Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2020
AUDIENCE SOLENNELLE
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06555 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7S6Y
Décision déférée à la cour : décision du 18 février 2019 - Conseil de l'ordre des avocats de PARIS
DEMANDEUR AU RECOURS
Madame [K] [E]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparante
DÉFENDEUR AU RECOURS
LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PARIS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par et ayant pour avocat plaidant Me Hervé ROBERT, avocat au barreau de Paris, toque : P0277
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 septembre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
- Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
- Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport
- M. Stanislas DE CHERGE, Conseiller, chargé du rapport
- Mme Hélène GUILLOU, Présidente de chambre
- M. Marc BAILLY, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Michel LERNOUT, Avocat général, qui a fait connaître son avis.
DÉBATS : à l'audience tenue le 17 septembre 2020, ont été entendus :
- Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, en son rapport
- [K] [E],
- Me Hervé ROBERT,
- Michel LERNOUT, Avocat général,
en leurs observations
- [K] [E], en dernier
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et par Djamila DJAMA, Greffier présent lors du prononcé.
* * *
Par arrêté du 18 juillet 2019, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris, statuant en sa formation administrative, a rejeté la demande d'inscription au tableau de Mme [K] [E], au visa de l'article 98 3° et 4° du décret du 27 novembre 1991.
Le conseil de l'ordre a retenu que :
- Mme [E], qui se prévaut depuis 2001 d'une expérience de juriste chargée de contentieux auprès de la société Sogecor reprise en 2013 par la société VCD Recouvrement, a exercé des tâches consistant à résoudre des difficultés de recouvrement des créances pour le compte des clients de ladite société et non pas à traiter des problèmes juridiques posés par l'activité de son employeur,
- Mme [E] qui argue, de 1989 à 1992, d'une expérience de fonctionnaire de catégorie A en qualité de juriste au sein de la Cour de justice des communautés européennes située à Luxembourg, ne justifie pas d'une expérience professionnelle exercée sur le territoire français conformément aux exigences posées par l'article 11-2 de la loi du 31 décembre 1971 et la jurisprudence.
Mme [E] a formé un recours auprès de la cour d'appel par déclaration reçue au greffe le15 mars 2019.
Aux termes de ses écritures déposées le 28 août 2020 et soutenues à l'audience, elle demande à la cour d'accueillir favorablement sa demande d'inscription au barreau de Paris en faisant valoir que :
- elle a exercé durant plus de huit années, en toute autonomie et à titre exclusif, une activité de juriste d'entreprise au sein des sociétés Sogecor et VCD Recouvrement, dans un service juridique spécialisé chargé des problèmes juridiques posés par l'activité de ces sociétés. Ses fonctions consistaient à assurer le suivi des dossiers confiés sous sa responsabilité, à rédiger des actes constitutifs et modificatifs des statuts de ces sociétés tels que des procès-verbaux d'assemblée, des mandats et pouvoirs pour la société VCD Recouvrement, et tous actes ayant trait au traitement du personnel. Elle a également développé des prestations juridiques autour du recouvrement judiciaire européen, étant l'auteur d'un processus de rédaction et de suivi des injonctions de payer européennes et technicienne de droit européen de haut niveau, en assurant la conception et la gestion globale des dossiers d'injonctions de payer européennes et en collaborant à ce titre avec les avocats des sociétés Sogecor et VCD Recouvrement. Son travail a contribué à une augmentation considérable des procédures judiciaires européennes au sein de la société VCD Recouvrement et permis à celle-ci d'affirmer son positionnement d'expert en la matière. La finalité de ses prestations juridiques était au seul bénéfice de son employeur dès lors que l'objet même de la société VCD Recouvrement étant d'apporter un soutien et des informations juridiques à ses clients, en solutionnant ces difficultés, elle résolvait des problèmes juridiques posés par l'activité de son employeur ;
- elle a été juriste auprès de la Cour de justice de l'Union européenne entre 1989 et 1992 et dispose de hautes compétences en droit européen. Cette expérience, même non exercée sur le territoire français, doit être prise en compte, l'exigence d'un exercice exclusif en France caractérisant une restriction à la liberté d'établissement dans un Etat membre, interdite par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, s'agissant d'une profession réglementée, une restriction à la directive européenne du 7 septembre 2005 prescrivant la prise en compte des qualifications acquises dans un autre Etat membre sous la réserve d'apprécier si elles correspondent aux qualifications exigées par la France.
Le conseil de l'ordre du barreau de Paris a sollicité la confirmation de l'arrêté du 18 février 2019, en faisant valoir que :
- Mme [E] exerçait une activité de recouvrement des créances pour le compte des clients de la société VCD Recouvrement, ainsi qu'il ressort du mandat régularisé par ceux-ci,
- il n'est pas justifié de la nature de l'activité exercée au sein de la Cour de justice des communautés européennes. En outre, l'article 11.2 de la loi du 31 décembre 1971, que le conseil constitutionnel a reconnu conforme à la constitution, prenant uniquement en compte l'expérience professionnelle effectuée sur le territoire français, cette activité exercée à Luxembourg ne peut être prise en compte dans le calcul des 8 années.
Le bâtonnier, régulièrement avisé de l'audience, n'a pas présenté d'observations distinctes.
Le ministère public qui n'a pas pris d'écritures, est d'avis que le recours de Mme [E] doit être rejeté.
Mme [E] a eu la parole en dernier.
SUR CE
Sur la demande de dispense fondée sur l'article 98 3° du décret du 27 novembre 1991 :
Selon l'article 98 3° du décret du 27 novembre 1991, sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises.
La qualité de juriste d'entreprise ne peut être reconnue qu'à des personnes ayant exclusivement exercé leurs fonctions dans un service spécialisé chargé, dans une ou plusieurs entreprises, des problèmes juridiques posés par l'activité de cette entreprise.
Mme [E], née le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 4], de nationalité française, est titulaire d'un DESS en droit du marché commun.
Il n'est pas discuté que cette dernière, qui se prévaut depuis 2001d'une expérience de juriste d'entreprise auprès de la société Sogecor, reprise en 2013 par la société VCD Recouvrement, justifie d'une pratique professionnelle pendant une durée d'au moins huit ans.
Cependant, Mme [E] ne justifie pas avoir rédigé, ainsi qu'elle l'allègue, des actes constitutifs et modificatifs des statuts de la société VCD Recouvrement, des procès-verbaux d'assemblée ainsi que des actes ayant trait au traitement du personnel de ladite société.
L'exemplaire de mandat de recouvrement consenti par les clients de la société VCD Recouvrement à celle-ci est rédigé comme suit 'Par le présent contrat, le mandant donne mandat général au mandataire de procéder par tous moyens appropriés de son choix aux opérations de recouvrement de ses créances. Il donne à cet effet pouvoir au mandataire de recevoir pour son compte tous les paiements afférents aux créances qu'il lui confie, en principal et accessoires, détenues sur ses débiteurs'.
Ce mandat, outre les courriers rédigés en novembre 2016 par l'appelante en sa qualité de juriste au sein de la société VCD Recouvrement, qu'elle produit aux débats, établissent qu'elle assistait les clients de ladite société pour leur permettre le recouvrement de leurs créances et leur livrait à cette occasion des informations juridiques s'agissant de leur dossier et de la procédure à suivre.
M. [X] [M], gérant de la société VCD Recouvrement confirme également ce point en attestant que 'Nous avions ponctuellement des demandes de recouvrement judiciaire consistant pour nous à assister nos clients dans le déclenchement d'injonctions de payer », tout en précisant que cette activité a connu un essor en 2013 et que la société VCD Recouvrement a développé des prestations autour du recouvrement judiciaire et en matière d'exécution européenne avec la contribution de Mme [E], qui a posé le cadre des interventions de la société VCD Recouvrement, a proposé un formalisme d'échanges et lui a permis d'intégrer ces nouvelles compétences.
Le fait que l'intéressée ait été chargée de la représentation de son employeur dans l'accomplissement de procédures de recouvrement judiciaire de créances et qu'elle ait contribué à l'essor de la société VCD Recouvrement dans ce domaine, en particulier en matière d'exécution européenne compte tenu de ses compétences personnelles, n'établit pas qu'elle travaillait exclusivement pour le compte de son employeur ni avec une réelle autonomie, et qu'elle a ainsi assuré une fonction de responsabilité dans l'organisation et le fonctionnement de la vie de l'entreprise qui se distingue du simple exercice professionnel du droit.
Le bâtonnier a donc retenu avec exactitude que Mme [E], qui exerce ses fonctions de juriste dans l'intérêt des clients de son employeur et non pas au seul bénéfice de ce dernier, ne pouvait bénéficier des dispositions dérogatoires de l'article 98 3° du décret du 27 novembre 1991.
Sur la demande de dispense fondée sur l'article 98 4° du décret du 27 novembre 1991 :
L'article 98 4° du décret du 27 novembre 1991 prévoit que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale.
Pour bénéficier de cette dispense, Mme [E] se borne à produire aux débats une attestation établie le 21 mai 2013 selon laquelle elle 'a été agent temporaire à la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg pendant la période du 01.12.1989 au 30.11.1992".
Ce faisant, elle ne justifie nullement de la nature de son activité, ni de son affectation, et échoue ainsi à établir qu'elle a exercé en qualité de fonctionnaire de catégorie A des activités juridiques pendant au moins huit ans dans une organisation internationale.
Mme [E] ne répondant pas aux critères posés par l'article 98 4° du décret du 1991, doit donc être déboutée de sa demande de ce chef.
La décision du conseil de l'ordre de refus d'inscription doit donc être confirmée par motifs substitués.
Sur les dépens :
Mme [E] échouant en ses prétentions sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la délibération du conseil de l'ordre du barreau de Paris du 18 juillet 2019 par motifs substitués,
Condamne Mme [K] [E] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE