmé'» avec une rémunération brute mensuelle moyenne de 7 503 euros.

Elle a été sanctionnée le 6 octobre 2015 d'une mise à pied de trois jours.

Le 8 décembre 2015, elle a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 16 avril 2016, la société a informé la salariée du fait qu'elle envisage une suppression d'un poste de manager du fait de difficultés économiques. Par lettre recommandée du 22 avril suivant, la salariée conteste la suppression de son poste, refuse la proposition de reclassement à Genève et informe par ailleurs la société de son état de grossesse en annonçant la transmission à venir de l'attestation de grossesse devant être établie le 3 mai suivant.

Le 9 mai 2016, la salariée est convoquée à un entretien préalable en vue d'un licenciement fixé au 19 mai. Par un courrier du 7 juin, la société notifie à la salariée les motifs économiques justifiant la mise en 'uvre d'une procédure de licenciement. Le 13 juin 2016, la salariée adhère au contrat de sécurisation professionnel et son contrat de travail prend fin au 14 juin.

Sur le forfait jour :

Le droit à la santé et au repos étant au nombre des exigences constitutionnelles, la convention de forfait en jours doit être contractualisée entre le salarié et l'employeur et être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

En l'espèce, si un système auto-déclaratif a été mis en place à compter du 1er juin 2014, il appartient à l'employeur à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de la salariée, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé de celle-ci.

A cet égard, la preuve du contrôle par l'employeur du temps de travail ne peut résulter des seules vérifications faites à la suite du courriel d'une cliente à la fin du mois de juillet 2015 se plaignant des absences de la salariée et qui ont donné lieu à la sanction disciplinaire du 6 octobre 2015. La tenue d'entretiens annuels d'évaluation en novembre 2014 et le 17 juillet 2015 évoquée par la salariée dans son courriel du 26 juillet 2015, sans qu'aucun élément ne fasse apparaître qu'a eu lieu l'entretien individuel annuel sur le temps de travail prévu tant par l'article L. 3121-6 du code du travail qui est dédié à l'organisation du travail et à l'articulation entre vie privée et vie professionnelle, que par l'article 6.9 de l'accord collectif du 4 octobre 2013 relatif à l'aménagement du temps de travail au sein de l'entreprise et l'article 4 de la convention de forfait régularisée entre les parties le 7 juillet 2014 suivant avenant entré en vigueur le 1er juin 2014, n'est donc pas de nature à démontrer que la société a effectivement réalisé un véritable suivi et a assuré le droit au repos précité.

La cour retient en conséquence, par infirmation du jugement, que la convention de forfait de la salarié est nulle.

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Par ailleurs, en l'absence de convention de forfait valide et en application des articles L.3121-10 et L.3121-20 du code du travail, les heures supplémentaires sont celles accomplies au-delà de 35 heures réalisées et décomptées par semaine civile, sauf dérogation conventionnelle ou réglementaire.

En l'espèce, la salariée verse au débat quelques courriels professionnels envoyés par elle entre 2012 et 2015 à des heures tardives qui sont pour certains de simples accusés de réception à des messages envoyés durant les heures de bureau, pour d'autres des messages dont elle prend l'initiative pour informer de son absence à une réunion le lendemain ou pour solliciter de collaborateurs une réponse prompte, pour d'autres enfin sont des réponses à des messages envoyés dans la journée précédente à des heures de bureau, sans que le contenu des messages produits permettent de retenir que l'employeur a entendu obliger la salariée à une réponse ne pouvant être différée jusqu'au prochain jour de travail. Dans de telles circonstances, il ne peut être retenu, comme le revendique Mme [U] qu'elle a accompli entre le mois de décembre 2010 et le mois de novembre 2015, 15 heures supplémentaires par semaine travaillée et ce de manière systématique, l'intéressée indiquant au demeurant qu'il s'agit d'une moyenne. Cependant, elle soutient, sans être contredite, que les déclarations de temps produites pour la période de mars à juillet 2014 font apparaître un temps 100% facturable aux clients en sorte qu'elle pouvait se livrer à aucun autre travail que celui réalisé en clientèle, sauf à effectuer des heures de travail supplémentaires. L'employeur quant à lui ne produit aucun élément.

Dès lors, la cour retient que la salariée a accompli des heures supplémentaires durant les mois de mars à juillet 2014 dans une moindre mesure toutefois que ce qu'elle allègue puisqu'elle a été absente durant une semaine pour maladie au mois de mars et à compter du 27 juillet, et lui alloue donc à ce titre la somme de 13 960 euros pour cette période, outre 1 396 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement.

Le contingent conventionnel annuel de 150 heures ayant été dépassé à une reprise en 2014, il sera alloué à la salariée la somme de 2 000 euros d'indemnisation pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le licenciement :

L'article L. 1225-4 du code du travail institue une protection au bénéfice de la salariée en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use de ce droit ou non, ainsi que pendant les quatre semaines après l'expiration de ces périodes. L'employeur peut cependant rompre le contrat de travail s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement et la rupture ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail.

La salariée justifie avoir informé dès le 22 avril 2016 son employeur par courrier de ce qu'elle était enceinte et lui a annoncé l'envoi du certificat de grossesse qui devait être établi le 3 mai, ce qu'elle a fait par lettre recommandée réceptionnée le 9 mai suivant par la société, si bien que Mme [U] [C] se trouvait dans une période de protection quand la société employeur a mis en 'uvre la procédure de licenciement ou au moins lui a notifié le 7 juin suivant son licenciement.

Tout d'abord, l'existence d'une cause économique de licenciement ne caractérise pas à elle seule l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, étant observé que, pas plus que devant les premiers juges, la société ne justifie de l'existence des difficultés économiques invoquées à l'appui de la rupture du contrat de travail de la salariée et ne démontre avoir mis en 'uvre sérieusement l'obligation de reclassement lui incombant.

Il y a lieu en conséquence, par infirmation du jugement entrepris, de dire le licenciement frappé de nullité à raison de la violation du statut protecteur.

La seule antériorité de la saisine par la salariée de la juridiction prudhommale en résiliation judiciaire ne permet pas de retenir que la décision de la licencier a constitué une mesure de rétorsion de l'employeur.

La salariée, qui ne demande pas sa réintégration, peut prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés au paiement de laquelle l'employeur est astreint nonobstant le versement à pôle emploi dans le cadre de la prise en charge du CSP, et à une indemnité au moins égale à six mois de salaire en réparation du caractère illicite du licenciement, mais pas à une indemnité équivalent aux salaires échus postérieurement à la date du licenciement, soit le 7 juin 2016.

En considération d'un salaire mensuel moyen non contesté de 7 503 euros, de la période d'emploi du 4 janvier 2010 au 6 octobre 2015, de la situation justifiée par la salariée, soit son indemnisation par pôle emploi jusqu'au 15 novembre 2016, par la caisse primaire durant son congé maternité jusqu'au 11 février 2017, puis par pôle emploi jusqu'à son embauche en novembre 2018 en qualité de consultant senior par BNP Paribas et d'une formation de coach, il lui sera alloué 22 509 euros au titre de son préavis, 2 250 euros au titre des congés payés sur préavis et 90 000 euros de dommages-intérêts en réparation du licenciement nul.

Sur la discrimination et le harcèlement moral :

L'article L.1132-1 du code du travail énonce un principe général de non-discrimination envers le salarié qui ne doit ni être écarté d'une procédure de recrutement, l'accès à un stage ou une période de formation en entreprise, ni être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat à raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, , de son appartenance ou de sa non-appartenance , vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, le salarié a la charge a la charge d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les éléments de fait laissant supposer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu'ils émanent de l'employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d'un abus d'autorité, ayant pour objet ou pour effet d'emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La salariée invoque à l'appui de ses demandes indemnitaires avoir subi une inégalité de traitement depuis l'annonce de sa grossesse en 2013 par la cessation de toute promotion alors qu'elle avait les compétences pour accéder au statut de manager senior, avoir subi des propos dégradants à connotation sexuelle de la part d'un supérieur hiérarchique qui n'ont pas été sanctionnés, avoir été en revanche sanctionnée de manière injustifiée, victime d'un licenciement illicite et avoir subi un retard dans le traitement de ses arrêts maladie.

Pour ce qui a trait à la mise à pied notifiée le 6 octobre 2015, il convient de rappeler qu'il résulte des articles L.1333'1 et L.1333'2 du code du travail qu'en cas de litige, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l'employeur fournit les éléments retenus pour prendre cette sanction, qu'au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, que si un doute subsiste il profite au salarié et enfin que la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Il y a lieu de constater que la salariée a été sanctionnée d'une mise à pied de trois jours pour avoir «'déclaré dans ses feuilles de temps être en «'inter contrat'» ou en «'chantier interne'» uniquement pour ne pas travailler et sans aucune autorisation ni même information et sans avoir à utiliser des CP et/ou des RTT, dont [ses] compteurs étaient presque à zéro'» et d'avoir ainsi fait de fausses déclarations car elle n'était pas «'au bureau les jours déclarés comme tels, [elle n'a ] donc pas travaillé mais [a] été payée, indûment'». Les jours concernés sont les demi-journées les 3, 6, 9, 13, 17 et 23 juillet 2015. L'employeur lui reproche outre ses fausses déclarations, l'image déplorable donnée de l'entreprise à la cliente qui a été contrainte d'alerter sur le faible taux de présence les semaines précédentes, ces absences ayant porté préjudice au bon déroulement de la mission. Les jours pris indûment représentent un coût pour l'entreprise, hors facturation commerciale, de l'ordre de 2 000 euros et la manque à gagner en termes de facturations représente un chiffre d'affaires HT de 3 710 euros. L'employeur lui reproche ainsi, alors que la salariée est par ailleurs le coach référent de plusieurs consultants que son exemplarité est altérée et aussi la crédibilité de l'ensemble de l'encadrement qu'elle représente. Ces faits sont qualifiés par l'employeur de violations graves et manifestes aux obligations contractuelles, de manquements graves à la loyauté et à l'intégrité, de fautes répétées et aussi de fraude.

Il est établi que dans un courriel du 27 juillet 2015, faisant suite à celui de Mme [U]-[C] l'informant de son arrêt de travail pour maladie jusqu'au 5 août inclus, la cliente, Mme [L] [O] [F], s'est ouverte auprès de M. [X] [A] associé au sein de la société Axis Alternatives des absences fréquentes de la salariée et de la difficulté à faire avancer les sujets.

Tout d'abord, Mme [U] [C] ne peut, pour contester le caractère fautif des absences qui lui sont reprochées en clientèle ou à défaut dans les locaux de l'entreprise, invoquer, sans se contredire, l'autonomie et la liberté qui étaient les siennes dans l'exercice de ses fonctions alors que dans le même temps elle a revendiqué et d'ailleurs obtenu l'annulation de la convention de forfait en jours qui lui confère cette liberté dans l'organisation de son temps de travail. Cependant, la salariée justifie avoir correspondu par courriels avec d'autres salariés de l'entreprise les 3, 9, 13 et 23 juillet 2015, en sorte qu'il ne peut lui être reproché à faute d'avoir fraudé sur sa situation ces demi-journées considérées. Pour ce qui a trait au 6 juillet 2015, le courriel du 27 juillet 2015 de Mme [R] à M. [A] mentionne une absence pour congés. Il ne ressort pas de ce tableau que la salariée était absente le 17 juillet.

Ensuite, il n'est produit aucun élément sur les prétendues conséquences sur l'image donnée de l'entreprise à la cliente, le préjudice apporté au bon déroulement de la mission, l'altération de l'exemplarité de Mme [U] auprès des consultants contrôlés par elle ou enfin la crédibilité de l'ensemble de l'encadrement qu'elle représente.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la mise à pied doit être considérée comme injustifiée et annulée, par infirmation du jugement entrepris.

Les échanges de SMS entre la salariée et M. [M] [I], associé, le 11 juin 2015 et les courriels échangés entre la même et M. [S], l'un des dirigeants de l'entreprise, du 1er au 9 juillet suivant, révèlent que M. [I] a, en présence d'un client, [H] G, et de Mme [U] [C] utilisé l'expression suivante «'loin des yeux, loin de la q..'», dont la nature sexuelle ne fait aucun doute et n'a d'ailleurs pas été contestée, ni par M. [I], ni par M. [S] ensuite informé. Il ressort des échanges que si M. [I] a dans un premier temps indiqué être d'accord avec la salariée qui avait qualifié cette blague de très moyenne dans un tel contexte, il a ensuite tenté de la justifier par sa proximité avec le dénommé [H]. La salariée s'est vue ensuite reprocher par M. [S] le ton employé dans ses courriels adressés à M. [I] dont il n'est pas justifié qu'il a fait quant à lui l'objet de la moindre sanction ou rappel à l'ordre pour les propos précités, dont l'absence de caractère fautif et la gravité ne peuvent être sérieusement remises en cause par le fait que Mme [U] a conclu son SMS de reproche à M. [I] par un «bonne journée».

Les pièces versées au débat par la société employeur établissent que la salariée, embauchée depuis le mois de janvier 2010 en qualité de consultante senior, a été promue manager dès le 1er février 2011 et manager confirmé à partir du 1er juillet 2013, soit à une date correspondant à une période d'une grossesse précédente. L'employeur justifie aussi de la nomination à partir de la même date d'une autre salariée à cette fonction, Mme [N], mais aussi de l'embauche en août 2015 de M. [B] à ce même poste, étant observé qu'il est mentionné sous la dénomination manager 2 dans la grille de compétences et positionné entre manager et senior manager. Il ne peut donc être retenu que ce poste de manager confirmé auquel Mme [U] a été promue en juillet 2013 a été créé pour faire obstacle à sa nomination au poste de senior manager et qu'elle a subi un retard dans sa carrière par rapport à d'autres collègues masculins.

Quant au retard dans le traitement des arrêts de travail pour maladie et l'absence de versement des indemnités journalières, il est établi par les échanges de courriels entre la salarié et l'employeur, qui ne peut utilement se retrancher derrière la prétendue carence de la caisse primaire dans ce traitement alors qu'il lui appartient de faire parvenir à l'organisme les documents nécessaires pour la perception des indemnités journalières, que la salariée s'est trouvée pendant quatre mois, comme elle le soutient sans être contestée, privée de ses indemnités, alors qu'aucune circonstance ne le justifiait.

Il ressort des élément produits la dégradation de l'état de santé de la salariée qui avait déjà été placée en arrêt pour maladie à compter en août 2014 pour épuisement physique et moral et l'a été de nouveau à compter du 27 juillet 2015 pour syndrome anxieux majeur.

Il se déduit de ces constatations que la salariée, licenciée pour des motifs non démontrés alors qu'elle était enceinte et que sa situation était connue de son employeur, a subi une discrimination, que le harcèlement moral est également démontré par les propos dégradants à connotation sexuelle de la part d'un supérieur hiérarchique qui n'ont pas été sanctionnés, la mise à pied injustifiée, le licenciement illicite, le retard dans le paiement des indemnités journalières avec pour conséquence la dégradation de son état de santé.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées au titre de la discrimination et du harcèlement. Il sera ainsi alloué à la salariée sur chacun de ces deux fondements des dommages-intérêts de 10 000 euros.

Sur les autres demandes :

Les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa version en vigueur au moment du licenciement n'ont pas à trouver application dans le cas présent, si bien que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Le jugement sera confirmé en revanche pour ce qui trait aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à Mme [U] [C] une indemnité complémentaire de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions relatives à l'indemnité d'éviction, aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Dit le licenciement de Mme [Y] [U] [C] nul ;

Annule la mise à pied du 6 octobre 2015 ;

Annule la convention de forfait ;

Condamne la société Axis Alternatives à lui verser les sommes suivantes :

- rappel de salaire pour heures supplémentaires : 13 960 euros,

- congés payés sur ce rappel : 1 396 euros,

- indemnisation pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos : 2 000 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 22 509 euros,

- congés payés sur ce préavis : 2 250 euros

- dommages-intérêts pour licenciement nul : 90 000 euros,

- dommages-intérêts pour harcèlement moral : 10 000 euros

- dommages-intérêts pour discrimination : 10 000 euros ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société Axis Alternatives aux dépens d'appel et à verser à Mme [U] [C] une indemnité procédurale complémentaire de 2 000 euros.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/03091
Date de la décision : 02/12/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°18/03091 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-02;18.03091 ?
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