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24/11/2020 | FRANCE | N°18/22214

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 24 novembre 2020, 18/22214


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 24 NOVEMBRE 2020



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22214 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QZF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/14316





APPELANTE



Madame [B] [Y] née le [Date naissance 2] 1978 à [Locali

té 8] (Cameroun)



[Adresse 3]

[Localité 7]



représentée par Me Fanny SOUBEYRAN substituant Me Philippe DANDALEIX, avocat au barreau de PARIS, toque : A0240





INTIME



LE ...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 24 NOVEMBRE 2020

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/22214 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QZF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2018 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/14316

APPELANTE

Madame [B] [Y] née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun)

[Adresse 3]

[Localité 7]

représentée par Me Fanny SOUBEYRAN substituant Me Philippe DANDALEIX, avocat au barreau de PARIS, toque : A0240

INTIME

LE MINISTERE PUBLIC agissant en la personne de MADAME LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL

[Adresse 4]

[Localité 6]

représenté par Mme de CHOISEUL PRASLIN, avocat général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 octobre 2020, en audience publique, l'avocat de l'appelante et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre

M. François GAFFINEL, conseiller

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière présente lors de la mise à disposition.

Par jugement rendu le 25 mai 2018, le tribunal de grande instance de Paris a annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 22 novembre 2004 par Mme [B] [Y], née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun), dit que Mme [B] [Y] n'est pas de nationalité française, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamné Mme [B] [Y] aux dépens.

Mme [B] [Y] a interjeté appel le 12 octobre 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 avril 2020, Mme [B] [Y] demande à la cour de :

à titre principal,

-infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 mai 2018,

constater la caducité de l'assignation notifiée par le ministère public à Mme [B] [Y],

-constater la prescription de l'action en contestation de nationalité introduite le 10 août 2016 à l'encontre de Madame [Y] ;

- déclarer irrecevables les demandes du ministère public ;

A titre subsidiaire,

- débouter le ministère public de sa demande d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française faite par Madame [Y] ;

En tout état de cause,

- constater l'enregistrement de la déclaration de la nationalité française souscrite par Madame [Y] le 22 novembre 2004 ;

- dire que Mme [B] [Y], née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun) est de nationalité française ;

- Ordonner les mentions prévues à l'article 28 du code civil ;

- Condamner le ministère public à verser à Mme [Y] la somme de 3.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 11 avril 2019, le ministère public demande à la cour de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 a été délivré, confirmer le jugement, dire que Mme [B] [Y] n'est pas de nationalité française, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil, et laisser les dépens à la charge de l'appelante.

MOTIFS

Sur l'absence de caducité de l'assignation

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile par la production du récépissé délivré le 12 février 2019 par le ministère de la Justice. L'assignation n'est donc pas caduque.

Sur l'absence de prescription de l'action du ministère public

Mme [B] [Y], née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun), a contracté mariage le [Date mariage 5] 2001 à [Localité 11] avec M. [R] [N], né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 10]. Elle a, en application de l'article 21-2 du code civil, souscrit une déclaration d'acquisition de nationalité le 22 novembre 2004 auprès du tribunal d'instance de Lyon, enregistrée le 1er décembre 2005.

Elle soutient que le ministère public n'est plus recevable à contester l'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de nationalité dès lors que la transcription de son divorce sur son acte de naissance, intervenue le 26 février 2014 à la diligence du parquet de Nantes, l'a rendu opposable erga omnes, y compris aux administrations et au ministère public lequel est un et indivisible. Elle prétend ainsi que le ministère public ne pouvait plus agir en contestation de l'enregistrement de sa déclaration de nationalité après le 26 février 2016. A titre subsidiaire, elle soutient que le point de départ de la prescription est le jour de l'information du ministère de la justice, dont dépend le ministère public, soit le 17 juin 2014. Elle fait en outre valoir que retenir que le délai de prescription court à compter de la découverte de la fraude par le ministère public territorialement compétent est contraire au principe de sécurité juridique et fait dépendre l'action du ministère public territorialement compétent des diligences des services administratifs à transmettre un dossier en interne.

L'article 21-2 du code civil, issu de la loi n°2003 -1119 du 26 novembre 2003, dispose que : « L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de deux ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. »

L'article 26-4 du code civil prévoit que l'enregistrement de la déclaration peut être contestée par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte et que la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.

C'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que, seul le ministère public territorialement compétent pouvant agir en annulation pour fraude de l'enregistrement d'une déclaration acquisitive de nationalité français du fait du mariage, c'est à compter de la date à laquelle celui-ci l'a découverte que court le délai biennal d'exercice de cette action. Les premiers juges ont également justement considéré que l'absence de date de réception sur le bordereau de transmission par le ministère de la Justice au ministère public près le tribunal de grande instance de Paris n'emportait aucune conséquence, dès lors qu'il était démontré par le courriel du 28 juillet 2016 l'envoi dudit bordereau au Parquet de Paris.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'action du ministère public territorialement compétent est encadrée dans un délai biennal à compter de la découverte de la fraude, de sorte qu'il n'y a pas d'atteinte au principe de sécurité juridique.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du ministère public.

Sur le fond

Mme [B] [Y] soutient qu'elle ignorait qu'elle bénéficiait de la nationalité française en vertu de sa déclaration de nationalité, qu'elle a, jusqu'en 2014, continué de résider sur le territoire français avec sa carte de résident, qu'elle a appris qu'elle avait la nationalité française lorsqu'elle a demandé sa naturalisation et qu'elle n'avait en tout état de cause jamais eu d'intention frauduleuse, n'étant pas informée du prononcé de son divorce au jour de la signature de la déclaration de vie commune.

Elle invoque par ailleurs le droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et fait valoir que la nationalité française ne peut lui être retirée en raison de la perte de sa nationalité camerounaise et du risque d'apatridie qui en découle. Elle cite ainsi l'article 5 de la convention de New York sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961 dont la France est signataire, la recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe n°R(99) 18 du 15 septembre 1999 et la convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 signée par la France le 4 juillet 2000.

Le ministère public réplique que la fraude et le mensonge au sens de l'article 26-4 sont caractérisés par le prononcé du divorce -que Mme [B] [Y] ne pouvait ignorer- avant même la souscription de sa déclaration de nationalité. N'ayant jamais acquis régulièrement la nationalité française, le ministère public soutient que Mme [B] [Y] n'a jamais perdu la nationalité camerounaise, qu'elle pourra faire valoir cet élément nouveau devant le juge camerounais et opposer l'article 5 de la convention de New-York sur la réduction des cas d'apatridie, que l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme n'a pas vocation à protéger les personnes qui fraudent et enfin qu'elle ne prouve pas que la législation française aurait pour elle des conséquences disproportionnées alors que la qualité de français n'est pas requise pour travailler en France.

La présomption résultant de la cessation de la communauté de vie prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 26-4 ne saurait s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration. Dans les instances engagées postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoqué. Sous cette réserve, l'article 26-4, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, est conforme à la Constitution (Cons. const. 30 mars 2012, no 2012-227 QPC).

Il n'est pas contesté devant cette cour que cette présomption ne trouve pas à s'appliquer et qu'il appartient au ministère public de rapporter la preuve qu'à la date de la déclaration de nationalité, la communauté de vie tant affective que matérielle n'avait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

Comme l'ont justement relevé les premiers juges, au jour de la souscription de sa déclaration de nationalité française le 22 novembre 2004, Mme [B] [Y] n'était plus mariée à M. [R] [N], leur divorce ayant été prononcé le 8 octobre 2004 sur requête conjointe, à l'issue d'une audience à laquelle les deux époux ont comparu. La convention définitive homologuée par le jugement de divorce atteste que les époux avaient des domiciles distincts. Ainsi, Mme [B] [Y] ne pouvait ignorer qu'elle était divorcée, peu important que le divorce n'ait été ni signifié ni transcrit à la date à laquelle elle a signé l'attestation sur l'honneur de communauté de vie et souscrit sa déclaration de nationalité française.

Il est ainsi établi que la communauté de vie tant matérielle qu'affective avait cessé à la date de la souscription de la déclaration de nationalité française par Mme [B] [Y].

L'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité prive cette déclaration de toute efficacité et fait perdre rétroactivement la nationalité française à son auteur qui est censé n'avoir jamais été français.

Or, Mme [B] [Y] produit un jugement du 1er mars 2017 rendu par le tribunal de première instance de Douala-Ndokoti qui a déclaré son action afin d'obtenir un certificat de nationalité irrecevable au motif qu'elle avait acquis la nationalité française et qu'aux termes de l'article 31 de la loi n°1968 LF-3 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise, perd la nationalité camerounaise, le camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère.

Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'annulation de l'enregistrement de la déclaration faisant perdre rétroactivement la nationalité française à Mme [B] [Y], celle-ci deviendrait apatride au jour du prononcé de l'arrêt faute de détenir la nationalité camerounaise ou toute autre nationalité. En effet, la cour relève d'une part, que la régularité internationale du jugement du 1er mars 2017 n'est pas contestée et d'autre part, que le ministère public qui prétend que les juridictions camerounaises pourraient revenir sur leur décision et appliquer la convention de New York sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961 dont elle n'est pas signataire n'invoque précisément aucune disposition légale camerounaise permettant de considérer que l'intéressée pourrait se voir réintégrer dans sa nationalité d'origine que ce soit pas une décision judiciaire ou administrative alors qu'elle vit en France depuis plus de vingt ans.

La perte de la nationalité française, même acquise irrégulièrement, peut constituer une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme notamment lorsque les intéressés ont dans l'État d'accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui risquent d'être gravement compromis.

Mme [B] [Y] justifie qu'elle est entrée en France en 1997 avec un visa étudiant, alors qu'elle était âgée de 19 ans, qu'elle s'est mariée en 2001 à [Localité 11], qu'elle a divorcé alors qu'elle résidait à [Localité 9], qu'elle a été titulaire d'une carte de résident délivrée le 17 octobre 2002, valable 10 ans, qu'elle est locataire d'un logement à [Localité 7] depuis le 5 juillet 2005, qu'elle travaille et est actuellement employée par la société Gan Assurances en qualité de « chargée de souscription assurances de bien et responsabilité » et bénéficie d'une rémunération annuelle de 41 500 euros. Il est ainsi démontré que Mme [B] [Y] est établie en France depuis plus de vingt ans et y ses principales attaches. La perte rétroactive de la nationalité française 15 ans après l'enregistrement de la déclaration de nationalité, alors qu'elle n'a pas d'autre nationalité et qu'il n'est pas établi qu'elle pourrait recouvrer la nationalité camerounaise aurait pour elle des conséquences disproportionnées justifiant qu'il ne soit pas fait droit à la demande d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité.

Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu'il a annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 22 novembre 2004 par Mme [B] [Y] née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun) et dit que Mme [B] [Y] n'était pas française.

Les dépens sont laissés à la charge du Trésor public. L'équité ne justifie pas d'allouer à Mme [B] [Y] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Constate l'accomplissement de la formalité prévue à l'article 1043 du code de procédure civile,

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré l'action du ministère public recevable,

Infirme le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

Rejette la demande du ministère public tendant à voir annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 22 novembre 2004 par Mme [B] [Y] née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun) effectuée le 1er décembre 2005,

Dit que Mme [B] [Y], née le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 8] (Cameroun) est de nationalité française,

Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code civil,

Rejette la demande de Mme [B] [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le Trésor public aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 18/22214
Date de la décision : 24/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°18/22214 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-24;18.22214 ?
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