REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2020
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10363 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B765Q
Décision déférée à la Cour : arrêt de renvoi après cassation rendu le 20 février 2019 par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, sur pourvoi d'un arrêt rendu le 08 novembre 2016 par le pôle 5 chambre 8 de la Cour d'Appel de PARIS, sur appel d'un jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 28 novembre 2014
APPELANTE
Madame [P] [W]
née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945, avocat postulant
Représentée par Me Pierre FERNANDEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : A0786, avocat plaidant
INTIMES
Monsieur [H] [K]
[Adresse 7]
[Localité 5] (PORTUGAL)
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant
Représenté par Me Laure BOUTRON-MARMION, avocat au barreau de PARIS, toque : E0848, avocat plaidant
SARL EUROPEENNE D'ASSURANCES ET FINANCES (EURAF I)
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant
Représentée par Me Walid AMMAR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Michèle PICARD, Présidente
Madame Emmanuelle DUCOS, Conseillère appelée à compléter la formation par ordonnance de roulement en date du 28 août 2020
Madame Déborah CORICON, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- réputé contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .
**********
La Sarl Européenne d'Assurance et Finance (ci après Eurafi), créée en 1993 par Monsieur [H] [K], et dont il était le gérant, a pour activité le conseil en gestion de patrimoine, le courtage ainsi que le conseil en assurances.
Entre 1997 et 2013, le capital social de la société était détenu à hauteur de 30% par Madame [P] [W] et à hauteur de 70% par M. [R] [K]. Il a été modifié en 2013, Monsieur [R] [K] ayant cédé 5% de ses parts à Mme [S] [K].
Mme [P] [W] est devenue co-gérante de la société Eurafi par décision de l'assemblée générale du 26 juin 2006, moyennant une rémunération de 3.000 euros par mois.
Les relations entre les deux gérants associés se sont détériorées à partir de 2008 et c'est ainsi que le 2 octobre 2008 l'assemblée générale de la société a voté la révocation du mandat de co-gérance de Madame [W].
C'est dans ces circonstances que, le 22 octobre 2008, Madame [W] a créé une société AMarchal et associés au sein de laquelle elle est gérante majoritaire à hauteur de 85% et qui exerce une activité semblable à celle de la société Eurafi.
Par arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 novembre 2012, la révocation a été jugée abusive et vexatoire et la société Eurafi a été condamnée à payer à Madame [W] une somme de 58.000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que des cotisations sociales afférentes à sa rémunération de co-gérante.
Reconventionnellement, la société Eurafi avait formé une demande en dommages intérêts pour concurrence déloyale et détournement de clientèle à l'encontre de Madame [W] et de la société AMarchal et associés qui a été rejetée. Sur pourvoi de la société Eurafi cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation le 7 janvier 2014.
Monsieur [K] a déposé, le 12 mars 2010, une plainte pénale à l'encontre de Madame [W] à la brigade financière pour exercice illégal de la profession de courtier et concurrence déloyale laquelle a été classée sans suite.
Par acte en date du 30 mai 2012, Madame [W] a assigné Monsieur [K] et la Sarl Eurafi en annulation de l'ensemble des décisions d'assemblée générale de 2009 à 2011 pour abus de majorité, et a sollicité la condamnation de Monsieur [K] à lui rembourser les excédents de rémunération et des charges sociales y afférentes au titre des exercices 2008,2009,2010 et 2011 et elle a demandé sa condamnation à des dommages intérêts pour abus de majorité.
Par jugement en date du 28 novembre 2014 assorti de l'exécution provisoire le tribunal de commerce de Paris a jugé que Monsieur [K] avait commis un abus de majorité, débouté Madame [W] de ses demandes d'annulation des décisions des assemblées générales et de remboursement partiel à la Sarl Eurafi des sommes allouées à M. [K], condamné M. [K] à payer à Madame [W] la somme de 70.000 euros à titre de dommages intérêts et condamné M. [K] à payer la somme de 5.000 euros à Mme [W] en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [K] et la société Euragi ont interjeté appel du jugement.
Par arrêt du 8 novembre 2016 la cour d'appel de Paris a' déclaré recevable 1'appel de la société Eurafi, infirmé le jugement et statuant à nouveau, débouté Madame [W] de sa demande de dommages intérêts pour abus de majorité, débouté la société Eurafi et Monsieur [K] de leur demande tendant à faire déclarer réputées non écrites les dispositions de l'article 15 des statuts en ce qu'elles prévoient que les décisions seront prises d'un commun accord, prononcé la nullité des décisions des assemblées générales ordinaires de la société Eurafi des 20 juin 2009, 30 juin 2010, 30 juin 2011 et 31 juillet 2012 en ce qu'elles fixent la rémunération de Monsieur [K] et sursis à statuer sur la demande de remboursement des rémunérations et invité les parties à conclure sur ce point.
Madame [W] s'est pourvue en cassation.
Par arrêt du 20 février 2019 la Cour de assation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 8 novembre 2016, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par Madame [W] pour abus de majorité et annulé les décisions des assemblées générales ordinaires de la société Eurafi des 20 juin 2009, 30 juin 2010, 30 juin 2011 et 31 juillet 2012 relatives à l'augmentation des rémunérations de Monsieur [K].
Le 15 mai 2019 Madame [W] a saisi la cour d'appel de Paris sur renvoi après cassation.
***
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 9 juillet 2019, Madame [W] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des délibérations relatives aux rémunérations de Monsieur [K] prises lors des assemblées générales de la société Eurafi en date des 30 juin 2009, 30 juin 2010, 30 juin 2011 et 31 juillet 2012.
Et statuant à nouveau de ce chef :
- Annuler les délibérations prises lors des assemblées générales de la société Eurafi relatives aux rémunérations de Monsieur [K] en date des 30 juin 2009, 30 juin 2010, 30 juin 2011 et 31 juillet 2012.
- Condamner Monsieur [H] [K] à rembourser à la société Eurafi l'ensemble des rémunérations irrégulièrement perçues, à savoir :
Rémunérations 2008 visées par l'AG de 2009 : 121.743 €
Rémunérations 2009 visées par l'AG de 2010 : 160.246 €
Rémunérations 2010 visées par l'AG de 2011 : 169.769 €
Rémunérations 2011 visées par l'AG de 2012 : 233.120 €
Soit un total de 684.875 €
- Débouter Monsieur [H] [K] et la société Eurafi de l'ensemble de leurs demandes.
- Dire et juger que l'ensemble des condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance.
- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil.
- Condamner Monsieur [H] [K] et la société Eurafi à lui payer chacun la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner in solidum Monsieur [H] [K] et la société Eurafi en tous les dépens.
***
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 9 septembre 2019, la Sarl Eurafi demande à la cour de :
- Infirmer le jugement frappé d'appel sauf en ce qu'il a débouté Madame [W] de ses demandes d'annulation des décisions des assemblées et de remboursement partiel à la Sarl Européenne d'Assurances de Finances (ci-après « Eurafi ») des sommes allouées à M. [H] [K].
Statuant à nouveau :
- Débouter Madame [W] de l'ensemble de ses demandes ;
- ondamner Madame [W] à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Madame [W] aux entiers dépens.
***
Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 28 février 2020, Monsieur [K] demande à la cour de :
A titre principal,
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris, le 28 novembre 2014, sauf en ce qu'il a débouté Mme [P] [W] de ses demandes d'annulation des décisions des assemblées générales et de remboursement partiel à la Sarl Eurafi des sommes allouées à M. [H] [K] ;
Statuant à nouveau,
- Constater l'absence d'abus de majorité commis par M. [H] [K] ;
- Débouter Mme [P] [W] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire, si la Cour venait à confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 novembre 2014, en ce qu'il a considéré que M. [H] [K] a commis un abus de majorité :
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a attribué 70.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par Mme [P] [W];
- Statuant à nouveau, juger que Mme [P] [W] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice subi en lien de causalité direct et certain avec l'abus de majorité constaté et la débouter de ses demandes à ce titre ;
Et,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté Mme [P] [W] de ses demandes d'annulation des décisions des assemblées générales et de remboursement partiel à la Sarl Eurafi des sommes allouées à M. [H] [K] ;
A titre infiniment subsidiaire, si la Cour venait à Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [P] [W] de ses demandes d'annulation des décisions des assemblées générales et de remboursement partiel à la Sarl Eurafi des sommes allouées à M. [H] [K] :
- Cantonner l'annulation des délibérations litigieuses au motif que M. [H] [K] ne pourra se voir condamner à rembourser les 90.000 euros annuels qui avaient été validés lors de l'assemblée générale du 21 mai 2006 pour l'exercice concerné comme pour les exercices suivants et qu'il ne pourra également se voir condamner à rembourser les cotisations sociales personnelles afférentes à la rémunération du gérant qui avaient été prises en charge par la société et validées comme telles par Mme [P] [W],
Et,
- Constater qu'au titre de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 2009, une rémunération a été attribuée à Mme [W] pour un montant de 32.000 euros.
En conséquence,
- Condamner Mme [P] [W] à rembourser à la société EURAFI la somme de 32.000 euros ainsi que l'ensemble des charges afférentes à cette rémunération.
En tout état de cause,
- Condamner Mme [P] [W] au paiement d'une somme de 10.000 euros à M. [H] [K] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE
Sur l'abus de majorité
Madame [W] fait valoir qu'à la suite de sa révocation de son mandat de co-gérante ses droits d'associée minoritaire ont été bafoués. Ainsi, à compter de cette date Monsieur [K] a dirigé seul la société et il n'y a plus eu aucune distribution de dividendes contrairement aux années précédentes. Les bénéfices ont été mis en réserve ou absorbés par les hausses exorbitantes de rémunérations et autres avantages au seul profit de Monsieur [K], associé majoritaire.
Ainsi, entre 2008 et 2012 Monsieur [K] s'est octroyé, lors d'assemblées générales qu'il a tenu seul, des surplus de rémunération ayant abouti à une augmentation de 100% de sa rémunération sur cette période, sa rémunération représentant 70% du chiffre d'affaire de la société en 2011.
Selon elle l'augmentation de rémunération a été directement à l'origine de l'absence de réalisation de bénéfices par la société à chiffre d'affaires quasi constant, le gérant ayant directement appréhendé l'ensemble des bénéfices de la société Eurafi.
Elle souligne que les mises en réserves des maigres bénéfices de la société Eurafi sur cette période n'ont pas eu d'effet sur une politique d'investissement inexistante et se sont accompagnées du vote de rémunération du gérant et autres primes représentant 4 fois le bénéfice 2009, 485 fois le bénéfice 2010 et 363 fois le bénéfice 2011.
Ces augmentations qui ont alourdi le coût de la gérance depuis son départ ne sont pas justifiées par un surcroît de travail de Monsieur [K] qui a parallèlement créé deux sociétés concurrentes, [H] [K] Private Management en 2010 et Demours Invest en 2012, ayant une activité identique à Eurafi.
Ces augmentations de rémunération ont absorbé tous les bénéfices de la société au détriment de l'associé minoritaire et de la société qui n'a pu ainsi ni procéder à des mises en réserves, ni procéder à des distributions de bénéfices.
Elle conteste par ailleurs l'argument selon lequel les inscriptions en report à nouveau auraient été justifiées par des politiques d'investissement, aucun élément sérieux n'ayant étayé ces allégations et la disparition totale des bénéfices depuis 2010 rendant illusoire toute volonté d'investissement. Elle réfute également l'existence d'une situation de crise comme le montre la stabilité du chiffre d'affaires de la société et relève que des distributions de bénéfice ont été votées en 2015 et 2016 sans modification de la situation économique.
Monsieur [K] rappelle que l'abus de majorité se caractérise par deux éléments cumulatifs': la prise de décision contraire à l'intérêt social dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.
Il soutient que les décisions de mise en réserve ou de report à nouveau des bénéfices, même systématiques, ne suffisent pas à le caractériser d'autant qu'elles démontrent une gestion prudente de la société et sont créatrices de valeur pour la société. Il insiste sur le caractère exceptionnel de l'abus de majorité même dans le cas du couplage des mises en réserves et de l'augmentation de la rémunération du gérant.
Il soutient que Madame [W] se désintéresse de la vie de la société, que la mise en réserve était justifiée par la crise économique mondiale de 2008, accentuée par l'erreur de versement commise par la société Generali en 2007, qui a nécessité une régularisation postérieure. Il fait valoir que l'activité d'Eurafi en gestion de patrimoine, courtage et conseil en assurance a été fortement impactée, que la mésentente entre associés justifiait cette gestion prudente et souligne que les distributions de dividendes ont repris depuis 2013. Il précise que le paiement annuel du loyer du siège social oblige à provisionner la trésorerie nécessaire à son règlement tout au long de l'année.
Il dit avoir cherché, sans succès, à mener une politique d'expansion de la société pour laquelle il est entré en pourparlers avec la société Delta Consult, puis avec la société Perennity, qu'il a envisagé d'augmenter sa participation dans la société CECASE et que les mises en réserve permettait d'envisager ces opérations sans recourir à un financement extérieur. Il souligne que Madame [W] s'est opposée à l'extension de l'objet social d'Eurafi en 2010 et qu'il ne peut donc lui être reproché l'absence d'investissements.
Il soutient que la non distribution de dividendes est indépendante de son niveau de rémunération, que le chiffre d'affaire est stable autour de 310.000, abstraction faite de l'exercice 2007 lié au paiement indu de Generali, que les multiples procédures judiciaires de Madame [W] et le coût de son indemnisation au moment de sa démission ont impactés les bénéfices justifiant l'absence de distribution indépendamment de l'augmentation de sa rémunération.
Il fait valoir que l'augmentation de sa rémunération est justifiée par le fait qu'il gère seul la société, qu'il a dû faire face à un départ de clientèle vers la société de Madame [W], que la crise a nécessité un travail acharné afin de maintenir le chiffre d'affaire et qu'il effectue une collecte moyenne annuelle de 5 millions d'euros, loin des 2,2 millions d'euros moyens entre 2007 et 2008.
Il conteste le fait que l'impact de la création de sa société BWPM est directement liée au refus de Madame [W] d'étendre l'objet social d'Eurafi et cette création ne peut donc constituer une concurrence déloyale.
Il soutient qu'il a toujours adapté sa rémunération, y compris à la baisse, aux fluctuations du chiffre d'affaires, que la forte augmentation de 2011 correspond au rattrapage des années 2009 et 2010 pendant lesquelles il avait baissé sa rémunération.
Il en conclut qu'aucun abus de majorité ne peut lui être reproché.
La société Eurafi conteste l'existence d'un abus de majorité et estime que l'augmentation de la rémunération de Monsieur [K] est justifiée par le surcroît de travail qu'il a dû effectuer en raison du départ de Madame [W] et des difficultés économiques de la période aggravées par la concurrence déloyale exercée par l'appelante.
Elle soutient que les charges de rémunération sont restées stables par rapport au chiffre d'affaire en moyenne sur la période 2009 à 2012.
Elle fait valoir que le remboursement pur et simple des rémunérations aurait pour conséquence de priver Monsieur [K] de la rémunération à laquelle il a droit en application de l'article 14 des statuts et équivaudrait à un travail dissimulé.
Elle conclut au rejet des demandes.
La cour rappelle qu'un abus de majorité est caractérisé par deux éléments, un élément objectif à savoir que la décision en cause doit avoir été prise contrairement à l'intérêt général de la société une simple incertitude étant insuffisante et un élément subjectif, à savoir que la décision doit avoir été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité, soit une faute intentionnelle caractérisée par la volonté de rompre l'égalité entre associés.
En l'espèce il ressort des pièces produites notamment des PV d'assemblées générales qu'en 2008 le bénéfice d'Eurafi était de 67.551 euros et que la totalité de ce bénéfice a été affectée au report à nouveau. La rémunération de Monsieur [K] a été fixée à 90.000 euros comme les années précédentes (en 2007 auquelle elle était de plus de 94.000 euros) et une prime de 10.000 euros a été ajoutée, la portant à 100.000 euros. Madame [W] a également perçu pour cet exercice une rémunération de 32.000 euros.
En 2009 le bénéfice a été de 38.762 euros et il a été affecté en totalité au report à nouveau. La rémunération de Monsieur [K] s'est élevé à 100.000 euros auquelle il convient d'ajouter une prime de 20.000 euros ainsi qu'une appobation rétroactive de rémunération de 1.000 euros mensuels a été approuvée.
En 2010 le bénéfice a été de 350 euros. La totalité a été affectée au report à nouveau. La rémunération de Monsieur [K] s'est élevée à 116.500 euros auquelle il convient d'ajouter une prime de 10% du chiffre d'affaire. Par ailleurs une augmentation de la rémunération annuelle à 120.000 euros a été approuvée.
La cour note à la lecture des comptes d'exploitation de l'exercice 2010 que le résultat a été diminué de la somme de 58.829 euros affectée en dotations exceptionnelles aux amortissemnts et provisions et des charges de la gérance, salaire et cotisations sociales..
Enfin en 2011 le bénéfice s'est élevé à 642 euros dont la totalité a été affectée au report à nouveau. La rémunération de Monsieur [K] a été portée à 168.282 euros , soit 120.000 euros plus une prime de 10% du chiffre d'affaire. Une prime exceptionnelle de 15.000 euros a été ajoutée appelée 'prime sur l'augmentation du chiffre d'affaire et de l'encours géré dans un environnement compliqué'. Le résultat d'exploitation a donc été diminué du montant important des salaires et traitements ainsi que des charges y afférentes.
Le chiffre d'affaire de la société a évolué de la manière suivante : 485.733 euros en 2007, 333.274 euros en 2008, 343.723 euros en 2009, 346.673 euros en 2010 et 366.395 euros en 2011. Le chiffre d'affaire des années antérieures était de l'ordre de 370.000 euros en 2006 et 290.000 euros en 2005.
Ainsi, hormis l'année 2007 qui a été particulièrement bonne en termes de chiffre d'affaire ce dernier est resté stable. En revanche les bénéfices ont chuté à compter de 2010 pour les raisons susmentionnées.
Entre 2008, année où Madame [W] a été révoquée de ses fonctions de co-gérante jusqu'en 2011 aucun dividende n'a été distribué aux associés et les bénéfices ont été affectés au report à nouveau alors qu'en 2005 30.000 euros ont été distribués, en 2006 60.000 euros et en 2007 80.000 euros.
Coomme l'a justement observé le tribunal de commerce le chiffre d'affaire a continué de croître depuis 2005 et les actifs sous gestion ont progressé de 400.000 euros à 500.000 euros de sorte qu'il n'apparaît pas qu'Eurafi ait connu des difficultés liées à la crise économique.
Eurafi n'a pas non plus pâti de la concurrence déloyale qu'il a reproché à Madame [W] les tribunaux l'ayant débouté de ses demandes sur ces fondements.
Il ressort de ces éléments en premier lieu qu'en 2008 les bénéfices étaient de près de 68.000 euros et la rémunération de Monsieur [K] de 100.000 euros prime comprise. Si aucun dividende n'a été distribué, en revanche la rémunération de Monsieur [K] n'a presque pas augmentée et Madame [W] a également perçu une rémunération. L'absence de distribution de dividendes n'a donc pas été causée par l'augmentation de rémunération du gérant. En revanche la crise économique peut expliquer que les bénéfices aient été affectés par prudence au report à nouveau. La cour débouerera en conséquence Madame [W] de ses demandes de constation d'abus de majorité pour l'exercice 2008.
En 2009 alors que les bénéfices n'étaient que de 38.762 euros la rémunération de Monsieur [K] a été fixée à 120.000 euros prime comprise plus 1.000 euros par mois d'augmentation. En 2010 alors que les bénéfices n'étaient plus que de 350 euros la rémunération de Monsieur [K] a été fixée à 116.500 euros puis elle a été augmentée à 120.000 euros auquelle il faut ajouter une prime de 10% du CA. Enfin en 2011 alors que les bénéfices n'étaient plus que de 642 euros Monsieur [K] a perçu une rémunération de 168.282 euros prime ordinaire comprise auquelle il y a lieu d'ajouter 15.000 de prime exceptionnelle.
Ces données montrent que l'augmentation de la rémunération de Monsieur [K] à compter de l'exercice 2009 n'était pas corrélée avec la baisse du chiffre d'affaire et le montant des bénéfices et qu'elle n'a pu que se faire au détriment de l'intérêt social et de l'associé minoritaire qui ne recevait de ce fait plus aucun dividende.
Le surcroit de travail généré par la révocation de Madame [W] apparaît peu crédible dans ces proportions alors que concomitamment Monsieur [K] a trouvé le temps de crééer deux autres sociétés
Enfin il y a lieu de constater que le défaut de distribution de dividendes avait notamment pour finalité de tenter de convaincre Madame [W] de céder sa participation dans Eurafi d'une part en faisant en sorte qu'elle n'en tire plus aucun bénéfice et d'autre part en diminuant la valeur de la société et donc des parts sociales que Monsieur [K] souhaitait acheter.
La cour confirmera donc la décision attaquée en ce qu'elle a jugé qu'il y avait eu un abus de majorité au détriment de l'associé minoritaire Madame [W] mais seulement pour les exercices 2009, 2010 et 2011.
Sur les conséquences de l'abus de majorité
Madame [W] sollicite d'une part l'indemnisation de son préjudice personnel résultant de l'absence de perception des dividendes par l'allocation de dommages et intérêts d'un montant de 70.000 euros. Elle sollicite également l'annulation des délibérations des assemblées générales de 2009, 2010, 2011 et 2012 relatives aux rémunérations de Monsieur [K] et le rembousrement à la société Eurafi des sommes perçues à ce titre, soit la somme de 684.875 euros.
Elle conteste le caractère nouveau de cette demande en relevant qu'il est la conséquence logique de l'annulation des assemblées générales litigieuses qu'elle a toujours demandée, seul le quantum de la demande étant modifié.
Monsieur [K] estimant qu'aucun abus de majorité ne peut lui être reprochée sollicite le rejet de la demande d'annulation des délibérations litigieuses et du remboursment des rémunérations qu'il a perçues en conséquence. Il soutient que la demande d'annulation et la demande de dommages-intérêts sont exclusives l'une de l'autre sauf dans l'hypothèse où l'action en nullité est introduite contre la société et l'action en indemnité contre l'associé et relève que la déclaration d'appel de Madame [W] ne vise que l'abus de majorité de Monsieur [K] sans qu'aucune demande ne soit formulée contre Eurafi.
Il soutient que la demande d'annulation des délibérations et de remboursement subséquent de ses rémunérations irrecevable car nouvelle.
Il estime que les indemnités chiffrées sur le non versement des dividendes de 2009 à 2012 ne sont pas un préjudice personnel direct et ne peuvent lui être imputé, seule la société Eurafi détenant cette somme.
Il conteste la détresse économique alléguée et non établie par Madame [W], rappelle que le préjudice lié à sa révocation a déjà été indemnisé, que seules les conséquences de l'abus de majorité allégué peuvent faire l'objet d'une indemnisation et qu'en telle hypothèse Madame [W] n'aurait perçu que 30% du report à nouveau moyen entre 2008 et 2012 soit 9.000 euros x4 dont il conviendrait de déduire la CSG et les impôts soit 4.905 euros annuels.
Il insiste sur l'absence de préjudice en lien direct et certain avec l'abus de majorité.
La société Eurafi estime que Madame [W] sollicite la réparation de son préjudice deux fois, sous forme de dommages-intérêts et sous forme de réparation en nature par remboursement à la société.
Elle soutient que Madame [W] s'emploie volontairement à paralyser la société et refuse toute tentative de conciliation et toute tentative de solution par rachat de ses parts.
Elle conclut au rejet de la demande.
Elle ajoute qu'une assemblée générale a été régulièrement convoquée le 2 février 2017 et a ratifié les délibérations litigieuses. Elle estime qu'aucune disposition législative ne sanctionne par la nullité une décision relevant d'un abus de majorité, qu'il n'existe pas de nullité sans texte et que Madame [W] doit par conséquent être déboutée de ses demandes.
La cour rappelle en premier lieu qu'en vertu des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile 'la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion'. Le dispositif des conclusions de Monsieur [K] ne comporte aucune demande d'irrecevabilité des demandes, nouvelles selon lui, de Madame [W] à l'enconrre d'Eurafi. Elle ne sera donc pas examinée.
Madame [W] sollicite la nullité des délibérations des assemblées générales relatives à la rémunération de monsieur [K] et au défaut de distribution des dividendes
La cour relève qu'elle a jugé que ces rémunérations avaient été approuvées par les assemblées générales 2009, 2010 et 2011 par l'effet d'un abus de majorité.
Ces délibérations seront en conséquences annulées et Monsieur [K] devra rembourser à la société Eurafi dans les six mois de la présente décision les sommes qu'il a reçues en vertu de ces délibérations nulles. Monsieur [K], qui a cependant le droit d'être rémunéré pour le travail effectué, devra convoquer une nouvelle assemblée générale afin de fixer sa rémunération pour les années 2009, 2010 et 2011 qui respectera les droits de l'associée minoritaire et les intérêts de la société.
En effet, l'assemblée générale du 2 février 2017 qui a ratifié les résolutions litigieuses des assemblées annulées par l'arrêt de la cour d'appel du 8 novembre 2016 pour violation des dispositions statutaires relatives aux majorités ne peut avoir eu pour effet de régulariser ces délibérations annulées pour abus de majorité.
Sur le préjudice personnel de Madame [W] la cour rappelle que cette dernière a été privée des dividendes qu'elle aurait dû recevoir du fait des décisions abusives de Monsieur [K]. Le calcul du préjudice subi effectué par les premiers juges sera confirmé par la cour. Les dommages et intérêts représentent la moyenne des dividendes que Madame [W] a perçu les années précédents sa révocation de co-gérante, soit 17.000 euros par an, soit 51.000 euros auxquels il convient d'ajouter le préjudidce moral subi du fait de la privation de ces revenus, soit une somme globale de 55.000 euros.
Sur la demande infiniment subsidiaire de Monsieur [K]
Monsieur [K] expose que les statuts de la société stipulent que les gérants ont droit à une rémunération, que la restitution de sa rémunération conduirait à qualifier la situation de travail dissimulé, que Madame [W] a participé au vote de l'assemblée générale du 21 mai 2006 prévoyant sa rémunération à hauteur de 90.000 euros outre les cotisations sociales personnelles pour l'exercice 2006 et leur reconduction pour les années suivantes, faisant ainsi obstacle aux demandes de restitution à hauteur de ces montants.
Il expose que l'annulation sollicitée de l'assemblée générale du 30 juin 2009 doit conduire à la restitution par Madame [W] de sa rémunération à hauteur de 32.000 euros votée à cette occasion et soutient qu'il s'agit d'une demande incidente qui découle des demandes de Madame [W] et ne peut donc être considérée comme nouvelle.
Madame [W] soutient que la demande de restitution de sa rémunération est irrecevable car nouvelle et qu'elle est de surcroît infondée, seules les décisions constitutives d'un abus de majorité et donc relatives aux rémunérations de Monsieur [K] devant être annulées.
Il résylte du prsent arrêt que la rémunérationde Madame [W] a été approuvée par l'assemblée statuant sur l'exercice 2008, laquelle n'a aps été annulée d'une part et d'autre opart que la cour laisse à Monseiur [K] la charge de convoquer une nouvelle assemblée généarle qui décidera des rémunérations pour les énnées 2009 à 2012.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [W] les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il lui sera allouée la somme de 15.000 euros payable par moitié par la société Eurafi et par Monsieur [K].
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 28 novembre 2014 en ce qu'il a dit que Monsieur [K] avait commis un abus de majorité et l'a condamné au titre des frais irrépétibles,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Prononce la nullité des délibérations des assemblées générales ordinaires de la société Eurafi des 30 juin 2010, 30 juin 2011 et 31 Juillet 2012 relatives à la fixation de la rémunération de Monsieur [K],
Condamne Monsieur [K] à rembourser à la société Eurafi dans les six mois de la présente décision les sommes perçues au titre de sa rémunération augmentées des charges sociales y afférentes et des cotisations retraite dites 'Madelin' soit 160.246 euros pour l'année 2009, 169.769 euros pour l'année 2010 et 233.120 eurs pour l'année 2012 avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance,
Dit que Monsieur [K] devra convoquer une nouvelle assemblée générale afin de fixer sa rémunération pour les années 2010, 2011 et 2012 dans le respect des droits des associés minoritaires,
Condamne Monsieur [K] à payer à Madame [W] la somme de 55.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne in solidum la société Eurafi et Monsieur [K] à payer à Madame [W] la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne in solidum Monsieur [W] et la société Eurafi aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La greffière La présidente