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18/11/2020 | FRANCE | N°18/08896

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 18 novembre 2020, 18/08896


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 18 NOVEMBRE 2020



(n° 2020/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08896 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6DWF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 16/03530





APPELANTE



SA EUROBIO SCIENTIFIC anciennement dénommée DIAXONHIT agissant poursuites

et diligences en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479





INTIME



Monsieur [O] [...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 18 NOVEMBRE 2020

(n° 2020/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08896 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6DWF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 16/03530

APPELANTE

SA EUROBIO SCIENTIFIC anciennement dénommée DIAXONHIT agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

Représentée par Me Samya BOUICHE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0479

INTIME

Monsieur [O] [M]

[Adresse 1]

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La société Diaxonhit, devenue la société Eurobio Scientific, exerce une activité de biotechnologie de découverte et de développement diagnostique. Elle est issue de l'acquisition de la société Ingen par la société Exonhit en 2012, puis de l'acquisition d'Eurobio en mars 2017.

M. [O] [M] a été engagé par la société Diaxonhit dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 29 mai 2013, à effet du 1er juillet 2013, en qualité de directeur financier adjoint, statut cadre, coefficient 660. Son père était directeur général de la société Ingen, puis en a occupé le poste de président directeur général à compter du 1er janvier 2013.

M.[M] était sous la responsabilité hiérarchique du directeur administratif et financier du groupe Diaxonhit, M. D, lui-même sous la responsabilité du président du directoire.

La convention collective applicable est celle des industries chimiques.

La société Eurobio Scientific compte plus de 10 salariés.

M.[M] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé le 23 novembre 2015.

Le 9 décembre 2015, M.[M] a été licencié pour cause réelle et sérieuse, insuffisances professionnelles et manquements à l'obligation de loyauté.

Le conseil de prud'hommes de Paris a été saisi par M.[M] le 1er avril 2016.

Par jugement du 24 avril 2018 le conseil de prud'hommes a :

Condamné la société Diaxonhit à payer à M.[M] les sommes suivantes :

- 45 000 euros au titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

- 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté le demandeur du surplus des demandes

- Débouté la société Diaxonhit de sa demande reconventionnelle et l'a condamnée aux dépens.

La société Eurobio Scientific a formé appel le 13 juillet 2018, indiquant les chefs contestés.

Dans ses conclusions déposées au greffe et signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le12 octobre 2018, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Eurobio Scientific demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau,

Dire et juger que le licenciement de M.[M] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Débouter M.[M] de l'intégralité de ses demandes,

Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Condamner M.[M] à payer à la société Eurobio Scientific la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M.[M] aux entiers dépens.

Dans ses conclusions déposées au greffe et signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 14 novembre 2018, auxquelles la cour fait expressément référence, M.[M] demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien-fondé M.[M] en son appel incident,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Dire et juger nul le licenciement de M.[M],

En conséquence,

Condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] :

- 133 350 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

avec intérêts de plein droit au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Paris et anatocisme suivant les prescriptions de l'article 1154 du code civil,

A titre subsidiaire, si par impossible la cour ne faisait pas droit à la demande de nullité du licenciement,

Confirmer le jugement entrepris sur le principe de la condamnation,

Infirmer le jugement entrepris sur le quantum de la condamnation,

En conséquence,

Condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] :

- 133 350 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts de plein droit au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Paris et anatocisme suivant les prescriptions de l'article 1154 du code civil,

En tout état de cause,

Condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 23 728 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre les congés payés afférents,

Condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 11 339 euros au titre des bonus 2014 et 2015,

Débouter la société Eurobio Scientific de l'intégralité de ses demandes,

Condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Eurobio Scientific aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le 04 septembre 2020 M.[M] a conclu et communiqué de nouvelles pièces. Il a sollicité un report de l'ordonnance de clôture le 5 septembre 2020.

Le 7 septembre 2020, la société Eurobio Scientific a sollicité un report de l'ordonnance de clôture.

Le conseiller de la mise en état a rendu l'ordonnance de clôture le 7 septembre 2020. Un message attirant l'attention des parties sur l'irrecevabilité de conclusions tardives, a été adressé aux parties.

Par conclusions signifiées le 25 septembre 2020, adressées au conseiller de la mise en état et à la cour, M.[M] a indiqué que le conseiller de la mise en état n'a pas compétence pour statuer sur le validité des conclusions et a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture.

A l'audience, la cour a invité les parties à s'expliquer sur le motif grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture ainsi que sur la communication par l'intimé de conclusions et pièces le 4 septembre 2020, trois jours avant la date annoncée pour la clôture.

M.[M] a retiré ces dernières conclusions et pièces communiquées le 4 septembre 2020.

MOTIFS :

Sur la nullité du licenciement

L'article L.1152-3 du code du travail, en sa version applicable à l'instance, dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

L'article L.1152-1 du code du travail dispose que :

'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'

En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, alors applicable, il incombe au salarié qui l'invoque d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans cette hypothèse, il incombera à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M.[M] invoque un harcèlement moral subi depuis la fin de l'année 2014. Il fait valoir : qu'il a rencontré des difficultés dans l'exécution de ses missions, a été écarté du processus décisionnel et opérationnel, a subi l'immixtion de son supérieur dans la gestion de son équipe, qu'une partie des effectifs de son équipe lui a été retirée, que les demandes de son supérieur étaient formées en urgence, que ses mails étaient surveillés, que son supérieur a ensuite adopté un comportement pervers afin de le faire craquer. Il indique qu'il a été licencié alors qu'il était en arrêt maladie et conteste les motifs de la lettre de licenciement.

Il établit par la production d'un organigramme du 16 octobre 2014, qu'il avait la qualité de directeur financier adjoint du groupe Diaxonhit mais également celle de directeur financier de la société Ingen, et que pour cette société il dirigeait son équipe et relevait directement de la direction.

Il justifie qu'il a participé à deux comités de direction, le 1er septembre 2014 et le 14 novembre 2014.

Une ré-organisation des sociétés a eu lieu au début de l'année 2015, qui a regroupé les services administratifs financiers des sociétés Ingen et Diaxonhit. Il résulte des échanges de mails avec son supérieur hiérarchique, M.D, que M.[M] n'a pas été consulté sur celle-ci et n'en a pas été informé avant la diffusion de l'information à l'ensemble des salariés.

Le 13 février 2015, M.[M] a fait remonter à son supérieur hiérarchique que l'une des salariées composant son équipe, Mme T, demandait une revalorisation salariale plus importante que celle qui était envisagée. Le 20 avril 2015 son supérieur, M.D, l'a informé que Mme T signait un nouveau contrat de travail avec la société Diaxonhit et que pour une partie de son activité elle exercerait pour le comité directeur, à hauteur de 25% de son temps, et lui rendrait compte de celle-ci directement. Cette modification a effectivement eu pour conséquence la disparition d'une partie du temps de travail d'un membre de l'équipe de M.[M], pour le placer sous l'autorité directe de son supérieur hiérarchique, M.D.

Lors de son entretien d'évaluation du 09 janvier 2015, M.[M] a signalé qu'il avait dû travailler dans l'urgence au cours de l'année précédente. Il a renouvelé son propos lors de l'entretien d'évaluation semi-annuelle du mois de septembre, au cours duquel il a ajouté que l'exceptionnel était devenu récurrent et a fait état des absences de ses collaborateurs comptables.

M.[M] a été chargé de la réalisation du circuit de facturation d'un marché avec les hôpitaux de [Localité 3] portant sur des tests Allomap. Lorsque le 29 septembre 2015 il a adressé, pour la deuxième fois, son projet concernant la facturation, M.D lui a répondu qu'il comportait une erreur grossière, sans lui préciser laquelle, malgré la demande de M.[M]. Le 7 octobre suivant, M.D a diffusé dans l'entreprise une version modifiée de ce document, et a reproché à son adjoint le retard à sa mise en oeuvre, qui aurait entraîné le retard de l'ensemble du projet.

M.[M] établit qu'à compter du mois d'avril 2015 une copie des mails qu'il adressait était également envoyée à une adresse mail du service des ressources humaines.

L'intimé produit l'attestation d'un autre membre de son équipe, M.M, qui indique qu'il a intégré la société Ingen en septembre 2011, puis le groupe Diaxonhit, et qu'à la fin de l'année 2014 M.D lui a tenu des propos négatifs sur M.[M], l'a incité à le surveiller et à lui en rendre compte. Cette personne indique avoir été prise en porte à faux par les responsables de la société Diaxonhit, que la hiérarchie lui a adressé directement des demandes, sans passer par M.[M] qui était son supérieur direct. Il confirme l'intention de nuire à M.[M] et fait état de l'opposition importante entre M.D et l'équipe financière de Diaxonhit, dont deux collaboratrices ont rapidement quitté l'entreprise.

M.[M] justifie que le 1er décembre 2015 M.D a pris la décision de faire appel à un cabinet extérieur pour prendre en charge une partie des activités de son service, sans le consulter, alors qu'il était présent ce jour-là.

M.[M] a pris l'initiative de rencontrer le médecin du travail les 3 novembre et 2 décembre 2015, qui l'a orienté vers son médecin traitant. Il été en arrêt maladie pour choc psycho-traumatique du 04 au 13 novembre 2015 puis pour dépression réactionnelle du 15 au 27 novembre 2015.

Il a été licencié le 9 décembre 2015.

Pris dans leur ensemble, ces faits font présumer l'existence d'un harcèlement. Il incombe à la société Eurobio Scientific de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ces décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société Eurobio Scientific explique que la ré-organisation du service financier a consisté en la nomination de M.D au poste de directeur général délégué finance, à la suite du départ du père de M. [O] [M] de la société Ingen. Elle fait valoir que la décision a été prise par le comité de direction, auquel le salarié ne participait pas et que cette nomination n'entraînait aucun changement pour les fonctions de M.[M], de sorte qu'il n'avait pas à être sollicité.

L'employeur ne produit aucun élément concernant cette ré-organisation, les modalités du processus de cette décision, sa mise en oeuvre et les conséquences sur le poste occupé par M.[M], qui justifierait une modification de son domaine de compétences dans l'entreprise. Il n'apporte pas de justification sur l'absence de M.[M] aux comités de direction de l'année 2015.

La société Eurobio Scientific n'apporte pas d'explication à la modification du poste de Mme T, qui a eu pour conséquence effective de l'enlever partiellement des effectifs de l'équipe de M.[M], pour la placer sous l'autorité directe de M.D, son supérieur hiérarchique, pour cette partie de son activité.

La société Eurobio Scientific explique que l'expédition d'une copie de tous les mails adressés par M.[M] au service des ressources humaines n'est que la conséquence d'une opération de migration des services informatiques intervenue au cours des mois de mai et juin 2015. Si le principe de la migration est démontré, aucun justificatif n'est produit pour expliquer la ré-expédition des mails, qui a commencé dès le mois d'avril 2015 et est ainsi antérieure à l'opération de migration ; elle a duré jusqu'au mois de novembre 2015.

Concernant les relations entre M.[M] et son supérieur hiérarchique, M.D, la société Eurobio Scientific explique la teneur des messages adressés par M.D à M.[M] par l'ampleur des difficultés professionnelles rencontrées par l'intimé sur son poste, qui a entraîné des mises au point. Pour autant, elle n'apporte pas de réelle explication sur l'absence d'indication de l'erreur grossière qui aurait été commise dans le mémento des tests pour les hôpitaux de [Localité 3], ce qui ralentissait sa correction et alors que ce projet était présenté comme urgent. Une première version avait été adressée par M.[M] dès la fin du mois de juillet.

La société Eurobio Scientific n'apporte pas d'explication au fait que M.[M] n'ait pas été informé de l'intervention d'un cabinet extérieur dans son service, malgré sa présence dans l'entreprise ce jour là.

Alors que les départs de salariés qui occupaient des postes importants du service ne sont pas contestés, il n'y a pas eu d'intervention de la hiérarchie sur ce point lorsque M.[M] en a fait état dans son entretien d'évaluation de mi-année du 1er septembre 2015, sauf à lui répondre que la charge de travail pèse sur le directeur comptable et non sur lui.

Ce comportement du supérieur hiérarchique doit être apprécié à la lecture de l'attestation de M.M. La société Eurobio Scientific fait valoir que M.M a ensuite adressé un courrier pour retirer les propos de son attestation et indiquer qu'il n'avait fait que recopier la version que M.[M] lui avait donnée. Pour autant, il résulte bien d'un message SMS échangé avec l'appelant que c'est M.M qui avait pris l'initiative de proposer la rédaction d'une attestation, au motif de son départ prochain de l'entreprise. Les échanges ultérieurs de messages démontrent qu'il a bien participé à l'élaboration du contenu de l'attestation manuscrite, de neuf pages. En outre, certains éléments qui y sont relatés sont corroborés par d'autres pièces versées aux débats, notamment les échanges de mails qui indiquent que M.M a été sollicité directement par la directrice des ressources humaines pour effectuer certaines tâches et s'en serait plaint à M.[M], ainsi que la ré-expédition des mails de l'intimé au service des ressources humaines. Il doit ainsi être tenu compte du contenu de la première attestation de M.M.

Le licenciement a été prononcé aux motifs d'une insuffisance professionnelle et pour violation grave de l'obligation de loyauté. La société Eurobio Scientific fait valoir que les griefs sont établis et justifiaient le licenciement de M.[M].

L'insuffisance professionnelle est caractérisée par l'inaptitude du salarié à exécuter son travail de manière satisfaisante. Elle ne résulte pas d'un comportement volontaire, mais révèle l'incapacité constante du salarié à assumer ses fonctions. Elle constitue une cause de licenciement et doit être caractérisée par des éléments réels et objectifs .

Aux termes du contrat de travail, M.[M] a été embauché au poste de directeur financier adjoint de la société Diaxonhit, sous la responsabilité de M.D, directeur financier. Il prévoit que M.[M] sera chargé de toutes tâches et responsabilités que l'employeur jugera utile ou nécessaire de lui confier pour assurer le développement de la société dans le cadre de ses fonctions. L'employeur ne produit pas de fiche de poste contemporaine de son embauche. Des mails ont été échangés au sujet de la rédaction d'une fiche au mois de novembre 2014, qui n'est pas versée aux débats. L'exemplaire produit à l'instance est une version non signée, qui mentionne la date du 11 septembre 2015.

La société Eurobio Scientific reproche à M.[M] sa carence dans la mise en place d'un circuit administratif financier concernant le marché Allomap avec les hôpitaux universitaires de [Localité 3], ce qui a amené son supérieur à intervenir et à l'établir, ainsi que le délai de fixation du tarif d'un test BIJ. Les échanges de mail entre les différents intervenants démontrent que M.[M] a rapidement adressé des propositions, mais que les modalités de ces prestations n'étaient pas encore arrêtées, de sorte que ces tâches n'ont pu être effectuées qu'au mois d'octobre 2015, après que chaque intervention ait été déterminée.

Il est également reproché à M.[M] son incapacité à réaliser un projet de façon autonome, des retards dans l'exécution des fonctions, une défaillance dans l'organisation du service financier.

Des échanges de mails démontrent qu'il a été demandé à M.[M] d'établir un cahier des charges relatif à un projet de logiciel de consolidation. Aucune échéance n'a été fixée concernant cette demande. Le projet que M.[M] a adressé a été corrigé par son supérieur le 13 mai 2015, qui ne l'a pas agréé sans pour autant préciser ce qu'il fallait modifier.

Les commissaires aux comptes intervenant dans la société ont demandé qu'il soit procédé à un inventaire de la totalité des équipements, ce qui a été à l'origine d'observations de leur part. M.[M] justifie avoir sollicité les différents services de la société, qui ont tardé à apporter leurs réponses.

Si quelques messages démontrent que certaines factures ont pu être validées et des informations transmises aux interlocuteurs avec un certain délai, M.[M] justifie qu'un nombre important de validations et de réponses pouvaient également être apportées rapidement.

Aucune difficulté sérieuse n'est démontrée concernant le fonctionnement du service administratif et financier, ou avec les comptes de la société, pour lesquels un retard de dépôt n'est pas établi. Les commissaires aux comptes n'ont pas formulé d'observation majeure dans leurs rapports.

Il doit être tenu compte de ce que le service de M.[M] a subi plusieurs absences non remplacées dans son service et qu'une ré-organisation de deux sites est intervenue au cours de l'année 2015.

L'employeur fait le grief au salarié d'une incapacité à prioriser les urgences, notamment en privilégiant la livraison de son véhicule de fonction ou les modalités financières du départ de son père au détriment d'activités importantes. La société Eurobio Scientific ne produit à cet effet que des mails échangés, qui ne révèlent aucune précipitation ou insistance particulière de M.[M] à traiter ces questions, notamment pour le départ de son père où il n'a fait que répondre aux demandes qui lui ont été adressées par d'autres salariés.

La société Eurobio Scientific reproche à M.[M] de ne pas avoir respecté la procédure pour se rendre à un séminaire de l'entreprise au mois de septembre 2015, mais aucun document interne prévoyant une procédure de déplacement n'est produit par l'employeur.

La société Eurobio Scientific reproche à M.[M] son comportement à l'égard de ses supérieurs et des collaborateurs, indiquant qu'il est en opposition systématique, en leur adressant de nombreux messages longs et polémiques. S'ils peuvent être longs, formuler des remarques aux dirigeants de la société, demander ou apporter des précisions, les messages de M.[M] ne comportent pas de propos irrespectueux et ne démontrent pas une volonté d'opposition de sa part.

Concernant le manquement à l'obligation de loyauté, la société Eurobio Scientific reproche enfin à M.[M], postérieurement à l'édition de l'exemplaire, d'avoir modifié unilatéralement le contenu de son entretien annuel qui s'est tenu le 9 janvier 2015. Les éléments produits démontrent que M.[M] n'a pas souhaité signer le premier compte rendu d'entretien qui lui avait été soumis et en a expliqué le motif à son supérieur par mail du 23 janvier 2015. Il a notamment contesté la note globale de 2, qui ne correspondait pas à la moyenne des notes des différentes rubriques et rappelé que la note globale de 3 lui avait été attribuée l'année précédente.

Si M.[M] a ajouté ses observations au projet d'entretien annuel, c'est bien la version modifiée qui a été soumise pour signature à son supérieur, qui ne saurait lui imputer la responsabilité d'avoir signé le document sans l'avoir relu, alors qu'il avait connaissance du désaccord du salarié sur plusieurs points.

Les reproches faits à M.[M] dans la lettre de licenciement ne sont pas fondés.

En définitive, la société Eurobio Scientific ne démontre pas que les différents comportements adoptés à l'égard de M.[M] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le licenciement de M.[M] ayant été prononcé dans le cadre du harcèlement qu'il a subi, cette décision doit être annulée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le rappel d'heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence de rappels de salaire, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le contrat de travail de M.[M] prévoit une durée mensuelle de travail de 151,67 heures.

M.[M] produit un tableau avec les dates des heures supplémentaires demandées et un décompte qui indique les éléments de sa demande pour chaque mois, de juillet 2013 à mars 2016. De nombreux mails corroborent les horaires de travail qui y sont indiqués, tant par les heures d'envoi que par leur contenu, dont le supérieur de M.[M] a été fréquemment destinataire.

La société Eurobio Scientific conteste la réalisation d'heures supplémentaires, sans produire d'élément permettant de vérifier le temps de travail de son salarié.

Compte tenu des éléments produits par les parties il y a lieu de retenir que M.[M] a accompli 707,7 heures supplémentaires durant la période considérée et de condamner la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 23 728 euros au titre du rappel des heures supplémentaires et celle de 2 372,80 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le bonus des années 2014 et 2015

Le contrat de travail prévoit une rémunération versée sous forme d'un salaire fixe et d'une partie variable ainsi rédigée : 'En outre, M.[M] pourra percevoir un bonus pouvant varier entre 0% et 15% de son salaire de base annuel, avec un bonus cible de 8,5%. Ce bonus sera déterminé au regard de la performance de M.[M], en cas d'atteinte des objectifs qui seront préalablement définis. L'attribution du bonus sera déterminée au regard de la réalisation des objectifs personnels à hauteur de 40%, et des objectifs Corporate définis dans le cadre du comité de direction à hauteur de 60%. Le bonus sera versé au plus tard au mois de mars l'année suivante, sous condition suspensive de présence de M.[M] dans les effectifs de la société à cette date et au prorata du temps de présence dans l'entreprise en cas d'année incomplète.'

M.[M] conteste le montant du bonus qui lui a été versé au mois de février 2015 pour l'année 2014 tant pour les modalités de calcul que pour la prise en compte de la note de 2 dans celui-ci, au lieu de celle de 3. Il indique qu'aucun bonus ne lui a été versé pour l'année 2015 alors qu'il était présent dans l'entreprise la totalité de la période.

L'appelant fait valoir que le bonus de l'année 2014 correspondait bien à la note retenue et que M.[M] n'était pas présent dans l'entreprise lorsque le bonus de l'année 2015 aurait dû être versé.

La société Eurobio Scientific évalue ses salariés sur différentes rubriques par des notes de 1 à 5, puis formule une note globale. La note de 3 est la note médiane. La note globale de 2 attribuée par l'employeur pour l'année 2014 ne correspond pas à la moyenne des notes attribuées pour chaque rubrique : six rubriques sont évaluées à 2 et quatorze rubriques à 3. En outre deux notes ont été abaissées à 2 sans élément justifiant une difficulté particulière. Le bonus doit ainsi être évalué en tenant compte d'une note globale de 3.

M.[M] précise le mode de calcul du rappel sollicité en tenant compte de cette donnée, alors que la société Eurobio Scientific n'apporte quant à elle aucune indication.

Le montant de 4 338,55 euros sera alloué au titre du rappel de bonus pour l'année 2014.

Si l'ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumis à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement.

M.[M] a été présent la totalité de l'année 2015, de sorte qu'il est fondé à obtenir le paiement du bonus correspondant. Il justifie par ailleurs que pour les années antérieures le bonus a été versé au mois de février, mois au cours duquel il était toujours présent en 2016. Aucune évaluation n'est produite concernant l'année 2015. Compte tenu de la rémunération perçue, sur la base d'une note identique, la somme de 6 951,06 euros doit être allouée à M.[M] au titre du bonus 2015.

La société Eurobio Scientific doit être condamnée à verser à M.[M] la somme de 11 339 euros au titre des bonus 2014 et 2015.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

L'indemnité pour licenciement nul ne peut être inférieure à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail.

M.[M] justifie ne pas avoir retrouvé d'emploi stable jusqu'au mois d'avril 2018 et avoir été indemnisé par Pôle Emploi. Compte tenu de sa rémunération mensuelle forfaitaire de 7 200,44 euros, comprenant l'indemnité du véhicule de fonction, de la réintégration des rappels d'heures supplémentaires, à hauteur de la somme de 6 926,44 euros correspondant au montant dû pour la dernière année, et du bonus de 6 951,06 euros pour l'année 2015, le revenu mensuel moyen de M.[M] était de 8 356, 89 euros.

Compte-tenu de la situation justifiée de M.[M] et du montant de sa rémunération, il y a lieu d'allouer à M.[M] la somme de 65 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral

Le préjudice moral subi par M.[M] au titre du harcèlement moral sera réparé par la condamnation de la société Eurobio Scientific à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, soit le 22 avril 2016 et les dommages et intérêts alloués à compter du jugement du conseil de prud'hommes pour le montant qui avait été alloué et de la présente décision concernant le surplus alloué.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil par année entière.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Eurobio Scientific qui succombe supportera les dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et la charge de ses frais irrépétibles. Elle sera condamnée à payer à M.[M] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

INFIRME le jugement du conseil des prud'hommes en toutes ses dispositions,

DIT le licenciement de M.[M] nul,

CONDAMNE la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 65 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul et celle de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2018 pour le montant alloué au titre de l'indemnité pour licenciement nul et à compter de la présente décision pour le surplus,

CONDAMNE la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] :

- la somme de 23 728 euros au titre du rappel des heures supplémentaires et celle de 2 372,80 euros au titre des congés payés afférents,

- la somme de 11 339 euros au titre de bonus 2014 et 2015,

avec intérêts au taux légal à compter du 22 avril 2016,

ORDONNE la capitalisation des intérêts selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société Eurobio Scientific aux dépens, qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Lesenechal,

CONDAMNE la société Eurobio Scientific à payer à M.[M] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Eurobio Scientific de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 18/08896
Date de la décision : 18/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°18/08896 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-18;18.08896 ?
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