La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/2020 | FRANCE | N°20/06549

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 19 novembre 2020, 20/06549


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 2



ARRET DU 19 NOVEMBRE 2020

(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06549 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCO4K



Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du 09 Octobre 2020 du Tribunal judiciaire de Paris - RG n° 20/56077





APPELANTES



S.A. VEOLIA ENVIRONNEMENT - VE prise en la personne de son représentant légal domicilié

en cette qualité audit siège

(Intimée dans RG 20/14957 terminé par ordonnance de jonction du 23.10.2020)

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Stéphane FERTIER, avocat ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRET DU 19 NOVEMBRE 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06549 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCO4K

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du 09 Octobre 2020 du Tribunal judiciaire de Paris - RG n° 20/56077

APPELANTES

S.A. VEOLIA ENVIRONNEMENT - VE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

(Intimée dans RG 20/14957 terminé par ordonnance de jonction du 23.10.2020)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Stéphane FERTIER, avocat au barreau de Paris, toque : L0075

SA ENGIE agissant pousuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

(appelante dans le RG 20/14957 terminé par ordonnance de jonction du 23.10.2020)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

INTIMEES

SAS SUEZ GROUPE agissant poursuites et diligences de son Président y domicilié en cette qualité.

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

SA SUEZ agissant poursuites et diligences de son Président y domicilié en cette qualité

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Société SUEZ EAU FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE DE L'UES SUEZ agissant poursuites et diligences de son représentant dûment mandaté, Monsieur [N] [A], domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

COMITE SOCIAL ET ECONOMIQUE CENTRAL SUEZ EAU FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137

COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE L'ETABLISSEMENT SUEZ EAU FRANCE SIÈGE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représentée par Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137

PARTIE INTERVENANTE

COMITE D'ENTREPRISE EUROPEEN DE SUEZ ENVIRONNEMENT ci- après dénommée CEE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 novembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sandra ORUS, première présidente de chambre

Mme Mariella LUXARDO, présidente de chambre

M. François LEPLAT, président de chambre

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sandra ORUS, première présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Antoine PIETRI, substitut général, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Mme Sandra ORUS, première présidente de chambre et par Mme Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La cour statue sur l'appel d'une ordonnance du 9 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Paris, à laquelle il convient de se reporter expressément pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, aux termes de laquelle le juge des référés, rejetant l'exception de nullité soulevée à l'encontre de l'intervention volontaire du Comité Social et Economique Suez Eau de France et la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité et intérêt à agir des comités sociaux et économiques de l'UES Suez et de l'établissement Suez Eau France Siège requérants, accueillant l'intervention volontaire du Comité Social et Economique Central Suez Eau France, a :

- ordonné la suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Véolia des actions de Suez détenues par Engie tant que les comités sociaux et économiques concernés n'auront pas été informés et consultés sur les décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Véolia et Engie,

- ordonné la suspension des effets de la cession des actions détenues par la société Engie au sein des sociétés SA Suez, SAS Suez Groupe, SAS Suez Eau France et du groupe Suez au bénéfice de la société Véolia, tant que les CSE concernés n'auront pas été informés et consultés sur les décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Véolia et Engie ;

- ordonné à la société Véolia et à la société Engie de transmettre aux sociétés du groupe Suez les informations nécessaires pour l'information et la consultation des instances représentatives des salariés sur les opérations annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 et aux sociétés du groupe Suez d'informer et de consulter leurs comités sociaux et économiques respectifs sur la base des éléments transmis dans le cadre des opérations envisagées et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Véolia et Engie;

- débouté les parties du surplus et autres demandes et condamné in solidum la SA Engie, la société Véolia Environnement-VE à verser au Comité Social et Economique Central Suez, au Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France, siège et au Comité social Central Suez Eau FranceSuez Eau France la somme de 2000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Véolia Environnement a formé appel contre cette décision le 13 octobre 2020.

Elle a été autorisée, par ordonnance sur requête du 15 octobre 2020, à assigner pour l'audience du 5 novembre 2020, le Comité Social et Economique Central Suez Eau France, le Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France Siège, le Comité Social et Economique de l'UES Suez, la société Engie, la société Suez, la société Suez Eau France et la société Suez Groupe.

Aux termes de conclusions d'appel récapitulatives notifiées par voie électronique, le 5 novembre 2020, la société Véolia Environnement (ci-après "Véolia") demande à la cour d'infirmer l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, dire qu'il n'y a lieu à référé, débouter le Comité Social et Economique de l'UES Suez, le Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau FranceSuez Eau France, le Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement, Suez, Suez Groupe et Suez Eau France de l'ensemble de leurs demandes ; à titre subsidiaire, de dire et juger qu'il n'y a pas lieu à ordonner des mesures de suspension ; à titre infiniment subsidiaire, de constater que Véolia a exécuté l'obligation qui avait été mise à sa charge par l'ordonnance de référé et de dire et juger qu'il n'y a pas lieu à ordonner des mesures de suspension ; à titre encore plus subsidiaire, en cas de maintien des mesures de suspension, dire et juger que ces mesures seront automatiquement levées sans formalité dès que les comités sociaux et économiques auront rendu leur avis et au plus tard le 30 décembre 2020 ; en tout état de cause, condamner le Comité Social et Economique de l'UES Suezz, le Comité Social et Economique de l'Etablissement Suez Eau de France SiègeSuez Eau de France Siège, le Comité Social et Economique Central Suez Eau France, le Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement, Suez, Suez Groupe et Suez Eau France à verser chacun à la société Véolia Environnement-VE la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Fertier.

Elle soutient essentiellement qu'aucune disposition légale n'impose à une société tiers, dans le cadre d'une simple prise de participation, de consulter les institutions représentatives du personnel de la société objet de cette prise de participation ; que ses projets n'entrent pas dans le champ de l'article L.2312-8 du code du travail, une prise de participation minoritaire n'ayant aucune incidence sur l'organisation, la gestion et la marche générale de Suez ; que le changement de contrôle qui résulterait de l'OPA envisagée fera l'objet d'une procédure spécifique d'information et de consultation ; que les mesures décidées ont excédé le pouvoir du juge des référés en ce qu'elles portent atteinte à son droit de propriété, affectent sa liberté d'entreprendre, violent les principes du droit de la concurrence, alors que l'ordonnance a été exécutée.

La société Engie, qui a formé appel contre l'ordonnance du 9 octobre 2020, le 15 octobre 2020, demande à la cour, par conclusions récapitulatives et responsives notifiées par voie électronique, le 5 novembre 2020, d'infirmer l'ordonnance entreprise et, à titre principal, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, juger que les demandes formulées sont affectées d'une fin de non recevoir ; en conséquence les déclarer irrecevables ; au visa des articles 834 et 835 du code du travail, juger que les demandes formulées excèdent manifestement les pouvoirs que le juge des référés tient de la loi ; juger que ces demandes ne sauraient prospérer ; en conséquence, de dire n'y avoir lieu à référé ; débouter les comités sociaux et économiques intimés, ainsi que les sociétés Suez intimées de l'intégralité de leurs demandes ; à titre subsidiaire, constater qu'Engie SA a exécuté l'obligation qui avait été mise à sa charge par l'ordonnance de référé de transmettre les informations nécessaires à l'information-consultation des instances représentatives des salariés ; en conséquence, faire droit à la demande formulée par Véolia visant à ordonner à Suez, Suez Groupe et Suez Eau France d'achever la consultation de leurs instances représentatives du personnel avant le 30 décembre 2020 ; en tout état de cause, condamner les entités Suez intimées, les comités sociaux et économiques et le Comité Social et Economique Central intimés, le Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement, intervenant volontaire en cause d'appel, au paiement, chacun, à la société Engie SA d'une somme de 5000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure ; condamner les mêmes aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle prétend en substance, comme Véolia, que l'opération de cession de titres n'emporte pas cession de contrôle sur Suez et ne relève pas des textes sur l'information et la consultation des institutions représentatives du personnel des dispositions relatives aux OPA pour les sociétés cotées ; elle conteste toute idée de projet global à étapes et s'en rapporte aux demandes de Véolia sur la mainlevée des mesures de suspension.

Par conclusions notifiées le 3 novembre 2020 par voie électronique, le Comité Social et Economique de l'UES Suez demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, des articles L. 2312-8 et L.2312-17 du code du travail, de débouter les sociétés Véolia et Engie de l'ensemble de leurs demandes ; de confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Paris le 9 octobre 2020 dans toutes ses dispositions et y ajoutant de condamner Véolia et Engie à verser chacune au CSE de L'UES Suez la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; de les condamner aux dépens.

Aux termes de conclusions en réponse n°3 notifiées par voie électronique, le 5 novembre 2020, le Comité Social et Economique Central Suez Eau France et le Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France siège, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, des articles L. 2312-8 et L.2312-17 du code du travail, demandent à la cour de les déclarer recevables et bien fondés ; de débouter Engie et Véolia de l'ensemble de leurs demandes, de leur donner acte de leur proposition d'engager une procédure de médiation ; de confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Paris statuant en référé le 9 octobre 2020 en toutes ses dispositions ; y ajoutant : de condamner la société Véolia à verser au profit du Comité Social et Economique Central Suez Eau Francee et du Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France Siègee, chacun, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Engie à verser au profit du Comité Social et Economique Central Suez Eau France et du Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France SiègeSuez Eau France Siège, chacun, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; de condamner la société Engie aux dépens.

Les comités sociaux et économiques de Suez concluent principalement à la confirmation de l'ordonnance, soutenant que le trouble manifestement illicite s'est amplifié avec la mise en oeuvre de la première étape d'un projet global, qui a une incidence sur l'organisation, la gestion et la marche de l'entreprise avec comme illustration le projet de cession des activités de la filière EAU à la société Meridiam.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 4 novembre 2020, la société Suez, la société Suez Groupe et la société Suez Eau France (ci-après Suez) demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, des articles L.2312-8, L.2312-17 et L.2317-1 du code du travail, des articles 1833 alinéa 2, 1100-1, 1221 et 1103 du code civil, de débouter Véolia et Engie de l'ensemble de leurs demandes, de confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Paris le 9 octobre 2020 de toutes ses dispositions ; y ajoutant, de condamner Véolia et Engie à verser chacune à Suez, Suez Groupe et Suez Eau de France 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux entiers dépens.

Suez soutient que la cession des actions devenue effective conduit à un contrôle de fait de Véolia sur Suez ; que le projet est abouti et aura des conséquences sociales considérables qui imposent une information consultation préalable ; qu'en l'état ni Véolia ni Engie n'ont fourni les informations suffisantes pour permettre aux institutions représentatives concernées de rendre un avis ; que le calendrier de la consultation proposé par Véolia ne peut être imposé par le juge.

Par conclusions d'intervention volontaire notifiées par voie électronique, le 2 novembre 2020, le comité d'entreprise européen de Suez Environnement (ci-après CEE Suez Environnement) qui soutient essentiellement que le projet en cours va engendre des bouleversements sociaux et économiques pour toutes les sociétés de Suez demande à la cour, au visa des dispositions des articles 2312-8 du code du travail et des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de le déclarer recevable en son intervention volontaire ; de confirmer l'ordonnance entreprise du 9 octobre 2020 en toutes ses dispositions ; d'étendre les dispositions de ladite ordonnance au CEE Suez EnvironnementSuez Environnement ; d'ordonner la suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Véolia des actions Suez détenues par Engie et l'OPA de Véolia sur Suez tant que le CEE de Suez EnvironnementCEE de Suez Environnement n'aura pas été informé et consulté sur les décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Véolia et Engie ; d'ordonner à la société Véolia et Engie de transmettre aux sociétés du Groupe Suez les informations nécessaires pour l'information et la consultation des instances représentatives des salariés sur les opérations annoncées par voie de presse le 30 août 2020 ; d'ordonner au groupe Suez d'informer et de consulter le CEE SuezCEE SuezSuez sur la base des éléments qui seront transmis par la société Véolia et la société Engie ; de condamner la société Véolia à régler au CEE de Suez EnvironnementCEE de Suez EnvironnementSuez Environnement une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; de condamner la société Véolia aux dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Me Patricia Hardouin, Selarl 2H AVOCATS, et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le ministère public, par observations, est d'avis que la cour confirme l'ordonnance de référé sur la suspension des effets de la cession des actions Suez détenues par la SA Engie au bénéfice de la société SA Véolia Environnement et ce tant que les CSE concernés n'auront pas été informés et consultés sur les opérations déjà entreprises et annoncées publiquement par voie de presse par Engie et Véolia.

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les affaires enrôlées sous les numéros RG 20/06549 et RG 20/14957 ont été jointes pour se poursuivre sous le seul numéro RG 20/06549.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont déposées.

MOTIFS

Sur l'intervention volontaire du Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement

L'article 554 du code de procédure civile dispose que peuvent toujours intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Le Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement produit au débat l'accord du 4 juillet 2013 qui le définit comme une instance d'information et de consultation des représentants des salariés sur des questions qui concernent l'ensemble du Groupe Suez Environnement (entreprise dominante et filiales).

Il justifie ainsi de son intérêt à agir en cause d'appel dans la présente instance et sera par suite déclaré recevable en son intervention volontaire.

Sur la recevabilité des demandes des comités sociaux et économiques des sociétés Suez et du comité d'entreprise européen de Suez Environnement

Les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile énoncent que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La société Engie soutient que n'ayant aucun lien juridique avec les comités sociaux et économiques de Suez et le comité d'entreprise Européen de Suez Environnement, qui intervient volontairement à l'instance, le fondement de leur demande reposant exclusivement sur la procédure d'information et consultation dont seul leur employeur est débiteur, ils sont irrecevables à agir à son encontre.

Or les comités sociaux et économiques de Suez auxquels s'associe le CEE de Suez Environnement, fondent leur action sur les dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile, pour voir constater l'existence d'un trouble manifestement illicite et empêcher un dommage imminent, considérant que leurs attributions et prérogatives ont été ignorées dans le cadre d'une opération de cession de titres portant sur 29,9% du capital de Suez, engagée et instruite par Engie et Véolia.

La participation de la société Engie dans l'opération litigieuse n'étant pas contestée, les comités sociaux et économiques ainsi que le CEE Suez Environnement justifient de leur intérêt à agir à son encontre, dans le cadre d'une demande d'information consultation adressée certes à leur employeur, mais sur la base des éléments détenus par les parties à la cession.

La fin de non recevoir est rejetée par confirmation de l'ordonnance s'agissant des comités sociaux et économiques de Suez.

La cour rejette la fin de non recevoir dirigée à l'encontre du CEE de Suez et la déclare recevable en son intervention volontaire.

Sur l'information et la consultation des comités sociaux et économiques de Suez et du comité d'entreprise européen de Suez Environnement

Les dispositions de l'article L.2312-8 du code du travail, rappelées dans l'ordonnance critiquée, disposent essentiellement que le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la modification de son organisation économique ou juridique, les conditions d'emploi de travail, et la formation professionnelle.

L'article L. 2312-17 du même code prévoit en outre que le comité social et économique est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, la situation économique et financière de l'entreprise, la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.

Il ressort de ces textes que l'information consultation des instances représentatives du personnel est obligatoire et qu'elle doit, sauf lorsque l'employeur est l'auteur d'une offre publique d'acquisition, précéder les décisions de l'employeur.

Or, cette information consultation des instances représentatives du personnel, préalable et obligatoire, est un principe général fondamental, auquel ne fait pas obstacle la circonstance que l'employeur, débiteur de l'information et de la consultation, n'est pas l'auteur du projet, si le contenu du projet, suffisamment abouti pour être soumis à l'avis des comités sociaux et économiques concerne directement des questions relatives à la marche générale de l'entreprise ou à son orientation stratégique.

C'est en vain que Véolia et Engie, pour contester l'information et la consultation des instances représentatives du personnel de Suez, font valoir leur situation de sociétés tiers dans une opération qualifiée dans leurs conclusions "d'éventuel projet", portant sur l'intention d'acquisition auprès d'Engie de 29,9% des actions de Suez et sur l'annonce d'une intention d'OPA qui y est associée, mais contredite par un contexte de déclarations publiques successives de leurs organes dirigeants qui n'ont cessé au contraire de consolider, au fil des semaines, le caractère ferme et cohérent de l'opération d'ensemble.

L'ordonnance a rappelé la chronologie des faits : le 30 août 2020, par voie de communiqué de presse, Véolia a annoncé son intention d'acquérir 29,9% des actions détenues par Engie dans le capital de Suez et de déposer une offre publique d'acquisition volontaire du solde des actions de Suez, dès l'obtention des autorisations réglementaires nécessaires ; elle a par ailleurs indiqué se réserver la possibilité de déposer l'offre publique "à tout moment", avant l'obtention de ces autorisations, ces intentions s'inscrivant, selon elle, dans un projet destiné à construire "le grand champion mondial français de la transformation écologique".

Véolia a par ailleurs précisé publiquement qu'en amont de cette opération, elle avait identifié les sujets de concurrence et que la société Meridiam s'était engagée à acquérir les activités de Suez Eau France ainsi que les équipes d'ingénierie et de R&D liées à ce pôle.

Ainsi, l'existence d'un projet industriel global prédéfini, contesté par Véolia dans ses écritures, qui maintient qu'il s'agit de deux opérations distinctes, l'une centrée sur une acquisition minoritaire de titres qui ne justifie aucune consultation préalable, et l'autre sur une intention de dépôt d'une OPA qui répond à des règles de consultation spécifiques, s'est concrétisée le 5 octobre 2020, par la cession à Véolia de près de 30% du capital de Suez, la direction de la société évoquant alors expressément "une première étape" vers un "mariage plein et entier de Suez avec Véolia" (article Le Monde, 3 novembre 2020, produit au débat).

Il ressort de l'ensemble de ces éléments, sans que Véolia ne puisse les contester sérieusement, que cette prise de participation est indissociable de l'opération en cours, visant à terme l'acquisition de l'ensemble des actions de Suez, préalable nécessaire à la réalisation d'une opération industrielle d'ampleur et qu'il ne peut donc être soutenu qu'elle est dépourvue de toute incidence sur l'organisation, la gestion, la marche de l'entreprise ou ses évolutions stratégiques.

Dès lors que Véolia a formalisé son offre d'acquisition des parts détenues par Engie dans le capital de Suez à hauteur de 29,9 %, il apparaît à l'évidence que cette opération, réalisée au profit du concurrent historique de Suez, dans un secteur d'activité où les deux groupes sont les principaux acteurs du marché, était de nature à affecter les orientations stratégiques et la gestion à venir de l'entreprise, avec un impact prévisible sur la politique sociale, justifiant l'expression collective de la représentation du personnel des sociétés du groupe Suez.

Le juge des référés en a exactement déduit que l'abstention par Véolia et Engie de fournir à Suez les informations nécessaires pour permettre à ses instances représentatives du personnel de rendre un avis sur le projet de cession de 29,9% des parts détenues dans le capital de Suez et par suite, l'absence d'information et de consultation des comités sociaux et économiques sur ce projet, constitue un trouble manifestement illicite.

Sur les mesures conservatoires et leurs effets

L'article 835 du code de procédure civile énonce que le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il en résulte que les mesures ordonnées par le juge des référés pour faire cesser le trouble manifestement illicite, né de l'absence d'information et de consultation des instances représentatives du personnel sur le projet en cours, relèvent de ses pouvoirs.

La suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Véolia des actions de Suez détenues par Engie de OPA de Véolia sur Suez et des effets de la cession des actions détenues par la société Engie au bénéfice de la société Véolia a un caractère conservatoire, soumis à la seule injonction d'une transmission à Suez des informations nécessaires à l'information et à la consultation des instances représentatives de ses salariés.

Dès lors, ces mesures, par leur caractère provisoire, ne sont ni de nature à affecter le droit de propriété de Véolia sur les actions acquises, ni entraver sa liberté d'entreprendre, ni porter atteinte au droit de la concurrence au regard des seules informations utiles à transmettre dans le respect de l'obligation de confidentialité et de discrétion auquel les parties sont tenues, le caractère préalable de l'information et la consultation des instances représentatives du personnel de Suez, dans le processus de cette opération industrielle, s'imposant de manière adaptée pour garantir leurs prérogatives et faire cesser le trouble manifestement illicite qui est résulté de l'abstention de Véolia et Engie.

Si les parties conviennent que le processus de consultation sur les informations transmises par Véolia et Engie, en exécution de l'ordonnance du 9 octobre 2020 a débuté, la cour rappelle que ce processus est encadré par la loi et le règlement et qu'elle ne peut, sans excéder ses pouvoirs, l'aménager, notamment en imposant un calendrier des délais de consultation ou en fixant une date limite à la conclusion du processus.

La demande de Véolia et Engie relative à la mainlevée des mesures conservatoires ou leur aménagement est en conséquence rejetée.

Il sera enfin relevé que dans la mesure où ce processus de consultation concerne un projet ayant un impact sur les sociétés du groupe Suez, qu'en application des dispositions de l'article L 2312-16 du code du travail, les délais de consultation permettent au comité social et économique ou le cas échéant au comité central d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises, qu'il se déroule en l'espèce à plusieurs niveaux d'instances représentatives du personnel (les CSE concernés) et qu'une expertise intervient dans les conditions des dispositions de l'article R 2312-6 l 3ème alinéa du code du travail, le délai de consultation est fixé à trois mois, ce délai commençant à courir à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation.

En équité, les sociétés Véolia et Engie sont condamnées in solidum à verser au Comité Social et Economique de l'UES Suez, au Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France siège, au Comité Social et Economique Central Suez Eau France et au Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement la somme de 5 000 euros chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Véolia et Engie sont condamnées aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare le Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement recevable en son intervention volontaire ;

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité et intérêt à agir du Comité d'Entreprise Européen ;

Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

La déclare opposable au Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement ;

Déboute les sociétés Véolia Environnement - VE SA et Engie de leurs demandes relatives à la mainlevée des mesures conservatoires ;

Dit que les délais de consultation sont fixés à trois mois à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ;

Condamne les sociétés Véolia et Engie in solidum à verser au Comité Social et Economique de l'UES Suez, au Comité Social et Economique de l'établissement Suez Eau France siège, au Comité Social et Economique Central Suez Eau France et au Comité d'Entreprise Européen de Suez Environnement la somme de 5 000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les sociétés Véolia et Engie aux entiers dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 20/06549
Date de la décision : 19/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°20/06549 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-19;20.06549 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award