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17/11/2020 | FRANCE | N°19/00009

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 17 novembre 2020, 19/00009


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2020



(n° 125/2020, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 19/00009 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B67UX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Décembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/06972





APPELANTS



Monsieur [L] [C]

Né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 8] (16)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 9]



Représenté par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936

Assisté de Me Sophie HAVARD DUCLOS de l'Association ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2020

(n° 125/2020, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 19/00009 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B67UX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Décembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/06972

APPELANTS

Monsieur [L] [C]

Né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 8] (16)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 9]

Représenté par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936

Assisté de Me Sophie HAVARD DUCLOS de l'Association Laude Esquier Champey, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

SARL LA MAISON DES PIERRES

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'ANGOULÊME sous le numéro 508 104 361

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936

Assistée de Me Sophie HAVARD DUCLOS de l'Association Laude Esquier Champey, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

INTIMÉE

SAS [C]

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'ANGOULÊME sous le numéro 905 420 147

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Nikita KOUZNETSOV de la SELARL KAMS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0902

Assistée de Me Jean-Christophe GUERRINI, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente,

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère

Mme Deborah BOHEE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente et par Karine ABELKALON, greffier, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement rendu par la 3ème chambre 4ème section du tribunal de grande instance de Paris le 6 décembre 2018,

Vu l'appel interjeté par M. [L] [C] et la société La Maison des Pierres le 26 décembre 2018,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 septembre 2020 par la société La Maison des Pierres et M. [L] [C], appelants et intimés incidents,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et signifiées le 8 septembre 2020 par la société [C], intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 8 septembre 2020,

SUR CE, LA COUR :

La société [C], immatriculée au RCS d'Angoulème depuis 1954, a pour activité la production d'eaux de vie, et notamment de cognac.

Elle est titulaire d'une marque française verbale '[C]', enregistrée le 15 février 1978, et régulièrement renouvelée sous le numéro 1 426 950, notamment en classe 33 pour désigner des boissons alcooliques (à l'exception des bières).

M. [L] [C], se présente comme appartenant à une famille exploitant depuis huit générations, une activité de distillation de cognac sous le nom patronymique '[C]', et comme le fils de [S] [C] qui a continué cette exploitation à partir des années 1970 sous la dénomination '[S] [C]'.

M. [L] [C] a créé en 2008 la société [C] Vins Spiritueux Cognac, devenue en 2011 Maison [S] [C], puis en 2017 Maison des Pierres, laquelle exerce une activité de distillation des vins à destination de cognac, sous l'enseigne '[S] [C]' et exploite le nom de domaine [C].com enregistré en 2000.

Par courrier du 26 octobre 2011, la société [C] a demandé à M. [L] [C] et à la société [C] Vins Spiritueux Cognac de cesser tout emploi du nom [C] isolé, de procéder au changement de dénomination sociale [C] Vins Spiriteux Cognac en faveur de [S] [C] ou [L] [C], et d'effectuer le transfert du nom de domaine [C].com.

La société [C] Vins Spiritueux Cognac a modifié sa dénomination sociale en 2011 pour devenir la société Maison [S] [C].

M. [L] [C] a demandé le 27 novembre 2014 l'enregistrement d'une marque semi-figurative '[S] [C] Cognac' pour des boissons alcoolisées, et par décision du 3 août 2015, le directer de l'INPI, faisaint droit à l'opposition de la société [C], a rejeté la demande d'enregistrement.

Par lettre du 21 février 2017, à laquelle était annexé un procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 9 février 2017, la société [C] a mis en demeure M. [L] [C] et la société [S] [C] de cesser tout usage du signe [C] pour désigner des boissons alcooliques, et de procéder au transfert du nom de domaine.

La société Maison [S] [C] a modifié sa dénomination sociale en 2017 pour devenir la société Maison des Pierres.

C'est dans ces conditions que la société [C] a fait assigner la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] par exploit du 2 mai 2017 devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque, transfert de nom de domaine et concurrence déloyale et parasitaire.

Le jugement dont appel a notamment, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

Dit que l'usage en France dans la vie des affaires du signe '[C]' pour désigner des boissons alcooliques de cognac par la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] a constitué des actes de contrefaçon de la marque française n° 1 426 950, au préjudice de la société [C] ;

Dit que la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] ont commis des actes de concurrence déloyale parasitaire et tromperie commerciale au préjudice de la société [C], et les a condamnés à ce titre in solidum à payer à la société [C] la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts ;

Ordonné à la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] de procéder au transfert du nom de domaine '[C].com' au profit de la société [C], et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour à compter du 16ème jour suivant la signification du jugement ;

Condamné in solidum la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] à payer à la société [C] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la contrefaçon de ses droits sur la marque française n° 1 426 950, et l'a déboutée des demandes au titre du préjudice commercial ;

Rejeté la demande de publication judiciaire ;

Condamné in solidum la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] à payer à la société [C] la somme globale de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par ordonnance du 15 mai 2019, le délégataire du Premier président de la cour d'appel de Paris, saisi par la société La maison des Pierres et M. [L] [C], a rejeté leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

Sur la prescription des demandes en contrefaçon et concurrence déloyale

Les appelants soutiennent que l'inscription dans la durée des agissements incriminés est sans effet sur le point de départ de la prescription quinquennale, que la lettre datée du 26 octobre 2011 démontre que la société [C] avait connaissance des faits qui fondent son action de sorte que l'assignation introduite le 2 mai 2017 était tardive et l'action prescrite.

La société [C] soutient que la contrefaçon est un délit continu, et le point de départ du délai de prescription court à compter du dernier acte de contrefaçon constaté. Les faits reprochés ayant persisté, aucune prescription ne peut être invoquée.

Il est constant en l'espèce que la société [C] avait connaissance depuis, à tout le moins le 26 octobre 2011, date de l'envoi d'une mise en demeure, de l'existence des faits incriminés d'usage par les appelants du patronyme '[C]' notamment par l'exploitation du nom de domaine [C].com.

La cour rappelle cependant que si les actions sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer en application respectivement des articles L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle et 2224 du code civil, le point de départ du délai court à compter de chaque acte incriminé dont il est demandé réparation, de sorte que l'action est prescrite pour ceux dont la victime a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de cinq ans au jour de sa demande en justice, à la différence des faits postérieurs distincts.

Il s'en suit en l'espèce que les demandes en contrefaçon et concurrence déloyale relatives à des faits antérieurs au 2 mai 2012 sont prescrites.

Sur la demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 123 du code de procédure civile

La société [C] soutient que les appelants ont communiqué leurs pièces 14-1 et 14-2 relatives notamment au courrier du 26 octobre 2011, le 27 janvier 2020, alors qu'elles disposaient de ces pièces à tout le moins depuis 2011, et qu'elles ont attendu le 28 août 2020 soit huit jours avant la date prévue pour la clôture pour soulever une fin de non-recevoir.

La cour rappelle que l'article 123 du code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire de les soulever plus tôt.

En l'espèce, l'intention dilatoire des appelants, qui ont changé de conseil en appel, n'est pas caractérisée, la société [C] ayant par ailleurs eu le temps de répondre au moyen tiré de la prescription, la clôture n'ayant été finalement prononcée que le 8 septembre 2020. La demande de dommages-intérêts de ce chef sera dès lors rejetée.

Sur la contrefaçon de marque

La société [C] soutient que l'usage dans la vie des affaires du signe '[C]' pour désigner des boissons alcooliques de cognac, par la société La Maison des Pierres, constitue une contrefaçon de sa marque, par reproduction pour le nom de domaine, et par imitation s'agissant du signe '[S] [C]'.

La société La Maison des Pierres et M. [C] répliquent qu'ils utilisent de bonne foi le nom patronymique '[C]' conformément à l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle.

Sur l'usage de bonne foi du nom patronymique

Les appelants soutiennent que la société La Maison des Pierres exerce son activité de distillation et vente de boissons alcoolisées sous l'enseigne et le nom commercial '[S] [C]', laquelle était exploitée par le père de [L] [C] depuis les années 1970, et qu'elle fait donc un usage de bonne foi au sens de l'article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle du nom patrnonymique de son gérant à titre de nom de domaine, d'enseigne et de nom commercial.

Ils prétendent démontrer que M. [L] [C] a poursuivi l'activité familiale de négoce de cognac exercée sous le nom '[S] [C]', qu'il fait donc un usage légitime et honnête du signe '[S] [C]' et que le fait que la société La Maison des Pierres n'a été immatriculée qu'en 2008 ne la prive en rien de se prévaloir de l'usage antérieur du signe lequel a été utilisé de manière continue par son gérant et ses aïeuls, et que leur bonne foi est avérée en ce que l'usage du nom de famille [C] est toujours précédé du prénom [S] pour éviter tout risque de confusion, outre que la page d'accueil du site ouvrant sur le nom de domaine ne propose qu'une redirection vers le lien [S].[C].com excluant toute atteinte à la marque antérieure [C].

La société [C] relève que les appelants ne peuvent bénéficier de l'exception d'homonymie alors qu'ils n'utilisent pas le signe [C] ou [S] [C] de bonne foi puisque le gérant de la société La Maison des Pierres s'appelle [L] [C], qu'ils font usage du signe querellé à titre de nom de domaine et de marque qui ne rentrent pas dans les exceptions de l'article L713-6 a) du code de la propriété intellectuelle, et qu'aucune mesure n'a été prise pour éviter le risque de confusion.

Elle ajoute qu'ils ne démontrent pas un usage antérieur au dépôt de la marque '[C]' puisque la société La Maison de Pierres a été crée en 2008, et que ni cette société ni M. [L] [C] ne peuvent se prévaloir des droits des tiers, et approuve les premiers juges qui ont relevé que M. [L] [C] ne justifie pas de ses droits d'usage de ce nom patronymique dans le domaine du cognac.

Elle en conclut que le tribunal a jugé à juste titre que s'il est constant que plusieurs familles se revendiquent de la lignée '[K] [C]', fondateur de l'une des plus anciennes maisons de Cognac, seule la société [C] a déposé le signe [C] comme marque désignant des alcools, et ce depuis 1978, et que l'utilisation du signe [C] par les appelants ne constitue pas une exception telle que prévue par l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, et en tout état de cause qu'elle porte atteinte aux droits du titulaire de la marque, de sorte que l'utilisation du signe '[C]' par les appelants doit être interdite, et à titre subsidiaire qu'il convient d'en limiter l'usage à la combinaison immédiate du prénom [S] avec le patronyme [C], dans cet ordre, dans les mêmes caractères de même dimension, même couleur et même tonalité, en y ajoutant en caractères lisibles l'adresse de l'établissement.

La cour rappelle que l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable au litige, dispose que ' l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme : a) dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure, soit le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.

Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l'enregistrement peut demander qu'elle soit limitée ou interdite'.

Il est admis que l'exception d'homonymie prévue à l'article susvisé bénéficie à la personne morale lorsque le signe litigieux correspond au patronyme d'une personne physique qui exerce en son sein des fonctions de contrôle et de direction.

En l'espèce, le tribunal a considéré que M. [L] [C] ne prouvait pas qu'il était le fils de M. [S] [C] décédé en 1996, ni qu'il avait hérité de l'activité ancienne de distillerie et négoce de cognacs de son père, et a donc jugé que M. [L] [C] et la société La Maison des Pierres échouaient à démontrer un usage de bonne foi du nom patronymique '[S] [C]' à leur profit dans le secteur des cognacs.

En cause d'appel, M. [L] [C] produit :

- l'extrait d'acte de mariage, du livret de famille, de l'acte de décès et du certificat d'hérédité prouvant qu'il est le fils d'[U] [Z] et de [S] [C], lequel est décédé le [Date décès 5] 1996, en laissant pour seuls héritiers son épouse et ses deux enfants, dont [L] [C] ;

- un extrait d'un livre intitulé 'Le monde du Cognac' édité en 1997 aux éditions Hatier comprenant une page présentant '[S] [C] viticulteur-distillateur -négociant [Localité 7] (Charente) depuis 1793" rappelant que 'la famille [C]' travaillait déjà la vigne au début du XVII ème siècle', indiquant que '[S] [C] commença à commercialiser ses cognacs sous son nom dans les années 70', date à laquelle la famille décide de se lancer dans le négoce de leur production, principalement à l'exportation', et précisant 'leur gamme comprend aujourd'hui le Trois étoiles (4 ans d'âge), le VSOP (7 ans d'âge), le Napoléon (15 ans d'âge), le XO (25 ans d'âge) et enfin l'excellence (50 ans d'âge)', ce passage étant illustré par le visuel d'une bouteille dont l'étiquette mentionne '[S] [C] - Cognac - X.O' ;

- le certificat d'une marque semi-figurative '[S] [C]' en or et noir déposée par M. [S] [C] le 11 juin 1979 sous le n°1092135 en classe 33 pour du 'Cognac', et son renouvellement le 20 avril 1989 sous le n° 1 611 128 ;

- un certificat daté du 29 février 1984 du Bureau National Interprofessionnel de Cognac confirmant 'l'homologation officielle des habillages de Cognac sous la marque [S] [C]' pour 'une bouteille sérigraphiée Cognac - VSOP (modèle Etats Unis' et 'une bouteille sérigraphiée Cognac -Napoléon (modèle Etats Unis)' ;

- un extrait Kbis mentionnant que [S] [C], était le gérant d'une société [C] Guillot dont l'activité d' 'achat, vente conditionnement, stockage de tous produits vinicoles' a commencé le 15 juillet 1983, ladite société, dont le siège est à [Localité 7] sur la commune de [Localité 9] (16 200) ayant fait l'objet d'une liquidation amiable et d'une radiation le 2 juillet 1986 ;

- un extrait Kbis relatif à [S] [C], personne physique, exerçant à partir du 1er octobre 1985 une activité de 'marchand en gros et négociant en cognac', immatriculé le 24 octobre 1985, dont l'adresse de l'établissement est [Localité 7] à [Localité 9] mentionnant la radiation le 2 septembre 1996 suite au décès de M. [S] [C], et la transmission du fonds par mutation entre époux ;

- une attestation du notaire en charge de la succession datée du 28 août 1996 certifiant que M. [S] [C] a laissé pour conjoint survivant Mme [U] [Z], bénéficiaire d'une donation entre époux, en vertu de laquelle elle est seule habilitée à gérer le fonds de commerce ayant appartenu à M. [S] [C] et à exploiter notamment la marque 'Cognac [S] [C]' ;

- le certificat et la publication au BOPI du renouvellement de la marque [S] [C] n° 1 611 128 le 15 avril 1999 par Mme [U] [C] ;

- un extrait Kbis relatif à Mme [U] [Z] veuve [C], personne physique, mentionnant qu'elle exploite personnellement une activité de 'marchand en gros de Cognac, Pineau, Brandy, vente vins en bouteille', à l'adresse [Localité 7] à [Localité 9] , sous l'enseigne 'Cognac [S] [C] Patrick Herbet Négociant', dont elle a repris le fonds à [S] [C] depuis le 10 janvier 1996, la date de cessation d'activité étant indiquée au 30 juin 2015 et la radiation au 28 juillet 2015 ;

- une déclaration d'activité non salariée effectuée par M. [L] [C] le 19 mars 2002 pour exercer une activité de 'viticulture' à [Localité 7] sur la commune de [Localité 9] ;

- un 'contrat de coopération' daté du 5 mars 2002 conclu entre [U] [C], viticultrice, et [L] [C], aide familial sur l'exploitation d'[U] [C] à [Localité 7] [Localité 9], mentionnant que 'suite à l'installation de [L] sur l'exploitation , celui-ci s'engage à effectuer tous les travaux et vendre toutes les eaux de vie que l'exploitation [U] [C] effectue sous le nom 'Cognac [S] [C]', ainsi que le bail notarié conclu le 19 avril 2002 donnant à bail rural à M. [L] [C], notamment une propriété rurale et viticole ayant son centre d'exploitation au lieu dit '[Localité 7]' sur la commune de [Localité 9] ;

- une attestation de Mme [U] [Z] veuve [C] expliquant qu'elle a repris au décès de son mari l'activité qu'il exerçait sous la marque '[S] [C] Cognac', qu'elle a transmis ses baux à son fils en 2002, qu'il a démarré son activité de viticulteur dans le cadre d'une entreprise individuelle et qu'à partir de 2008 il s'est joint à elle pour exercer l'activité de négoce de cognacs [S] [C] par le biais de la société 'Cognac vins et spiritueux Cognac' ;

- l'extrait Kbis de la société La Maison des Pierres, immatriculée le 19 septembre 2008, dont le gérant est M. [L] [C], exploitant sous l'enseigne '[S] [C]', une activité de 'distillation des vins à destination du Cognac, marchand en gros de vins et spiritueux, Cognac' , précisant qu'elle était précédemment dénommée 'Cognac vins et spiritueux Cognac', puis 'Maison [S] [C]'.

Il résulte de la chronologie de l'ensemble de ces éléments qu'il est à tout le moins avéré que M. [L] [C], fils de [S] [C] exploitant depuis la fin des années 70 des boissons de Cognac sous son nom patronymique '[S] [C]' à titre de nom commercial, a poursuivi à partir de 2002 l'exploitation de cette activité et de ce nom commercial, peu important qu'une marque depuis déchue du fait du non renouvellement a été également déposée, aux côtés puis à la suite de sa mère à laquelle le fond avait été transmis en 1996 au décès de [S] [C], et a pour ce faire créé en 2008 la société La Maison des Pierres, exerçant sous l'enseigne [S] [C], dont il est le gérant.

[C] est d'évidence le nom patronymique de M. [L] [C] de sorte que contrairement aux allégations de la société [C], l'article L. 713-6 a) susvisé est bien applicable en l'espèce, sans avoir à justifier d'une antériorité qui n'est pas exigée pour l'usage du nom patronymique de bonne foi, étant observé au surplus d'une part que l'exploitation du signe [S] [C] est avérée à tout le moins depuis la fin des années 70, la marque litigieuse ayant été déposée le 15 février 1978, d'autre part que la société [C] reconnaît elle-même dans le courrier qu'elle a adressé le 26 octobre 2011 à M. [L] [C], visant expressément l'usage de bonne foi du nom patronymique prévu par l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle : 'De votre côté, feu M. [S] [C] employait son propre patronyme, à des fins commerciales, pour désigner également des eaux de vie bénéficiant de l'appelation d'origine contrôlée Coganc'.

L'article L. 713-6 a) susvisé est également applicable à l'égard de la société La Maison des Pierres exploitant sous l'enseigne '[S] [C]', dont M. [L] [C] est le fondateur et le gérant, l'adjonction du prénom '[S]', qui est le prénom de son père, ne retirant pas aux appelants le bénéfice de l'article L. 713-6 susvisé alors au contraire qu'il contribue à éviter le risque de confusion avec la marque verbale '[C]', et justifie en conséquence de leur bonne foi au sens de l'article L. 713-6 précité.

La société [C] prétend en outre que l'exception de l'article L. 713-6 n'est pas prévue pour l'usage du nom patronymique au sein d'un nom de domaine. Cependant l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle doit être interprété à la lumière de l'article 6 de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 laquelle dispose que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires de son nom (...) pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, sans écarter le cas du nom de domaine, de sorte que si l'article L. 713-6 vise la dénomination sociale, le nom commercial ou l'enseigne, il ne peut en être déduit que l'utilisation du nom patronymique dans un nom de domaine est exclue du bénéfice de l'article L.713-6.

Il est enfin admis que la bonne foi au sens de l'article L. 713-6 susvisé suppose que le tiers employant son nom patronymique ait pris des précautions pour éviter tout risque de confusion, telles que l'adjonction du prénom, l'indication géographique de la production ou l'utilisation d'un graphisme distinct de celui de la marque antérieure.

Il résulte en l'espèce de l'extrait whois versé au dossier relatif au nom de domaine [C].com qu'il a été créé le 6 septembre 2000 au nom de 'Cognac [S] [C]', M. [L] [C] apparaissant comme l'administrateur, et la société La Maison de Pierre en assurant l'exploitation, à tout le moins au moment des fait litigieux, avant de procéder à son transfert au profit de la société [C] en exécution du jugement querellé.

Il ne peut cependant être déduit du libellé du nom de domaine [C].com, en tant que tel, un usage de mauvaise foi du patronyme [C], alors que la cour observe qu'il a été créé en 2000, près de 17 ans avant les faits incriminés, et que la société [C], qui ne conteste pas qu'elle en avait connaissance, s'agissant de deux maisons anciennes de Cognac coexistant depuis de nombreuses années, ne justifie d'aucune difficulté jusqu'au courrier de mise en demeure du 26 octobre 2011 adressé à M. [L] [C] et versé par lui à la procédure, à la suite duquel la société Maison [S] [C] a changé sa dénomination sociale en 'Maison des Pierres' et a créé le sous-domaine [S].[C].com vers lequel sont dirigés les internautes consultant le site internet [C].com, la société [C] n'ayant, à la suite de ces modifications, fait part d'aucune difficulté relative à l'exploitation du site jusqu'à son courrier de mise en demeure du 27 février 2017 puis à l'assignation introductive du 2 mai 2017.

Si la cour observe que le nom de domaine [C].com ne comporte aucune adjonction d'un prénom et est en conséquence susceptible de créer la confusion avec la marque antérieure [C] et que la société La Maison des Pierres n'a pas procédé au transfert de nom de domaine qui lui était demandé dans les courriers de 2011 et 2017, il y a lieu cependant de constater, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat que la société [C] a fait dresser le 9 février 2017, que le nom de domaine [C].com dans les recherches Google est toujours surmonté de la mention 'Cognac [S] [C]', et que la page d'accueil est une grande page vide, de couleur brun sombre, en haut de laquelle se trouve seulement un encart également de couleur brune mentionnant en lettres blanches à trois reprises '[S] [C]' avec un emblème, cette page sur laquelle le seul message est 'Veuillez vous rendre sur l'adresse [S].[C].com pour visualiser notre site internet' étant exclusivement redirectionnelle vers le site [S].[C].com, dont la page d'accueil présente une photographie de la propriété et une présentation du vignoble du 'Cognac [S] [C]', située géographiquement , 'en majorité dans la commune de [Adresse 10] (..) Autour d'une ferme (...) au coeur du village de [Localité 7]', ainsi qu'un visuel de bouteille X.O [S] [C]. Il se déduit dès lors de ces éléments que [L] [C] et la société La Maison des Pierres, qui utilisent le nom patronymique [C] précédé du prénom '[S]' et accompagné le plus souvent d'un emblème spécifique, ont fait un usage de bonne foi du patronyme [C] au sens de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, de sorte que le jugement dont appel sera infirmé sur ce point, et en ce qu'il a dit que la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] ont commis des actes de contrefaçon de la marque française n° 1 426 950 au préjudice de la société [C], et a prononcé des mesures d'interdiction et de condamnation en paiement.

La cour rappelle cependant que le dernier alinéa de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que même lorsqu'un tiers utilise de bonne foi son nom patronymique, le titulaire de la marque antérieure peut demander que cette utilisation soit limitée si elle porte atteinte à ses droits.

En l'espèce, la cour observe que nonobstant les modifications apportées par M. [L] [C] et la société La Maison des Pierres à l'usage du nom de domaine [C].com par la redirection vers un sous-domaine, l'exploitation du nom de domaine [C].com sans l'adjonction du prénom [S], et ce aux fins de vendre des vins de Cognac en redirigeant les internautes vers le site [S].[C].com, porte atteinte à la marque antérieure [C] déposée notamment pour des boissons alcooliques, le défaut de mention du prénom dans le nom de domaine pouvant laisser penser au consommateur que les produits '[C]' ou '[S] [C]' proviennent de la même maison ou de maisons économiquement liées.

Il convient en conséquence en application du dernier alinéa de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle d'ordonner le transfert à la société [C] du nom de domaine [C].com, le jugement étant confirmé sur ce point, et de limiter l'utilisation par la société La Maison des Pierres et M. [L] [C], sans qu'il y ait lieu de mettre hors de cause ce dernier qui a réservé le nom de domaine et apparaît comme le responsable légal du site, du terme '[C]' pour l'exploitation de boissons alcooliques, en ce qu'il doit être systématiquement précédé du prénom [S] dans une taille de caractère similaire.

Sur la concurrence déloyale

La société [C] soutient que la société La Maison de Pierres et M. [L] [C] commettent des actes de concurrence déloyale et parasitaire en ce qu'ils font usage du nom de domaine [C].com pour détrourner les internautes vers leur site marchand, et qu'ils ont cherché à créer la confusion et à se placer dans son sillage, le cognac [C] étant le Cognac vendu le plus cher aux enchères.

La cour rappelle que l'action en concurrence déloyale et parasitaire ne peut aboutir que si les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle sont réunies, et ne peut donc prospérer que si le demandeur rapporte la preuve d'une faute intentionnelle dommageable.

Ainsi qu'il a été démontré M. [L] [C] et la société La maison des Pierres ont usé de bonne foi du patronyme [S] [C] sans que la société [C] ne rapporte la preuve d'un comportement fautif visant à rechercher la confusion ou à déloyalement détourner la clientèle. Il ne peut davantage être retenu comme l'a fait le tribunal qu'ils ont commis des actes de tromperie commerciale, alors qu'il n'est démontré aucun élément de nature à tromper les consommateurs sur la qualité des produits.

Les demandes de la société [C] seront donc rejetées, et le jugement infirmé de ce chef.

Sur la demande de restitution

La société La Maion des Pierres et M. [L] [C] sollicitent la restitution des sommes versées en exécution du jugement, ainsi que la réparation des préjudices économique et moral subis du fait de l'excéution forcée.

La société [C] soulève l'irrecevabilité de ces demandes comme nouvelles au regard de leurs premières conclusions d'appel.

En application de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, l'obligation de restitution de sommes perçues en vertu d'une décision assortie de l'exécution provisoire résulte de plein droit de sa réformation.

Le présent arrêt, infirmatif en ce qui concerne les condamnations en paiement, emporte de plein droit obligation de restitution, de la somme totale non discutée de 56 678,28 euros et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution, sans qu'il y ait lieu dès lors de statuer sur cette demande.

La demande de dommages-intérêts au titre du préjudice économique et moral résultant de l'exécution forcée, est nouvelle en cause d'appel en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, de sorte qu'elle sera déclarée irrecevable.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Déclare prescrites les demandes en contrefaçon et concurrence déloyale relatives à des faits antérieurs au 2 mai 2012 ;

Déclare irrecevable la demande de la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] relative à la condamnation à des dommages-intérêts du fait de l'exécution forcée ;

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a ordonné le transfert du nom de domaine [C].com et rejeté la demande de publication judiciaire ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que M. [L] [C] et la société La Maison des Pierres font un usage de bonne foi de leur nom patronymique ;

Rejette en conséquence les demandes présentées par la société [C] au titre de la contrefaçon de marque, et de la concurrence déloyale et parasitaire, et de la tromperie commerciale ;

Limite l'utilisation par la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] du terme '[C]' pour l'exploitation de boissons alcooliques en ce qu'il doit être systématiquement précédé du prénom [S] dans une taille de caractère similaire ;

Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution de la somme de 56 678,28 euros versée par la société La Maison des Pierres et M. [L] [C] en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des parties à ce titre.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 19/00009
Date de la décision : 17/11/2020

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°19/00009 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-17;19.00009 ?
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